Gotham City Courthouse.
Bureau du nouveau procureur Lindenberg.
Vendredi 24 août 2012. 23 heures, 42 minutes.

La fenêtre de la pièce qu'occupait le nouveau représentant de la Loi en ville était ouverte. Trois minutes auparavant, Arthur Lindenberg l'avait quitté pour assouvir un besoin naturel pressant, qui l'avait obligé à laisser les nombreux dossiers qui traînaient un peu partout autour de lui. Deux minutes auparavant, une silhouette sombre et silencieuse s'était glissée à l'intérieur et était désormais debout devant les notes du nouvel acteur du grand jeu du crime et de la justice en ville.

Le Batman avait appris l'arrivée du nouveau procureur quelques semaines auparavant. Pris dans sa mission, il n'avait pas encore eu l'occasion de s'intéresser réellement aux habitudes de ce juriste atypique, passé par l'Europe et la Russie avant d'arriver ici et de prendre cette place convoitée mais dangereuse.
Rachel, sa fiancée et mère de son futur enfant, avait évidemment déjà été en contact avec Arthur Lindenberg, et elle réservait encore son avis. Il voulait mieux le connaître et savoir s'il pouvait compter sur lui, comme il l'avait fait avec Harvey Dent quand ce dernier n'avait pas encore été frappé par Sal Maroni et son acide. Il espérait que son successeur aurait un meilleur destin, mais les mêmes qualités.

Debout devant ses documents, le Chevalier Noir leva lentement les yeux vers la porte du bureau, qui s'ouvrit à nouveau. Le locataire des lieux revenait, et sa réaction face à sa présence ici serait son premier test pour celui qui se considérait, à tort ou à raison, comme le premier défenseur de la ville. A voir si Arthur Lindenberg serait à la hauteur.

"La curiosité."

Ma voix est lourde et traînante. Toujours debout devant son bureau, ma cape entourant tout mon corps pour me donner une silhouette sombre et théâtrale, je l'ai laissé rentrer dans la pièce et fermer derrière lui pour mieux l'observer. Je ne suis pas là pour le soumettre, le terrifier ou l'interroger : j'espère mieux connaître un des nouveaux joueurs dans la partie, et les premières informations qu'il me donne sont intéressantes - et troublantes.

"Votre prédécesseur avait essayé de m'accuser d'un meurtre qui n'en était finalement pas un. Il s'était lié au précédent maire et l'a accompagné dans ses dérives. Je suis curieux de connaître celui qui gère désormais l'accusation face à ceux que j'arrête."

Immobile, je continue de parler même si mon attention est ailleurs. Elle est sur l'allure même du procureur, sur son visage fatigué, sur les cernes qui se creusent sous ses yeux, sur sa chevelure grasse, sur son style vestimentaire classique mais élégant, sur son regard étonnamment rougi... comme s'il avait récemment pleuré. Même si l'eau évacue les larmes, leur passage est encore visible quelques minutes après, et je suis désormais persuadé qu'Arthur Lindenberg vient de craquer aux toilettes. Définitivement étonnant.

"Par contre, révisez votre Histoire, monsieur le procureur : le G.C.P.D. m'a toujours poursuivi. James Gordon a juste mis au placard les membres de son escouade anti-Batman pendant quelques années, quand nos objectifs étaient communs."

Le souvenir de mon entretien compliqué avec Jim ne m'effleure même pas. Mon esprit est toujours concentré sur l'observation de Lindenberg, et quelques images anciennes reviennent quand je recherche quelles raisons peuvent justifier ses larmes. Sa femme et son enfant, qu'il a dû abandonner après des dérives parisiennes de violence et d'abus. Sa mère, qui s'était suicidée par ennui. Son échec à Londres. Sa fuite en Russie. Son retour en Angleterre et la défaite au tribunal. Le retour à Gotham City. La perte de tous ses repères et de tous ses proches.
Rares sont ceux qui auraient tenus jusque-là. Alors que je me souviens du petit garçon que je côtoyais avant la perte de mes parents, je me rends compte que je ne sais rien de l'homme qu'il est devenu. Et je commence, malgré tout, à le respecter.

"Кто являются вами? Почему я должен полагаться на вас?"

