Rachel avait passé une longue semaine à l'hôpital avant d'avoir eu enfin l'autorisation de sortie. Et encore, en prouvant qu'elle aurait droit à des soins particuliers une fois revenue au manoir. Heureusement pour elle, elle était sortie de son inconscience quelques heures à peine après son entrée à l'hôpital. Ses blessures avaient entraîné une perte massive de sang, mais aucune n'était mortelle, à part celle à la cuisse, que les médecins soignèrent sans problème. Ses paupières papillonnèrent quelques instants avant de s'ouvrir sur le visage fatigué et défait, mais maintenant soulagé de Bruce Wayne. Le fait qu'il soit là à son réveil la touchait énormément, la rassurant quant à l'importance qu'elle avait à ses yeux. Elle mais aussi... Son sourire disparut lorsqu'elle pensa à leur enfant à naître, mais Bruce la rassura rapidement en lui disant que tout allait bien, et que c'était une petite fille. Cette nouvelle la fit pleurer de joie et de soulagement, toute l'angoisse et la tension éprouvées lors de la séance de jeu particulière du Joker disparurent dans ses sanglots.

Il revint la voir tous les jours, et elle devait même lui ordonner de retourner au bureau, et à ses occupations nocturnes. Après tout, lui qui s'inquiétait constamment pour elle devrait être rassuré de voir qu'elle s'était sortie toute seule, et sans trop de dommages, d'un tel entretien avec le Joker. Et elle aussi se sentait plus forte, à l'idée qu'elle était capable de se défendre elle même, de lutter pour sa vie. Sauf que le mystère du passage à tabac du Joker lui laissait un goût amer dans la gorge. Sauf qu'elle pouvait comprendre. Il s'était attaqué à elle, à leur futur enfant, les deux seules choses qui, à part Alfred, s'apparentaient pour lui à une famille. Mais elle ne pouvait pas lui en vouloir d'être tombé dans la folie à l'idée de perdre ce qu'il avait si péniblement construit.

Au bout d'une semaine, il remua tout l'hôpital pour qu'elle ait le droit de sortir, jurant qu'il embaucherait un médecin personnel qui veillerait sur elle h24. Mais elle n'avait aucune idée de la raison pour laquelle il insistait tellement. Avait-il peur qu'un autre détraqué ne vienne la chercher jusqu'ici? Le jour J, elle sortit donc, et s'étonna de voir un tel convoi l'attendre. On aurait dit un président en transit. Elle s'engouffra donc d'une démarche timide, sa blessure à la cuisse la lançait encore un peu, mais ses sourcils se froncèrent lorsqu'elle remarqua qu'ils ne se rendaient pas au manoir Wayne. Sa gorge se noua lorsqu'elle découvrit leur vraie destination : Crime Alley. Pourquoi? Pourquoi l'avait-il amenée ici?

Elle prit le parti de se laisser porter par les évènements, et le suivit en boitillant. Elle resta en retrait lorsqu'il s'accroupit pour frôler le seul qui s'était abreuvé du sang de ses parents. De l'endroit qui avait marqué sa vie et qui avait fait de lui un autre homme. Il sembla revenir à la réalité, s'adressant enfin à elle.

Oui Bruce, je sais où nous sommes...

Pourtant, elle secoua légèrement la tête lorsqu'il lui demanda quel jour on était. Avant de réaliser que c'était un anniversaire, et pas n'importe lequel. Celui de la mort de ses parents. Rien que de le voir, une telle stature, un tel monument humain, sur le point de pleurer, de céder à son souvenir d'enfant lui serra la gorge. Elle se rapprocha de lui, lui effleurant la joue de sa main enrubannée de bandages en guise de soutient.

Mais il sembla se ressaisir et lui avoua qu'ils n'étaient pas là pour se rappeler le passé. Mais pourquoi alors? Pourquoi est-ce qu'il l'avait amenée ici, surtout si ce n'était pas pour parler du passé? Et ce qui la laissa perplexe, c'était qu'il lui dit qu'elle connaissait la raison de leur venue.

Je n'en ai pas la moindre idée Bruce... Pourquoi m'as-tu amenée ici?

