Je ne jette même pas un seul regard à l’homme derrière moi. Il faut dire que pour ma part, tout a été dit et clôturé lorsque je lui ai glissé ces quelques billets dans la main. Ce soir, je suis blonde et si je traîne sur les docks du Port Adams en tant que « civile », c’est pour me rendre à une vente aux enchères « illégale » organisée par Maroni. J’aime bien, tomber sur des pièces rares et mettre le grappin sur des trouvailles, quitte à les voler si je ne peux pas me les acheter. Mais j’ai les fonds, normalement. Si je viens de donner du fric à ce type, c’est bien pour qu’il m’assure que les enchères ne montent pas trop haut, et surtout qu’elles s’arrêtent à moi. C’est souvent hors de prix, et les gens qui viennent à ces ventes sont pleins aux as – je déteste la concurrence.

Après mon petit arrangement, je me rends vers le grand entrepôt aménagé à cet effet. J’avais entendu parler de cette vente depuis quelques jours déjà, et surtout de l’un des objets qui seraient proposés à cette soirée. Ça m’avait tapé dans l’œil. Pour cause, il s’agissait de statuettes de chats - pas n’importe lesquelles. De pures beautés. Je suis follement excitée à l’idée d’en faire l’acquisition.

Je porte une robe noire très prés du corps et mes épaules sont recouvertes d’un châle sombre. Pas trop de bijoux mais bien assez pour me donner l’air de ce que je ne suis pas – une femme riche et bien sous tout rapport. On m’ouvre la porte, m’invitant à rentrer et j’adresse une brève œillade en arrière pour m’assurer que mon complice ne m’a pas fait faux bond. Mais tout semble se dérouler comme prévu. Une fois à l’intérieur, je parcours l’endroit des yeux – surprise de remarquer que tout a été installé avec goût. Je prends le temps de rejoindre un siège, constatant que pas mal d’individus sont présents et déjà installés. D’un coup d’œil rapide, je repère mon complice, debout contre le mur sur ma gauche. Un sourire satisfait sur mon visage, je tente de reconnaitre certains visages dans l’assemblée qui se tient devant l’estrade.

Une petite étincelle malicieuse éclaire mon regard quand les festivités débutent et surtout lorsque je discerne le coffret dans lequel reposent les statuettes. Je me redresse instinctivement, sentant un frisson me parcourir la colonne de bas en haut quand il nous fait admirer d’un geste ample le contenu du coffret. Je trépigne d’impatience, même si ça ne se voit pas forcément à mon attitude. Mes voisins pourront seulement noter ma satisfaction à me tenir là en ce moment même. Le prix est alors fixé : 50.000. Alors que je m’apprête à lever la main, on me coupe l’herbe sous le pied. Mon corps se crispe quand j’entends la voix d’un homme s’élever et mon visage s’incline lentement, dans un geste presque prédateur, en direction de l’impudent.

100.000 dollars. Rien que ça… L’homme qui a parlé n’est qu’à quelques mètres de moi et je ne distingue pas trop le bas de son visage dissimulé par son manteau. Je plisse les yeux avant que mes prunelles ne glissent jusqu’à mon complice qui se rapproche de l’enchérisseur après un bref geste de la tête de ma part. Il n’est pas question que je laisse passer ça.

« Cent cinquante mille. » – Mon ton est ferme.

Personne ne surenchérit et je surveille du coin de l’œil mon complice qui vient s’asseoir derrière mon adversaire pour lui faire habilement sentir qu’il est temps pour lui d’abandonner. Ses moyens ? Je l’ignore. Une lame avisée contre le dos de l’impudent, peut-être… Quoiqu’il en soit, le silence s’étire et ça m’arrache un sourire triomphant.

Une fois l’annonce de l’acquisition faite, je me tiens parfaitement droite, un petit sourire aux lèvres sans même jeter un œil à mon adversaire habilement maîtrisé par mon complice. Les autres objets ne m’intéressent guère et c’est d’une oreille distraite que j’en écoute les propositions. Seule l’idée d’ouvrir le coffret et d’avoir mes petites merveilles entre les mains occupe mes pensées. Quand sonne l’entracte, je me lève d’un regain non dissimulé pour me diriger vers mon dû. L’échange se fait en quelques minutes et Maroni m’adresse un sourire charmeur auquel je réponds par un regard mesquin. Je tourne les talons et je m’apprête à sortir de l’entrepôt quand un homme m’interpelle pour me faire du gringue. Prise au piège au milieu de la foule d’ambitieux, je me retourne pour lui accorder mon attention durant quelques minutes.

