Gotham City est en crise.
New Gotham City est en enfer.

Plusieurs groupes de jeunes psychopathes, qui se font appeler les Mutants selon les premiers rapports, attaquent divers symboles de la ville. Des bébés ont été enlevés, une annexe du commissariat est prise à partie et les adolescents monstrueux errent dans les rues pour agresser quiconque a le malheur de croiser leur route.
Gotham City est prise à la gorge. Je fais exprès hurler mon moteur pour la rassurer.

Ma Batmobile fonce dans les rues quasiment désertes de la ville. Mes mains gantées alternent entre le volant, la boîte de vitesse et les différentes commandes de mon véhicule. Des missiles, des filets, des balles anesthésiantes sont expulsées de ses systèmes au fil de ma course.
Mon esprit est plus frais, plus rapide que jamais. J'ai vécu ces derniers jours comme une ombre, comme l'ombre de moi-même, rongé par mes échecs et mes abandons. Je n'ai toujours pas guéri de mes maux, mes plaies ne sont que pansées, mais je me sens... mieux maintenant. Je me sens prêt à agir comme je le dois pour aider la ville, ma ville, à se relever de cette nouvelle épreuve.

La seule découverte du symbole dans les airs a suffit à raviver ma flamme - ma colère. Découvrir qu'une nouvelle menace, intérieure, s'en prend à Gotham City n'était pas suffisant : il fallait que quelqu'un relance le signal, que quelqu'un ait le courage de m'appeler pour que je me sente à nouveau investi.

Alors que je roule à vive allure dans les rues de New Gotham City, cette portion de la ville abandonnée depuis les échecs répétés du maire Shreck, je sens la vie revenir dans mon corps usé. Toutes ces épreuves, tous ces échecs ne sont plus qu'un souvenir quand, du coin de l'oeil, je continue d'entrapercevoir du coin de l'oeil le signal dans les airs. Je ne peux m'empêcher de sourire de fierté et de plaisir en me rendant compte que, malgré les erreurs, malgré les rumeurs, malgré les errances, certains continuent de me faire confiance et de croire en moi.

Et c'est parce que je me suis accordé quelques secondes de fierté que je me fais piéger.

Au milieu de New Gotham City, je perds le contrôle de la Batmobile. Le sol lui-même explose sur ma route, des pans entiers de la voie s'envolent et font s'effondrer les immeubles tout autour.
Malgré la puissance et la force de mon véhicule, je reste impuissant face aux éléments qui se libèrent devant moi, et je m'éjecte quand je me rends compte que je ne pourrais rien faire pour empêcher le drame. Utilisant ma cape pour planer et ralentir ma descente, j'observe autour de moi l'enfer se déchaîner - encore.

Mes bottes touchent finalement le sol, et je découvre... ce que je connais. Ce que j'ai déjà visité.
Wonder City.

Un des nombreux mystères de la ville, qui m'échappe encore. J'ai quelques souvenirs d'une précédente visite, mais ils sont trop vagues pour que je puisse m'en servir. Mon esprit est ravagé par des trous, des blancs, et je serre la mâchoire en me relevant et en découvrant la carcasse à moitié détruite de la Batmobile, à quelques mètres.
Au-dessus, un trou béant me fait entrapercevoir le signal et le ciel - la rue a été ouverte en deux, mais j'ai eu de la chance. Je suis en vie, et je vais pouvoir remonter à la surface pour affronter les Mutants.

Devant moi, les ruines de l'étonnante cité me font face, mais je ne m'y intéresse pas. Trop absorbé par ma quête, mon besoin de me prouver que je suis toujours à la hauteur, je ne fais pas attention au magnifique décor autour de moi - et aux formes qui s'échappent lentement de l'ombre pour s'approcher.

"Ne t'en va pas, Bruce. Nous t'attendions."

