Elle avait à peine réussi à dormir cette nuit-là, passant et repassant sans cesse le film de cette nuit de cauchemar. C'était impossible, c'était impossible que Bruce, l'amour de sa vie, devienne en une seconde le monstre froid qu'elle avait vu l'autre soir. Qui n'avait pas hésité à tabasser un homme presque à mort, et qui l'avait blessé, elle. Une bonne heure assise à la table de sa cuisine, devant une tasse de café, avant que les effets de l'adrénaline ne se dissipent. Elle se traîna finalement au lit, espérant que tout ceci ne serait qu'un mauvais rêve, qu'elle se réveillerait pour aller voir son patron, Richard Cypher, que Bruce serait endormi auprès d'elle, son costume de Batman abandonné au pied du lit. Mais non. Elle fut tirée du lit par un livreur, qui lui remit un paquet avant de disparaître. Elle grimaça en s'asseyant, les quelques heures passées ayant révélé de nombreuses et douloureuses contusions un peu partout sur son corps, mais sans gravité.
Son coeur s'arrêta lorsqu'elle ouvrit le paquet, et faillit jeter le boîtier contre un mur. Juste au moment où la voix de celui qu'elle aimait lui disait de ne pas le faire. Son bras retomba, et elle lâcha cette machine infernale sur la table du salon. Des excuses. Des compliments. Un adieu. Une rupture. Tout ça en à peine une minute de bande sonore. Et tout ça par un vulgaire boîtier. Il n'avait rien trouvé de mieux que ça. Il n'avait même pas eu le cran de venir lui dire ça en face, et de voir ses jambes et ses côtes bleuies, ses pieds enrubannés de pansements, ses genoux recouverts de sparadrap, les points de suture de son arcade. Il n'avait même pas eu le cran de venir voir son visage se décomposer sous le coup de la douleur, même pas le cran de voir ses yeux se mouiller de larmes, même pas le cran d'entendre sa voix brisée lui dire que tout ceci n'était qu'un accident, une erreur de parcours. Qu'elle lui pardonnait.
Toutes les chances de pardon, d'explications, de remises à zéro venaient de s'envoler. Rompre avec elle par un vulgaire boîtier, comme tous les dragueurs de bas-étage, ça elle ne lui pardonnerait pas. Il n'était pas mieux que l'image que donnait Wayne en fin de compte...
Elle dut s'asseoir, sa tête commençant à tourner, et elle relança le message. Encore. Encore et encore. Ses épaules furent progressivement secouées de sanglots, et des larmes de plus en plus grosses commencèrent à rouler le long de ses joues pâles. Il l'abandonnait, comme ça, plutôt que de faire face à ses erreurs. Et elle avait mal. Pendant presque un an, elle lui avait accordé tout ce qui lui était possible de donner, et même plus encore. Son oreille, l'écoutant sans faillir quand il revenait brisé d'une mission difficile, son épaule, pour le prendre contre elle, le réconforter dans ses moments de doutes et de culpabilité, son coeur, qui lui appartenait depuis bien longtemps déjà, l'aimant tel qu'il était, avec ses failles, ses faiblesses, son passé et... son secret. Et son lit. Elle avait l'impression qu'une main de fer était en train de lui broyer les entrailles, la laissant écorchée vive et mutilée. La vie sans son amour. Elle ne retint pas le flot de larmes qui jaillissait sans discontinuer de ses paupières closes. Il venait de la briser comme un écrase un jouet dont on ne veut plus.