Bien que l'éclat qui était autrefois si brillant se soit évanoui à jamais, bien que rien ne puisse ramener l'heure de cette splendeur dans l'herbe, de cette gloire dans la fleur, n'ayons point d'affliction mais cherchons la force dans ce qui reste après – Woodsworth

L'odeur de l'herbe coupée a toujours eu un certain effet sur Kathy. D'une puissance et d'une délicatesse entêtante, l'odeur fascinait beaucoup la fille de la ville, habituée à un monde olfactif beaucoup plus discret mais beaucoup moins prenant. A Gotham, comme dans beaucoup de ville de la Côte Est et du New Jersey, le monde végétal était des plus disparates, aussi Kathy apprécia elle aussi la zone pavillonaire pavée de gazons dans laquelle elle allait habiter, aussitôt après son arrivée. Les longues bâtisses élancées, posant langoureusement au soleil, lui offraient de l'ombre dans sa lente procession jusqu'à sa demeure, et elle en profita pour réfléchir, bercée par les bruits de la vie qui l'entourait : une famille faisant tinter des couverts alors qu'ils mettaient en place la table du dîner, des oiseaux se poursuivant dans les arbres touffus, des employés municipaux se baladant entre les maisons, armes près des mains, la gorge serrée, prêts à découvrir d'un instant à l'autre une nouvelle horreur purement gothamite. Kathy était ce soir bien loin de tout ça. Elle n'avait pas mis les pieds dans la ville du crime depuis longtemps, et n'était plus du tout au fait de la continuelle succession de fait divers qui constituaient le quotidien local. Et ce n'était pas le moment pour s'y replonger. Toujours absorbée par sa marche solitaire, la jeune femme jeta un coup d'oeil aux panneaux qui surplombaient une intersection et les compara à la destination qu'on lui avait indiqué hier.

Spyral s'inspirait des différentes organisations par laquelle elle était passé et ses agents agissaient comme des espions britanniques, tout droits sortis des meilleurs jours de la SIS, et seul leur physique les éloignait de Kim Phillby ou de Saint John Perse d'un nouveau genre. C'est pourquoi elle avait été informée de son adresse gothamite par un procédé tout « british psy » : une voiture s'était arrêtée à côté d'elle à Bludhaven et ses agents silencieux l'avaient informée de l'état de la ville et de son évolution durant la dernière décennie avant de la laisser dans un appartement de la frontière citadine, où une serviette verouillée d'un sceau en spirale dévoilà une de ces feuilles evanescentes dans l'eau sur laquelle l'adresse de Kathy attendait. Durant le reste de la semaine, la jeune femme avait fait ses préparatifs, renoué au téléphone avec d'anciens contacts, en jonglant entre verité et promesses de récompenses pour se reconstituer un réseau gothamite sans pour autant dévoiler sa survie et faire comprendre que l'ancienne Batwoman était de retour. Plusieurs agents avaient décidé de migrer avec leur chefs ou avaient été affectés à des opérations dans la ville du Chevalier Noir.

Ce quartier pavillonaire, dans lequel elle avait très peu patrouillé durant sa première existence, abritait probablement un certain nombre d'anciens mondains, avec lesquels Kathy Kane la « riche héritiière » avait négocié, discuté et vécu, mais elle ne se faisait aucun souci. Ce genre de quartiers n'était pas très exposé aux curiosités mitoyennes, et la distance entre les maisons, complétée par des haies et des murs stylisés, en faisait un parfait endroit pour disparaître, ou pour renaître... dans l'ombre. L'odeur du gazon s'intensifia alors qu'elle tournait dans une allée ensoleillée, ombragé sur les côtés par l'ombre des pins, rongeant les trottoirs, et elle aperçut au loin, derrière une ultime barrête de maison, un haut mur gris terne, qui constituait l'un des multiples mais extrêmement semblables éléments de la pauvreté citadine. Là bas, des milliers de familles se pressaient quotidiennement dans la promiscuité, et envahissaient le matin les parkings proches du lotissement, pour rejoindre leur travaux et leurs seules chances de s'en sortir. Kathy ne baissa pas la tête, aspirée par ce triste édifice si semblable à ceux qu'elle avait croisé durant sa « mort »/tour du monde. A Bangkok comme en France, à Londres comme au Brésil, gris ou blanc cassé, ces barres d'immeubles sans vie lui donnaient toujours la même impression, et elle haîssait son ancien « moi » pour avoir vécu dans une faste richesse sans s'inscrire humanitairement. Bien sûr, à l'époque, elle les protégeait et leur rendait justice en combattant le crime, sous le costume de la Batwoman, mais elle devait s'avouer que tout cela partait au départ d'une simple envie d'aventure et de combat contre l'ennui, rien de bien noble. Heuresement, aujourd'hui, les choses avaient changées, elle aussi, et ses moyens de même. Spyral avait le pouvoir de conclure ce changement, et, en premier lieu, de s'attaquer à la Ligue des Ombres, qui alourdissait ces conditions de vie en prétendant vouloir les anihiler une bonne fois pour toute.