Je me fixe quand une voix d'outre-tombe m'interpelle. Lentement, je lâche le grappin que j'avais agrippé et plisse les yeux blanchâtres de mon masque, pour découvrir ce qui bouge dans les ténèbres.
En quelques secondes, une trentaine de jeunes hommes et femmes, vêtus de la même façon, avec des viseurs rouges et des crêtes multicolores, m'entourent, armés jusqu'aux dents avec des lames et des battes de baseball. Je ferme avec rage mes poings, quand un crissement aigu attire mon attention sur mon flanc droit - je me fige d'horreur quand j'en découvre l'origine, une silhouette ratatinée dans un fauteuil roulant.



"J'ai été là au début."

Je le reconnais, et je sens une boule de haine naître, ou plutôt renaître, dans mon ventre. Mes dents crissent, ma colère explose et mes mains tremblent sans que je puisse les arrêter.

"J'ai été avec toi à chaque instant."

Je connais cette boule de haine depuis trente ans... trente longues années, où elle a parfois disparu, mais elle est toujours revenue. Elle ne me quittera jamais - elle ne doit jamais me quitter.

A cause de cet homme.
A cause de lui.

"Il est normal que je sois là à la fin."

A cause de Joe Chill.

"Tu n'es pas Joe Chill."

Je hurle presque en m'adressant à lui. Par réflexe, je me suis emparé de deux Batarangs, que mes doigts serrent si forts que j'en ressens une certaine douleur ; ça ne m'intéresse pas.

"Joe Chill est mort. D'un cancer, très douloureux."

Qui ne l'était pas encore assez, même si une partie de moi, la meilleure, m'en veut de le penser. Le département médical de mon entreprise a fourni des soins à Joe Chill sur les derniers mois de son existence, après que j'ai retrouvé sa trace et que je l'ai livré à la police avec un certain aspect de ma personnalité. J'ai fait la paix avec cet homme dans ses derniers instants, je l'ai laissé partir mais je ne lui ai jamais pardonné ce qu'il a fait ; Joe Chill a pu partir en paix, mais sa mort ne m'a pas offert un tel réconfort.

Le sujet est donc toujours sensible.
Et voir un menteur prendre son apparence pour me perturber est inacceptable.

D'un geste rageur, j'envoie mes deux armes vers l'imposteur, serrant mes poings pour me préparer aux combats qui vont suivre. Les différentes techniques de combat défilent dans mon esprit alors que j'envisage plusieurs possibilités pour vaincre les "Mutants" sans leur faire trop de mal - mais rien ne se passe.
Personne ne m'attaque, personne ne se jette sur moi. Et le menteur maintient mes Batarangs dans ses deux mains, comme s'il avait été assez rapide pour les arrêter en plein vol ; c'est impossible.

"Imaginer six choses avant le petit-déjeuner, Bruce, est un signe d'imagination et d'ouverture d'esprit. Te connaissant, tu n'as pas dû manger et dormir depuis longtemps... nous pouvons donc considérer cela comme la première de ces choses."

L'imposteur laisse tomber les Batarangs et faire rouler son fauteuil jusqu'à moi. Il s'arrête à un mètre à peine, le regard calme, le sourire plein de défi. Mon esprit m'envoie directement toutes mes leçons, toutes les façons de le réduire en charpie pendant de longues heures avant que sa conscience s'affaisse, avant qu'il ne disparaisse vraiment dans la mort et la douleur - mais je me contiens. Je fais face à ces tentations depuis longtemps, déjà, et si je n'ai pas cédé devant Quincy Sharp, Jervis Tetch, Erebius ou les autres, je ne dois pas commencer maintenant.

"Tu n'es pas Clayface, mais l'imposture est bien faite. Tu es métamorphe ? Illusionniste ? Je ne te connais pas, j'en suis certain. Talia t'envoie ?"

"Que de questions... c'est parce que je connais ton identité que tu crois que ton ancienne amante m'envoie ? L'idée est bonne, mais fausse. La mère de ton fils ne sait rien de moi."

"Je... je n'ai pas d'enfant."

