Ragman et Azrael étaient proches : tous deux héritiers de pères masqués et justiciers, tous deux descendants d'une longue lignée de prédécesseurs, tous deux anciens membres de sectes religieuses extrémistes, tous deux emportés dans cette existence sans le vouloir, tous deux tourmentés par les démons issus de leurs costumes... plus que proches, ils étaient quasiment similaires.
C'était pour cela qu'ils ne pouvaient, évidemment, se supporter. Et que leur affrontement était aussi violent.



Si Valley usait de ses lames avec brio, Reagan utilisait la puissance donnée par les âmes mauvaises que son costume renfermait. Le combat était âpre, féroce, comme si les deux ordres auxquels ils avaient appartenu s'affrontaient par leur intermédiaire.
S'il les laissait faire, ils en viendraient rapidement aux coups vraiment violents et dangereux et cela ne serait pas acceptable.

Dès le début, le Batman avait disparu dans l'obscurité de la salle pour intervenir au moment adéquat. Alors que Ragman tentait d'utiliser sa cape pour aveugler Azrael et se rapprocher, il sortit des ténèbres pour lancer deux Batarangs. Avec l'adresse de son nouveau bras droit, il visa une des attaches de la cape de Reagan et le poignet droit de Valley.

Evidemment, les deux projectiles atteignirent leurs cibles et stoppèrent de suite le combat. Il en profita pour faire tonner, dans cette étrange pièce, sa voix sombre et autoritaire. Il se tenait à quelques mètres d'eux et en imposait par sa présence.

"Suffit. Vous êtes au-delà de ça."

Le Chevalier Noir s'avança et jeta un rapide regard à Jean-Paul : ses dernières paroles résonnaient en lui - car elles étaient vraies. S'ils travaillaient ensemble, ils étaient plus efficaces et plus doués que tous les justiciers de cette ville. S'opposer ne parvenait qu'à desservir Gotham City et à les troubler eux-mêmes. Même s'il n'appréciait guère l'idée, son vieil ami avait raison et lui tort sur cette histoire.

"Ragman : tu ne te contrôles plus. Encore."

"L'hérétique n'a rien à me dire. Cette zone est sainte, elle ne peut être salie par des..."

"Suffit, j'ai dis."

Son poing droit vint s'écraser sur le nez de Ragman, avant que son genou ne frappe son ventre. S'écroulant au sol, Rory Reagan tentait de reprendre sa respiration, visiblement en grande difficulté.
Son agresseur se tourna alors vers son allié, et lui montra par signe la direction des grandes portes ouvertes.

"Je suis d'humeur à salir une zone sainte."

Bruce retint le sourire qu'il voulait esquisser et pénétra dans la salle que Ragman venait de quitter. L'extrême lumière qui s'en dégageait provenait en réalité d'énormes rochers lumineux, éclairés par quelques vitres naturelles étonnantes. La pièce était grande, immense même, mais très différente de celles qu'ils avaient visité auparavant.
Pas de robots, pas de livres, pas d'affiches ici : d'énormes pierres anciennes, plus vieilles mêmes que les premières bâtisses de Gotham City. Ils étaient en face d'une grotte si ancienne qu'elle avait dû être là avant la colonisation américaine, et plusieurs éléments prouvaient même que de mystérieux visiteurs étaient passés par là : des totems et symboles de toutes les grandes religions, mais aussi de sectes plus vieilles et dangereuses, voire même inconnues, étaient présents un peu partout.

Toute la grotte était recouverte de symboles religieux - la définition même d'un lieu saint. Une rivière souterraine coulait également du Nord vers l'Est, mais elle était différente de celles qu'ils avaient croisé ou connu : l'eau n'était pas bleue ou verte, mais... pourpre.
Un nouveau mystère, donc. Un de plus dans cette étonnante zone sous la ville.

"Tout ceci... va loin, Azrael. Trop pour ce soir, trop pour cette semaine. Nous devrons revenir ici une fois qu'Arkham City sera tombée et que Quincy Sharp aura eu... ce qu'il mérite."

Wayne refusait de l'admettre, mais il haïssait réellement Quincy Sharp : avec tout ce qu'il lui avait fait, tout ce qu'il avait essayé de faire, le maire par intérim était devenu un objet de colère et de pensées violentes pour lui. Il avait honte, mais il pensait réellement à le faire longuement souffrir - et à arracher la vie de son être.
Il devrait se contrôler, quand l'heure serait venue. Il espérait juste en avoir la force.