(You & Me – Lifehouse)
Elle avait compris la douleur de celui qu’elle aimait, même si elle ne pouvait pas se douter une seconde de la nature exacte de ce qu’il éprouvait, de ce qui le torturait depuis de si longues années. Comme il le disait lui-même, 25 ans… 25 ans à avoir renoncé à la vie qui lui était offerte, facile et agréable, pour se lancer dans un sacerdoce digne des plus grands martyrs. Et pourquoi ? Tout simplement pour qu’il n’arrive pas à d’autres ce qui lui était arrivé, à lui. Pour que d’autres petits garçons ne connaissent jamais le drame de voir ses parents chéris être tués devant leurs yeux. Pour rendre meilleur le monde qui l’avait privé de ce qu’il avait de plus important. Aussi l’écoutait-elle avec attention, et en même temps avec curiosité. Rares étaient les fois où il avait parlé d’eux avec elle, où il avait remué le souvenir de cette horrible nuit, de ces quelques minutes qui avaient marqué une vie, et qui avaient fait de lui celui qui se tenait face à elle à l’instant présent. Mais elle ne voyait pas où il venait en venir. Tentait-il de lui faire partager son expérience ? Sa douleur ? Pourtant elle avait été là les jours, les semaines et les mois qui avaient suivi, le réconfortant, l’amusant, lui changeant les idées et séchant ses pleurs. Pourquoi reparler de ça tant d’années après ?

Pourtant elle sentit un changement dans les mots qu’il employait pour parler d’eux. Depuis ce fameux jours, ils n’étaient que des mots, des martyrs, comme si leur vie ne se résumait qu’à ce fameux soir, qu’à leur perte. Et là, il semblait les envisager d’une manière plus… apaisée. Comme s’il avait enfin décidé que les bons moments primaient sur les mauvais, de se concentrer sur les bons souvenirs avec eux, les moments heureux, insouciants. Alors elle sourit, sourit de le voir envisager les choses autrement, peut-être de voir une sorte de paix intérieure le gagner, même si elle savait pertinemment que ce changement qui s’opérait ne signifiait pas pour autant de raccrocher le masque. Mais il semblait enfin avoir fait son deuil. Elle aurait voulu dire des choses, n’importe quoi, approuver, mais elle sentait que la plus petite parole serait de trop, gênante et superflue. Elle le laissa parler, déballer son sac, car c’était de ça dont il avait visiblement besoin. Et comme d’habitude, elle serait là, elle l’écouterait, le réconforterait, lui changerait les idées et sècherait ses pleurs.

Elle ne fit pas attention à ses gestes, à ses mains dans ses poches, pensant à une expression de nervosité par rapport à l’endroit, par rapport aux souvenirs, par rapport à elle, par rapport à tout. Jusqu’à ce que le message qu’il commençait à vouloir lui transmettre se fasse plus clair dans son esprit. Il lui dit que sa vie lui appartenait, à elle, Rachel Dawes, petite assistante du procureur, à elle et à leur enfant à venir. Ca c’était de l’aveu, et elle sentait son cœur qui se mettait à faire des bonds dans sa poitrine. Bruce Wayne avait beaucoup de qualités, mais être démonstratif n’en faisait pas partie. Pourtant elle était sûre de ses sentiments. Peu d’hommes auraient fait ce qu’il avait fait pour elle, pour la tirer des pires situations. Les mots étaient superflus, les actes suffisaient.

Sa gorge commença à se nouer alors qu’il parla de l’importance de cet endroit, ce que ça représentait pour lui, et surtout, la nouvelle direction qu’il voulait donner à son existence. Qu’elle ne soit plus guidée par la mort de ses parents, mais par sa vie à elle, et la vie qu’elle comptait lui offrir dans quelques mois, si tout allait bien. A nouveau elle voulut répondre, mais il suffit qu’il ait prononcé son nom pour la rendre muette. Parce qu’elle avait enfin compris. Parce qu’elle savait enfin pourquoi il l’avait amenée ici et pourquoi il lui avait tenu ce discours. Les larmes qu’elle retenait avec peine roulèrent lentement le long de ses joues lorsqu’elle le vit mettre solennellement mettre un genou à terre. Comme dans les films. Mieux que dans les films. Parce qu’il était plus que tous ces minets de comédies romantiques réunis. Parce qu’elle avait réussi à obtenir ce qu’aucune fille sur terre ne pourrait avoir selon elle, le cœur de Bruce Wayne. Pas pour le play-boy, pas pour le milliardaire, pas pour l’industriel, mais pour le petit garçon qu’elle avait connu, pour le jeune homme perdu qu’elle avait guidé, et pour le justicier craint et respecté qu’elle réconfortait et aimait au quotidien. Et la phrase, symbolique et tellement émouvante. Par une phrase il faisait d’elle le repère absolu de son existence, la chose la plus précieuse qu’il voulait garder à ses côtés. Une amie, une confidente, une alliée. Sa femme. Elle inspira profondément avant de répondre en bredouillant un peu.

Pour ce qui est de te donner une famille, c’est plutôt bien parti… mais pour ce qui est de passer ma vie à tes côtés Bruce Wayne, je dis oui… un million de fois oui !

Elle rit lorsqu’il tenta maladroitement d’enfiler sa bague à ses doigts bandés, avant de lui saisir le visage à deux mains et l’embrasser avec passion, son cœur battant à en sortir de sa poitrine, et ses jambes en coton.