Une photo de Damian.

Voilà ce qu'il lui manquait. Une photo jaunie mettant en valeur les traits juvéniles de son petit assassin, qu'elle aurait pu glisser dans un tiroir de son bureau et regarder lorsqu'elle était seule, en écoutant du Cocoon, du Aaron ou une ariette tragico-fluette. Mais ce rituel l'aiderait il vraiment ? Créer des manifestations physiques de ses sentiments et les manipuler servirait il réellement ? La réponse était évidente. Depuis qu'elle avait fait l'atroce erreur d'en ressentir, elle avait compris qu'elle devrait faire avec jusqu'au restant de ses jours. Un léger soupir s'échappant de ses lèvres, Talia se laissa aller sur la chaise municipale, le trône ignoré de Gotham City. Ce n'était pas la même chaise que celle sur laquelle Drury avait gouverné, mais c'était la même sensation qu'il avait du ressentir lorsqu'il s'appuyait, extenué, sur le cuir plus ou moins luxueux et plus ou moins pourpre de son propre fauteuil. La sensation - la certitude - d'être une sorte de Gardien des Enfers, sans cesse balloté sur les eaux du Styx et plongeant les yeux dans l'abîme chaque jour afin de la contrôler. Et Nieztche avait eu raison à propos des abîmes. D'un certain côté, Talia était plutôt contente d'être née dedans, et de n'avoir pas eu à tomber.

Elle jeta un coup d'oeil - pupilles bleues mais regard rouge - sur l'horloge murale et un frisson la parcourut aussitôt. Il lui restait dix minutes pour se préparer. Se préparer. Drôle d'idée. Elle n'avait pris l'habitude, sous les ordres de son père, de n'ajouter une touche cosmétique à son apparence que lors de quelques rencontres avec des chefs de guerre terroristes et partenaires "maîtres du monde" de son père. Mais lorsqu'elle avait crée, il était prévu qu'elle n'en ait pas besoin. Talia soupira une seconde fois. L'anhilation de l'existence de son père et sa prise en main des rênes de la Ligue, du Léviathan, de Gotham n'avait pas complètement réussi à lui faire oublier qu'elle n'était au départ qu'un outil, créée pour être la parfaite extension du mastermind. Avoir réussi à le dépasser et le repousser ne prouvait pas, finalement, qu'elle était bien sa fille ?

La Maire se leva, et entreprit de descendre l'Hôtel de Ville pour se rendre à la rencontre directement. Elle avait fait faire deux thés - deux millésimes de sa collection de Pi Lo Chun récoltés durant une mission en Asie - et déposé des onigiri, des dattes, du chocolat dans la salle de travail où Bruce et elle même construisaient Gotham, comme ils en avaient toujours révés, mais sans se tenir sur les ruines de la ville, comme Ra's avait toujours révé qu'ils le fassent. Les choses se passaient plutôt bien. Bruce était beaucoup plus décontracté que dans la tenue surarmée où il avait l'habitude d'écraser des côtes en hurlant ses questions à des malfrats et elle retrouvait dans son éclatante détermination et son sourire discret quelques charmes qui l'avait fait tombée du piédestal d'Héritière du Démon lorsqu'elle avait partagé avec lui des aventures pour lesquelles le Dr.Dakk ne serait jamais remercié assez.

La Maire descendait désormais les escaliers du deuxième étage, dépourvue pour une fois de gardes, de leurs grognement, de leurs odeurs viriles, seules dans ses pensées partagées de femme, de maire, de mère et de criminal mastermind. Elle portait aujourd'hui une robe discrète, noire et coupée à la limite de tous les genres. Le noir n'est peut être pas une couleur mais Dieu a l'excellente idée d'en faire un compagnon idéal et simple pour les peaux pâles. Qu'il soit loué dans son inexistence miraculeuse. C'est au tournant du couloir, alors qu'elle s'attendait à rencontrer quelqu'un au constat du petit bip de l'ascensceur qui venait de se manifester que l'explosion retentit.

Cette Mairie est décidément trop exposée. La salle de réunion s'éclaira et s'enfuma au loin d'un orange très sanguin et acceuillit soudain un arc en ciel suspect : rouge, bleu, spectral... La jeune femme jeta un regard aux invités clandestins et comprit aussitôt. Des méta-humains costumés. Adeptes des quatre éléments. Depuis ses premiers pas, et depuis qu'elle avait découvert le Lazare sous sa chambre, Talia était largement au fait du surnaturel omniprésent dans le monde des personnages roleplayés et elle en était même une pièce importante. Parmi ses hommes, parmi ses alliés, beaucoup de paranormaux, donc marginaux, donc haineux, donc très bons assassins. Son propre "second fils", l'Heretic, dépassait largement les connaissances scientifiques actuelles et pouvait donc être considéré surnaturel. En d'autres mots, elle avait l'habitude des méta humains.