Je suis troublé. J'agis comme un imbécile, fonçant dans les pièges de l'imposteur et cherchant à le comprendre avant de le mettre hors d'état de nuire. Seule Rachel m'a fait le cadeau d'un enfant, et ma seule décision de les éloigner de moi me fait souffrir à chaque instant ; essayer de me lier encore plus à Talia m'énerve, et me rappelle son influence actuelle dans la ville. Ce qui me fait encore plus enrager, évidemment.

"Bien sûr : tu n'as pas de fils maintenant. Tu en as eu plusieurs depuis quelques mois, mais ils ne sont pas restés. Ta seule occasion d'en croiser un a été avortée par son départ. C'est dommage, j'aurais été curieux de te voir réagir face à lui : avec ton caractère constamment ombrageux, ton goût pour la douleur et le martyr, je pense que le contact aurait été intriguant."

"Tu es fou."

"Non : je sais tout, c'est différent."

L'inconnu fait rouler son fauteuil autour de moi. La masse de "Mutants" demeure immobile, et j'essaye vainement de comprendre ce qu'il veut - ce qu'il me veut. J'ai l'impression de me retrouver face à Quincy Sharp, quand il se croyait être la réincarnation d'Amadeus Arkham ; j'avais failli m'enfoncer dans sa folie, alors, mais je refuse de commettre à nouveau cette erreur ici.

"Ton existence a été difficile, Bruce. Tu as dû combattre des ennemis étonnants, troublants et exigeants. Tu as fait d'énormes sacrifices pour maintenir la situation, pour préserver les situations de certains, pour offrir au plus grand nombre ce qu'il est en droit d'attendre. Tes nombreux affrontements contre Jervis Tetch, tes épreuves, l'échec à l'asile... la disparition d'Alfred, la blessure... le retour, le handicap... ce fut beaucoup, pour peu en retour. Ta vie ici a été un combat de chaque instant, fait d'occasions manquées et de vies brisées. Tous tes alliés t'ont abandonné, tous t'ont tourné le dos... les échecs de Nightwing, de Red Robin, d'Azrael ou de Barbara Gordon te hantent encore, je le sais. Ne t'en fais pas, tout s'achève bientôt."

"Stop."

D'un geste dur, je m'empare de son fauteuil et je le force à me regard. Sans m'en rendre compte, j'affiche une expression de haine, de fou furieux en sentant mon contrôle disparaître. J'ai vécu beaucoup, ces derniers temps, et je n'ai plus envie de me laisser manipuler par des monstres et des imbéciles.

"Nightwing vient seulement de se tromper. Robin n'a rien de Red. Barbara est un sujet que je t'interdis d'évoquer. Et Azrael est mort. J'ignore comment tu me connais autant, j'ignore comment tu en sais autant, mais cela va cesser maintenant."

"Bien sûr. Et tu n'as jamais rencontré qu'un seul Jonathan Crane, et tu n'as pas encore Waylon Jones, alors qu'il t'a dévoré un bras et t'a humilié devant toute la ville."

"Ce n'est pas lui qui m'a fait ça à Arkham ! C'est... c'est..."

"Tu n'en sais plus rien, car tu ne peux plus le savoir. Ton existence est ponctuée de drames et d'abandons - surtout d'abandons. Tu as dû faire face à des combats perdus d'avance, et le Temps s'est joué de toi. Tu as connu une dizaine d'Epouvantails, tu as été détruit par Killer Croc, et Azrael fut récemment ton meilleur allié et ton plus grand concurrent ; tu ne peux juste pas t'en rappeler."

Sans m'en rendre compte, je suis à genoux. Mon esprit échappe à mon contrôle, je sue et je vois mes mains trembler. Je n'ai aucune confiance dans les paroles de l'imposteur, mais je sens que mon corps est en train de réagir - comme s'il était enfiévré, comme s'il était emporté par une maladie contre laquelle je ne peux rien.

"Qui... qui es-tu ?"

Ma voix n'est qu'un murmure, un souffle. Mon regard blanchâtre se fixe difficilement sur le menteur, qui se lève lentement et sans problème du fauteuil.

