Une vitrine est propulsée au sol dans un cri de rage. Le verre se brise, et une armure japonaise centaine roule sur le ciment nu et sec. Une botte surprotégée shoote dans le casque rituel, qui explose contre une paroi en roche et en métal, et des gants bourrés de technologie s'acharnent sur une nouvelle vitrine.
Ce n'est qu'à la troisième que je me calme... que je m'effondre.
A genoux, dans ma Cave, vêtu de mon costume, j'ai arraché quelques minutes avant ma cagoule, qui traîne dans un coin du niveau des vitrines. Je lutte pour pleurer, pour que des larmes coulent le long de mes joues, mais je n'y arrive pas. Mes yeux restent monstrueusement secs, mon corps est secoué de spasmes mais je ne parviens pas à me "lâcher".
Ma souffrance, ma douleur, mon désespoir refusent de sortir, de s'évacuer. Je dois les garder, les conserver dans mon coeur ; c'est mon fardeau, ma malédiction.
Devant les yeux désespérés d'Alfred, muet, je m'en suis pris à mes possessions, à mes souvenirs. Mû par une rage incontrôlable, j'ai laissé libre cours à mes plus bas instincts pendant de trop longues minutes.
J'ai ravagé ce qui me tenait à coeur - ici et ailleurs. Matériellement et psychologiquement.
Il y a peu, j'ai appris que l'homme que je considère comme mon fils a définitivement perdu l'esprit. J'ai croisé Dick Grayson dans un recoin sombre de Gotham City, vêtu d'un uniforme de hibou et violant toutes les règles que j'espérais lui avoir apprises. Mon élève, mon allié, mon successeur a passé le Rubicon, et arbore le couleurs de mes adversaires pour s'adonner aux pires vices, aux pires sévices.
Je n'ai pas pu le sauver - de lui-même ou de cette ville. J'ai observé, sans rien faire, mon fils subir les épreuves les unes après les autres, et je ne suis intervenu que pour le ramener dans le droit chemin de la pire des façons. J'ai échoué face à la mission la plus importante de ma carrière, et j'ai l'impression de continuer une voie d'échecs entamée depuis des mois maintenant.
L'évasion géante de l'asile d'Arkham, la blessure au crâne à cause de Jervis Tetch, l'impossibilité d'empêcher Quincy Sharp de prendre possession de la mairie, le terrible échec face au Monstre... la perte du bras... la fuite... la honte.
Même si mes victoires, mes retours m'ont permis de sauver certaines situations, l'équilibre est rompu. J'ai perdu la confiance de la ville, j'ai perdu mes alliés, j'ai perdu... j'ai tant perdu. Je suis parvenu à retrouver mon corps entier, mais j'ai alors entamé mon combat contre la Biosyn ; et si Pandora m'a aidé dans cette longue guerre, j'ai dû assister impuissant à sa disparition avant de la venger. Mai ça ne l'a pas ramené pour autant.
J'ai perdu un à un tous mes alliés, tous ceux qui comptaient pour moi. Si Alfred me fixe maintenant, il a failli mourir à cause de Quincy Sharp, qui est mort des mains d'un inconnu que je cherche à provoquer en assumant ses actes. Cela ne donne rien, et n'a fait que détruire mon honneur et ma réputation ; j'ai pu retrouver Jason grâce à ça, mais j'ai échoué dans toutes mes quêtes parce que la ville est persuadée que je suis devenu fou.
James est blessé et n'a plus confiance en moi. Tim fait face à des horreurs, et ne parvient pas à prendre le dessus. Barbara est toujours dans un état terrible. Jason navigue encore dans des eaux troubles. Et Rachel... je me suis moi-même privé de Rachel, de Helena et de mon seul bonheur en ce monde.
"Tout... j'ai tout perdu..."
Les mains crispées devant moi, je fixe mes gants, terrassé. Je ne sais plus quoi faire, la découverte de Dick dans cet état a été la goutte qui fait tout déborder. Je ne sais pas comment le ramener, comment l'aider et comment parvenir à me relever de tout ça. Le départ de Rachel et de la petite est trop dur à encaisser, leur absence me détruit chaque heure un peu plus, et l'envie de les rejoindre me brûle à chaque instant.
"Ils m'ont tous abandonné... j'ai tout perdu..."
"Non, Maître Bruce."
Je sens la main d'Alfred sur mon dos, qui tourne lentement mon visage ravagé par la douleur vers un des écrans de la Cave.
"Vous n'avez pas tout perdu - et tout ne vous a pas encore abandonné."
Je vois le symbole, mon symbole, affiché au-dessus de la ville, au-dessus des cieux... il ne devrait pas être là. Gotham a décidé de me tourner le dos, de ne plus me faire confiance ; personne n'aurait dû allumer le signal.
Et personne ne le ferait si ça n'en valait pas la peine - si Gotham City n'avait pas vraiment besoin de son Batman.