Après avoir sortis la tête d'une dizaine de feuilles de papier fraichement imprimées dont on pouvait remarquer que certaines phrases était surlignées en cyan, couleur identique à celle du marqueur posé sur le coté du bureau, le Docteur releva nerveusement ses lunettes en haut de son nez en observant son nouveau patient. Par mesure de sécurité, ses bras – ceux du patient – furent attachés par deux hommes musclés et habillés de blanc. Ce code vestimentaire ne trompaient personne, ils avaient autant l'air d'un médecin, qu'une taupe d'un jardinier. Le seul homme qui possédait réellement un doctorat en médecine brisa le mutisme général et conventionnel :
- Bonsoir Jervis, vous avez passé une bonne journée ?
- A qui parlez vous ? répondit le Chapelier en tournant la tête en direction des deux costauds postés deux mètres derrière lui comme de menaçantes gargouilles.
- A vous même, dit le docteur en relevant le sourcil droit.
- Ah. Appelez moi Chapelier.
- Vous n'aimez pas votre prénom ?
- Je n'en ai pas. Appelez moi Chapelier pour plus de commodité.
- Et pourquoi... Chapelier ?
- Et bien parce que c'est ce que je suis ! s'énerva le Chapelier.
Si on ne m'avais pas volé mon chapeau... affirma-t-il le regard soupçonneux en direction du Docteur.
Ce dernier préféra ignorer ce semblant d'accusation en répliquant :
- En ce qui me concerne je me nome Steevenson. Je suis votre nouveau psychiatre.
- Mmmh... marmonna seulement le Chapelier.
- Nous allons souvent nous voir pour discuter. Je tâcherais de comprendre votre regard sur le monde, j'attends que vous en fassiez de même avec moi. Chacun peut voir ce qui l'entoure comme il l'entends, mais il ne peut forcer les autres à adopter son point de vu...
- J'ai pourtant l'impression que c'est la raison pour laquelle je suis enfermé ici, coupa le Chapelier.
- Si mon prédécesseur avait cette intention, ce ne sera pas la mienne, assura le Docteur d'un ton doux qui ne trompait pas l'expérience du Chapelier.
- Alors qu'en pourrais-je partir ?
- Qu'en votre regard sur le monde ne mettra plus en péril celui des autres.
- Vous me prenez pour un criminel ?
- Au regard de la loi de ce pays, vous en êtes un.
- Alors nous ne vivons pas dans le même pays, Docteur. Le mien ne possède pas ce genre de loi. Si j'avais bel et bien agis de la sorte, j'aurais été exécuté et je n'aurais pas à subir cet emprisonnement ennuyeux.
- C'est sur ce point que vous vous trompez. Nous pouvons voir le monde de manière différente, mais il n'en reste pas moins substantiellement le même pour tous et agir dans celui-ci ne peut se faire en toute liberté sur ce territoire. Des lois existent et nous protèges, vous, moi et tous les autres habitants ici. Ceux qui les enfreignent sont jugés et enfermés, mais ne sont pas exécutés ; c'est votre cas.
- Mmmh...
Ce pays que vous décrivez n'est pas le mien.
- Peut-être, mais c'est celui dans lequel vous vivez en ce moment. Votre pays est... autre part, lança le Docteur avec hésitation.
- Je pense tout le contraire Docteur. Nous sommes dans mon pays et vous me parlez d'un autre pays issu de votre imagination.
Le Docteur ne répondit pas tout de suite. Il devait probablement passer en revu mentalement ses enseignements.
- La nature et le fonctionnement d'un pays est déterminé par la majorité de ses habitants. Je peut vous assurer et même vous prouver que cette majorité pense comme moi et non comme vous.
- Combien y a t-il de fous dans cette majorité ?
- De fous ? répéta le Docteur étonné.
- Oui, des fous, Docteur. Il y en plein, dehors comme dedans. Et, puisque vous percevez le monde d'une manière bien étrange, vous devez l'être, fou, mais vous ne vous en rendez pas compte. Après tout, il y a beaucoup de fous ici. Ceux qui sont comme vous, sont aussi fous que vous !
Je vous le pardonne mais, je refuse de me laisser embobiner par un fou, répondit sèchement le Chapelier en pinçant les lèvres et levant les yeux avec mépris.
