Karl Dawson baille dans l'aube encore sombre, et essaye de garder les bouchées de beignet qu'il vient d'engouffrer dans sa bouche. Assis sur le capot de son véhicule, il attend, encore et toujours, son coéquipier. George Arthurs est un vieux de la vieille, un ancien, un policier respecté dans Gotham City, qui a trempé dans ce qu'il devait tremper à l'époque où la corruption était imposée dans la ville.
Depuis l'arrivée de James Gordon, la chute du commissaire Loeb et la montée en puissance d'officiers intègres, ou qui essayent au moins de l'être, George a suivi la tendance et ne touche plus à rien. Tout au plus prend-il sa part de donuts et de beignets gratuits chez les commerçants du coin, mais Karl, policier trentenaire et en place depuis une douzaine d'années, n'en dit rien. Il sait très bien que Maggie Sawyer et les autres n'apprécieraient pas, mais il est bien conscient que George n'est pas méchant et que ses actes font surtout partie du folklore.
En réalité, même ce genre de pratiques commence à disparaître.
Karl a commencé plus ou moins au moment où James Gordon a été transféré à Gotham City, et il a pu voir les révolutions menées par celui qui semble être, désormais, l'éternel commissaire du G.C.P.D. George n'a plus que quelques années à tirer avant la retraite, il sera bientôt un lointain souvenir, comme le reste des anciennes pratiques locales.
Les choses changent -
Gotham City change. Et Karl s'adapte.
Avec plaisir, Karl découvre la silhouette forte de George, qui s'échappe enfin du G.C.P.D. Un léger sourire sur le visage, il dépasse son coéquipier et s'installe à sa place, faisant évidemment un peu pencher le véhicule. Sans un mot, Dawson le rejoint et démarre leur véhicule. Une journée de rondes dans la ville commence, et tous deux se sentent libérés de quitter le Commissariat Central.
Depuis quelques jours, et la tentative d'évasion de Kirk "Man-Bat" Langstrom, le G.C.P.D. vit dans une ambiance difficile. Le commissaire Gordon est blessé et se remet difficilement selon les dernières nouvelles, le consultant du Maire et Directeur de la Police, Louis Cypher, apparaît un peu trop souvent au goût des policiers ; les nouveaux n'aiment pas qu'un planqué de la mairie essaye de parasiter Gordon, et les anciens se souviennent suffisamment des "méthodes" de l'ancien commissaire pour s'en méfier.
Les cellules du sous-sol ont été renforcées, les congés ont été annulés et tout le G.C.P.D. est sur la brèche. Entre les chasseurs de prime qui rôdent dans la ville, les officiers qui se prennent pour des cow-boys, les criminels et justiciers qui ont des attitudes étonnantes, Karl Dawson se sent déjà fatigué.
Même si les choses changent, même si la police s'améliore, il sait très bien que le chemin est encore dur, et les derniers évènements rendent le bout du chemin encore plus éloigné.
Plusieurs personnages importants de la ville ont été attaqués, violemment, quelques jours plus tôt. Le procureur Lindenberg a été la cible d'une sorte de nouveau mercenaire-super-tueur, et les rumeurs sont nombreuses pour évoquer l'agression d'hommes d'affaires, d'un chef de gang voire même de hauts responsables gothamites... tout ceci n'est pas clair, n'est pas sain.
Karl Dawson, en avançant lentement dans son véhicule de patrouille vers une grande artère de Gotham City, soupire discrètement alors que son coéquipier s'enfile un nouveau beignet ; il a aussi entendu
d'autres rumeurs, et elles ne lui plaisent pas.
La rue parle, la rue parle beaucoup, et elle dit clairement que de plus en plus de Gothamites pensent que la Cour des Hiboux a lancé ces attaques.
Il n'y croit pas, bien sûr. La Cour n'est qu'une comptine, une fable pour effrayer les enfants, et il se souvient clairement de la voix de sa mère quand elle lui chantonnait ces quelques mots pour le forcer à s'endormir et pour assurer son autorité. La Cour des Hiboux n'existe pas, ses indicateurs ont dû prendre un shoot de trop - mais
quand même, ils insistent beaucoup et ce n'est pas leur genre.
Karl est sur le point d'évoquer le sujet avec George quand une monstrueuse explosion secoue la rue, les bâtiments autour, la route, leur véhicule... et le G.C.P.D. Il a été touché.
Le Commissariat Central vient d'exploser.
Dawson abandonne le volant et sa place pour sortir et regarder, ébahi, terrifié et stupéfait, les gravats du bâtiment retomber lourdement sur le sol. Des flammes immenses jaillissent des ruines, l'onde de choc a pulvérisé tout l'immeuble et les quelques éléments immobiliers présents autour.
Karl sent ses jambes défaillir, mais il se maintient à la porte pour ne pas s'échouer lamentablement au sol.
Le Commissariat a été pulvérisé. Des dizaines de vies viennent d'être broyées par une attaque - une attaque sans commune mesure. La gorge nouée, les mains tremblantes, Dawson essaye de rassembler ses pensées, mais son attention est immédiatement happée par un bruit... un ululement.
Lentement, le policier se tourne et pose son regard sur... une dizaine d'hiboux, tous postés sur une rambarde.
Pendant de longues secondes, Karl observe et est observé par les animaux, avant qu'un concert de battement d'ailes ne fasse disparaître les animaux dans l'aube encore obscure du tout petit matin.
Dawson s'écroule définitivement au sol, terrifié et tétanisé.
La Cour... la Cour des Hiboux existe
peut-être. Ses indicateurs n'avaient
peut-être pas tort. Et en fixant à nouveau les décombres encore enflammées du G.C.P.D., Karl Dawson que Gotham City est
certainement dans une situation bien pire que n'importe qui l'imaginait.
"Le plus grand tour du diable, c'est d'avoir fait croire qu'il n'existait pas."
... mais ça n'empêche pas quelques rappels.