Je peine à dissimuler une expression fermement ennuyée quand il s’enquit à connaître mon nom et compte m’offrir un verre. Les gens se pressent autour de moi et lorsqu’on me bouscule sans même s’excuser, je lâche un grognement réprobateur.

« Si vous voulez bien m’excuser. »

Je me détourne de mon interlocuteur, le coffret sous mon bras et je joue des coudes pour sortir de la cohue et rejoindre la voiture garée un peu plus loin sur les quais. Une fois à l’intérieur, je démarre au quart de tour, pressée de rejoindre mon appartement pour découvrir le contenu du coffret. Après quelques minutes, je balance la perruque et je glisse une main dans mes cheveux courts, chantonnant au gré de la musique qui passe. On ne peut pas dire que je conduis très patiemment. Mais alors là, c’est bien pire.
Une fois à mon appartement, je dépose le coffret sur ma table basse et j’abandonne mon châle sur le canapé avant de m’y asseoir pour enfin regarder les statuettes de plus prés. Alors que je scrute Bygull et Tregull, Isis vient se frotter à moi alors que Mistigri se glisse contre mes chevilles.

« Ne sont-elles pas magnifiques ? »

Mes chats me répondent par un ronronnement significatif et je me redresse pour leur servir un bol de lait. Je mets le coffret dans la pièce qui recèle mes nombreux trésors et je reviens vers le salon. J’ôte ma robe pour enfiler un peignoir, m’apprêtant à aller à la douche pour ensuite enfiler ma tenue nocturne, mais on frappe à ma porte. Je fronce les sourcils, mais pensant que ma voisine vient me demander quelques ingrédients, je me dirige vers la porte pour l’ouvrir.
Quelle surprise lorsque je découvre sur le pas de ma porte mon adversaire aux enchères. Je ne peux dissimuler ma surprise, tout comme je m’inquiète du fait qu’il m’ait suivi. Je distingue un peu mieux son visage mais c’est surtout son manteau qui m’a mise sur la voie.
Je chasse vite toute expression pour laisser place à l’interrogation pure et simple de voir un homme sur le seuil de ma porte à une heure pareille mais lorsqu’il se penche vers moi pour me humer, je recule instinctivement.

« Euh… Vous désirez ? »

"Mme Kyle. Je suis ici parce que vous vous êtes appropriée quelque chose qui me revient de droit."

Merde. Comment m’a-t-il filé ? Je m’efforce de prendre un air dubitatif avant de détailler l’homme de la tête aux pieds. Mais ce dernier se permet de rentrer dans mon appartement sans me demander mon avis et d’aller s’installer.

"Du thé, s'il vous plait. Je suis pressé et ne ferait qu'une seule fois mon offre. Rendez moi mon bien, et en échange je vous rembourse plus un petit dédommagement, faisant fi de votre petit stratagème pour m'empêcher de surenchérir."

Je me retourne vers lui, mes bras se croisant contre ma poitrine d’un air profondément ennuyé.

« Je vais donc vous épargner une grosse perte de temps, monsieur. Elles ne sont pas à vendre. Maintenant, je vous prierai de sortir de mon appartement. Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, j’étais sur le point de prendre un bain. »

J’esquisse un sourire mesquin. Cet homme n’est qu’un arrogant – ça ne sera pas le premier que je rencontre. Je ne crains pas qu’il me pose le moindre souci et si je me trompe, je n’hésiterai pas à lui montrer qu’importuner les jeunes femmes à une heure pareille se paie cher.
Je le regarde donc en me mettant de côté et en lui indiquant gentiment la porte de l’appartement. C’est à ce moment qu’Isis et Mistigri sortent de la cuisine en poussant des miaulements inquiets. Puis un grattement à la fenêtre du salon attire mon regard. Trois chats se tiennent de l’autre côté de la fenêtre – les chats du voisinage que je connais bien, mais leur comportement est parfaitement suspect. Ils grattent comme s’ils voulaient rentrer et en même temps, leurs yeux sont fixés sur l’homme assis dans mon fauteuil. Ça sonne comme un avertissement et ça ne me dit rien qui vaille.

