Une vie ne pouvait décemment pas être entièrement calculée. C'était pourtant l'objectif inconscient que Maximilien s'était imposé toutes ces années. Gotham avait lentement détruit cet objectif au profit d'un plus subtil et dangereux, celui de survivre dans la finance et l'économie, le pouvoir et la possession. Le nom des Shreck était tout entier attaché à celui de cette ville. Il s'était élevé entre ses murs et n'avait cessé de croître en influence et en pouvoir. De rien Max avait choisi la voie de la progression inévitable. Une progression sinistre et cruelle qui avait impliqué de toujours laisser en dehors de l'équation tout affect, envers son père, sa mère, ses anciens amis et partenaires, envers son fils... Maintenant qu'il repensait à tout ce qui l'attendait, l'avenir de Chip n'était plus rien. Ce fils qu'il avait cru un temps aimer n'avait été qu'une extension égocentrique de son existence. Maintenant qu'il pouvait embrasser une nouvelle fonction, il n'avait pas une seule seconde songé à la carcasse sous assistance respiratoire de la chair de sa chair. Cette élection avait tout remis en cause. Le maire sortant observait la ville nocturne depuis la fenêtre de son ancien bureau en songeant à tout ce qui venait de se produire.

Derrière lui, Thomas commençait à ranger les casiers du bureau de la mairie et se retourna pour soulever un carton dans lequel il avait rangé quelques affaires de son supérieur. Il avait été tout aussi secoué que le reste de l'assistance ce soir, lorsque Maximilien avait fait son discours de renonciation avant de directement embarquer pour ce bâtiment. Pourtant il gardait le silence et se demandait s'il trouverait facilement un appartement à Trenton et de bons casinos où dépenser son salaire. Il ne connaissait pas ce genre de vice chez son patron, il ne savait pas s'il avait des passions, il ne savait pas s'il était heureux dans sa vie ni s'il avait connu un jour la tristesse. Sous sa chevelure blanche, l'ex maire avait été froid, dur et toujours masqué d'une parure de bienveillance envers les gens dont il pouvait obtenir quelques chose. Avait-il été touché par le comportement de son fils, avait-il seulement pleuré? Même la presse ne saurait le dire. Quand bien même il aurait pleuré devant des photographes, nul n'aurait pu assurer que ses larmes avaient été sincères. Thomas releva le visage alors qu'il déposait le compte-rendu de passation sur le bureau presque libéré de touts souvenirs de Maximilien Shreck.

Maxmilien marchait maintenant dans l'espace en se souvenant de détails parfois insignifiants de son mandat, quelques rendez-vous, les discutions avant les réunions, la rencontre avec quelques citoyens qui désiraient parler ou juste rencontrer le Maire. Le plancher en bois craquela un moment. Ces petits bruits étaient un cauchemar la première semaine et devenaient ensuite comme les battements de cœur du bâtiment. Il regarda rapidement ce que son secrétaire avait entassé dans le carton et soupira. Ce qu'il laissait derrière lui c'était une vie toute entière. Pas seulement dans ce bâtiment, mais aussi dans la tour de Shreck's Indsutries et dans son manoir en périphérie. Il avait travaillé dur et avec ardeur pour ce résultat, pour atteindre ce bureau, il ne n'était pas paré à partir si vite aussi loin et pour un poste qu'il n'attendait pas à se voir offrir. Mais il allait faire comme toujours: s'adapter et ployer sans rompre pour supporter la nouveauté et comprendre le fonctionnement de cet univers lointain. Il se souvint de la première fois qu'il était entré dans ce bureau dévasté par les rafles des gardes Tyger.

Son installation s'était passée dans la plus grande discrétion. Les rénovations de la Mairie avaient été lancées à son investiture et entre coups de marteaux et planches de bois que l'on scie, personne n'avait pris garde à la redécoration du bureau du maire. Il n'enleva pas son gant lorsque vint le temps de poser une dernière fois la main sur ce large bureau. Ce n'était pas tant le meuble qu'il regrettait que le temps qu'il y avait passé. Des nuits blanches, des soirées interminables, des journées où s'entassaient des piles de dossiers. La plupart des autres maires laissaient la paperasse et les gros dossiers à leurs conseillers et administrateurs, Shreck avait toujours voulu un regard dans les affaires importantes. Le redressement avait nécessité de sa part d'importants sacrifices. Tout ce que l'on entreprenait en nécessitait. La porte claqua lorsque Thomas partit ranger la carton, laissant Maximilien seul face à ses souvenirs et ses regrets.

Il observa les portraits des Maires qui trônaient sur l'un des murs latéraux de la pièce. On avait installé le sien pendant la courte période électorale. Il se revoyait encore. Tout cela avait été rapide et intense. Il repensa un temps à toutes les personnes qui avaient douté de ses capacités à entrer dans le monde politique et surtout du prix qu'il devrait payer pour affronter ces risques. Par le passé il s'était toujours compromis de façon subtile, il avait marché sur le mince frontière obscure de son métier pour atteindre ses buts et c'était toujours pourvu de solides défenses en cas de chute. Fort heureusement, l'économie dominait tellement la vie politique que sa transition avait été presque transparente et ses méthodes n'avaient que peu changées. Il s'assit un temps dans le fauteuil du Maire et se cala comme à son habitude.

En soit, il avait eu de meilleurs sièges à Shreck's Industries. Il pouffa en songeant qu'il n'avait jamais pris le temps de le changer. Il y avait tant de choses anodines qui auraient mérité que l'on s'y attarde. Il avait dû signer des autorisation pour changer des machines à café, il avait contre-signé le budget papier et encre de la Mairie, un inspecteur du travail avait un jour réclamé de sa part une revalorisation du temps de pause des techniciens de surface et malgré cela, il n'avait pas changé de fauteuil. L'administration était parfois bien étrange.

Le temps de la nostalgie n'était cependant pas de rigueur. Déterminé, Shreck se souleva de son siège et referma les pans de sa veste. Trenton avait besoin de lui, mais il avait des dossiers à clore et des affaires à transmettre. Il fit un mouvement du cou pour caler le col de sa chemise et prit une bonne inspiration. S'il était là ce n'était pas pour ressasser le passé mais avancer vers l'avenir. Il oublia la poussière des lieux, les portraits des maires, les absurdités inhérentes et nécessaires au fonctionnement de la bureaucratie, il oublia Shreck's Industries, il oublia Chip sous coma artificiel, il balaya les galas et les bals, il oublia les campagnes électorale, il oublia pourquoi il avait affronté Talia Head et se focalisa sur sa prochaine rencontre. Il fit glisser le document de passation sur le bureau et le souleva avant de se diriger vers une table située non loin. Pas question pour lui de recevoir la nouvelle Maire de Gotham dans le fauteuil, de sa part cela serait déplacé, de la sienne cela serait prématuré.