"Les Entreprises Wayne prendront en charge la reconstruction du trou et sécuriseront la zone : les gardiens évacueront les robots, Blockbuster et Ragman, s'il me traite encore d'hérétique. J'aimerais que... que nous finissions de visiter et de résoudre ces mystères ensemble, quand la ville sera apaisée. Cela me semble... mieux."

C'était un grand pas en avant, tous deux le savaient. Il ne savait pas quoi dire de plus et surtout comment le dire, et il espérait que Jean-Paul saisirait l'allusion et que leur rixe s'achèverait maintenant - ou au moins que leurs relations s'apaisent.

"La magie existe."

Alors que Jason Blood tournait les talons après avoir fait son petit numéro, la voix de Batman tonnait dans l'immense grotte remplie d'éléments sacrés.
Il s'était retourné pour découvrir l'occultiste quand celui-ci était réapparu, aussi mystérieusement que lors de sa première arrivée et de sa disparition. Il savait que l'immortel appréciait ces petits jeux, les mêmes que ceux qu'il faisait subir à Gordon ou à ses alliés. Il n'appréciait pas pour autant les subir.

"Je ne l'aime pas, je ne lui fais pas confiance, mais la magie existe. J'ai appris à respecter les magiciens, sorciers et autres prophètes : j'ai découvert qu'ils pouvaient dire la vérité et être utiles. C'est pour ça que je vous ai laissé me narguer et agir à votre guise, Blood."

Son ton n'était ni autoritaire, ni grave. Calmement, il exprimait des faits et fixait la silhouette solitaire qui s'apprêtait à nouveau à leur fausser compagnie. Il ne le laisserait pas faire sans avoir souligné certaines choses.

"Cette zone... est en dehors de mon schéma classique de compréhension - mais j'apprends vite. Vous vivez ici depuis plus longtemps que moi, mais je protège Gotham City de tous ses dangers depuis plus de dix ans : je ne me concentre pas comme vous sur le surnaturel. Des ouvriers arriveront demain ici, discrètement, et prendront en charge la protection extérieure de ces endroits. Votre sort aura un apport plus technique et pratique."

Le Batman fit un pas en avant.

"Votre prophétie... je dois y croire. Je dois lui donner du fondement, mais je ne peux pas laisser Gotham City dans cet enfer. Je veillerai à ne produire aucune catastrophe et à ne transformer rien en enfer - mais Arkham City sera stoppée. Ses murs tomberont. La ville retrouvera son unité et sa quiétude.
Alors travaillez vite et bien pour comprendre cette prophétie et tirez les choses au clair. Vous gérez le surnaturel, moi... nous le reste. Faisons en sorte que tout continue de fonctionner ainsi."

Sans rien ajouter de plus, et espérant qu'Azrael comprendrait sa récente allusion, le Chevalier Noir se détourna et s'avança vers la sortie montrée par Jason Blood. S'il ne l'appréciait guère, il savait pouvoir lui faire confiance sur certains éléments. Dans quelques instants, les deux justiciers seraient dehors après une très étonnante soirée : débutée comme un retour aux sources, gérée comme un défi, suivie par un affrontement violent avec un ennemi, menée comme une aventure et terminée avec un ami dans l'étonnement et le mystère.
Ce n'était pas désagréable, en réalité, mais toujours troublant. Intérieurement, il espérait que sa collaboration avec Jean-Paul pourrait garder cet aspect : ensemble, ils pouvaient réellement tout changer - et il était bien décidé à y arriver.

"Ils céderont devant le peuple s'il a l'occasion d'ouvrir les yeux."

Sa voix était calme, posée. Pour la première fois depuis longtemps, le Batman écouta réellement ce que Jean-Paul voulait dire et ne s'y opposa pas directement.
Il réfléchit, longuement, au sens des mots prononcés par son ami avant de lui répondre. Nulle violence, nul rejet, nulle agressivité ne se lisaient dans son ton et son attitude. Il était plus serein et ouvert que jamais.

"Tu as raison sur plusieurs points, en premier mon incapacité à comprendre que mes méthodes ne fonctionneraient pas contre une administration et ma volonté trop forte de régler ça tout seul en rejetant ceux qui auraient pu m'aider. Mes... échecs durant la montée en puissance de Quincy Sharp m'ont préoccupé et m'ont empêché de me concentrer réellement sur la problématique de cette crise. C'est une erreur, qu'il me faut maintenant corriger."

