J’arrête ma fidèle Killjoy au poste de contrôle qui mène à New Gotham City en brandit ma carte de presse et mon accréditation. La barrière s’ouvre, les gardes armés me laissent passer et je remets doucement les gaz pour rouler jusqu’à l’hôpital d’Arkham. Je ne peux pas m’empêcher de frissonner en parcourant cet endroit, et pourtant bien des choses ont changées depuis qu’Arkham City, la ville-prison à ciel ouvert, le morceau de la ville dans laquelle on a entassé les pires tarés de la planète. Depuis que je m’y suis retrouvée. Deux fois. La première fois, c’était Knox, mon ancien patron, qui m’y avait envoyée pour me mettre à l’épreuve, voir si j’avais les tripes d’y aller, de m’infiltrer, et de rester. Première expérience qui a eu du bon, vu qu’elle a pu m’ouvrir les portes du Globe. Sauf que la deuxième était beaucoup moins intéressante… Quincey Sharp, l’ancien maire, et taré notoire à ses heures perdues, avait une dent contre moi, ou plutôt, me voyait comme une menace. Et m’y a renvoyée, en tant que pseudo prisonnière politique, sans aucun soutien bien sûr, et sans aucun motif légal. Cette fois-là, c’est par mes propres moyens, et aidée par Azrael, mon camarade de galère dans cette histoire, que j’ai réussi à me barrer et à sauver ma peau.

D’immenses travaux sont mis en place pour tenter de rendre figure humaine à cette zone sinistrée, mais les bâtiments gardent encore des cicatrices de leur annexion forcée : des impacts de balles, des façades éventrées, des tags qui restent un peu partout… Heureusement, la présence de gardes armés un peu partout me rassure un peu.

Je gare mon fidèle destrier devant l’hôpital, et je dois à nouveau montrer patte blanche pour arriver à pénétrer dans le bunker qu’est devenu l’étage qu’occupe le Joker en attendant son procès. Trois check-up plus tard, j’arrive enfin à l’étage de ce taré, et deux flics m’escortent dans les couloirs vides de tout médecin ou infirmière, mais plein de flics. A croire que la moitié du GCPD est là. Après une fouille méticuleuse de ma besace et de ma personne, l’un d’entre eux m’ouvre la porte et me fait signe d’entrer. Mes mains tremblent légèrement alors que je m’avance dans la pièce faiblement éclairée. Le locataire a descendu les stores et seule une petite veilleuse se débat contre l’obscurité.

Joker ? Je m’appelle Theodora Wesson, journaliste au Gotham Globe… Le docteur Arkham vous a parlé de moi, j’aimerais vous poser quelques questions… est-ce que vous êtes d’accord ?

Mon coeur se met à battre plus vite alors que je pénètre dans l’antre de la folie. Je n’ai jamais aimé les hôpitaux, alors les hôpitaux psychiatriques, et surtout celui-là, gardant quelques uns des plus grands tarés de l’histoire de la Création me met franchement pas à l’aise.

Heureusement, j’entends le cliquetis de ses menottes alors qu’il se redresse pour me regarder entrer, et ça me rassure un peu. Au moins le fauve est un minimum tenu en laisse. Maintenant, je prie surtout pour deux choses : que ce soient les menottes les plus solides de l’univers, et que les gardes aient une ouïe suffisamment bonne pour m’entendre à la seconde où je me mettrai à hurler (et qu’ils ne soient pas plus occupés à mater un match de football ou de basket que de surveiller mes miches).

Je farfouille dans ma besace et en retire mon enregistreur que je pose sur la tablette qui se trouve entre nous deux, après avoir vérifié le niveau de batterie et qu’il fonctionnait. Je sors aussi mon calepin sur lequel j’ai préparé mon petit interview, et je m’assieds enfin, prenant soin de mettre la chaise un peu de biais pour pouvoir plus facilement me lever en cas d’emmerdes. J’inspire profondément, lance mon enregistreur et commence, veillant à ne pas le regarder dans les yeux.

Bonjour Joker, et merci d’accorder cette interview au Gotham Globe. Toute la ville ne parle que du procès retentissant qui va avoir lieu dans les prochains jours, mais avant d’en parler plus longuement, j’aimerais qu’on parle un peu de vous. Qui êtes-vous vraiment ?

Putain j’ai l’impression de me retrouver dans Shining puissance mille, et s’il n’y avait pas eu ce troupeau de gardes partout autour de moi, je crois que je me serai barrée en courant. Voire accepté de me faire sacquer au boulot pour pouvoir bleuter. Mais évidemment, mon nouveau boss m’a confié ce « cadeau ». Une soi-disant opportunité pour moi et ma carrière. Sauf que je sais pertinemment que c’est parce que tout le monde avait la trouille, et que j’ai une réputation de cramée après mon coup d’éclat en guise de bienvenue à Arkham… Arkham … dire que lui et moi nous nous sommes déjà croisés là-bas, quand j’étais serveuse au Lounge et qu’une réunion de tous les super méchants s’était tenue dans l’arrière salle. A vrai dire, il aurait dû être sacrément doué pour m’avoir reconnue. A l’époque j’avais les cheveux teints en noirs, de faux tatouages sur les bras, et quelques piercings. Mon nom aussi était différent… Babe Ruthless… mon nom de mauvaise fille.

J’écoute sa réponse, tout en priant pour qu’une lampe se rallume. C’est hyper angoissant d’être quasiment plongée dans le noir, de l’entendre sans le voir. Enfin, je ne sais pas ce qui est pire des deux : voir sa face déformée et grimaçante, ou l’entendre simplement dans le noir. Je me doutais bien que je ne tirerai rien de lui par rapport à son passé. Il se réinvente à chaque fois qu’il ouvre la bouche, et restera un mystère complet.

Je… et parlons de… du procès qui va avoir lieu… Que dites-vous des accusations qui sont portées contre vous ?

Je sens mon cœur qui bat la chamade alors que suis dans la même pièce que ce malade. Il est glaçant, rien que le fait de le savoir là me donne envie de me barrer à l’autre bout de la ville. Putain, Harley Quinn doit vraiment, vraiment être tarée pour être raide dingue de ce type. J’ai la nausée rien qu’à m’imaginer me rapprocher un tout petit peu de lui, alors l’embrasser…

Je sursaute violemment quand il se met à brailler à propos du procès, une voix grinçante comme un ongle passé sur un tableau noir. Heureusement la lumière s’allume et je suis soulagée de retrouver un monde autour de lui, de ne plus avoir l’impression d’être seule et perdue face à ce monstre.

A nouveau il part dans son délire et cette fois il parle d’oiseau. Je me recule un peu, reprends mon souffle et attaque à nouveau mes questions. Il ne me laisse rien, aucune information, aucune possibilité, rien qui ne puisse me servir pour mon interview.

Joker… Pourquoi avoir enlevé l’assistante du procureur, Rachel Dawes ?