Une migraine persistante l’incommodait tandis qu’une chaleur inhabituelle enflammait ses poumons. Depuis son entretien farfelu avec Tetch, Cassandra avait la sensation que le venin de la tubéreuse noire bouillonnait encore dans ses veines. Elle pose sa paume contre sa poitrine, palpant la cicatrice de l’incision qu’avait laissé la créature immonde lorsqu’elle l’avait infecté.
Deux mois s’étaient écoulés pendant qu'elle avait rêvé et tout avait sensiblement changé dans la ville sombre. Cassandra ne s’était pas surprise à penser que ses collègues, alliés et amis ne s’étaient pas inquiétés un instant de son absence, car après tout, elle n’était qu’un mirage, un fantôme, une ombre qui agissait toujours en solitaire.
Accroupie parterre, elle avala une tasse de café d’une traite tout en tapotant sur le clavier de son ordinateur. Autours d’elle était dispersé des coupures de journaux par dizaine qui formaient une mosaïque d’informations regroupant les derniers événements survenus à Gotham, et qu’elle avait compilée méthodiquement.
Et pendant qu’elle parcourait des yeux les premiers titres des journaux qu’elle avait acheté ses visières s’affinèrent et son regard changea, il flamboyait : « Talia Head Maire de Gotham City »,     «  Linderberg démissionne », « Andrew Blake nouveau commissaire de Gotham »…

— Talia « Head »… marmonna-t-elle entre ses dents tandis que d'obscurs souvenirs refaisaient surface.

Elle se mordilla la lèvre avec insistance, jusqu’à ce qu’elle sente celle-ci s’engourdir. « Tu es bien un maître de l'art du déguisement et de la tromperie. Mais tu ne me tromperas pas. Pas moi. Quelles sont tes intentions ? Quel est le nouveau plan de la Ligue des Assassins... ? ».
Cassandra toussa et secoua ses épaules avant d'étirer ses bras. Elle avait besoin d'un plan, d'un nouvel objectif, d'une piste à suivre. Elle commença à tapoter sur son ordinateur pour ouvrir les différents dossiers qu'elle avait examiné à propos des noms des membres officiels de l'équipe administrative du nouveau Maire : livrets de famille, dossiers médicaux, factures, impôts, fisc, contraventions et amendes, dossiers scolaires, livrets d'épargne, curriculums vitae, parcs immobiliers... Puis elle attrapa son réflexe numérique qu'elle avait laissé dans sa sacoche derrière elle. Elle récupéra la carte mémoire après y avoir transféré la mémoire interne de l'appareil et l'inséra das le lecteur de l'ordinateur. Le chargement dura quelques secondes à l'issue desquelles s'affichèrent des centaines de photographies. Sur la plupart d'entre elles étaient visibles les visages des principales personnalités politiques, politiques et juridiques actuelles de Gotham City. L'enquête préliminaire de Cassandra avait portée ses fruits puisqu'à chaque nom elle pouvait maintenant en identifier le visage, la corpulence, le code vestimentaire mais aussi les lieux de fréquentations publiques ou privés...
Et tandis qu'elle déroulait le curseur de la souris en survolant les photographies son geste s'arrêta au dessus du portrait du nouveau procureur de Gotham.

— Mickael «  Mike » Jonathan Toreno. Chicago. 24 novembre 1962… récita Cassandra.

Elle cliqua sur le dossier affilié. « NSA, Pentagone… » Lisait-elle. « Homme d’affaire. Aucun historique juridictionnel… Ses plus anciennes tracabilités à Gotham le concernant remontent au 3 Janvier 2011… C’est à croire que cet homme vient de nul part… ».
Machinalement elle entreprit de télécharger le dossier dans l'interface de ses visières qui reposaient sur le lit avec son costume. Ceci fait, elle se leva pour rejoindre son lit. Ôtant ses vêtements, elle se glissa dans son costume de Blackbat, revêtit un pardessus sombre et s'encapuchonna de tel sorte que seule les fente rougeoyante de ses visières étaient visibles. « Mike Toreno... Talia aurait-elle trouvé un nouveau pion ? … ». Cet homme possédait-il un libre arbitre ?

Un instant plus tard elle avait disparu dans l'encadrement de la porte.

Bedford Point ... 2h52 AM.