Je le fixe d’un air sidéré lorsqu’il me dépasse pour fouiller dans mes propres placards. Mes bras reviennent lentement contre mon corps et je serre les poings pour réprimer cette envie de lui lacérer la tronche. Du calme Sélina. Pas besoin de sortir les griffes pour virer les aristos de mon taudis. J’affiche donc un sourire de circonstance, comme si je ne craignais nullement le comportement de mon interlocuteur. L’homme se sert tranquillement un verre de whisky et je l’observe en arquant un sourcil, entre amusement et provocation.

" Dans ce cas, puisque j'ai eu la, politesse de faire une offre, je n'ai plus qu'à me servir. Après tout irez vous trouver la police en déclarant que l'on vous a volé un bien acquis lors d'une vente aux enchères de la mafia ?"

Bien pensé. Mais pourquoi appeler la police alors que je suis la plus grande cambrioleuse de Gotham ? Ce que tu ne sais pas très cher, c’est que si tu comptes me prendre mes statuettes par la force, tu auras une chatte en fureur sur la tronche.

"Où sont elles ?"

C’est à ce moment que commence la complainte inquiétante des chats. En même temps que l’homme exige, les lumières de l’appartement se mettent à grésiller et je regarde l’étrange phénomène avec perplexité. Peut-être bien que ma respiration est en train de s’emballer légèrement là. Le comportement de mes chats me rend nerveuse et lorsque l’homme abandonne son verre pour se concentrer sur moi et s’approcher d’un air menaçant, je me crispe instinctivement. Les feulements d’Isis et de Mistigri s’intensifient à mesure qu’il avance vers moi. Je la sens, cette ambiance oppressante, étrangère. Je n’ai pas peur des sales types qui n’hésitent pas à corriger, mais quand cela prend un ascendant psychologique, je me sens étrangement vulnérable. Moi, inquiète ? C’est plutôt rare.
Mes chats semblent alors attirer l’attention de l’homme et quand il approcha sa main d’eux, suscitant chez eux un comportement encore plus étrange – comme s’ils étaient irrémédiablement attirés et qu’à la fois ils se sentaient menacés – j’observe la situation, circonspecte.

"Les chats. Je les détestes en même temps qu'ils me fascinent."

« Manifestement, c’est réciproque. »

A ma plus grande surprise, l’homme retourne s’asseoir et récupère son verre.

"Saviez vous que les chats étaient utilisés dans énormément de rituels et qu'ils disposent d'une sensibilité rare avec la mystique ? Je comprends mieux pourquoi vous tenez tant à ces statuettes, et me vois contraint de vous en demander la permission. Mais croyez moi, vous n'aimeriez pas être tenue au fait de mes raisons. Pour votre propre bien, remettez les moi. "

Son petit discours m’indique que monsieur donne dans la magie. Mon propre bien ? Ses menaces j’en ai rien à faire – il ne me prendra pas mes statuettes. Je suis résolue malgré l’inquiétude qui plane sur cette rencontre.

« Vous allez devoir trouver un autre moyen de vous livrer à vos rituels occultes. Car je ne compte pas me séparer de mes statuettes, monsieur. Et je n’ai pas besoin d’appeler la police pour vous flanquer hors de chez moi. » – Peut-être un peu présomptueux Sélina ? Je ne sais pas qui est cet illuminé, mais je ne vais pas courber l’échine tout ça parce qu’il me donne des ordres tout et qu’il a un effet bizarre sur mes chats.

Je garde un visage mutin à l’égard de mon interlocuteur qui a pris ses aises chez moi, réprimant mon envie de le bousculer jusqu’à la porte et de le flanquer hors de mon appartement. Il est coriace, manifestement, et malgré les réactions de mes chats, je garde une détermination inébranlable. Quand il commence son petit discours, je plisse les yeux, entre amusement et méfiance. Moi, frêle ? C’est ce que tout le monde pense, jusqu’à ce qu’il se prennent ma droite en pleine face. Cette manière qu’il a de faire tourner le contenu de son verre avec arrogance m’arrache un haussement de sourcils moqueur. Voilà qu’il commence alors à relever tous les détails anatomiques qui tendent à montrer que je suis loin d’être une de ces bourges pas capables de se débrouiller pour dérouiller un type. Je ne peux m’empêcher de ressentir un certain malaise au fait qu’il se montre aussi perspicace. Parce que tout ce qu’il précise, avec un faux semblant de fantasme, est tout à fait juste. Je le scrute, les yeux plissés tandis qu’il continue son petit numéro, en avançant maintenant vers moi, imperturbable.