"J'ai été là au début, je suis là à la fin. Je suis ton Alpha et ton Oméga, Bruce. Je suis un chimiste, un magicien, un tueur, un pacifiste et un comédien. Je suis un Narrateur, et je pense qu'il est temps pour toi de disparaître, Bruce Wayne."

L'imposteur s'approche et pose sa main sur mon épaule ; je n'ai plus la force de réagir.

"Ton temps à Gotham City s'achève. Il est temps pour un nouveau Batman de prendre la relève."

Je ne comprends rien.

Je suis à genoux, dans les ruines de Wonder City, en face d'un inconnu qui sait tout de moi et dont je ne sais rien. Entouré par une trentaine d'adolescents déguisés en "Mutants", immobiles et terrifiés, j'essaye de rassembler mes pensées en un tout cohérent - j'échoue. Je me sens abandonné par mes propres forces, par mon intellect, par tout ce qui m'a toujours rendu unique et m'a permis de survivre jusqu'à maintenant.

Je suis face à l'inconnu, et je ne sais pas comment gérer ça.
Je suis perdu.

"Tu n'es pas comme le Joker, Bruce. Tu n'as pas plusieurs personnalités, tu ne peux pas changer au gré de l'inspiration ou de l'air du temps. D'un voleur fantasque, ton ennemi est devenu un psychopathe sanglant mangeur de bébés, en passant par des phases étonnantes, comme lors de son mandat d'ambassadeur d'Iran... ou de Qurac ? Je ne sais plus, avec tous ces changements. Tu n'es pas comme lui, tu changes difficilement et tu es depuis longtemps sur une seule ligne de conduite."

L'imposteur pose ses mains sur ma nuque, et me force à le regarder. Je sens ses doigts rugueux et désagréables glisser lentement le long de mon masque, cherchant à me l'enlever, sans réussir. Je n'ai pas la force de résister.

"Le martyr."

Le menteur me lâche et recule, marchant avec autant de facilité que moi. D'un geste ample, il donne un coup de pied au fauteuil roulant et recommence lentement à tourner autour de moi.

"Tu aimes ça, tu ne vis que pour ça. Ces derniers mois, tu as tout fait pour souffrir et te retrancher sur toi-même. L'évasion d'Arkham ? L'élection de Waylon ? Ta Chute ? La mise en place d'Arkham City ? Quincy Sharp ? Erebius ? Azraeul, Red Robin, les Nighwting ? A chaque fois, tu as terminé ton action en disant que tout était de ta faute et que tu devais encaisser. Tu l'as fait, tu as sauvé la ville, tu as vaincu les méchants, mais toujours avec un comportement sado-masochiste. Tu as tout fait, tu as tout accompli pour souffrir au maximum, allant même jusqu'à sacrifier Rachel et Helena en les éloignant de toi."

Il s'arrête à nouveau en face de moi. Sa voix est lente, posée - insupportable. Il me donne une leçon, et je déteste ça.

"Batman est passé par beaucoup de phases, mais le thème principal de ces dernières années a été le martyr. Douleurs, sacrifices, paranoïa, tout cela est courant pour toi mais usant. Tu n'as plus la force, tu n'as plus l'envie de continuer... et je le comprends. Tu dois changer, un nouveau Batman doit naître, et je suis là pour ça."

L'imposteur fait un geste, et deux Mutants s'activent : l'un d'entre eux pousse un bouton sur un téléphone portable, et l'autre lui apporte une arme à feu - que le menteur prend pour me mettre en joue.

"D'ici quelques heures, les derniers de mes Mutants iront à Londres, rejoindre ta chère Rachel et ta chère Helena, pour t'arracher définitivement tout amour. Et d'ici quelques instants, je vais te supprimer, et tu disparaîtras en n'ayant plus rien - avant de revenir. Mes Mutants, ces adolescents que je manipule grâce à quelques drogues vendues discrètement, oublieront tout de ce qu'il s'est passé ici, avant que je n'utilise leur progéniture dans quelques années pour servir mon fils, un vrai Mutant qui est en train de grandir dans un tube sous la ville. Mais patience... ça ne concernera que ton futur toi, que le futur Batman. Tu dois mourir pour renaître. Tu dois tout perdre pour tout retrouver. Ici, maintenant... tu meurs."