L'ombre d'une chauve souris glissait et se faufilait sur les toits de la ville sombre. Dans la pénombre se dessinèrent bientôt les premiers contours des bouquets et des plantes habillant le balcon fleuri du nouveau procureur de Gotham. Au premier abord la nuit était calme, la résidence endormie. Cassandra se posa silencieusement sur le rebord d'une gouttière. Elle activa sa vision thermique. Deux silhouettes apparurent. L'une d'elle se dirigea vers le balcon et ne bougea plus. C'était Toredo.
Elle profita de cette occasion pour se glisser à l'intérieur de l'appartement. Celui-ci était décoré à l'image du quartier de China Town. Cassandra grimaça presque en observant toute la décoration faite de chinoiserie en tout genre. Elle traversa le salon. Sur son passage elle manipula soigneusement les quelques livres et papiers qu'elle voyait, mais il était évident que Mike Toredo était un homme prudent, car rien de ce qu'elle trouvait ne révélait le type d'homme qu'il était, sinon peut être trahissait il sont amour de l'argent au regard de l'opulence et de la richesse du mobilier qui hantait les murs. Elle entra ensuite dans la chambre, où étaient encore suspendus dans l'air les effluves d'un échange corporel... ce qui rebuta fortement Cassandra dont la grimace s'aggrava. Cependant quelque chose de plus important attira son attention. Il y avait quelque chose dans le lit...

Un moment plus tard, elle rejoignait le procureur sur le balcon. Il n'avait visiblement pas décelé sa présence. Enveloppée et encapuchonnée dans son pardessus on ne voyait ni son visage ni la chauve souris sur son torse.

— Mike Toredo…  l’interpella Cassandra.

Entre son pouce et son index, elle tenait une micro puce qu'elle venait de trouver sous le lit du procureur et qu’elle venait au préalable de désactiver.

— Vous venez d’être piraté... On vous espionne...

Dans la chambre du procureur, le lit était vide, et flottait désormais dans l’air seulement le parfum de jasmin d’une beauté évanouie et le souvenir des draps humides de sueurs. L'espionne s'était enfuie.
 

— Et il y en a un derrière la glace de mon miroir, et un autre dans la cuisine. Rassurez-vous, je suis au courant. Mike Toreno, mademoiselle, Toreno, nargua le nouveau procureur tout en lui proposant une poignée de main cérémonieuse.

Cassandra lui répondit par un air renfrogné et n'en fit rien. Elle rangea la micro puce dans l'une des proches de sa ceinture. « Je n'ai pas particulièrement envie de savoir dans combien de pièces que lui et son "invitée" ont "visité"... » pensa-t-elle en laissant glisser son regard de la main du procureur vers son peignoir et puis, enfin, son visage.

— Vous ne craigniez pas que les enregistrements de vos, hm... "occupations" ne soient rendu public... ? demanda-t-elle.

A cela Mike Toreno sembla indifférent, en premier abord, puisqu'il se dirigeait déjà en direction de son plateau d'argent. Manipulant l'argenterie et la porcelaine comme un aumônier avec son sacristie, elle l'observa servir deux tasses de café. Quand à elle, Cassandra demeurait stoïque, résolument ennuyée d'observer dans l'attitude du procureur une suffisance et un égocentrisme qui suintait par tout ses pores.

— Une tasse de café ? Ou vous avez peur de laisser vos empreintes dessus ? Rassurez-vous, je plaisante, renchérit-il. Votre identité m'importe peu et je ne suis pas là pour vous traquer comme une vulgaire bête. A vrai dire, je trouve les personnes de votre caste ... Intéressantes. Que puis-je pour vous ?

— Je vous retourne la question... Procureur, l'interrompit Cassandra. Votre nomination a été particulièrement discrète, et vos antécédents... sont anecdotiques. Vous êtes ce que l'on pourrait appeler une énigme.

La justicière termina sa phrase et effectuant quelques pas en avant, de manière à se rapprocher du procureur.

— Vous n'êtes pas un gothamite... vous n'avez aucune expérience dans cette ville... et les "bêtes" que je représente ne sont visiblement pas votre priorité... alors pourquoi le Maire vous a-t-elle choisi ?

Cassandra écoutait attentivement les réponses du procureur, laissant ce dernier s'emporter dans un monologue fiévreux et tout à fait emblématique d'un discours de politicien, emprunt de digressions. Elle ne dit pas un mot et croisa les bras.  Entre temps elle était venue rejoindre Toredo vers la balustrade et s'était adossée au balcon fleuri.

— ...une règle d'économie, continuait l'homme politique. Quand quelqu'un possède quelque chose d'unique, le monde entier la voudra. Il faut juste trouver le bon prix.

Dans les yeux du nouvel emblème de justice en devenir brillait un éclat, une illumination. Cassandra comprenait qu'elle avait en face d'elle un interlocuteur dont les pensées ne se fourvoyaient pas derrière un ersatz de confiance et de détermination.

— Soit, autant vous offrir quelque chose, après tout, nous serons obligés de cohabiter ensemble. Je suis juste un ancien membre d'une organisation secrète, et j'ai lutté activement contre le Communisme pendant des années. Je ne vous en dirais pas davantage, il y a beaucoup de choses que vous êtes censés ignorer. Je peux juste vous dire que nous avons travaillé pour le bien commun, pour protéger notre civilisation d'une anarchie préméditée par la Guerre Froide.