Il était temps pour lui de faire un compte-rendu de la situation et surtout de lui faire part de quelques volontés de sa part. Cela n'avait rien d'exigences, mais il tenait à ne pas laisser derrière lui des marques d'ingratitudes mal placées. Il avait été encadré avec brio ces derniers temps et tout effort mérite les récompenses adaptées. Il espérait rencontrer en cette jeune femme une personne compréhensive, elle serait de toute façon assez maligne pour comprendre la plupart de ses intérêts dans les quelques propositions du maire sortant.

Thomas frappa puis ouvrit la porte sous l'injonction de son supérieur.

- Mademoiselle Head est arrivé monsieur Shreck, fit-il doucement.

Maximilien se leva aimablement. Il était prêt pour ce premier face à face depuis le débat.

Thomas s'esquiva pour laisser la place à Talia. Cette jeune femme ne manquait pas de charmes, si Maximilien prenait en considération le panel habituel des points d'intérêts chez les partenaires masculins qui s'intéressaient à autre chose que l'argent et le pouvoir. Au fil des années il n'avait jamais pu se résoudre à succomber à proprement parler aux charmes d'une femme, sauf feu sa pauvre épouse, mais là encore la flamme de la passion avait trouvé peu de combustible en lui. Cependant, il avait compris qu'une femme disposait d'atouts pour atteindre des faiblesses chez ses adversaires. Il avait toujours pris soin de mettre à certaines positions (marketing, finance généralement), des femmes, il l'avouait, cela l'aidait aussi à jouer la carte de la mixité.

Cette femme avait peut-être profité un peu de ses charmes pour mener la compétition politique de Gotham et c'était dans les règles du jeu, mais cela était sans importance à présent. Il tendit une main conciliante et eut un sourire distingué, évitant de montrer un trop grand enthousiasme face à sa propre retraite stratégique. Il n'était jamais drôle de laisser du terrain à quelqu'un en qui l'on ne savait pas suffisamment de chose. La politique nécessitait ce genre de prise de risque.

- Mademoiselle Head, ravi que vous ayez daigné venir aussi vite, commença-t-il pour la forme, il se doutait bien qu'elle n'allait pas traîner pour récupérer sa place, il aurait fait de même. Puis-je vous offrir une boisson? Je vous en prie, prenez un siège.

Il posa une main soigneuse sur un fauteuil en cuir disposé devant la table basse. Pour la conversation qu'ils allaient entamer, il valait mieux une position de conciliation et de négociation. Il avait encore l'opportunité de pouvoir garder son titre, un discours ne voulant pas dire qu'il avait déjà signé son acte de renonciation devant la ville. Il resta debout le temps de pouvoir servir son invité, il n'allait cependant pas laisser de temps mort, il était important de régler tous les détails avant que les deux partis ne soient trop éreintés pour cela. Il déboucha la bouteille de Cognac qui l'avait soutenu pendant une année entière et en respira un temps le parfum. Les verres qu'il sortit tintèrent délicatement.

- Je me permet de passer rapidement sur l'évidence et vous félicite pour votre victoire, reprit-il avec douceur. Nous sommes tous deux gens intelligents et je me permet donc de vous parler du vif du sujet. Aussi aimerais-je que nous parlions des termes de ma... Il eut un petit rire amusé... reddition conditionnelle avant d'entamer la lourde tâche de la passation.
"Nous nous sommes opposés, j'en conviens et nous nous sommes affrontés publiquement, cela ne veut pas dire que nous ne nous comprenons pas et encore moins que nous ne sommes pas capables de conclure sur les mêmes choses. Pour avoir été Maire de Gotham, il y a bon nombre de choses que je regrette et bon nombre de chose que je suis satisfait d'être parvenu à faire. La politique demande parfois des contorsions tout à fait singulières et qui impliquent de mettre à plus tard certaine bataille à mener. A l'issu de cette élection, je me suis pourvu de trois moyens d'agir. Le premier sur un criminel notoire, monsieur Zsasz, la seconde contre la pègre, via monsieur Falcone et enfin la dernière, par les Justiciers d'Etat, Corps qui m'est très cher et que j'aimerais d'ailleurs importer à l'échelle de l'Etat du New Jersey, mais le problème n'est pas là. Mon départ rend ces trois points entièrement dépendants de vous à présent et j'aimerais beaucoup que vous acceptiez de vous en charger.

Shreck appréciait énormément les Falcones, ils géraient dans l'ombre un commerce que la ville aurait du mal à contenir sans eux, elle avait longtemps été le point central des activités illégales et par là même sa plus grande faiblesse. L'idée de leur rendre de façon graduée leur gloire d'antan avait été dans ses projets pour mieux l'abattre ensuite, mais le temps lui avait manqué et les ennemis de la pègres s'étaient multipliés, au point qu'il avait même dû envisager de se tourner vers Black Mask pour espérer s'en tirer à bon compte. Il convenait d'aider Talia à résorber un crime qui ne pourrait que rejaillir positivement sur son investiture au poste de Gouverneur. Les sacrifices, l'on en revenait toujours là.

- Monsieur Falcone m'a donné son appui en échange d'une place dans le Conseil de la Ville. Chose que j'ai naturellement accepté, ce dernier pensait pouvoir faire valoir une opposition forte en son sein. Ce qu'il peut parfaitement faire si l'on est peu vigilant, chose que, si l'on en croit les résultats des élections n'est pas votre cas. La famille Falcone est dangereuse pour Gotham mais sa meilleure arme est son invisibilité à toute vie sociale importante. Carmine se cache et se terre derrière des structures et profite de la loi pour mieux l'éviter, le mettre au devant d'une scène revient à lui faire quitter son terrain habituel et à le faire jouer selon de nouvelles règles, des règles qu'il ne maîtrise pas. Il n'y a pas de protection efficace contre l'opinion publique et tout puissant qu'il sera, une fois dans les rouages politiques, il devra faire face à ses rigueurs et ses frimas. Je ne puis que vous inviter à garder près de vous cet individu sous couvert de la promesse que je lui ai faite pour n'éveiller aucun soupçon autour de vous, mais cette décision est naturellement vôtre.

Il soupira un temps et fixa les tableaux accrochés au mur.

