La pluie battait le pavé, le vent agressait les rares passants qui avaient osé braver les intempéries et faire un passage à l'intérieur de New Gotham City. Si les nouvelles mesures de la ville-prison avaient été annoncées, peu de courageux de la ville principale avaient eu l'envie et la foi d'aller "de l'autre côté" et d'évoluer auprès de criminels violents qui avaient été auparavant transférés dans ce terrible territoire.
L'homme qui venait de glisser la clé dans la porte d'entrée des locaux de Bard Investigations en faisait cependant partie. Mais ce n'était pas la première fois qu'il passait le mur et s'aventurait ici.

Jason rentra à l'intérieur de son quartier général, des semaines après l'avoir abandonné, humant avec plaisir l'odeur de tabac froid, chassant avec rage les fagots de poussière qui s'étaient formés avec le temps. Il fut rassuré et heureux de découvrir que les pots-de-vin et les menaces qu'il avait laissés avant de partir avaient compté : personne n'avait osé s'en prendre à ses locaux, et il retrouvait enfin sa véritable maison, loin de la chambre d'hôtel qu'il louait depuis l'instauration du projet fou de Killer Croc et Quincy Sharp. Evidemment, il ne pouvait pas rester ici toute la journée, mais au moins pouvait-il travailler ici grâce au laisser-passer donné par la mairie ; c'était déjà une évolution positive.

Se laissant lourdement tomber sur son fauteuil usé, le détective privé s'empara de son paquet de cigarettes et s'en alluma une. Inspirant la fumée, se détendant après cette foutue pluie et l'épreuve difficile de passer les murs devant les gardes de la ville-réinsertion et leur sale petit sourire, il se demandait ce qu'il allait pouvoir faire de sa journée. Maintenant qu'Arkham City était devenue New Gotham City, maintenant que Max Shreck avait pris la suite de Quincy Sharp et répondait positivement aux ordres du Gouverneur d'Etat Kane Finger, la situation commençait à se pacifier. Les Gothamites pouvaient rejoindre les criminels dans leur antre après une demande auprès de la mairie, et les contrats pour récupérer quelques éléments et personnes de l'autre côté du mur allaient se raréfier. Lui qui n'avait gagné sa pitance ces dernières semaines uniquement sur ce genre d'affaires allait devoir retourner auprès des affaires de divorce, d'enlèvement et de disparition. Joie et félicité.

Soufflant la fumée par ses narines, fixant le plafond, Bard se demandait comment lui allait pouvoir s'en sortir. Il prenait de plus en plus de médicaments anti-douleurs et leur effet était de moins en moins présent. La souffrance et la gêne s'intensifiaient, et il n'arrivait presque plus à dormir. Ses relations avec le G.C.P.D. se faisaient de plus en plus difficiles, et il savait que la nouvelle mairie ne l'apprécierait certainement pas quand elle apprendrait son existence.

Au fond, Jason n'avait plus rien dans son existence : pas de femme, pas d'emploi fixe et intéressant, pas de maison, pas d'ami - enfin, presque pas d'ami. Il appréciait énormément Theodora Wesson et Lulla Brogan, mais il savait que c'étaient avant tout des relations de travail. Elles l'avaient engagé, il avait rempli sa part du contrat même si ça n'avait pas été facile.
Maintenant, les deux jeunes femmes continuaient leurs routes - et sans vraiment se soucier du bon vieux détective privé. Brogan était en couple avec un bellâtre blond et étranger, et Wesson avait enfin réalisé son rêve de petite fille. Elle avait trouvé homme et enfant, travail passionnant et vivait heureuse dans un sublime appartement. Laura Ingalls au XXIe siècle, en soi.

Bard ne put s'empêcher de froncer les sourcil en songeant au foyer Wesson-Blake. Sa récente entrevue avec l'élément masculin du couple le troublait, notamment dans les projets du mercenaire connu sous le nom de Catman. Il devrait chercher quelques informations sur leur discussion, et se demanda s'il n'avait pas encore quelques agendas et quelques pièces compromettantes sur les fonctionnaires hauts-placés de la ville.

Ouvrant un tiroir de son bureau pour rechercher quelques éléments, l'ancien officier du G.C.P.D. faillit laisser tomber la cigarette qui reposait sur le bord de ses lèvres en y découvrant une surprise.
Un paquet était posé sur ses dossiers. Un carton rectangulaire entouré d'un fil simple, mais qui n'avait rien à faire là - et qui ne l'était pas quand il était parti vers Gotham City. Jason écrasa sa cigarette sur le cendrier rempli de vieux mégots, les dents serrées et les mains tremblantes. Rapidement, Bard s'empara du paquet, le posa sur le bureau et l'ouvrit avec hâte. Ce qu'il y découvrit lui glaça le sang.

Un doigt. Un doigt humain.
Avec un petit mot attaché, évidemment.

Citation :

Monsieur Bard,
Nous savons que monsieur Blake vous a demandé d'enquêter sur une affaire particulière. Nous vous prions d'oublier cet accord : il ne nous plaît guère et nuit à nos projets. Monsieur Blake ayant fait fi de notre avertissement, il vient de perdre son auriculaire gauche et risque de prolonger ses souffrances. Nous espérons que vous aurez plus de raison.
Pour vous convaincre, 2 000 dollars en liquide seront livrés demain dans votre bureau, à la même place. Je suis persuadé que vous saurez tirer profit de cette somme et de cette opportunité de vous éviter des ennuis.

Evidemment, la lettre n'était pas signée. Evidemment, le doigt tranché était entouré par le masque de Catman, ensanglanté et brûlé par, il l'imaginait, plusieurs combats atroces.
Bard n'avait aucune possibilité de savoir si tout ceci était vrai, mais il refusait de rester là à ne rien faire. Se propulsant sur ses jambes, s'emparant en tremblant d'une cigarette pour l'allumer, le détective privé emmena le doigt et le paquet vers l'extérieur. Il en profita pour envoyer un SMS rapide à Theodora, en espérant qu'elle le rassurerait, mais en n'y croyant que trop peu.

SMS a écrit:

Où est Tom ? J'ai les poignards qu'il a commandés

Un petit mensonge, mais c'était tout ce qu'il avait trouvé pour en savoir plus et ne pas l'inquiéter. Ca fonctionnerait peut-être, mais il préférait songer maintenant à ses véritables ennemis.
Ils espéraient l'acheter, le terrifier ? Lui faire oublier ses liens avec Wesson et faire comme s'il ne savait rien ? Ils s'étaient trompés de mec s'ils espéraient réussir. Jason Bard était peut-être un homme fatigué et rongé par les drogues, mais il restait un sale petit con qui n'abandonnait jamais - et surtout pas ceux qu'il considérait comme des amis.