La lumière vient titiller mes paupières, je me frotte les yeux et m'étire en grimaçant. J'ai mal au dos d'avoir dormi par terre, j'ai froid aussi, mais bon comparé à ce qui aurait pu arriver pendant toute une nuit toute seule dans ce quartier, c'est un moindre mal. Je fronce le nez, j'aurais vraiment besoin d'une douche ! Est-ce qu'il arrive un moment où on s'habitue à cette odeur ? Mon ventre gargouille, je fouille mes poches. C'est quoi ça ? Un vieux bout de fromage ? Ça fera l'affaire. Je le mâchouille sans conviction, c'est pas bon... mais c'est toujours de la nourriture. Je lève la tête vers les larges murs qui protègent cet endroit, enfin plutôt qui empêche qui que ce soit de sortir. Même si je parvenais à parler aux militaires armés sans qu'ils ne me tirent dessus, ça m'avancerait à quoi ? Je veux pas rentrer chez moi, je veux pas retourner près de mon père... Je sais pas vraiment ce qui est le pire... ici au moins, j'ai réussi jusque là à éviter que qui que ce soit ne vienne s'introduire dans mon lit pendant la nuit...

Je plisse les lèvres, on s'occupera de ça plus tard... Pour le moment, le plus important c'est de survivre. Je passe la main dans mes cheveux, mes doigts s'accrochent aux nœuds, je tire pour les défaire. J'aime pas, c'est gras, je dois avoir une tête horrible... Bon sang, ce que je donnerai pas pour un croissant tout frais, une douche bien chaude, une séance chez le coif'.... Ouais enfin pas la peine de penser à tout ça en fait. Je les ai pas et je risque pas de les avoir de sitôt alors, on fait avec les moyens du bords hein ! Je récupère mes lunettes, tombées autour de mon cou et les replace sur mon nez, comme il se doit. Je cherche autour de moi et avise une flaque d'eau. Bah à défaut d'eau chaude et de coiffeur, on va essayer d'arranger les choses soi-même ! Ah ouais quand même ! C'est moi ça ? Mince ! J'étais mignonne pourtant avant ! Hum, il va falloir trouver quelque chose pour attacher ma chevelure, là c'est.... innommable ! Je prends de l'eau au creux de mes mains et m'en asperge le visage. Brrrr c'est froid. Je me fige soudain, j'ai l'impression qu'on m'observe....

Ouais on m'observe ! Un homme... Je le détaille de haut en bas... Il ressemble pas trop aux allumés que je croise généralement ici, il a l'air presque normal... Mon ventre émet un grognement au mot biscuit... On s'emballe pas Elly, depuis quand t'acceptes des sucreries d'un inconnu d'abord ? Euhhhh ben ptet depuis que je me suis retrouvée paumée dans un endroit où les gens n'ont pas besoin d'attirer les enfants avec pour leur faire du mal... Besoin de quelque chose ? Il est marrant lui... Genre j'ai pas la tête à avoir besoin d'à peu près tout... Les adultes souvent, ça réfléchis pas plus loin que le bout de leur nez... Je penche la tête, bon il a pas l'air trop dangereux quand même...

"Ca va me coûter quoi ? J'ai pas d'argent d'te façon. Et j'ai besoin... bah de manger, de prendre une douche mais bon... Vous me voulez quoi, Jack ?"

Bon c'est ptet un peu agressif... Mais en même temps, j'lui fait pas confiance moi à ce type ! Je fais confiance à personne de toute manière ! Pas trop le choix... Ici, je dois me méfier de tout le monde. Partout d'ailleurs, même chez les riches on est pas à l'abri, même dans sa famille, dans sa maison, j'en sais quelque chose. Je reste à bonne distance, deux mètres c'est bien, j'ai pas envie qu'il me touche et puis ça peut me permettre de me sauver en vitesse si ça devient dangereux. Du coin de l'oeil je vérifie quel est le meilleur chemin pour m'enfuir. On est jamais trop prudent.