- Vient ensuite monsieur Zsasz. Fin manipulateur qui était en réalité Traviss Scozz et qui est venu me menacer en personne. Il m'a donné un lieu de rendez-vous et une date en espérant que je lui remette son dossier judiciaire en échange de ma vie et de celle de mon fils.

Mieux valait passer sous silence son accord pour quelques voix.

- Je n'ai hélas découvert cela qu'après qu'il m'ait apporté son soutient. J'ai glissé dans le dossier de passation la date et l'heure du rendez-vous avec les quelques modalités. Je ne doute pas que vous vous chargiez efficacement de lui.
" Et l'efficacité dont je présuppose est mon dernier point: le Justicier d'Etat L'Artiste. Ce dernier a fait preuve d'un courage et d'une détermination qui mérite notre plus grand respect. Il a accepté les missions les plus lourdes et les plus périlleuses sans jamais rechigner à la tâche et par là même à soutenu notre ville contre un crime grandissant. Je ne puis encore calculer tout le bien qu'il a répandu autour de lui, je vous encourage vivement à le récompenser, j'aurais aimé lui donner la direction d'une force d'intervention devant ses compétences ainsi que le médailler. J'appuierais personnellement de mon coté une demande auprès de monsieur Kane Finger pour qu'il obtienne une distinction fédérale, mais toute distinction locale ne pourra provenir que de votre prochaine autorité. Je n'aimerais pas qu'il se sente abandonné ni même qu'il voit de l'ingratitude dans mon départ, il mérite mieux que ce que jusqu'à présent la ville a pu lui offrir.

Il reboucha la bouteille de Cognac après s'être servit son verre.

- J'aimerais avoir votre avis sur mes quelques demandes, en espérant qu'elles ne vous paraissent pas trop lourdes à accepter, dans leurs mauvais comme dans leurs bons côtés...

Après avoir passé des années à tenter de manipuler ses occupants et à défendre son amant de leurs plans tortueux, Talia marchait pour la première fois dans la mairie de Gotham City, secrétariat de l'Enfer où l'on avait suivi à la loupe les déplacements de tous les Dante qui avaient mis le pied à Gotham City depuis le premier maire crocodile, voir même avant. Le pouvoir était à l'image de la ville, corrompu et malsain. Censé protéger la ville, le poing de l'Ordre et de l'autorité l'enserrait et l'étranglait de plus en plus chaque jour, presque aussi sûrement que si Ra's Al'Ghul s'en était chargé. Talia, se sachant surveillée et suivie, entendait néanmoins son pas lent, qu'elle avait aiguisé des années pour qu'il paraisse régalien, résonner entre les murs blancs et rouges de l'antre de Shreck. Elle avait encore un certain mal à considérer cet endroit comme un territoire conquis, comme si César était finalement entré dans le village d'Astérix et se rendait compte que le village irréductible auquel il rêvait tous les jours était en train de brûler. Le ventre étrangement noué, elle tenta d'occuper sa marche vers l'encore actuel maire en analysant ces pensées. Elle n'était pas encore, et de loin, sûre d'avoir la place tant pourchassée, mais de puissants frissons envahissait sa peau toujours trop blanche pour une native des plaines d'Arabie. Elle n'avait pas ressenti cela, et n'avait pas vu ses émotions provoquer des réactions physiques depuis très longtemps. C'était bien là la mesure de l'évènement qui pouvait probablement se dérouler dans quelques minutes. La guerre que son paternel avait déclenché des siècles plus tôt contre les forces du Mal pouvait prendre un nouveau tournant, et sa propre existence allait basculer si Shreck ne changeait pas d'avis et que Gotham ne se révoltait pas contre sa concession innatendue. Etre PDG ou CEO d'une entreprise était quelque chose, faire partie du gouvernement une autre, mais être mairesse de Gotham City était une situation très spéciale, et dans son cas très opportune, qui allait, qu'elle réussise la purge à travers son nouveau poste ou pas, marquer sa propre vie autant que les plans du Démon. Pour la première fois, Talia était aussi touchée de quelque chose que le monstre qui l'habitait sans exister. Voilà pourquoi elle se sentait aussi émue.

Il s'agissait de ne pas rater le coche, et de tout faire pour faire perdurer la suite d'évenements qui poussait le hasard à lui accorder le poste consulaire. Son cursus honorum avait duré une trentaine d'années, mais il pouvait s'achever aujourd'hui, et il lui faudrait se mettre au temps des mortels, s'adapter à la fuite rapide et pressée de leurs années pour converser avec Shreck et concorder avec son point de vue à propos de Gotham. Bien sûr, une fois Gotham prise, sa vision d'immortelle se poserait à nouveau sur la ville, et il en découlerait ce qu'il en découlerait. Aujourd'hui était spécial. Le schisme de la ligue ayant amené à la mort de Ra's Al'Ghul avait été providentiel, car si le vieil homme était encore de ce monde, il aurait tout tenté pour manipuler sa fille et conduire Gotham à sa façon. Elle savait que malgré sa volonté, Ra's pouvait faire plus de mal à la ville que le Purge ne le prévoyait. Voilà des siècles qu'il avait dépassé le cadre du "mal nécessaire" et c'était bien pour cela que le Batman l'avait traqué, et qu'il avait fini par abandonner Talia, ne voyant en elle que le reflet des horreurs perpétrées par l'immortel. Charnier, inquisition et morts inutiles s'était dérobés dans les yeux de la jeune femme à ce que Batman y voyait avant et ce qui s'y consumait toujours : un feu gigantesque, brûlant sans arrêt, pour Batman, pour l'avenir de son monde, et pour son fils. Damian... Le GCPD serait un allié de choix pour le retrouver, et en contrôlant la ville, elle pourrait sûrement le piéger et finalement le retrouver. Il ne pouvait pas avoir quitté Gotham. Il en était plus que capable, mais la présence de son père inconnu et de sa mère, meilleur soldat du monde ou pas, agissaient sûrement comme un aimant, pour un enfant. Car, elle était bien placée pour le savoir, la terreur des pires agents infernaux était toujours un enfant. Elle l'avait privé de sa jeunesse, mais livré à lui même, elle savait que ce passage obligé de sa construction ne se priverait pas de revenir au galop.