Quelques mots en russe, pour tester sa pratique de la langue, pour tester sa réaction à cette surprise et aux souvenirs qu'ils provoqueront, pour savoir ce qu'il a dans le ventre.
Depuis Harvey, je me refuse à intégrer le procureur de la ville dans ma lutte contre le crime - trop de mauvais souvenirs, trop de remords, trop d'espoirs déchus. Peut-être, maintenant, que ma blessure a suffisamment cicatrisé et qu'Arthur sera à la hauteur. Je ne veux pas d'un clone de Dent, je veux simplement un homme sûr et fort, capable de combattre l'ennemi et de garder la tête haute. Malgré ses échecs, ses déboires et ses défaites, Arthur Lindenberg s'en est toujours sorti et cela me plaît ; à lui de me convaincre qu'il vaut la peine, et peut-être que nos plans pourront concorder pour la suite.

(HJ/ Petit essai de post à la première personne du singulier. /HJ)

"Vous considérons que nos activités sont différentes. Vous vous trompez."

Ma voix est toujours grave et lourde. Les yeux blanchâtres de mon masque fixent la silhouette du procureur, qui est suffisamment courageux pour ne pas trahir son émoi de me découvrir ici par quelques tics physiques. Un bon point pour lui, même si ses réponses ne me conviennent pas totalement.

"Cette ville me craint et m'acclame, encore plus depuis que j'ai pris des décisions difficiles, que je n'aurais pas prises avant. Je suis plus qu'un symbole, plus qu'une légende, plus qu'un mythe."

Et je le regrettai : je n'étais pas encore sûr de qui avait vraiment été Bat-Mite, la petite créature que j'avais rencontrée dans mon Bat-Bunker, mais ses paroles étaient emplies de vérité. Gotham City sait désormais que j'existe, que j'utilise une Batmobile, que je plane avec une cape spéciale... tout le monde connaît la majorité de mes secrets.
Je ne suis qu'un super-héros de plus. C'est inacceptable.

"J'arrête les criminels, mais c'est à vous de les faire condamner et d'empêcher leur sortie. Depuis des années, je me tiens loin des procureurs après une expérience... difficile. Je refuse de continuer dans cette voie. Pour le bien de la ville, nous devons collaborer. Pour le bien de la ville, je dois faire cet effort, et j'exige le même de votre part."

Arthur n'est, pour moi, qu'un obscur souvenir d'enfance, entouré de quelques images d'amusement enfantin et innocent. De l'homme en face de moi, je ne connais que les lignes des dossiers que j'ai récoltés à son sujet.
A lui de me convaincre. A lui de me donner confiance. A lui d'être le procureur dont la ville a tellement besoin.

"La pègre gothamite ne préparait pas des pièges mortels pour assassiner vos proches sous formes d'énigmes ou de blagues de mauvais goût. La pègre gothamite se déguise et est encore plus dangereuse et imprévisible. Votre expérience est bonne, mais elle n'est rien ici. Gotham City n'est pas une ville comme les autres."

Ma voix est toujours forte et autoritaire, même si j'apprécie les paroles d'Arthur. Il va droit au but, ne cherche pas la complication mais ne se laisse pas faire pour autant. Il y a un peu de Harvey Dent en lui, mais j'espère que cela s'arrête là. Je ne veux pas d'un deuxième Harvey Dent, je veux un procureur sérieux et courageux - mais rien de plus.

"Je connais le Fool, mais d'autres menaces m'ont occupé pour le moment - et je n'aime pas cela. Je me concentre sur des dangers plus importants, plus graves, mais des citoyens souffrent de criminels que je pourrais arrêter en parallèle. Malheureusement, le temps me manque de mener les recherches suffisantes pour les retrouver rapidement et efficacement."

Lentement, je contourne son bureau pour m'approcher de lui. Ma cape bruisse lentement sur le sol de la pièce, les yeux blanchâtres de mon masque toujours fixés sur la fine silhouette devant moi.

"Vos services, votre activité, peuvent m'aider. Je vous propose de me transmettre tout dossier sur des criminels ou super-criminels trop dangereux pour le G.C.P.D. Celui-ci adopte depuis peu une position plus brutale et extrême, et doit suivre les ordres en abattant à balles réelles ses cibles. Je refuse que Gotham City devienne le terrain de règlements de comptes entre la police et leurs adversaires qui intensifieront leurs attaques."

Je m'arrête à deux pas du procureur, ma cape recouvrant toujours tout mon corps pour intensifier l'aspect théâtral.

"Transmettez-moi vos alertes et les résultats des premières recherches. Je pourrais alors retrouver rapidement ces criminels et les empêcher de nuire à la ville."