Et malgré que son shamshir et ses armes blanches préférées étaient bien trop loin de cette salle de réunion, et qu'elle n'était armée que d'un Glock 17 réglementaire, malgré qu'elle sache pour qui ces assassins étaient là, elle n'avait pas peur. Elle n'avait jamais peur. Elle n'était pourtant pas du tout courageuse : le courage consiste à surmonter sa peur et agir malgré elle, or, son père avait anihilé toute peur en la confrontant à toutes les créations de Thanatos dès sa naissance. Elle... Se rendit compte que toutes ces réflexions étaient fausses. Elle connaissait la crainte. Elle était même très effrayée. Par Bruce Wayne.

Et par elle-même.

Elle jeta un coup d'oeil aux assassins, leurs carrures de très mauvais combattants mais d'excellents tueurs, leurs gestes de très mauvais gladiateurs, mais d'excellents soldats. Voilà longtemps qu'elle ne s'était pas dégourdie. L'immortelle posa son regard sur Bruce, arrivé presque au fait de la salle de réunion. Elle lui sourit, sincère.

- Alors ? Architecte de la mairie ou héros en retard sur la conférence ?

La question avait un réel sens. Bruce pouvait choisir de garder sa couverture et de laisser Talia s'en sortir, en tremblant comme un philosophe - comme un chef d'entreprise cardiaquement agressé. Mais il prenait alors le risque de la voir mourir - même pour la plus entraînée des tueuses, aucucun combat n'est jamais certain. D'un côté, cela l'arrangerait probablement. Talia ne se posa pas de questions. Elle n'était pas la reine du léviathan ou de la Ligue, elle était la maire, il lui faudrait prévenir sa conscience des questions inutiles, afin de jouer son rôle pendant le combat.

Elle attendit donc qu'ils dégainent pour en faire autant, et se glissa dans la salle en ruine pour atteindre le plus proche assassin. Son alter-ego, Head, aurait justifié ça par des cours d'arts martiaux servant à ses objectifs humanitaires. Mais c'est bien un atemi d'assassin qu'elle appliqua dans le flanc adverse, accompagné d'un croche-pied.

( Ce n'est pas grave, j'étais en vacances, je suis rentrée hier ^^ Merci )

Pour la première fois depuis une éternité - son éternité -, Talia ressentit enfin la sensation physique qui accompagne la compréhension de l'expression "couper l'herbe sous le pied". Pour la première fois depuis sa plus tendre enfance et ses premiers combats, elle avait ressenti la déception d'avoir frappé dans le vide. Avant qu'elle n'ait le temps d'affronter ou même d'engager les méta-humains, un autre cavalier les avait pris en danse. Sorti de nulle part, le cinquième intrus annonça aussitôt son camp et se lança - littéralement - dans la bataille tel un gaulois du village d'Astérix, sans peur et sans hésitation aucune. Paladin incongru, le nouveau venu brilla un instant dans le champ de vision de Talia avant d'entamer le combat, si rapide malgré sa masse musculaire que Talia eut dû mal à se faire une idée de son apparence jusqu'à ce qu'enfin le dernier ennemi soit neutralisé, le dernier coup balancé. Il semblait affublé d'un costume gris acier, assez imposant, et horriblement moulant ou bien dessiné avec ambition, et d'un casque pour le moins original, aux allures d'hibou, constat réaffirmé par son étrange cape, visiblement dépourvue de tissu et arborant la même couleur que le costume dans un design général rappelant immanquablement les ailes strigidées.

Mais malgré toutes ces incongruités, et toute la place qu'il prenait dans son hôtel de ville, c'est son style de combat qui étonna le plus Talia. Entourée d'assassins s'entraînant chaque jour à tous les arts martiaux connus et inconnus par ordre alphabétique  et sans en oublier aucun, elle avait participé, utilisé, vu, toutes les signatures martiales. Et elle n'eut aucun mal à reconnaître celle là. Vif et puissant, sobre dans son efficacité, le style de combat de l'intrus avait tout de l'ancien CQC perfectionné par des dizaines d'années d'expérience et retouché après des entraînements intensifs s'inspirant des plus diverses styles de combat du globe. Peu raffiné mais très intelligent et en quintessence de la philosophie du close combat, ce style était à n'en pas douter très semblable à la signature du Batman. En "Maire effarée" digne de ce nom, elle n'osa pas se retourner vers Bruce mais y devina le reflet, dans ses yeux auxquels rien n'échappait, de cette signature qu'on lui avait volé. Elle y devina la réflexité et ce qu'il appelait méfiance et qu'elle célébrait comme peur. Pour elle, même si Bruce se disait délivré de la peur, il était impossible d'implanter cette dernière dans le coeur de ses ennemis sans la ressentir lui même, et dans une dose assez forte pour la comprendre à ce point.