Le bureau du Maire se rapprochait, et les gardes du corps qui avaient silencieusement accompagnés sa traversée firent grésiller leurs talkie walkie. Le son agaçant, en surpassant celui du coeur de Talia, lui fit constater que son débit cardiaque avait augmenté et que pour une première fois qu'elle se rendait à un rendez vous le coeur battant, c'était dans de drôles de conditions. La prétendante à la mairie vérifia que son masque d'indifférence était bien installé sur son visage avant d'ouvrir la porte et fut surprise de voir la poignée tourner d'elle même sous ses doigts. Thomas, l'homme de confiance de Shreck, lui avait galamment ouvert la porte. Elle n'en laissa paraître aucune surprise mais remercia le jeune homme en passant devant lui avant d'aller reçevoir les salutations de son adversaire politique. Il n'avait pas bien changé depuis le débat qui les avait opposé, et paraîssait toujours aussi sûr de lui, mais cette confiance lui servait désormais à arpenter une autre voie. La fuite de sa jeunesse ne semblait pas le bouleverser plus que ça, et ses mouvements, encore très peu marqués de l'harmonie et de la précision du combattant, trahissaient néanmoins la solennité et l'assurance d'un homme de pouvoir, requin de la politique et drogué assumé à la came verte et rectangulaire. Talia s'assit sans trouver beaucoup à dire et écouta Maximillien poser ses conditions. Il était allé droit au but et alliait toujours autant subtilité et assauts littéraires sincères, comme lors du débat. Elle lui en était gré. Shreck était un personnage vraiment singulier.

Elle n'eut pas beaucoup à hésiter.


- Non merci, je ne suis pas très attachée au cognac. Par contre, j'aimerais avant toute chose exprimer mes sentiments quant à votre reddition conditionnelle. De la tristesse bien sûr quant à votre rêve de second mandat et ce qu'il aurait auguré, de l'espoir et des félicitations quant à votre nouvelle position de gouverneur, la hâte de travailler en coordination si le New Jersey désire aider Gotham, et de la gratitude bien sûr pour votre choix.

Soyez tranquilles, je m'occuperai de Zsasz, votre réaction devant sa révélation a été remarquable de courage, et si la Justice m'incombe, je veillerai à ce qu'il soit mis hors d'état de nuire rapidement. Il est désolant de constater qu'un tel monstre ait pu nous berner si facilement. Quant à Carmine Falcone, je crains que ce fameux étalon ne m'apprécie pas assez pour me faire confiance, mais je pense faire de mon mieux pour le garder sous la main. J'en aurais à vrai dire peut être besoin. Dans cette affaire, c'est sa volonté qui sera plus importante que la mienne. Je m'entretiendrai sûrement bientôt avec lui, pour régler cela, et vous serez le premier informé du maintien de vos promesses. Quant à celle que vous formulez pour l'Artiste, il se trouve qu'elles faisaient dèja parti de mes plans. Ce justicier a produit le meilleur rendement de votre mandat, il est un exemple pour les forces de l'ordre gothamites, je ferai en sorte qu'il soit récompensé à la hauteur de son mérite. Il y a dans vos conditions une part de danger, mais soyons sincères, je ne peux les contourner, et je ne le ferai pas.

Est-ce d'ailleurs là toutes les clauses de votre reddition ? J'avoue que je m'attendais à devoir signer les quatorze points de Wilson sous la menace d'une terrible nouvelle pour mes espoirs envers la ville.

La jeune femme était comme il l'avait imaginé: conciliante. Le businessman se dirigea vers un siège, son verre à la main et le dossier sous le bras. Il le posa délicatement avec son alcool et s'assit en prenant bien soin d'ouvrir sa veste. Son sourire ne quitta pas son visage et il inclina la tête en guise de remerciements lorsqu'il reçu les félicitations de sa remplaçante. Les remarques qui suivirent furent pertinentes, évidemment Carmine n'allait pas se faire avoir facilement, mais il fallait employer les bons leviers et avec un homme qui dirigeait une entreprise comme la sienne, les leviers étaient nombreux, le premier, l'argent, le second, le pouvoir et le dernier, la protection judiciaire. Trois éléments qui composaient en soi son empire.

Shreck fut heureux de de constater que Talia Head comprenait ce que combattre le crime à Gotham signifiait, les moyens étaient nombreux et ceux que la population pourraient regretter étaient dans la tête de liste. Elle allait devoir jouer finement son mandat mais il ne doutait pas qu'elle serait si ce n'est plus, au moins autant habile que lui pour faire le nécessaire et arpenter sans vaciller la frêle crête qui séparait l'illégalité de son opposé. Il croisa les jambes comme à l'accoutumé et se permit de répondre très aimablement à la réponse de son adversaire. Sa petite boutade à propos de la fin de la Première Guerre l'amuse.

- Si jamais vous désirez un café ou tout autre boisson, n'hésitez pas à la demander.

Sur cette politesse qu'il jugeait nécessaire, Max n'aimait pas boire seul, il reprit le fil de la conversation.

- Je vous rassure, nous ne sommes pas au même stade que l'Europe de la fin de la Guerre, il n'y a donc aucune raison de vous faire signer quoi que se soit et encore moins des décisions qui risqueraient de faire fléchir vos décisions ultérieures ni même risquer de vous mener dans des sentiers qui ne correspondraient pas à vos propres sensibilités. Ma renonciation ne doit pas être l'occasion pour moi de vous restreindre et encore moins de vous dire quoi faire. Cette place, que vous obtiendrez sitôt la passation achevée et mon serment de renonciation signé, sera la vôtre et en aucun cas la mienne. Mes précédentes petites exigences ne sont là que pour tâcher de ne laisser derrière moi qu'un mandat achevé et quelques points en suspends entre de bonnes mains. Je suis ravi que vous ayez un regard critique sur la situation et que vous compreniez les enjeux de cette ville.

Il se pencha pour saisir le dossier de passation et l'ouvrit. Se maudissant intérieurement de vieillir, il sortit ses demi-lunes et les posa sur son nez.

- Qu'il me soit à présent permit de vous parler de l'avenir de Gotham et des petites tâches qui vous incomberont. Je ne vous apprend sûrement rien, mais à votre arrivée vous aurez à composer le Conseil de la Mairie (12 membres) même si la plupart des villes d'Amérique procèdent à l'inverse, le peuple élit le Conseil et ensuite ce dernier élit un Maire en son sein. La démarche est purement historique dans notre ville et je suis sur que certaines personnes seraient mieux placées que moi pour en dire plus. La Mairie de Gotham a un rôle très particulier, là où elle est représentante de l'exécutif dans le reste de l'Amérique, elle dispose ici d'un poids important sur tous les autres pouvoirs malgré des tentatives pour assurer une meilleure séparation de ceux-ci. Le principal facteur est l'attention du peuple à la parole du Maire et moins à celle du procureur, normalement la seconde figure de tout pouvoir municipal. Et c'est ici qu'arrive votre premier problème: l'opinion publique. Dans les villes comme New York ou Washington, un maire impopulaire est remplacé par un autre membre du Conseil, ici vous serez seule. Personne ne sera là pour vous remplacer, vos discours devront satisfaire policiers, ouvriers, pilotes d'industries comme dans n'importe quelle ville, mais à Gotham, si vous les rendez très mécontents, alors vous aurez à vos trousses des assassins et des super-criminels, parfois même ils feront cela juste pour le plaisir. Enfin, passons sur ce point, je pense que vous ne manquerez pas de découvrir les bons et les mauvais côté de la ville.