— Soyez plus clair... clama la jeune justicière, qui appréciait peu cependant le  discours évasif du procureur. Vous vous appelez Mickael «  Mike » Jonathan Toreno... Né à Chicago le 24 novembre 1962... Recruté dès les premières classes par Quantico. NSA... Pentagone... Je sais déjà tout ce qu'il y a à savoir sur le Mike Toreno qui a vécut pour son pays... Mais ce que je veux savoir, c'est ce que veut le Mike Toreno qui est venu vivre à Gotham City... Dans ma ville.

Articulant machinalement ses mots, elle avait aussi adopté une attitude légèrement différente. Il y avait dans le fond de sa voix un ton défavorable.

— Vous ne changerez pas le visage de Gotham City... quelque soit le moyen... Mais vous, vous changerez... J'en viens au fait: j'ai besoin de votre aide pour infiltrer le réseau de la Mairie... Je suis disposée à convenir d'un accord... Échange de bons procédés.

Les lèvres de Mike Toredo se dénouèrent avec un sourire des plus aigre. Tapotant dans ses mains, il l'applaudissait. C'était un spectacle auquel Cassandra n'avait jamais compris grand chose, néanmoins, elle pouvait imaginer que le jeu politique comprenait sa part de théâtralité et de prestidigitation, dont Mike Toreno était l'un des acteurs.

— Je vois que vous connaissez l'étalage de ma vie, félicitations, lui dit il avec son grand sourire caractéristique. Je pense que vous méritez votre surnom de détective. Bien, ce que je compte faire de Gotham, c'est lui rendre sa gloire passée. Les minables à la Harvey Dent ou Arthur Lindenberg, je pense qu'on aura plus besoin de faibles d'esprits. Certes, je ne suis pas un homme qui se laisse bercer d'illusions. Je sais que Gotham a besoin de remonter au sommet de la gloire.

Pendant qu'il parlait, Cassandra observait la gestuelle du procureur. C'était un homme robuste en pleine force de l'âge, à l'expression faciale nerveuse, déformée par l'extravagance de ses paroles. Accompagné par des gestes amples et évocateurs, le nouveau procureur pointa du doigt une cible lointaine, diaphane dans la lueur du soleil du matin. Son doigt désignait Lady Gotham.

— Les immigrés ont forgé ce pays, Mademoiselle, continuait de plaidoyer Toreno. Je ne suis pas un Gothamite pur souche, je ne comprendrais jamais cette ville, ni ses monstres qu'elle abrite, mais je sais que je me sens chez moi, que je me sens fier d'être un citoyen de cette ville. Je pense que Gotham mérite qu'on la change, et toutes les bonnes volontés sont là pour ça, vous en êtes une non ?

Cette dernière réplique provoqua chez la jeune femme un haussement de sourcil. Elle cilla.

—  Si vous vous déguisez en chauve-souris, c'est bien pour réussir a changer la ville, a la rendre plus vivable, plus juste. Je n'ai pas le goût de me déguiser, alors je prend moi-même mes armes. La Justice.

Le nouveau procureur commença soudain à perdre son sourire affable, remplacé par une expression plus provocatrice.

—  Gotham mérite un meilleur avenir, mademoiselle, et je serais là pour l'y aider, que cela vous plaise ou non.

Comme elle comprenait qu'il en avait terminé, Cassandra croisa les bras et releva légèrement le menton, accompagnant du regard le geste du procureur vers la dame la justice de Gotham. Au bout d'un instant ses yeux revinrent se poser vers l'homme qui semblait à cet instant posséder toutes les ambitions et mépriser toutes les inhibitions.

— Harvey Dent a tenu ce discours, finit-elle par articuler. Lindenberg a tenu ce discours également... Mais Double Face n'est pas un monstre créé par Gotham.... Il n'est pas un monstre créé par Dent... Vous décidez de combattre dans la lumière du jour et celle du peuple. Les miens et moi-même avons décidé de combattre dans l'ombre... Mais nous sommes craint justement parce que nous sommes les fantômes de Gotham, avec pour identité une cible sur notre poitrail et un masque effrayant... Vous serez craint, hait et moqué, procureur, seulement parce que vous essayerez de faire quelque chose qui dépasse votre pouvoir... Mais vous pouvez essayer.

La voix de Cassandra était devenue grave. L'atmosphère était devenue lourde. Elle relâcha ses bras le long de son corps et fit à nouveau quelque pas en direction de Mike Toreno, jusqu'à ce qu'un mètre seulement les sépare.