Kate émergea de ses pensées, les yeux pétillants. Elle se trouvait devant son nouveau chez elle, un pavillon d'une blancheur méditéranéenne, au toit d'un rouge crayonné, avec des volets jaunes légèrement trop vieux pour prétendre à une quelconque beauté. En principe, elle entrait dans ses différentes planques et habitations sans les regarder, sans emménager au sens normal du terme, puisqu'elle savait que la mission terminée, elle s'en éloignerait aussitôt. Seul le QG de Spyral avait alors ressemblé à un nid durable, un lieu de vie où elle se sentait chez elle. Mais pour son retour à Gotham, elle avait demandé une habitation attachante et personnelle, dans laquelle pourrait à nouveau se projeter, « emmenager » de corps et d'esprit. C'est pourquoi elle resta quelques temps devant la porte, perdue dans ses pensées et dans la contemplation du bâtiment, avant d'entrer finalement avec la clé adéquate. La clé du sauvetage de Gotham ?

|| Ce qui se passe durant cette élipse constituera le roleplay avec Calendar Man du 30 Août 2013 ^^ ]]

Une semaine plus tard, Katherine « Kathy » Kane sortait de chez elle et passait entre les immeubles et les petites maisons de son lotissement lorsqu'un bout de son passé se coinça dans son regard, lui ravissant forces attention de son présent pour la ramener des années en arrière. Un visage singulier, reconnaissable entre milles, toujours du même cachet malgré la patine du temps. Ses cheveux étaient désormais gris, son aura moins chargée de fumée et son beige coast troqué contre des habits civils, pourtant, Kathy reconnut aussitôt l'ancien inspecteur Gordon, dont elle avait accompagné les premiers pas de la jeune fille dans le monde de la justice. Barbara Gordon, rousse aussi futée et à peine moins bourrue que son père, était devenue Batgirl, quelques années avant que Kathy ne meure, et s'était aussitôt présentée comme une sidekick de la justicière au costume rouge et jaune. Une vague de souvenirs embruma l'esprit de Kathy, qui arrêta sa progression et demeura contemplative, touchée par la température d'anciennes nuits de traques, frappée par la fierté du sourire d'une jeune femme qui l'accompagnait dans toutes ses descentes, frissonnante de la lointaine gloire de son existence. Elle ferma les yeux, une poignée de secondes, et ne les rouvrit que pour constater la disparition de l'inspecteur Gordon. Son regard papillona dans la foule, à la recherche d'une longue crinière rousse, mais Barbara était invisible, et Kathy se rappela soudain que les jeunes d'aujourd'hui affectionnaient particulièrement les produits permettant de changer l'héritage génétique de leurs cheveux. Kathy fit demi-tour et rentra chez elle au pas de course, soupirante et parcourue d'une ancienne adrénaline promptement retrouvée.

Sa demeure ralliée, l'ancienne Batwoman attrapa son téléphone, tout en décortiquant les tiroirs pour trouver ses armes. L'un de ses agents répondit à l'appel et bientôt, la ligne s'intensifia pour rassembler une dizaine de tueurs et fouineurs de la Spyrale. Elle ne perdit pas son souffle à attendre inutilement.

- James Gordon, inspecteur au Gotham City Police Department.

- Gordon ? Il n'est plus inspecteur Agent 00, il a officié en tant que commissaire toute la décennie avant de prendre sa retrai...


- Gordon est retraité ? Mais où va le monde ? Dites moi où il habite.

- Vous avez travaillé avec lui et Batman, durant votre.. ?