" Je vous invite d'ailleurs à tenir prêt de vous monsieur Lindenberg, c'est un électron qui manque de stature pour sa charge, il joue au naïf et a longtemps profité de son arrivée fraîche dans notre ville pour palier à son manque de réactivité, mais vous ferez votre avis sur ce dernier. Vient ensuite le GCPD, la force vive de notre ville qui a subit de nombreux revers récemment. Je regrette d'avoir attendu un rétablissement de monsieur Gordon et d'avoir laissé à monsieur Mackenzie cette double charge de chef de la police et de commissaire. Je pense que la première chose que l'électorat attendra de vous sera de nommer un nouveau commissaire et si besoin un nouveau Chef de la police. De toute façon il vous faudra un très bon soutient de la part de la police.

Il se décida finalement à ouvrir le dossier plastifié frappé du symbole de la ville de Gotham.

- En tant que Maire sortant, je me dois de vous présenter le dossier de passation. Je vais vous lire officiellement et personnellement l'introduction du dossier de passation pour que vous soyez parfaitement aux faits de ce qui vous incombe une fois ce dernier signé et validé:

"Le présent dossier de passation a pour but de redéfinir le bilan de l'exercice précédent validé par le Gouverneur de l'État dans laquelle est localisée la municipalité. Ce dernier doit impérativement contenir toutes les informations liées à la bonne tenue de la ville et sera le garant d'une période transitoire la plus courte et le plus naturelle possible. Ce document engage l'intégralité des membres du Conseil de la Ville qui ont contre-signé la rédaction ainsi que du représentant officiel mandaté pour tenir le rôle de Maire de la Ville pendant ceux-ci, de même, il revient au destinataire du document, de s'assurer de la pleine correspondance du document à ses prérogatives judiciaires."

" Voilà pour cette merveilleuse introduction fournit directement par les bureaux du procureur de l'État. Pour simplifier les déclarations officielles, si vous considérez qu'il y a dans ses pages des éléments incomplets ou ne répondant pas à vos besoin pour mener votre prochain mandat, alors il vous faudra me les faire connaître et demander à l'ancien Conseil de la Ville de se réunir pour palier à cette incomplétude.

Il tourna quelques pages et tomba sur le sommaire.

- Je me permet de vous résumer le contenu qui n'a rien à voir avec le bilan de mon exercice, puisque ce dernier a été rendu public et validé par monsieur Kane Finger. La seconde partie de ce document contient les conseils et les prévisions statistiques sur les chantiers entamés par la Mairie, qu'ils soient liées à l'économie, l'urbanisation, la tenue des associations ou bien d'autres sujets, l'important est qu'il n'y ait aucun projet lancé délaissé. Il contient également les études de faisabilité de projet non entamés par la Mairie mais qui ont fait l'objet d'une étude économique et technique sur leurs potentielles. Elles ne sont en aucun cas des points à mener mais correspondent à des besoins identifiés par les nombreuses réunions de l'ancien Conseil de la Ville. Ces derniers peuvent d'ailleurs faire l'objet de discussion entre nous au besoin, je suis très au fait de la plupart d'entre eux, les plus mineurs ayant été délégués.

"Voici une liste récapitulative des chantiers mis en œuvres et nécessitant un suivit:
- Mutation d'Arkham City vers New Gotham City;
- Création du Corps des Marshall;
- Création du Corps des Justiciers d'État;
- Urbanisation des quartiers périphériques de la ville. Chantiers entamés: Park Row et Otisburg, chantiers prévus en attente de validation de budget: Grammercy Row, Amusement Miles, Robinson Park;
- Rénovation de la zone industrielle"

Il tourna une page et passa une langue sur sa lèvre inférieure.

- Concernant les Marshalls, leur mission est considérée dans ce document comme un échec sur le moyen terme, une réussite sur le court terme et une existence non viable sur le long terme, le Conseil de la Ville a d'ailleurs proposé une fusion avec le Corps des Justiciers pour leur permettre une force plus vive. L'unification de ces deux corps, pour des raisons budgétaires et politiques, nécessite d'être prise en charge par la Mairie et non le GCPD du fait de son instabilité et ses démonstrations de mécontentement face au pouvoir public.

" Pour New Gotham City, les points de ce dossier sont les mêmes que les nôtres, le pénitencier doit fermer ses portes pour soulager l'économie de la ville et assurer son expansion démographique, l'intégralité de la zone qui s'ouvrira a été rénovée par des industriels, ce sont des logements pour la plupart populaire, sauf aux environs du Bowery qui disposent d'appartement plus spacieux et donc propice à une meilleure gentrification, c'était un désir de nos services d'urbanisation au moment d'établir les plans de reconstruction.

" L'urbanisation de la ville est un projet à grande échelle autant spatiale que temporelle, elle signifie une amélioration de la qualité de vie dans notre ville. Les centres tels que Midwtown et Brunley ne sont pas rentrés dans cet immense projet car ils n'en ont nul besoin, justes quelques rénovations ont été engagées. Ce plan d'urbanisation, vous aurez plus de détails dans ce document contient ré-aménagement des égouts, enfouissement de fibre optique, installation de nouveaux conduits d'électricité, de gaz et d'eau. Le plan prévoit un dialogue avec Wayne Tech pour rénover la centrale électrique de la ville et assurer son indépendance énergétique pour les prochaines dix années à venir. L'entretient du centre d'épuration de Gotham est également à l'ordre du jour des prochains chantiers. La rénovation de Old Gotham a été laissé à monsieur Cameron Van Cleer, propriétaire des lieux et il doit être engagé des pourparlers avec monsieur Julien Morgan qui détient l'East End pour prévoir les nouveaux travaux dans le port.

" La rénovation de la zone industrielle est suivit par la Banque Fédérale qui nous a proposé de nombreux plans d'investissements pour la remettre aux normes, étant donné votre engagement écologique, je ne doute pas que vous vous montriez décidés dans ces discussions.