L'offre est claire et directe. A voir si Arthur aura encore le courage d'accepter et d'aller au bout de cette nouvelle dynamique, qui pourrait enfin offrir une bouée d'air à cette ville qui en a tant besoin.

"Je ne suis accusé que de deux meurtres."

Je savais qu'Arthur évoquerait les décès de Quincy Sharp et du Joker. Je suis même étonné qu'il n'ait pas encore pointé les autres exactions qui me sont reprochées, les excès de violence contre quelques criminels et notamment le jeune Nite-Wing.

"L'ancien maire et le Joker avaient depuis longtemps dépassé les limites qu'impose la société. Seules leurs situations personnelles et des comportements stupides les ont empêché de subir le courroux réel de la Justice. J'ai dû prendre des décisions difficiles, mais je ne les regrette pas."

Il est normal qu'un procureur ne cautionne pas mes actions - je ne le demande pas, d'ailleurs. Ma conscience et moi-même avons suffisamment de difficultés en ce moment pour ne pas subir les remontrances et leçons d'Arthur. Ces faits sont passés, et même si je sais que je regretterai amèrement mes décisions jusqu'à la fin, je dois m'y tenir.

"Auparavant, en plus de dix années d'expérience, je n'ai été accusé réellement que de deux meurtres, procureur Lindenberg. Je comprends votre besoin d'affirmer votre respect des lois, mais je ne suis pas un tueur en série et en masse. Les criminels que nous arrêterons ensemble seront arrêtés, et non pas assassinés."

Je me tais et le fixe pendant de longues secondes. Je sais qu'il risque beaucoup en acceptant mon offre, et qu'il a besoin de garanties ; je ne puis lui offrir que ma parole, pour le moment.
Après cet instant de forte émotion, je lève ma main gantée, révélant finalement mon costume en poussant ma cape. Mes doigts sont ouverts et présentés juste devant ma connaissance d'enfance, en signe évident d'alliance et de confiance.

"Gotham City a besoin de nous. Je refuse de la décevoir."

"Cela ne sera donc pas dans nos plans."

Je suis soulagé de découvrir cette fougue et cette motivation chez Arthur. Je craignais de faire face à un homme obtus, rongé par le remords et les doutes, essayant de ne suivre que les lois dans l'espoir de laver ses erreurs passées et en refusant toute "négociation". Heureusement, il semble vouloir vraiment aider Gotham City, et accepte quelques sacrifices en ce sens.

"Le commissaire Gordon ne vous permettra pas d'utiliser le signal pour me joindre, et mieux vaut éviter de telles communications en public. Utilisez ceci pour me présenter des dossiers que la procédure normale n'arrive pas à gérer convenablement."

Ma main gauche file dans ma ceinture et dépose quelques secondes après un dispositif électronique, proche des modèles d'Iphone mais avec mon symbole gravé dessus.
Alfred s'en était moqué quand je les avais commandés. Il n'avait peut-être pas tort : j'ai été légèrement extrême sur cet aspect-là.

"Il contient un seul numéro, auquel il vous suffira d'envoyer des textos pour me demander de venir à votre rencontrer. Indiquez-y le jour, l'heure, le lieu et le dossier qui vous occupe, pour que nous perdions guère de temps."

Un tel dispositif avait déjà été laissé à Rachel, jadis, quand nos rapports débutaient à peine. J'avais hésité à en confier un à Harvey, mais je n'ai jamais eu la possibilité de lui en donner un : il fut défiguré durant mes réflexions et je le perdis pour toujours.
Je ne veux pas perdre autant de temps avec Arthur. Au-delà de notre lien d'enfance, de nos souvenirs communs qu'il ne connaîtra certainement jamais, je veux croire en lui et travailler à ses côtés pour permettre à la ville d'avancer réellement. J'ai trop souffert de ma paranoïa et de mon extrême prudence, il est temps d'avancer clairement.

"Nous nous recontacterons bientôt."

Après avoir serré la sienne, ma main droite était redescendue et était allée chercher une petite bille dans ma ceinture. D'un geste discret, je la jette dans la pièce, créant un bruit suspect et étonnant derrière Arthur.
Par réflexe, celui-ci se retourne et j'en profite pour disparaître dans l'ombre et m'en aller. J'espère que Lindenberg s'en accommodera et que nos rapports sont bons. La ville en dépend, et je suis prêt à tout pour elle.

(HJ/ Je pense qu'on peut en rester là. Merci pour ce sujet et cette future collaboration ! /HJ)