Je devine que vous êtes quelqu'un de capable et d'entraîné, mais même en tenant compte de ceci, je ne puis vous dire qu'une seule et unique chose." – Je ne bouge pas, mes yeux dans les siens et lorsqu’il vient me chuchoter à l’oreille, je ne peux réprimer un frémissement à peine perceptible. "Vous n'êtes absolument pas de taille."

Se pourrait-il qu’il se doute de mon identité ? Je ne peux cependant pas m’empêcher d’étirer un sourire sardonique à l’égard de mon interlocuteur.

« Ce que vous êtes drôle… » – Susurré-je en guise de provocation.

Les miaulements de Mistigri et Isis interrompent notre irrésistible face à face et je tourne la tête, inquiète, en entendant un fracas bruyant. Cela provient de ma salle aux trésors et lorsque j’entends des grognements aussi graves que pourraient l’être ceux de félins de la taille d’un lion, je ne peux qu’exprimer ma surprise.

« Qu’est ce que c’est que… »

Puis mon invité surprise m’interrompt dans ma stupeur.

"Les chats. Bon sang, Bygull et Tregull. Ce sont eux qui les mettent dans cet état, pas moi. Où sont elles? vite !"

Je le regarde, consternée, avant de m’apprêter à courir vers ma salle mais les portes explosent brutalement, laissant surgir deux créatures – deux chats aussi gros que des tigres. Mais qu’est ce que c’est que ce bordel ?! Je peine à réaliser ce que je viens de voir, mais alors que je fais face avec surprise aux deux bêtes, l’homme m’écarte violemment pour prononcer des paroles indéchiffrables. Un souffle chaud se fait sentir dans la pièce et je remontre mon avant bras devant mon visage alors que des flammes jaillissent de nulle part pour lécher les créatures et grimper le long des murs.
Non ! Mon appartement !

"Fuyez !" – Je le vois disparaitre dans ma pièce aux trésors et je saisis le créneau pour ouvrir mon placard et en sortir le sac contenant mon costume. Pas le temps de sauver autre chose mais il faut dire que je n’ai aucune photo ou souvenirs.

Le sac en main, je me retourne, à la recherche de mes chats tandis que les flammes gagnent du terrain – soufflant une chaleur étouffante. Je vois l’homme surgir et attraper Isis et je repère enfin Mistigri, tapi dans le coin de la pièce. Je le saisis par la peau du cou pour le prendre dans mes bras et je me jette par la fenêtre déjà brisée. Je retombe sur mes pieds sur le toit de l’immeuble d’en face et quand je me redresse, je lâche mon sac et Mistigri qui s’échappe dans un grognement. Face à moi, se tient l’homme, tenant fermement Isis et un poignard à la main. Je comprends aussitôt ce qu’il compte faire et je fonce dans sa direction.

« NON ! » – J’hurle, la peau couverte de suie. Mon pied vient percuter l’homme dans les côtes pour le déstabiliser. Il lâche Isis sur le coup et je profite de la situation pour lui envoyer une droite.

Ne jamais toucher à mes putains de chats. Il va regretter d’avoir incendié mon appartement et avoir eu l’envie d’attenter à la vie d’Isis. Même si je dois avouer que l’apparition mystérieuses de ces deux gros chat – manifestement en rapport avec les statuettes sauvées des flammes – je peux m’empêcher d’éprouver une colère furieuse à l’égard de cet homme.
Je bloque mon pied derrière le sien et je le repousse pour qu’il tombe au sol.

« T’en prendre à mon chat est la plus grosse erreur que tu as faite. » Susurré-je sèchement en écartant le poignard du bout du pied.

