Il était là, à quelques mètres de moi. Il marchait d'un pas aussi lourd que lent, transpirant des quelques mètres qu'il avait à peine parcouru. Il se dirigeait vers un des lieux les plus glauques de Gotham. Un endroit ou les plus fortunés se rendent pour laisser libre court à leurs bas instincts. Sadomasochisme, scatophilie, orgie, tout était possible et avec n'importe qui. Entre la mère de famille qui n'a trouvé aucun autre moyen d'arrondir les fins de mois et le jeune garçon à peine entré dans l'adolescence, on pouvait dire que les clients de ce genre de lieux disposaient d'un panel de personne suffisamment étoffé pour s'adonner aux pires sévices. Habituellement, je ne me préoccupe pas vraiment de ce genre d'activité, que ce soit des offreurs ou des demandeurs. Là, c'était un cas exceptionnel. Vêtu d'un long manteau noir et d'un chapeau melon tout aussi sombre, Harvey Davidaughter, car c'était son nom, semblait soudain se mouvoir plus rapidement, comme s'il se sentait suivi. C'est le cas. Je le voyais là, accélérer le pas, comme s'il pensait pouvoir m'échapper, tout en gardant la tête baissée, au cas où quelqu'un le reconnaîtrait. Qu'il se rassure, personne ne le reconnaîtra. Pas avant que quelqu'un ne retrouve son corps dans quelques heures.

Il faisait noir, le faible éclairage produit par les lampadaires était la seule chose qui me permettait de rester sur ses traces. Heureusement que sa surcharge pondérale ne lui donnait pas l'occasion de me semer. Il à l'air pressé d'arriver à destination.. Pressé de laisser ressortir le temps d'une heure tout ce qu'il y a de plus mauvais enfoui tout au fond de lui. Je me suis renseigné sur lui. Comme tout les premiers lundi du mois, il se rendra dans un bordel quelconque d'un des bas quartiers de Gotham. Comme tout les premiers lundi du mois, il paiera une somme coquette à un homme à l'apparence douteuse pour lui "emprunter" une jeune personne... Une trop jeune personne. S'en suivra de longues minutes de supplices pour celle-ci, avant qu'elle ne disparaisse totalement de la circulation.. Mystérieusement. La police ne vient jamais dans ce coin là, et personne ne veut avoir affaire avec eux. Alors qui ça peut bien déranger qu'un gosse, probablement orphelin de parents et sans autre famille, disparaisse ? Personne. Sauf moi. Harvey ne paye pas plus de 10 000 dollars uniquement pour abuser d'un enfant. Il paye aussi pour se détacher temporairement de ses pulsions meurtrières. Ce soir, personne ne mourra de sa main.

Sur le chemin qu'il emprunte pour se rendre dans son endroit favori se trouve un petit entrepôt abandonné. Abandonné... Ce mot qualifie à merveille cette partie de Gotham. Ici tout est possible, ici tout se fait, personne ne pose de question et tout le monde fait sa vie.. Ou sa survie, c'est selon. Toujours est-il que cet entrepôt sera l'endroit idéal pour mettre un terme à ses agissements. D'ailleurs cet entrepôt, il est là, à une dizaine de mètre. Quant à moi, je suis toujours derrière ce cher harvey. De ma poche je sors une corde en fer plutôt épaisse mais très souple, avec aux extrémités des poignets en caoutchouc, pour éviter de me couper. Je suis toujours derrière lui, mais je commence à m'élancer dans sa direction. Il m'a entendu, il commence à paniquer.. J'aime ça. Avant qu'il n'ait le temps de prononcer le moindre mot, le moindre cri, je l'attrape avec ma cordelette que j'enroule autour de son cou. Dans un même temps, je donne un violent coup de pied dans la porte rouillé de l'entrepôt avant de le traîner dedans. Je vois une poutre plutôt fine mais qui à l'air encore solide. Je relève Harvey et le plaque contre celle-ci, avant de l'y attacher grâce à une corde en lin, épaisse et grande, que j'avais emmené. Je n'oublie pas non plus d'entourer sa bouche avec un linge, pour étouffer tout cri de sa part. Je n'ai pas encore décidé de son châtiment. D'ailleurs, même pas le temps d'y réfléchir, car j'entends un bruit suspect...