Shreck ferma le dossier et saisit son verre pour boire une gorgée de Cognac.

- Avant d'entamer les perspectives d'avenir pour Gotham, désirez-vous revenir sur un point précis pour avoir des détails?

We're up all night to get lucky.

Le dossier de passation était complet et étrangement bien organisé pour une paperasse mise à jour la veille seulement, lorsque le gagnant des élections municipales avait pris sa décision. Shreck avait dû le lire plusieurs fois avant le rendez-vous, tant sa lecture était fluide. L'image d'un maire passif ne pouvait résister à son évidente connaissance des principaux dossiers et des enjeux que devraient remplir la mairie durant le prochain mandat. Il avait en tête des dates, des noms, des lois, tout un monde théorique, caché derrière le quotidien des Goothamites et que Talia allait enfin contrôler pour justement changer Gotham en profondeur. Les arcanes politiques d'une ville n'étaient évidemment pas les mêmes qu'elle avait connu à l'échelle américaine et mondiale, mais il y avait bien entendu des similitudes : des personnages importants qui faisaient avancer les choses, des personnages à garder à portée de main, d'autres qui génaient et qu'il fallait repousser du pouvoir dès les premiers pas du gouvernement Head. Il y avait des plans, des graines mises en terre par l'ancien gouvernement et qu'il faudrait arroser, mettre en jachère ou éliminer aussitôt, selon leur rapport avec son propre programme. Il y avait le futur selon Shreck, le futur selon Talia et le futur qui allait vraiment se dérouler, et tous trois partageaient les mêmes bases, de mêmes colonnes destinées à supporter une structure versatile. Une mairie différente.

Cependant, elle devait pour la construire accepter des clauses, et ce que Shreck proposait avait ses avantages et ses inconvénients. Certains aspects de l'héritage proposé par le directeur général endurci ne collaient pas avec ce qu'elle avait montré à Gotham et ce pourquoi elle comptait en reprendre les rênes, mais l'essentiel était de bonne augure pour la suite des choses, et les principaux problèmes à surpasser dont Shreck dressait la liste n'étaient pas très surprenants, et c'était peu ou prou ce à quoi elle s'était attendue. La possession de deux quartiers de Gotham par des particuliers et leur monopole industriel en ces deux sites posait quelques problèmes, et elle avait hâte de s'entretenir avec ces hommes d'affaires particuliers pour s'assurer de son autorité sur la ville au plus tôt, mais ce n'était pas de vrais menaces en soi. Pas pour la Ligue. Talia attrapa sur le bureau l'un des stylos du quasi-gouverneur du New Jersey et se mit à réfléchir alors qu'il terminait son long monologue introductif et explicatif, tout en se recoiffant négligemment. C'était un tic qu'elle avait toujours eu d'aussi loin que son immortelle mémoire s'en souvenait, et avec sa passion pour Batman l'une des seules choses qu'elle n'arrivait pas à changer chez elle. De toute façon, cela était peu dérangeant et personne ne s'était aventuré, qu'elle fut fille du chef ou chef elle même, durant sa vie à lui demander de laisser sa coiffure tranquille. Personne n'irait embêter la maire là dessus non plus, à moins de chercher vraiment loin la tradition ancestrale de la « critique du pouvoir », rendant toute personne d'autorité méprisable ou soi disant corrompue aussitôt qu'elle était élue.

- Merci monsieur Shreck, je me contenterais d'un thé vert, si cela ne dérange pas

Le plan d'urbanisation mis en place, tel qu'il est actuellement considéré, ne me pose pas de problèmes majeurs. Je saurai le mener à bien, pour le bien de Gotham, et si évidemment quelqu'uns de vos projets devront être substitués par d'autres, ce sera par nécessité et pour le bien de Gotham. Le défi de la redynamisation de New Gotham City me semble le point le plus important, si ce n'est du mandat, de ce plan, et votre vision en est juste. Bien sûr, ma vision écologique de la chose influera et nous en discuterons très vite avec les instances rassemblées, la Banque Fédérale incluse. Les partenariats avec Wayne Tech seront, vous vous en doutez, développés si je le peux rapidement, et je place dans une plus haute priorité le réaménagement des égouts, qui semble plus important que le Conseil ne semble le penser. Tout sera vu à ces sujets lors des premières séances municipales, je présume
Par contre, comme vous vous en doutez, la fusion des Marshall et des Justiciers d'Etat ne se fera pas de cette façon là, puisque le corps Marshall sera supprimé, et donc la redistribution des membres du Corps sera suivie par la Mairie, mais ne rentrera pas dans le cadre d'une fusion avec les Justiciers. J'espère que cette vision de la fin de cette institution ne vous gêne pas. D'autre part, je ne sais encore trop que penser du procureur Lindenberg, mais vos conseils sont probablement d'excellente manufacture. Je n'ai pas de révolte majeure à fomenter contre ce bilan. Mon dieu, j'ai toujours envie d'ajouter un r à ce mot. Nous pouvons, je pense, continuer.

- Cela ne me dérange naturellement pas, répondit le businessman en se levant de son siège.

Thomas devrait probablement pouvoir lui trouver un thé vert sans aucun problème, vu le nombre de secrétaires au bord de l'anorexie qui se gavaient de magasines pro-minceurs ou qui dévoraient sur le net de fabuleux articles qui définissaient la médecine orientale comme le summum de la mode médicale. Il avoua sur le moment être surpris, généralement les gens préféraient un café bien noir ou un verre d'alcool, mais tout aussi généralement, Maximilien ne traitait pas avec des femmes, écologistes, de surcroît. Après avoir ouvert la porte et réclamé de quoi satisfaire la future maire, il revint tranquillement à sa place et écouta avec une grande attention.

En un sens, il était ravi que cette jeune femme ne se laisse pas faire et qu'elle comprenne les enjeux de l'avenir de Gotham tout en sachant y projeter ses propres convictions. Il était important de toujours laisser la place à quelqu'un qui ne s'encombrait pas d'une vision écrasante du passé. Shreck avait agit d'une façon différente de son père à la tête de l'entreprise familiale, il avait agit différemment de ses prédécesseurs à la mairie, il fallait toujours être soi avant d'être un autre lorsque l'on vous mettait du pouvoir entre les mains. Il était impensable de considérer sérieusement quelqu'un qui vous disait "amen" à tout et qui plus est n'osait pas dans une discussion comme celle-ci, apposer si ce n'est ses propres exigences, tout du moins ses propres idées. Être Maire de Gotham City c'était affronter avec sa personnalité seule un torrent d’événements imprévisibles, à un tel point d'ailleurs que même les organisations Fédérales ne parvenaient pas à les prédire non plus.