Je suis furieuse et encore sous le choc de ce que je viens de voir – deux créatures surnaturelles émerger par le biais des statuettes et des flammes mystérieusement invoquées par cet espèce de gourou arrogant. Aveuglée par ma colère, je ne devine pas la riposte de l’homme au sol. Il balaie mes jambes d’un coup puissant et je tombe à mon tour par terre avant d’être frappée au visage lorsqu’il se redresse. Je me dois de constater que l’homme est doué en arts martiaux et n’est pas qu’un aristo illuminé. Alors que je côtoie le froid du bitume, reprenant mes esprits avec pour seules fringues mon peignoir en soie sur le dos, je lève les yeux vers l’homme qui récupère son poignard d’une manière obscure et mystérieuse.
Je cligne des paupières avant de me remettre souplement sur mes jambes, lui offrant un regard farouche. Le silence nocturne est alors brisé par des cris stridents d’horreur qui me font me redresser avec vivacité. Alors que mon appartement est toujours en proie aux flammes, les deux bêtes se trouvent maintenant dans la rue en contrebas et terrorisent les passants.
Je regarde la scène avec désarroi et incompréhension avant que l’homme ne m’interpelle et me lance le poignard.

" Si tu tiens à ta misérable vie de folle aux chats. Quand ils te bondiront dessus tranche leur la gorge"

Je regarde le poignard tâché de sang et repose mon regard sur l’individu qui siffle pour attirer les deux gros matous. Bordel, sans costume, c’est une vraie horreur. Me battre contre des félins enragés est une pure folie, même en comptant sur ma rapidité et mon esquive. Je reviens en arrière, tout prés de lui, mes yeux dorénavant dirigés vers le bord du bâtiment. Je sens l’adrénaline tendre mes muscles et m’apprêter au pire et quand les silhouettes musculeuses et imposantes surgissent devant mes yeux, grognant de mécontentement, je sens une pression contre mon épaule.
Quel rat ! Je vais l’bouffer ! Je suis déséquilibrée vers l’avant, faisant face d’un peu plus prés aux deux félins et je jette un rapide coup d’œil en arrière pour voir l’enfoiré s’échapper avec les statuettes.

Je me recule prudemment pour rejoindre le sac, tentant de calmer les bêtes avec des chuchotements. Bien sûr, ça n’a pas vraiment l’effet escompté. Les deux gros chats rugissent avant de se tourner autour et d’agir comme si j’étais leur prochain dîner. J’attrape lentement mon sac pour en sortir mon fouet et les félins prennent ce geste pour le coup d’envoi. Ils bondissent dans ma direction, les deux en même temps, et je roule sur le côté, le poignard dans une main et le fouet dans l’autre. Je me redresse et je fais brusquement claquer le fouet contre le bitume pour les tenir à distance.

« Je détesterai vous tuer mes mignons. Mais on rentre ses griffes ! » – Ordonné-je d’une voix ferme, bien que ce soit complètement inutile. Ces créatures là n’obéissent à personne, ou peut-être seulement à l’énergie mystique qui les a libérées.

L’un d’eux me saute immédiatement dessus et je n’ai pas le temps d’user de mon fouet qu’il est déjà sur moi à claquer la mâchoire à quelques centimètres de mon visage. Je m’écarte vivement mais la lourde patte aux griffes acérées m’esquinte de l’épaule. Je laisse échapper un cri de douleur mais je serre la mâchoire, me concentrant sur ma manière de bouger pour éviter une morsure. Je saute sur le dos de la bête quand j’en ai l’occasion, m’accrochant à sa sombre fourrure. Je ne me préoccupe même pas de l’autre qui semble en retrait. La bête s’agite furieuse pour me désarçonner, mais mes cuisses l’enserrent. Je lâche le fouet pour mieux m’accrocher et je glisse le poignard sous sa lourde tête qu’il bouge de droite à gauche. Un geste rapide et sec et voilà que la créature s’effondre par terre. Je glisse dans une roulade et je relève la tête, mon peignoir en lambeaux dissimulant ma nudité. Je fais maintenant face à l’autre créature qui grogne un instant avant d’abaisser sa lourde tête jusqu’au sol et de humer bruyamment son compagnon mort. Accroupie, je le fixe, tâchant de reprendre ma respiration et de faire taire la douleur qui me lancine l’épaule. Curieusement, le félin ne m’attaque pas et ne me montre pas les crocs mais dans une respiration bruyante, il s’approche lentement et abaisse la tête en signe de soumission. Surprise, je tends doucement la main, prenant gare à ce qu’il ne me l’arrache pas dans un désir mesquin. Mais la bête ne se montre pas agressive, et le plus étrange là-dedans c’est qu’elle montre une certaine dévotion. La mort de son comparse - dont le corps a d’ailleurs mystérieusement disparu – a scellé comme un attachement entre lui et moi. Je me dirige lentement vers mon sac pour ôter le reste de mon peignoir et enfiler ma combinaison. Je compte bien rattraper l’occulte et lui montrer qui est la patronne. Je pose mes lunettes sur mon nez et la combinaison contre ma plaie m’arrache une grimace de douleur. Je remonte finalement la fermeture éclair et lorsque j’entends les sirènes de la police retentir à quelques rues d’ici, je décide de me mettre en mouvement. Je me mets alors en chasse, talonnée par l’immense matou à mes côtés. J’ignore s’il va me suivre indéfiniment ou s’il finira par disparaitre comme son comparse. Quoiqu’il en soit, je ressens une certaine fierté à l’avoir à mes côtés même si cette créature est irrémédiablement dangereuse.

