Alors que le soleil se levait sur Gotham, cette ville crasseuse, puante, emplie par la peste criminelle et par le choléra de la folie, un homme se présenta dans Little Italy, seul, vêtu de son plus beau costume. Il respirait tout l'air qu'il pouvait, s'emplissant les poumons par inspirations profondes et régulières. Il semblait se remémorer quelque chose... Mais quoi ? Nul ne le savait.
Puis, il se mit en marche, caressant le sol de ses mocassins de cuir fin. Ses pas légers effleuraient à peine le béton du trottoir. Son corps exprimait tout ce que ses mots ne disaient pas: un plaisir profond, une décontraction totale.
Ses mains se baladaient sur des formes imaginaires, vestiges fantômes d'un passé désormais derrière lui. Là, des étals de fromage, ici, le vendeur de journaux, plus loin par là, l'entrée de Chez Tony's, l'un des meilleurs pizzaioli de la ville.

Cette marche, presque dansante, presque sensuelle, dura plusieurs minutes, glissant le long des ruelles étroites et mystérieuses de Little Italy, alors que l'astre lumineux, cette boule de feu, grimpait peu à peu dans le ciel, illuminant l'homme en plein extase. Il exultait littéralement de joie, et se mit à réciter, en italien:

- Felice chi, come Ulisse, ha fatto un bel viaggio,
O come quello che conquistò il Vello,
Poi è tornato, pieno di giudizio e ragione,
Vivere tra i suoi il resto della sua vita!

Quando rivedrò ahimè, del mio paesino
Fumare il comignolo, e in quale stagione
Rivedrò il recinto della mia casetta,
Che è per me una provincia e molto di più?

Di più mi piace il posto che hanno costruito i miei avi,
Che non dei palazzi romani la fronte audace,
Più del marmo duro mi piace l’ardesia fine:

Più la mia Loira gallica del Tevere latino,
Più il mio piccolo Liré del monte Palatino,
E più dell’aria marina la mitezza angioina.

Puis, il s'arrêta et observa les alentours, avant de s'engouffrer dans un petit restaurant à sa gauche, situé à l'angle de l'entrée du quartier. "Le Revenant", était-il marqué sur la façade, en un lettrage simple. Un nom de circonstances, vu que cet homme, qui venait de se promener dans cette zone, cet homme qui semblait en connaître tous les recoins, cet homme qui venait de chantonner était Angelo Falcone, le frère de Sofia Falcone, fils de Carmine, comme il l'avait appris récemment.

Une fois à l'intérieur, protégé par la fraîcheur du bâtiment, le mafioso de retour à Gotham City se posa tranquillement dans l'arrière boutique, salua Salvio Moreno, son cuisinier, et grimpa les marches quatre à quatre pour se retrouver dans un appartement qui devait appartenir jadis à l'exploitant du lieu.
Se posant dans un gros fauteuil moelleux, l'italo-américain grommela:

- Joachim du Bellay, un vilain français, certes, mais un poète de génie, on ne peut pas le lui enlever.

Ensuite, il se mit à siffloter joyeusement tout en se mettant à l'aise. Pour se faire, il enfila un pantalon un peu moins serré, desserra sa boucle de ceinture, ouvrit un peu le col de sa chemise, et croisa les mains en fermant les yeux, un sourire toujours gravé sur son visage.


Une heure plus tard...


Angelo Falcone se réveilla, quelque chose le chiffonnait. Il ne savait pas quoi, mais son instinct lui disait que quelque chose n'allait pas. Il tendit l'oreille, et n'entendit rien, ce qui le fit bondir sur ses pieds. D'ordinaire, il y avait au moins le bruit du gaz qu'activait son cuistot, ou le cliquetis léger et reposant des outils de cuisine. Or là, rien. C'était suspect.
Sans trop se presser, on ne savait jamais, l'alias du Berger se leva puis fonça vers la porte qui... fut arrachée de ses gongs par une silhouette vêtue de noir.
Cet assaillant tenait un couteau de l'armée, ce qui étonna plutôt l'italien, qui n'attendit cependant pas son adversaire pour entamer le combat.

D'un vigoureux coup de pied, Falcone repoussa l'homme, le faisant reculer dans la pièce précédente, celle où se trouvait les escaliers. Avec précautions, mais vitesse, l'attaqué bondit pour continuer le combat, et se trouva nez à nez avec un pistolet. Pas le temps de lire la marque !!! Se baissant tout en opposant une poussée ascendante au bras armé, Angelo évita le tir mortel, et désarma on adversaire. Ainsi, ils se retrouvaient à mains nues, dans la plus parfaite équité... sauf si l'un d'eux n'avait pas des années d'entraînement derrière lui.
Une attaque de la paume de la main en plein plexus solaire, suivi d'une frappe au creux du genou et dans le bas-ventre suffit à faire plier l'assassin. Mais avec étonnement, Angelo se prit en plein nez son crâne, reculant sous le coup.
Avec un grognement de colère, la silhouette se redressa et chargea. Par la force brute, elle souleva Falcone par la taille, l'emmenant heurter un mur, provoquant une grimace de douleur. Mais n'ayant pas tiré son dernier as, le mafieux se laissa porter, saisit la nuque dans son bras droit, et tira fortement sur le côté, laissant entendre quelques couinements, avant que l'adversaire, maîtrisé, ne voit ses vertèbres se briser.

Le corps devint amorphe, mou comme une poupée de chiffon. Lâchant ce poids mort, Angelo fouilla rapidement ses affaires et trouva une petite carte. S'adossant au mur en soufflant, il se laissa glisser jusqu'au sol, en observant le sigle familial des Falcone. Il n'était pas le bienvenu, on dirait...

- Bon retour à Gotham, Angelo... murmura-t-il en souriant, alors que midi approchait à grand pas, et que le soleil gagnait sa place dans les cieux, comme allait le faire Angelo...