Le Docteur soupira à nouveau.
- Soit je suis fou et vous ne l'êtes pas. Soit vous êtes fou et je ne le suis pas...
- Ou nous le sommes tous les deux Docteurs ! C'est ce que vous pensez, n'est-ce pas ?
- Non, je ne suis pas fou.
- Allons, ne soyez pas timide à cause de ces brutes. Ils ont beaucoup de matière rouge, mais très peu de grise. Vous pouvez vous confier à moi... dit le Chapelier sur le ton de la confidence.
Vous êtes fou et vous aimez cela. Ça vous protège d'eux.
Le Docteur n'aimait visiblement pas la tournure de la discussion et préféra regarder sa montre en répliquant :
- Nous continuerons cette discussion demain, Jervis.
Le Chapelier ne réagis pas.
- Nous nous verrons demain, même heure, Chapelier.
- Avec plaisir, souri le Chapelier.
Les deux statues s'animèrent enfin pour s'occuper du Chapelier qui continua en sortant de la salle.
- Et n'oubliez pas de préparer le thé, Docteur. A 6h00 je prend toujours le thé sachez le et ce serais très impoli de votre part de ne pas m'en proposer maintenant que vous savez cela.
Le Docteur vérifia instinctivement sa montre. Les aiguilles indiquaient avec une normalité réconfortante 21H30. Il soupira.
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Le Chapelier fut conduit à sa cellule dans un sinistre bâtiment se faisant appeler le Centre des soins intensifs. Le chemin était long, non pas en terme d'espace, mais de temps. Ces protocoles répétitifs l'irritaient, mais il n'avait pas son mot à dire, évidemment. On ne cessait de lui répéter qu'il était enfermé sous le coup de la justice, lui avait plutôt l'impression qu'on l'avait pris en otage pour des revendications qu'il n'avait pas même le droit de connaître. Et, ce n'était pas la première fois.
Chaque fois qu'il pouvait enfin respirer l'air extérieur, c'était lors d'une action de libération massive. A croire que ses receleurs étaient aussi butés que leurs demandes immorales au point de n'être jamais satisfaites.
C'est au plus profond de l'Ile qu'ils détenaient, surveillé par de nombreux soldats et dispositifs modernes, que se trouvait le quartier où l'on enfermait le Chapelier et quelques autres individus pourtant sympathiques.
Tous étaient alors réduit à tourner en rond dans une pièce immaculée derrière un mur vitré qui ne leur offrait aucune intimité. C'était un insupportable affront à leur dignité, mais c'était finalement les meilleurs moments de la journée.
Lorsqu'ils en sortaient, ils devaient subir les longs sermons de prêcheurs déments, des examens de toutes sortes sortis de la tête de scientifiques fous et diverses séances de tortures pour ne leur soutirer aucune vérité, mais des mensonges. Comédie et boniments, voilà ce qui plaisait à tous ses brigands. Ils les forçaient à jouer une pièce, à jouer des rôles qu'ils avaient eux même écrit sans leur demander leur avis. Le Chapelier refusait de se soumettre à ce jeu de fous qu'il ne connaissait pas. Si au moins il était amusant comme un Quadrille de homard ou revigorant comme une Course cocasse, mais ce n'était rien de tout cela. Il s'agissait d'une farce triste à en mourir et le Chapelier n'avait pas l'intention de mourir d'ennui dans un lieu aussi sordide.
Il avala une poignée de médicament avec un verre d'eau sous le regard noir d'un surveillant. Certains lui était vitales, les autres avaient pour but de corrompre son esprit. Il était évidemment impossible de les distinguer si bien que le Chapelier devait ajouter à ces épreuves quotidiennes celle de conserver toute sa tête. Un tête attaquée sans remord par un cocktail chimique. Et, pas la moindre tasse de thé ou la moindre tartine pour se réconforter...
Le pays des merveilles avait bien changé depuis l'ascension de la reine blanche.
Les deux faux médecins laissèrent alors le Chapelier nu comme un vers et drapé comme un fantôme ridicule sur une couchette froide en proie avec des démons déguisés en inoffensives pastilles incolores.
Cette cure de blanc donnait vraiment la nausée...