"Non."

Sans prévenir, je me jette sur le côté, espérant éviter la balle - qui n'a pas été tirée.

Accroupi, les poings serrés, j'appuie sur un bouton spécifique de ma ceinture. Je serre les dents, prêt au combat, mais je vois autour de moi la trentaine de Mutants... disparaître. Ils s'en vont, s'échappant dans les tunnels de Wonder City. Un mouvement de mon visage, et mon masque active les analyses géothermiques et géographiques de l'endroit. D'ici quelques instants, au rythme où ils vont, les Mutants auront quitté Wonder City et New Gotham City - qui est d'ailleurs vide.
Cette partie de la ville ne comptera plus d'ici peu que l'imposteur et moi ; parfait.

"Tu dois accepter l'inévitable, Bruce. Tu ne pourras pas me vaincre et rentrer chez toi ce soir. Je ne suis pas un de tes ennemis habituels, je ne suis pas quelqu'un que tu peux tabasser et envoyer à Arkham... je suis un Narrateur, je construis ton histoire et j'ai décidé que tu n'étais plus suffisant pour Gotham City. Est-ce que tu comprends ?"

"Oui."

Je me relève et m'approche lentement de l'imposteur. Mon masque m'informe que toute vie a définitivement quitté New Gotham City maintenant, et je sens ma ligne directe avec la Cave vibrer : c'est Alfred. Il a vu ce que j'ai fait, il a compris ce que je veux faire, et il essaye de m'en dissuader sur l'ordinateur et en m'appelant ; je ne réponds pas.

"Mon histoire s'achève."

Un sourire immense apparaît sur le visage du Narrateur, qui change peu à peu. Plus jeune, plus rond, il devient différent, avec des cheveux mi-longs, châtains et plus sympathique ; un autre homme est devant moi, mais ça ne change rien. Plus rien ne peut changer quelque chose.

"Enfin !"

Il lève à nouveau son arme, et la fixe dans ma poitrine. Je ne suis qu'à quelques centimètres de lui, et je sens ma balise bourdonner ; il est difficile de m'empêcher de sourire, mais je dois tenir mon rôle - ma mission.

"Enfin, tu comprends ! Nous allons pouvoir avancer. Nous allons..."

"Non."

Je le désarme, si rapidement et si facilement que je m'impressionne moi-même. J'envoie son arme au loin, alors qu'un bruit de tonnerre se fait entendre ; enfin.

"Mon histoire s'achève, mais la tienne aussi."

Mes doigts gantés s'emparent de lui et je colle mon visage au sien. Un rictus d'incompréhension, puis de colère, déforme son crâne quand il entend encore le bruit et comprend son origine.

"Tu...tu ne peux pas. Tu es une création, tu dois..."

"J'ai tout donné à cette ville : mon temps, ma vie, mes proches, mes amours. J'ai tout sacrifié pour autrui, j'ai sauvé tant de gens que je ne m'en souviens pas - mais tu avais raison, je me comporte en martyr. Je me fais moi-même du mal, je me détruis peu à peu et je rejette chacun de mes proches. Je me suis construit ma propre douleur, je suis usé et je ne supporte plus tout ça... et ça doit changer. Mais tu n'en seras pas l'artisan."

Je repense à tout ce que j'ai vécu, tout ce que j'ai fait, tout ce que j'ai perdu - et je n'ai pas peur. Mieux, quand le Batplane, attiré par ma balise, incontrôlé par Alfred, explose les restes du trottoir, du niveau de la ville au-dessus de nous, en fonçant vers nous dans un déluge de flammes et de gravats, je souris.

"Je suis Bruce Wayne, et je suis le seul artisan de ma destinée."

Et tout s'achève.