— Il existe une personne qui méprise à peu près cette ville et sa criminalité autant que vous, sinon au centuple, .. son nom est Ras'Al Ghul. Il est le Maître de la Ligue des Assassins... et l'un des plus grands ennemis de Batman. Il est aussi immortel, et des centaines d'années d'existence n'ont pas suffit pour qu'il  parvienne à changerGotham.

Elle était plus petite en taille, plus menue, et releva la tête pour continuer de toiser le procureur de Gotham. Elle releva un bras et toucha son masque de ses doigts.

— Mon vrai visage n'est pas sous ce masque. Alors où est le votre, procureur ? Et comment Gotham peut-elle vous faire confiance ?

— Je me moque parfaitement de ce que penseront les gens de mes actions... dit Toreno.

«  Bien. Cette réponse me convient, pour ce qu'elle vaut  » pensa Cassandra pendant qu'elle l'écoutait mais tout en demeurant imperturbable. Elle ne quittait d'ailleurs pas de vue les yeux avides et farouches du Procureur.  

— Gotham doit me donner sa chance, tentait-il de la convaincre. Et si pour cela, je dois me compromettre avec vous, tant pis. Je vous donnerais les codes pour entrer sur notre réseau...

Il y eut un mouvement, un sursaut imperceptible dans le regard de la jeune femme. Intérieurement, elle souriait. La conversation prenait désormais un tournant attendu, et Mike Toreno venait de prononcer les vœux qu'elle attendait de lui.
Elle hocha donc la tête en signe d'approbation, et souleva un pan de son pardessus pour plonger sa main dans l'une de ses poches. Elle attrapait quelque chose dans la paume de sa main, un boîtier dur et métallique, lorsque le Procureur formula une autre demande. Une demande qui stoppa Cassandra dans son mouvement.

— … mais en échange, je veux rencontrer le Chevalier Noir. Je veux voir le Batman.

Un petit vent matinal était venu à leur rencontre, et balaya la chevelure d'obsidienne de la justicière masquée.

— J’apprécie votre coopération... finit par dire Cassandra, qui ne sembla pas directement réagir à la demande incongrue et osée du nouveau Procureur d Gotham. Mais je ne vous fais pas confiance.

L'articulation de ses lèvres était devenue plus dure et plus sèche.

— Si vous cherchez une chauve-souris, ne le cherchez pas lui. Il vous trouvera tout comme je vous ai trouvé... en temps voulu. Jusqu’à ce jour... vous devrez faire vos preuves...

Elle termina le geste qu'elle avait commencé un instant auparavant. Dépliant son bras devant elle, elle tendait une tablette au Procureur, dans le but que celui-ci la prenne pour enregistrer les accès du réseau administratif de la Mairie de Gotham.

— Assurez-vous qu'ils soient les bons... somma la chauve-souris. Et honorez votre parole. Sinon... je n'hésiterais pas à vous le rappeler...

Cassandra avait prit le ton non pas de la menace, mais plutôt d'un avertissement.

— Me prenez-vous pour un imbécile ? Quel intérêt aurais-je dans le fait de duper les justiciers de la ville ? Vous avez vos codes, si ça peut vous aider, je suis content que ça le fasse.
— Et je vous en remercie... Répondit humblement la jeune femme en noire.

Avec un seul et même geste du bras, Cassandra récupéra le boîtier et elle s'empressa de le ranger dans un étui de la bat ceinture.

— J'ai mes méthodes, j'ai mes buts, mais dans l'immédiat, tout ce que je veux, c'est protéger cette ville qui appartient à notre bon pays, continua Toreno.
— Vous avez vos propres méthodes, Procureur...

« ... et nous avons les nôtres... » pensa-t-elle.

— Savez-vous pourquoi nous portons des cibles sur notre poitrine, Procureur ? Demanda Cassandra de manière non rhétorique, tandis qu'elle se dirigeait calmement vers le rebord du balcon. Si nous portons une cible sur notre poitrine... c'est pour que les criminels ne détournent pas les yeux de nous... vous comprenez ?

Cassandra, qui se tenait désormais dos au nouveau Procureur de Gotham, le toisa du coin de l'oeil. Elle posa un pied sur la rambarde.

— J'espère que nous arriverons quand même à nous entendre, finit par déclarer Toreno. J'espère vous revoir très bientôt, mademoiselle ?

Cassandra se retourna de trois quart vers lui, puis elle se pencha légèrement en avant. D'une main elle souleva le drapé qui recouvrait son torse, révélant la chauve-souris jaune qui était cousue sur son costume.

— En temps voulu, Monsieur de Procureur...

Cassandra ne termina pas sa phrase, et sauta dans le vide. Il y eut un léger sifflement auquel s'ensuivit le silence. La chauve-souris avait disparu dans la nuit.