- Oui. Donnez moi une adresse, agent... ?

- 174, Madame. Infiltré à la Mairie. Je vais vous rechercher ça... Voilà, James Gordon est domicilié au ******, je vous envoie les données sur votre téléphone, et je rentre ça dans votre GPS.

- Très bien, vous pouvez retourner à votre mission, agent 174, je vous remercie.

Kathy décrocha, vérifia son GPS et accrocha du regard le point rouge qui représentait l'habitation de son ancienne jeune protégée et de son ancien allié de père. S'il y avait un endroit d'où elle pourrait commencer sa reconquête de la justice à Gotham, c'était bien chez les Gordon, un territoire sûr en pleine zone de guerre. Beaucoup de choses avaient changés depuis sa mort, et Kathy n'était pas encore sûre de ce qu'elle comptait révéler à Batgirl et son père, mais elle voyait derrière eux le spectre du chevalier noir, son ancien amant, et cela lui semblait un bon début. Depuis que sa légende circulait dans les rues gothamites, l'ombre de la Chauve-Souris avait toujours abrité un bon terreau pour faire pousser des idées de justice et de prise en main du Mal.

Elle garnit sa ceinture de deux M9, de son Taurus Judge doré et d'une dague de sécurité, puis s'arrêta devant le miroir, se demandant si elle était reconaissable. Tout le monde avait oublié Kathy Kane, mais Batgirl avait une mémoire eidétique, et James avait vu le visage de Kathy plusieurs fois, malgré son masque, et il était loin d'être idiot. Elle se demandait combien de temps l'ancien inspecteur/commissaire allait mettre pour savoir à qui il avait affaire lorsqu'elle conduisait sa voiture jusqu'à l'habitation en question, certaine d'y trouver la famille puisque Gordon était apparemment retraité.

Pour la première fois depuis des années, Kathy alliait un petit sourire et une accélération cardiaque notable lorsqu’elle frappa à la porte de son ancien allié, curieuse de la rencontre de deux pions ayant beaucoup évolué chacun de leurs côtés de l'échiquier... mais toujours dans le clan des blancs.

Alors que James Gordon regardait Kathy en attendant qu'elle réponde à son invitation, cette dernière, le souffle coupé, regarda le visage carré, vieilli et moustachu de Janus. Gordon avait changé depuis toutes ses années et son air fatigué et blessé par la vie traduisait avec lucidité les difficultés de l'époque présente, la ténacité de se traits et l'envie de vivre véhiculée dans ses pupilles énergiques incarnait un probable avenir, meilleur, un avenir combattif, issu d'une longue lutte atemporelle mais son visage.. C'était un souvenir au masque de chair, une incarnation vivante du passé, une partie ressuscitée de la mémoire de l'ancienne Kathy Kane et donc, d'une partie de la nouvelle. Depuis sa "mort" et sa prise de pouvoir à Spyral après l'excomunion internationale de son père nazi, Kathy avait très peu repensé à son passé, préférant se soustraire aux douloureux souvenirs dans la gloire de son présent, oublier la lumière de son ancienne vie dans l'ombre sous laquelle elle grandissait dans la nouvelle. Mais la vision du père de sa meilleure et toute première apprentie, et du premier inspecteur avec qui le précurseur de la justice nocturne avait pu travailler la fit glisser à nouveau vers cette pente délicate où dormait une Gotham à la criminalité beaucoup moins effrayante, une Kathy qui n'avait jamais tué personne et le fantôme de Bronze Tiger qui la poursuivait, prêt à frapper...

Elle prit une forte inspiration avant de répondre, jouant avec une natte dans ses longs cheveux, comme elle le faisait, une vie plus tôt, en s'adressant aux volutes de buée qui s'échappaient de la silhouette de Batman, avantageusement dessinée dans la nuit, un gang insouciant célébrant leur dernier braquage sous leurs pieds.. A l'époque, ils n'avaient fait que les ligoter et les attacher à des pilliers en attendant la police.. Désormais, elle se tenait devant un ancien cador de la police et elle s'efforcait à se sentir les mains sales sans y parvenir. Tout ce qu'elle avait fait avec Spyral était justifié.

- Je.. Oui.. Si ça ne vous dérange pas. Je connais votre fille, monsieur Gordon. Je vous connais aussi. Je suis.. un fantôme, qui a cessé d'exister depuis des années mais aujourd'hui..