Ah bon ? Y a un service d'aide aux nécessiteux ici ? Roooh mais ils auraient pu le dire, enfin l'afficher quelque part quoi. J'sais pas moi mais bon, c'est bien gentil de aire un truc pour les pauvres mais si on leur dit pas forcément, ils vont pas le deviner hein... Des douches, aaaah une bonne douche bien chaude, bon sang ce que ça ferait du bien. Mais j'ai comme une petite voix dans ma tête qui me dit que y a un truc qui cloche... Mais j'sais pas quoi... Enfin c'est peut-être juste une impression mais en tout cas, ça me dit rien qui vaille. Il faut qu'on prenne soin de moi, il est marrant lui... il est sûr qu'il vit ici ? Parce qu'on dirait pas... Je me vois mal aller demander au clown super effrayant de la mort qui tue de m'aider... J'le vois mal m'emmener au restau quand même.

"Mouais, 'fin en même temps malade, j'suis pas sûre que ce soit la pire chose qui puisse arriver ici hein. Et pis vous m'avez toujours pas dit ce que vous me voulez..."

J'crois pas qu'il m'aide juste pour le plaisir et non, effectivement j'ai pas confiance. Je ramasse les biscuits d'un geste vif et en englouti un aussitôt et glisse les autres dans ma poche, on sait jamais des fois qu'il se trompe, ou qu'il mente, et qu'il n'y ait rien à manger là où il m'emmène. Je jette un coup d’œil autour de moi avant de le suivre à deux pas de distance. Sans cesser de surveiller tout ce qui se passe alentour. On sait jamais sur quoi on peut tomber....

"M'sieur Jack ? Vous avez fait quoi pour vous retrouver ici ? Vous avez pas l'air d'un méchant... "

[Encore toutes mes excuses pour l'attente, j'ai été un peu débordée]

Je l'écoute parler tout en continuant à observer autour de moi. Je compte... une, deux, trois personnes sur la droite... Ils n'ont pas l'air méchant à première vue mais ça veut rien dire... Ici même les enfants peuvent être aussi dangereux qu'un lion échappé de sa cage. Une cage... Je penche un peu la tête. En fait ici, c'est une immense cage et on a mis dedans tous les fauves qui traînent et puis quelques proies pour les nourrir. Je frissonne, je suis une proie... L'idée ne me plaît pas mais... mais je me vois mal dans le rôle du fauve à tuer, étriper et massacrer. Et puis parfois les proies sont suffisamment agiles pour s'en tirer... Ce sera mon cas ! Un journaliste qui vient raconter comment c'est ici ? Deux personnes sur la gauche... Je fais une petite moue.

"J'm'appelle Elly. J'ai été enlevée... Je me souviens d'un sourire immense, immense et horrible, un rire qui fait froid dans le dos comme celui des fous dans les films... Et puis quand j'ai rouvert les yeux, j'étais ici. Vous croyez vraiment que les gens de dehors, ils veulent savoir comment ça se passe ici ? Parce que j'ai pas vraiment l'impression... j'crois plutôt qu'ils voudraient même oublier que cet endroit existe..."

Je marque un temps d'arrêt... Il y a quelque chose qui ne va pas... Comme si... l'air s'était alourdi, j'ai presque l'impression de sentir l’électricité au bout de mes doigts comme lors d'un orage. Je lève les yeux, le ciel est clair... Je me campe bien sur mes jambes, surveillant les allées et venues de tout le monde, aussi tendue qu'une corde de violon. Un bref coup d'oeil en arrière, j'essaie de repérer les endroits par lesquelles je pourrai m'enfuir au besoin. Quoi ? Nan mais vous m'avez bien regardée ? J'ai pas la carrure pour me battre moi.

Mais Elly ! Comment t'as fait pour pas les voir ! Et voilà ce que c'est de suivre n'importe qui, on s'attire des ennuis ! Quand je reste bien tranquille dans mon coin, je crève la dalle mais au moins j'évite ce genre de situation. Et pis aucun moyen de s'enfuir en plus, ils nous encerclent. Ils disent quoi là ceux qui font du mal aux fillettes ? Mais il m'a pas fait de mal !

"Arrêtez ! Il m'a pas fait de mal, il m'a même donné à manger ! J'ai des biscuits, j'vous les laisse si vous voulez mais laissez nous tran...."