- Je comprend parfaitement votre point de vue et je les respecte, reprit Shreck.

La fin du corps des Marshall n'était pas en soit une grande perte pour l'image de Shreck, c'était un corps de cow-boy certes mais qu'il avait cru assez fort et puissant pour s'opposer au crime. Faire une force de frappe relativement libre d'agir face à un crime qui n'avait aucune limite était apparue jadis comme digne d'intérêt. Mais tout ce que l'on entreprend ne peut pas fonctionner au mieux. Pour le procureur, il ne doutait pas que cette jeune femme sache exactement comment le prendre et comment le faire marcher au pas. Il eut un sourire pâle en imaginant la Mairie dicter sa conduite au Palais de Justice et un rire franc en entendant la petite plaisanterie de cette jeune femme sur le mot "fomenter".

- Je pense en effet que nous pouvons reprendre, déclara-t-il en rouvrant son document. Voici à présent les perspectives pour Gotham City. La plupart sont portées sur les efforts de la ville pour réduire son déficit budgétaire, elles sont liées avec New Gotham City notamment, la gentrification des zones, nous en avons parlé et naturellement les affaires portuaires et l'attraction touristiques.

" L'actuelle criminalité et Arkham City ont rendu l'attraction de Gotham City proche du zéro absolue. Tout le monde la voit comme une cité rongée et désormais tournée uniquement sur son industrie et l'économie, chose qui naturellement n'est pas considérée comme absolue par les membres de l'ancien Conseil. Pour cela, et c'était un point de mon programme, il y avait plusieurs efforts à fournir, sur plusieurs fronts. Une fois encore, celles-ci ne sont que des propositions.

" L'attraction de Gotham devait être assurée par trois points très précis. Premier point, la remise aux normes de certaines salles du Gotham Stadium et son extension pour des activités saisonnières et touristiques. Second Point, pour profiter de la réfection du Port et de ses installations, nous pensions à la construction d'un port de plaisance et d'une plage, les plans et les estimations du projets sont contenus dans le dossier, je me permet de ne pas vous assommer avec les chiffres. Enfin le troisième point est la rénovations de certaines quartiers tels que Old Gotham avec des partenaires. Notre architecture est considérée encore aujourd'hui comme tout à fait singulière et historiquement fascinante, Midtown et Burnely devraient eux aussi profiter d'une petite remise à neuf.

L'on frappa à la porte, Thomas entra avec un plateau. Dessus, une bouilloire fumante reposait aux côtés d'une tasse propre retournée sur sa coupelle, d'une cuillère en argent et d'un set en bois d'érable dans lequel reposaient des sachets de thé. Il déposa le tout en s'excusant de son interruption et repartit en gratifiant Talia Head de son sourire le plus poli. Maximilien tourna pendant ce temps quelques pages du document.

- Je crois que nous allons pouvoir aborder le dernier point de ce document. L'Asile d'Arkham et le pénitencier de Blackgate. Ces deux établissements sont hélas emblématiques de notre ville et ils ont fait l'objet de récentes rénovations, profitant des apports de nos partenaires industriels de New Gotham City. Cependant, le Conseil de la Ville et moi-même nous montrons extrêmement déçus par le peu de résultats de ces deux institutions pour contenir le crime et le gérer. Nous avons donc proposer une réforme de l'administration des deux établissements. Actuellement, les pleins pouvoir sont octroyés à un Directeur nommé par la Mairie, directeur qui rend plus ou moins compte au Conseil de la Ville de ses résultats, mais cette organisation souffre d'un manque flagrant de réactivité. Nous pensions donc établir entre les murs des deux établissements un rapport pyramidal.

" La voici: Chacune des deux institutions se verrait dotée d'un Comité d'Administration similaire au Conseil de la Ville, ceux-ci choisiraient un directeur, qui n'appartiendrait pas au Conseil ni au comité, ce directeur aurait toute latitude pour proposer des réformes mais ne pourrait le faire sans l'aval du comité à la majorité absolu. Naturellement, la Mairie disposerait d'un siège et le maire pourrait s'y faire représenter avec un droit de véto absolu sur toutes les décisions. Le budget alloué à ses structures resterait à la discrétion de la mairie puisqu'elles sont toujours sous sa tutelle, mais au lieu de devoir utiliser des ressources humaines de l'Hôtel de Ville, il reviendrait à Blackgate et à l'Asile d'établir des budgets prévisionnels. Cela améliorera drastiquement la gestion des deux établissements qui souffrent d'un laisser-aller flagrant dans la plupart de leurs services, notamment comptables.

Shreck s'octroya une petite pause en atteignant la dernière page du document. L'heure de la signature était venue. Il déposa le document sur la table et tira de sa quatrième de couverture une feuille intitulée "Serment de Renonciation" en trois exemplaires.

- Nous voici donc au grand moment de notre rencontre, conclut Shreck. Si vous ne voyez aucun point à revoir, nous allons pouvoir achever cette discussion sur votre prise de poste officielle. Je vous laisser parapher de vos initiales et de la date du jour chaque page paire du document. Lorsque cela sera terminée, vous pourrez signer la dernière page avec la mention "Lu et approuvé", je ferais ensuite de même.

Shreck sortit son stylo plume fétiche, il avait signé tant de document avec. Il n'aurait jamais cru devoir l'utiliser pour renoncer à un poste. Il se saisit des trois exemplaires de son serment de renonciation et les remplit avec soin. La date, la personne à qui profiterait la renonciation, la mention signifiant qu'il le jurait sur l'honneur et devant la Nation. Et enfin, la signature. Il sentit en lui se briser quelque chose. Il tournait une page immense de son existence. Lorsque tout serait terminé il repartirait dans son manoir que l'on vidait pour son penthouse de Trenton. Il fermerait les derniers dossiers, observerait la date et le droit d'envol de son jet-privé pour rejoindre la capitale et Gotham serait derrière lui, loin derrière. Il soupira lorsque sa plume quitta le dernier papier. L'encre formait encore des petites gouttes sur la surface blanche du papier.

Lui Maximilien Shreck, venait de quitter la mairie et la vie politique de Gotham City. Il était 22H00 et l'horloge de la ville sonnait dans la nuit de glace...