Elle laissa la nuit passer ses longs doigts fins autour de quelques secondes et s'en emparer d'un bruissement vif, alors qu'elle laissait en suspens les derniers mots de sa phrase, sa main droite posée sur l'arme dorée passée à sa ceinture.

- Aujourd'hui, les choses vont mal, et j'ai décidé de revenir pour m'en occuper. Je pense que nous avons beaucoup à nous dire, James. Monsieur Gordon.

James Gordon. L'avatar terrestre de la maturité des pensées et la proue indéboulonnable de l'association des hommes réfléchis. Kathy réprima un petit sourire devant le front plissée de son interlocuteur, un inspecteur vieilli mais qui avait gardé ses anciens tics, et, devant la renaissance quinze ans en retard de Kathy Kane, il ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle avait dû avoir largement le temps de réfléchir durant sa mort. Rassénnérée, elle lissa les plis de son haut, cachant à la vue de l'inspecteur et éloignant de sa main les armes qu'elle avait apporté. Gordon n'était pas une menace, et elle doutait qu'il en devienne une - une immédiate en tout cas - lorsqu'elle allait lui révéler ce qu'elle était devenue désormais. Fidèle au souvenir qu'elle en avait, en plus fatigué et beaucoup moins rêveur, il se déplaçait dans son appartement avec la même prudente sûreté qu'il arpentait Gotham et tentait avec Kathy une conversation lucide et teintée d'humour qui dissimulait - s'il en avait ressenti - toute trace de surprise de sa survie sous un gros bloc de nostalgie. Oui, les années avaient passées, et plus elle écoutait l'ancien commissaire, plus elle s'autopersuadait qu'il était bien le fil idéal au bout duquel elle trouverait ce qu'elle cherchait : savoir ce que toutes ces années avaient portées, transportées, amenées et supprimée. Si Gordon ne gouvernait plus l'autorité gothamite, cette dernière était tant attachée à lui que la headmistress de Spyral n'avait même pas besoin de parler. Elle ressentait les changements à la vue..

Après avoir accepté silencieusement mais avec joie le sachet de thé, Barbara écouta la question de son interlocuteur et préféra répondre en poussant en avant une interrogation qui lui brûlait les lèvres et qu'aucun sachet de thé ne saurait calmer.

- Batg.. Barbara ? Barbara est encore en ville ? J'ai tellement vu grandir votre enfant James, je lui ai tellement donné. J'espère qu'il ne lui est rien arrivé de malheureux ?

Kathy prit le temps de délier ses longs cheveux noirs avant de répondre, les yeux posés sur les murs habillés de photos et de souvenirs de quinquagénaires faussement mondain, et trop vrai pour l'admettre.

- Ce que Batman a dit était totalement vrai. Batwoman est morte ce jour là, entre les griffes de Bronze Tiger, je présume que vous devez connaître ce gentilhomme, c'est un véritable amour. Batwoman a été.. elle s'est éteinte dans la douleur mais Kathy Kane a survécu.. En réalité, j'ai été sauvée, cela serait bien long à vous expliquer et vous risquez de mal prendre certains événements qui me sont arrivés ou plutôt que j'ai déclenché mais j'ai survécu, j'ai repris des forces et j'ai largement surpassé mon.. mon passé, c'est le cas de le dire. Mon alter-ego dirons nous. Je n'ai pas très envie de vous mentir : j'ai travaillé un peu partout, sans jamais oser returner à Gotham. SIS, CIA, DGSS... J'ai été mercenaire, je me suis infiltrée dans des organisations terroristes.. J'ai beaucoup appris. Beaucoup changé. Plus que vous, j'ai l'impression, vous avez encore votre vigueur d'antan sur le visage et votre vertue cachée dans vos mouvements.

Aujourd'hui, je suis à mon propre compte, et j'ai décidé de revenir à Gotham. Bien sûr, Kathy Kane, la réalisatrice, romancière et riche héritière ne reviendra pas. Elle est morte, ce serait vraiment trop attirer les médias que de raconter sa survie, d'une façon ou d'une autre. Je désire aider Gotham, et je me suis souvenue qu'avec Bruce, vous étiez le meilleur dans ce domaine. Gotham a elle.. changé elle aussi?