Admettre ses fautes, devant un allié, qui plus est un ancien adversaire, était une chose dont il avait peu l'habitude. Il forçait cependant sa nature pour que Valley comprenne les efforts qu'il voulait accomplir envers lui.

"Gotham City doit se sauver elle-même, mais nous devons lui permettre d'y parvenir. La population est manipulée et terrifiée par Sharp, Shreck et Hurt, le nouveau psychiatre en chef. Le dernier m'est inconnu, mais j'enverrais Alfred et Lucius enquêter dessus sous peu. Le second est dangereux, viscéralement pourri, mais il n'a pas la fibre d'un super-vilain ou d'une énorme menace... Maximilien Shreck est un serpent, et je ne sais pas encore comment vaincre un serpent. Sharp, enfin, est différent... à la fois minable, brillant, violent, timide, fou et calculateur. Je soupçonne une schizophrénie chez lui."

Bruce, placé légèrement en biais devant Azrael jusque-là, se tourna totalement vers son interlocuteur. Dans ce décor saint et neutre, un certain cérémoniel s'instaurait entre eux, sans qu'ils en prennent vraiment conscience.

"Je ne peux les vaincre seuls. Shreck et Hurt devront être stoppés par mes actions publiques, les Tyger One devront être liquidés officiellement mais stoppés physiquement par nous avant, mais... Sharp me tient à coeur. Sharp a été trop loin avec moi, et je ne peux pas me contenter d'attendre que les Gothamites se réveillent. Je ferai tomber Quincy Sharp en m'en prenant physiquement à lui et en l'empêchant de mettre à bien ses projets, et après je laisserai la Justice agir..."

Son poing se serra instinctivement. Sa colère, sa haine de Quincy Sharp était trop grande pour qu'il la contienne, surtout après une soirée aussi mouvementée.
Pendant de longues secondes, il fixa ses doigts crispés en imaginant ce qu'il voudrait infliger au maire par intérim. Il aurait besoin d'être grandement reposé, calme et serein avant de s'en prendre à lui, pour ne pas dévier de sa conduite. Des séances d'apaisement seraient nécessaires avant l'opération.

"Une fois Quincy Sharp vaincu, je... contacterai les forces en présence dans la ville, et je mettrais au point un plan pour lutter efficacement contre Arkham City. Sharp disparu ne mènera pas à l'abandon de la ville-prison, Shreck et Hurt s'y attacheront et nous devrons lutter différemment. Comme tu l'as dit, tu es extrêmement efficace dans le combat direct et devant un ordinateur : j'aurais besoin de toi pour accumuler des preuves contre Shreck et Hurt, et pour acculer leurs troupes lorsqu'elles iront trop loin. Red Robin, comme il veut s'appeler maintenant, devra se soumettre à une discipline accrue pour intégrer la logique administrative et y lutter. Les Birds of Prey, elles... je ne sais quoi en penser réellement."

Wayne avait parlé d'une voix plus calme, moins énervée, et était même légèrement perdu sur la fin de sa déclaration.

"Elles sont une organisation à part entière, déjà sur pieds et farouchement indépendante. Si j'ai confiance en Black Canary et Oracle, d'autres membres... me troublent. Huntress. La nouvelle Batgirl. Starling. Ce sont soit des inconnues, soit des personnes trop violentes pour que je leur fasse confiance. Je n'ai pas suffisamment de contrôle sur elles et leurs activités. Ca ne me plaît pas."

Il se tourna alors vers Jean-Paul, attendant une réaction. Ils échangeaient, là, discutaient comme les deux amis et alliés qu'ils étaient en préparant un plan de bataille. Le Chevalier Noir avait entendu, écouté et compris les conseils de Valley, et les intégrait. Un grand pas venait d'être franchi, mais il venait d'oublier quelque chose.

"Ah, au fait... il me semble que l'inspectrice Brogan est proche d'elles, ou qu'elle a pu avoir des contacts avec elles. Tu devrais l'interroger à ce sujet. Par expérience, je sais que les meilleurs moments pour interroger une femme sont à l'aube, après une longue nuit, et sur l'oreiller. A mon avis, cela ne devrait pas te poser de problème."

Un léger et timide sourire apparut sur son visage : de l'humour. Décidément, il semblait vouloir véritablement changer.