C'était décidément une nouvelle ère qui commençait pour une nouvelle Gotham. Avec la mort, dont Talia était encore inconsciente, du chevalier Noir et l'accès à la Mairie de cette dernière, ainsi que l'escalade rapide et terrifiante du terrorisme intérieur avec ces pluies de corps macabres, la ville s'engageait décidément et résolument sur une nouvelle voie, plus sombre encore puisque le Batman avait disparu et qu'avec lui, une légende et beaucoup d'espoirs allaient probablement être soufflés comme toutes les vies que les Mutants avaient si rapidement ôtés. C'était à la Mairie réimaginée de la fille du Démon d'accompagner la ville dans ce changement et de contrecarrer l'avancée du Mal pour faire en sorte que Gotham sorte purifiée du mandat de l'immortelle et du sacrifice héroîque du Détective. Les mains de Shreck ne tremblaient qu'à peine, et il ne laissait pas paraître son émotion lorsqu'il signa les différents papiers qui mettaient l'avenir de toute une ville entre les mains de la reine des ombres, et elle devina que d'une certaine façon, il n'était pas mécontent d'échapper à toutes ces menaces auxquelles Gotham devait faire face chaque jour et au danger certain que la place de Maire de la partie immergée de l'Enfer rendait évidente. Probablement, plusieurs fois, même corrompu, l'ancien président directeur général avait vraiment tenté de faire du bien à Gotham, en improvisant les Marshall ou peut être New Gotham City mais rien n'avait marché. Et c'était normal puisque face au chancre qui recouvrait la ville, rien d'autre ne pouvait marcher que les plans du Démon, prévus des milliers d'années plus tôt et enfin, enfin applicables.

Tout en savourant à petites gorgées les effluves orientales et les subtilités mentholées de sa boisson, Talia observa sans mot dire le processus de signature et lut attentivement les différentes paperasses, toutes écrites en anglais, qu'elle allait approuver. Elle sentit sous ses pieds les vibrations noires de la ville qui la poussait à signer, comme une provocation mutine de la bête qu'elle êtait, mais Talia ne bougea pas. Elle ne bougerait pas sous les pluies de machabbés lancées par des forcenés qui voulaient montrer leur originalité gore, elle ne bougerait pas sous la pression des mafias et des alliances longuement négociées, ni sous les balles des déments que la ville abritait. Voilà des siècles que les Al'Ghul, père et fille, avaient dépassés cette violence humaine, cette passion de l'instant qui amène la guerre, à l'échelle de tas de chairs ne se baladant qu'un siècle au maximum sur une planète qu'ils ne cessaient de corrompre et de salir. Elle savait comment les traiter, et elle en avait désormais la possibilité.

Plus tard, l'annonce de la mort de Batman ne ferait qu'apporter la colère, une colère indicible au moulin de sa vengeance nourrie du pouvoir municipal. Talia signa les papiers en prenant son temps, et sans user de façon abusive l'encre du nouveau gouverneur de New Jersey, il en avait encore besoin pour écrire l'Histoire, de son côté à une échelle plus nationale. Elle sourit même, lorsque le processus fut terminé et attendit qu'il appose se dernière signature, comme indiqué, avant de se lever et de remercier le vieux mortel pour son mandat, ses efforts envers Gotham et sa décision d'abdiquer, puis l'encouragea quant à sa nouvelle carrière avant de saluer son adjoint et de se rendre au balcon de la mairie, accompagnée de gorilles en cravates.

Seule. A découvert. Devant la foule. Devant la ville. Sa ville. Talia inspira un grand coup. Elle n'avait pas préparé de discours d'investiture, mais elle voulait se montrer au devant des criminels et des parasites qui empoisonnaient sa vie et celle des autres humains depuis Ur, voir depuis l'Eden pour leur montrer qu'elle n'avait absolument pas peur. Elle eut le temps de penser que surmonter une foule de civils pleins d'espoirs mais prêts à la critiquer au moindre faux pas était autre chose que surmonter une foule de soldats prêts à faire du trampoline sur un terrain miné si elle le demandait. Puis elle commença.

- Gothamites ! C'est désormais officiel. Maximillien Shreck sera prochainement nommé gouverneur du New Jersey, et je suis votre nouvelle Maire. Cela signifie que nous allons désormais tous avancer ensemble, que je serai votre guide et que vous serez le mien, comme le veut la démocratie, pour emmener Gotham plus loin, loin de ceux qui veulent la salir, et en faire la ville dont vous rêvez. Dont je rêve, avec vous ! Ensemble, nous allons traverser les aléas de l'économie, nous allons l'adapter à l'écologie et au respect de nous mêmes et de notre planète, de notre ville donc. Nous allons faire en sorte de la rendre plus équitable entre tout le monde. Nous allons travailler, c'était un des grands axes de mon programme, à sécuriser cette ville, à assurer notre, votre, sécurité, celle de vos enfants, celle de vos parents, celle de de vos amis, celle de vos leaders. Le terrorisme s'est installé à Gotham, malgré les.. les essais de l'ancien maire, il s'est développé jusqu'à atteindre un seuil critique, atteint ces derniers jours en héritage de l'attaque des Légions d'Hécate, de triste mémoire.

Mais désormais, nous nous mobiliserons ensemble, je ferais le travail bien sûr, mais nous serons tous concentrés à la Mairie vers votre sécurité, pour éradiquer la peur et l'insécurité. Ces démons hurleurs qui fondent sur vous en hurlant et en dépeçant ne me font pas peur, ce sont des ennemis de pacotille. Bien sûr, je prends ces menaces au sérieux, mais ce ne sont pas les pires. Les déments laids qui prennent du plaisir à torturer sont dépassés depuis longtemps, ils sont visibles de loin, puisqu'ils passent leurs temps à hurler qu'ils sont là et qu'ils sont méchants. Ce sont des monstres qu'on peut prévenir, qu'on ne peut pas guérir, ce sont des plaies, tout simplement, qu'il faut supprimer. On peut les voir venir, on peut les prendre en vidéo pendant qu'ils grimacent en lâchant des cadavres et faire des AMV Evanescence à leurs sujets. La Mairie les éradiquera, mais elle s'interessera aussi aux ennemis plus discrets du peuple Gothamite, ceux qui font plus de dégats mais qui restent silencieux, ceux que l'ancienne mairie ignorait. Les super vilains à capuches, la mafia, les corruptions. La Mairie, la Justice et la Police seront purifiés très vite grâce à la Grand Enquête, puis nous irons frapper à la source pour les déloger de leurs cachettes.

Je te le promet, Gotham ! Bats toi au côté de la Mairie, pour ta ville, engage toi, respecte ta ville et ta planète, et bientôt Gotham sera un endroit d'


HRPG : Mon mandat commence !