Mon regard s'arrête sur un des hommes avec une batte de baseball, ce maquillage... ce sourire fou... c'est lui !!! Mes mains se mettent à trembler, de rage ou de peur ? Je sais pas... J'ai envie de lui foncer dessus et de le frapper, encore et encore et encore... Mais mes pieds refusent de bouger, comme si ils étaient soudés au macadam. Réagit Elly, bouge !!! Mon cerveau hurle de toutes ses forces mais mon corps refusent d'obéir. J'arrive même pas à crier... Je reste plantée là, la bouche ouverte, tremblant de tous mes membres, les yeux écarquillés fixés sur cette parodie de clown. Je vois le sourire danser, s'étirer comme s'il avait une vie propre, le rire résonne dans ma tête et je sens mes poils se hérisser. Je veux pas, je veux pas, je veux paaaaas !

"Non... pas encore... laissez moi... je veux pas... s'il vous plait..."

Je balbutie des mots sans même savoir vraiment ce que je dis, tout est embrouillé dans ma tête... Qu'il s'en aille, s'il vous plaît ! Si y a quelque chose là-haut faites qu'il s'en aille, je vous en supplie !

Des paroles flottent dans l'air sans que j'arrive à en percevoir le sens, comme si elles étaient très loin, vous savez comme quand on s'endort avec des personnes qui parlent à coté, les mots paraissent s'évanouir dans une sorte de flou sonore. Je ne vois pas quand chose non plus, j'ai l'impression d'observer à travers une vitre sur laquelle tomberait une pluie battante, je sais qu'il y a du mouvement mais je n'arrive pas à distinguer ce qu'il se passe. Tout mon corps me fait mal, comme s'il était pétri de courbatures. Il y a des voix, des bruits, des chocs et ce rire qui résonne sous mon crâne et l'image de mon père qui s'incruste par dessus, tel un spectre terrifiant.

"NOOOOOOON ! Tu ne m'auras pas ! Tu ne m'auras plus ! Plus jamais ! Je te déteste, JE TE DETESTE !"

D'un coup, le décor s'éclaircit. Je deviens plus lucide et peut embrasser la scène du regard, oui enfin façon de façon de parler puisqu'un de nos agresseurs bloque mon champ de vision. Il est à quelques centimètres de moi, l'acier de sa lame luisant dans la pénombre de la ruelle. Je reste fascinée par les reflets du métal, quelques instants pas plus mais suffisamment pour que l'homme lance son attaque. Cette fois, mes muscles répondent aussitôt, je m'écarte vivement et le couteau fend l'air dans un sifflement. Je penche la tête, étudiant rapidement la situation, Mr Jack est plutôt mal en point, tous les autres se sont rués sur lui. Je peux pas l'aider pour le moment, va d'abord falloir que je m'occupe du mien. Oui désolée, je ne suis pas suicidaire hein... Déjà que je sais pas comment je vais me débarrasser d'un seul alors c'est pas pour me jeter dans la mélée ! J'tiens à ma vie moi !

Je reporte mon attention sur mon adversaire, un rictus malsain étire ses lèvres, il rit comme une hyène et tourne autour de moi, lançant de petites attaques que j'esquive facilement d'un bond.

"Alors, petite souris, tu veux jouer ? Allez danse pour moi !"

Je fronce les sourcils. Je n'ai pas mangé depuis des jours et ce n'est pas l'unique biscuit avalé tout à l'heure qui me permettra de conserver une forme olympique. A ce petit jeu de harcèlement, je serai la première à fatiguer. Il faut donc prendre l'avantage, d'une façon ou d'une autre et passer à l'attaque. Je l'observe, tout en continuant mes petits bonds pour me mettre chaque fois hors de portée de son arme, j'analyse ses mouvements à la recherche d'une faille. Le gros lard se fend à nouveau pour m'atteindre, je choisis de me baisser plutôt que d'esquiver, comme ça, je suis suffisamment près pour porter un coup. Je me relève brusquement et le gratifie d'un coup de genoux entre les jambes lancé de toutes mes forces. Il s'écroule à terre, se tordant de douleur. C'est alors que le rire éclate... le rire... ce rire... pas dans ma tête cette fois. Il me met hors de moi, je martèle le corps au sol de coups de pied, encore et encore et encore... Sans réfléchir... Je frappe... Je déteste ce rire !