Lorsque le combat fut terminé, lorsque la guerrière Al'Ghul, l'Immortelle, se fut complètement évaporée, la Maire effrayée fit un pas en arrière et, sans, pour une fois, contrôler ses mouvements, se rapprocha de Bruce, qui n'avait pas bougé depuis l'attaque. Dèjà, les alarmes de l'hôtel de ville hurlaient et la sécurité remuait les étages pour rejoindre Talia, Bruce et leur mystérieux interlocuteur. N'ayant aucune envie d'analyser le réfléxe qui l'avait poussée à se rapprocher de Bruce, Talia répondit en première à la question de leur sauveur : cette fois, elle n'eut pas besoin de simuler l'étonnement, tout en lui la surprenait.

- Oui, je.. je crois. Qui êtes vous ? Qui sont ils ? Que se passe il ? Je.. je ne comprends pas...

(HJ/ Désolé du retard et merci de ta patience. /HJ)

Je me relève lentement et évacue la poussière et les gravats de ma veste. Mon costume hors de prix est ruiné par l'attaque, mais mes pensées sont bien éloignées de cette difficulté alors que mes yeux sont fixés sur l'inconnu qui parade devant Talia.

"J'ai eu vent d'une attaque contre vous deux il y a moins d'une heure : je n'ai pas eu l'opportunité de prévenir vos organisations et les agents chargés de vos sécurités respectives."

Sa voix est douce, calme. Il est grand, massif, et tout en lui respire la confiance et la force. C'est certainement une impression similaire que les autres ressentent en ma présence, dans d'autres moments, et dans d'autres costumes. Découvrir cet effet n'est pas une bonne surprise pour autant.

"Par ailleurs, n'ayant pas encore fait mon apparition sur le devant de la scène, j'ai pensé que vous ne me croiriez pas si je vous avertissais. J'ai jugé plus utile de venir sur place pour les stopper."

D'un geste ample, il se détourne de nous et s'approche d'un trou creusé dans les murs par les Maîtres du Désastre, qui mène à l'extérieur. Il donne l'impression de flotter, comme s'il marchait sur des nuages et non pas des ruines et des gravats encore fumants.

"Je vais bien, mais vous n'avez pas répondu à la question."

Ma voix est plus sèche, plus agressive que doit être celle d'un homme qui vient d'être sauvé. Je me force, et adopte un ton plus doux, plus reconnaissant envers l'autre. Je ne remercierai jamais assez Alfred pour ses cours de comédie.

"Je vous remercie de nous avoir sauvés, mais qui êtes-vous ? Que voulaient-ils, eux ? Que se passe-t-il ?"

Peu à peu, les forces de sécurité de Talia investissent les lieux, et menacent de leurs armes l'inconnu même s'ils semblent avoir bien conscience de l'inutilité de leurs gestes. L'objet de leur attention ne s'occupe pas d'eux, et m'offre un immense sourire avant de me répondre.

"Pardon, je n'ai pas encore l'habitude de tout ceci... c'est très nouveau pour moi. Je suis Owl, et je vais enquêter sur cette attaque. Je ne manquerai pas de revenir vers vous pour collaborer et réussir à aider cette ville."

Owl se tourne vers le trou dans le mur porteur, et il... il s'élève dans les airs. Il vole, et pour une des rares fois de mon existence, je suis surpris. Je n'aime toujours pas ça.

"Gotham City a un peu plus de soutien, maintenant. Tout va bien se passer."

Il disparaît soudainement, en un flash ; super-vitesse, certainement. Vol, super-vitesse, maîtrise des techniques de combat : j'espère qu'il n'y a rien de plus chez lui. Ce sera plus compliqué de le faire tomber - car oui, je vais le faire tomber. Je ne vois rien de bon chez lui, et surtout pas son nom.
Il est certainement un de leurs envoyés... une de leurs armes. Et ils ne l'emporteront pas cette fois-ci.