Epilogue 1.

Le Batplane a été contrôlé à distance par Batman, qui l'a attiré grâce à la balise implantée dans sa ceinture. L'extraordinaire appareil a suivi les ordres de son créateur, malgré toutes les tentatives d'Alfred Pennyworth pour empêcher l'avion de le rejoindre. Impuissant, le majordome a pu voir le chef d'oeuvre de technologie s'enfoncer dans le sol, agrandir le trou créé par l'explosion de la Batmobile et exploser directement au contact de son maître.

Le moteur nucléaire du Batplane emporte les restes de Wonder City, et prive New Gotham City de tout appui. En quelques secondes à peine, la ville dans la ville s'écroule sur elle-même, emportant toutes les habitations, tous les centres médicaux, toutes les structures administratives. Seuls l'asile d'Arkham et la prison Blackgate, placés sur les côtés, loin du centre, sont saufs alors que l'explosion et le tremblement de terre qui en découle enterrent toute cette partie de la cité.

Les ponts, les embarcadères et tout ce qui a été construit s'écroulent. Il ne reste plus rien du beau projet de Maximilien Shreck, et plus rien des horreurs lancées jadis par Quincy Sharp et ses sbires. Gotham City abandonne une vieille plaie tandis que l'eau du fleuve absorbe toutes les ruines, tous les gravats.

En quelques secondes à peine, New Gotham City cesse d'exister.
Et emporte les corps des deux derniers êtres qui y étaient jusqu'alors.

Epilogue 2.

Une semaine plus tard.

Alfred Pennyworth a tout arrangé, comme toujours. Bruce Wayne est, selon les annonces et les rumeurs, en voyage en Afrique pour mettre en place un programme d'aide humanitaire. Comme convenu avec Lucius Fox, une attaque sera montée de toutes pièces d'ici quelques jours, dans laquelle le milliardaire sera enlevé puis exécuté par des terroristes après son kidnapping. Une solution difficilement acceptable, mais la seule que les deux vieillards ont su trouver dans l'urgence.

Seul, devant le grand Manoir des Wayne, le majordome se sent seul et désespéré : il a tout perdu. Le coeur brisé depuis quelques jours, l'âme vide, il ne sait plus quoi faire - il ne sait plus où aller.

Alfred se contient, cependant, quand le facteur vient lui apporter le courrier du jour. Malgré la douleur, il se doit d'offrir aux autres le visage impassible et habituel du majordome ; il doit attendre avant de porter le deuil, et c'est certainement le plus dur.
Avec un sourire, il reçoit le courrier et laisse l'agent partir. Pennyworth rentre alors, abandonnant la majorité du courrier sur une table : il s'en occupera après. Et ce n'est que parce que la carte postale glisse du gros tas de lettres et de factures, pour tomber sur le sol, qu'il la voit et marche vers elle.

Accroupi, le majordome prend la feuille de carton, la fixe, la tourne, la retourne - et sourit. Des larmes glissent lentement le long de ses joues, ses mains tremblent, mais il continue de sourire.

Sans s'en rendre compte, Alfred tombe et reste assis sur le sol. Il continue de fixer, de tourner et retourner la carte. Il aimerait hurler, mais sa réserve anglaise l'en empêche ; ce n'est pas grave. C'est très bien comme ça.

La carte postale a été postée à Londres, deux jours plus tôt. Elle représente un couple et un enfant devant Big Ben, et ne comporte que deux mots en plus de l'adresse : "A bientôt".
Alfred sourit, essuie ses larmes et liste dans sa tête tout ce qu'il doit préparer : un voyage définitif à Londres ne s'improvise pas - mais ce n'est pas grave. Il est prêt pour ça, il est fait pour ça et il sait déjà ce qu'il doit acheter en plus. Il n'a plus l'habitude des habits pour enfants, mais il retrouvera vite ses vieux réflexes : après tout, il a aidé à élever un homme exceptionnel - il a toutes les cartes en main pour aider à élever l'enfant de ce dernier.