Après avoir sauté de toit en toit, je finis par discerner une silhouette pas bien loin – et l’enfoiré a réussi à mettre la main sur Mistigri. Mais mon chat est toujours en vie, heureusement. Je saute souplement sur le toit plus en hauteur, suivie silencieusement par la bête.

« Si tu t’en prenais plutôt à quelqu’un de ta taille… » – Murmuré-je dans l’obscurité d’un ton suave.

Je saute vers lui, mes deux pieds joints le tamponnant en pleine poitrine avant que je ne me recule dans une petite pirouette. Le félin bondit à ma suite, laissant échapper un rugissement et ce dernier prend la relève, ses griffes acérées toutes dehors. Mistigri se poste au dessus un peu plus en hauteur, lâche un miaulement, puis disparait à nouveau dans l’obscurité. J’incline légèrement la tête, observant alors comment l’occultiste compte se débarrasser du gros matou en colère.

Tandis que je regarde non sans amusement la scène qui se déroule sous mes yeux, me coulant souplement contre le mur, le sorcier ne semble pas plus dérouté que ça face à la présence de l’immense félin à mes côtés. D’ailleurs, ce dernier trouve le moyen d’ouvrir la bouche alors que l’immense chat tente de lui donner des coups de griffes acérées.

" Zoman. Tu es une zoman."

Une Zo-quoi ? J’me dis d’abord que ce type est complètement siphonné. Il débarque chez moi, ayant retrouvé ma trace par je ne sais quel stratagème. Il me fait le coup du grand gourou, brûle mon appartement alors que de statues surgissent deux chats énormes. Vraiment, je ne sais pas si je dois me méfier, partir en courant, ou bien rire de cette situation.

" Chez les indiens, certaines personnes développaient une affinité particulière avec l'animal Totem de leur tribu. Créant un puissant lien entre eux, le Zoman peut se faire obéir de tous ces animaux. Voir Tregull t'obéir est révélateur."

Je m’approche d’un pas, trouvant ça tout à fait curieux puis je plisse les yeux, un sourire mesquin aux lèvres.

« Et je suis Catwoman… Alors les chats ça me connait. » – Déclaré-je sur un ton légèrement sarcastique.

L’homme fait un geste et dit une parole à l’égard du félin et la bête semble craintive et incapable de se battre. Cet homme dégage quelque chose et le mysticisme qui l’entoure pique en moi une certaine curiosité. Je me tiens tranquille, debout à quelques mètres lui, le fixant lorsqu’il me rejoint d’un pas détendu.

" Alors comme ça, Sélina Kyle est Catwoman. Eu égard à ce titre je passerai, pour cette fois et cette fois seulement, sur votre attitude désobligeante à mon égard. Je n'aime guère être bousculé et vos petits jeux de main m'ont désappointé."

« Désappointé ? Je ne donne jamais ce qu’on exige de moi, sachez le. » – Susurré-je.

L’homme ramasse les statuettes et les casse avant que je n’ai pu esquisser un seul geste. Je fronce les sourcils, lui offrant un regard torve.

" Je vous autorise à garder Tregull, Zoman. Et maintenant Femme, rentrez chez vous."

Avoir un chat de la taille d’une panthère chez moi ? La grande classe, si seulement j’avais un chez moi.

« Vous avez la mémoire courte sorcier. Etait-ce bien nécessaire de brûler mon appartement ? » – J’arque un sourcil, provocatrice avant de reprendre d’un ton sérieux. « Qui êtes-vous… ? Vraiment. »

Dans mon ton perce une certaine appréhension. Je veux savoir.