"Qui est là ?" Dis-je calmement.

Un simple coup d'oeil sur ce qui se trouvait autour de moi alliée à quelques instants de réflexion m'avaient permis de trouver une dizaine de façon d'entrer dans le silence le plus total au sein de cet entrepôt. Les personnes à qui j'avais affaire venaient quant à elles de choisir les deux façons les plus bruyantes pour entrer. On a peut-être oublié de leur dire qu'une vitre brisée au sein d'un entrepôt vide, ça résonne ? Ou encore qu'une porte en taule rouillée vieille de plus de 50 ans, ça grince ? Toujours est-il qu'ils étaient là, autour de moi, sans que je ne puisse les voir. Je ne savais absolument pas ce qu'ils me voulaient. Peut-être étaient ils là pour moi, même si cela restait tout de même peu probable. Leur cible est à n'en pas douter la même que la mienne. Leurs motivations m'étaient bien évidemment inconnues. Est-ce que ces gens en avaient après l'épaisse liasse de billet qui déformait la poche de ce cher Harvey ? Ou étaient-ce des justiciers du dimanche qui étaient au courant des petites activités auxquels s'adonner ce sympathique quinquagénaire et qui souhaitaient y mettre un terme. Dans tout les cas, cette situation ne me plaisait pas. J'avais la vague intuition que tant qu'ils seraient dans les parages, ils m'empêcheraient de faire proprement mon travail. Je déteste ça.. Être interrompu pendant que je bosse. La confrontation, qu'elle soit physique ou verbale, semblait désormais inévitable entre ces deux individus et moi. S'ils étaient aussi forts que discrets, alors je ne risquai rien. J'extirpais de son étui un couteau à cran d'arrêt, dans le cas ou je serai amené à me défendre.

"Je ne sais pas qui vous êtes ni ce que vous voulez.. Mais si vous aviez l'intention de me prendre par surprise, c'est plutôt raté. Si  c'est l'argent du petit gros qui vous intéresse, prenez le une fois que j'en aurai fini. Si vous aviez l'intention de l'égorger hé bien.. Même si ça part d'une bonne intention, je suis déjà sur le coup. Cet enfoiré ne mérite pas de respirer le même air que vous et moi. Vous n'êtes sûrement pas là par hasard alors.. Pourquoi ne pas... Discuter ?

Je tâchais de me concentrer sur mon objectif. Aucune raison d'avoir peur. Vu l'entrée fracassante des deux hommes, ça ne semblait pas être de grands professionnels, mais mieux valait ne pas les sous-estimer.. Dans le pire des cas, je savais me défendre. Seulement, je ne pouvais me résoudre à tourner le dos à mes nouveaux copains pour m'occuper d'Harvey tant que je n'étais pas sûr qu'ils n'étaient plus dans les parages. L'endroit était assez sombre, il m'était difficile de les repérer avec si peu d'éclairage. N'importe qui aurait trouvé ça angoissant.. Moi je trouvais ça excitant. Mon coeur battait fort, j'avais l'impression qu'il allait transpercer ma poitrine.
Malgré tout, je n'aimais pas l'imprévu. Mon plan était parfait, Harvey ne devrait déjà plus être des nôtres si tout s'était déroulé comme je le prévoyais. Je jetais un bref coup d'oeil à ma montre. A cette heure-ci, je devrais déjà être dans ma voiture, en route vers chez moi, avec l'immense satisfaction d'avoir puni un tricheur.. Quelqu'un qui ment sur ce qu'il est réellement, qui cache ses vices derrière un visage gras, rougi par des soirées d'ivresse quotidienne. Je n'avais plus qu'à attendre que la situation se dénoue. Une chose est sûre, Harvey ne quittera pas cet endroit vivant.

"Je ne sais pas qui vous êtes ni ce que vous voulez.. Mais si vous aviez l'intention de me prendre par surprise, c'est plutôt raté. Si  c'est l'argent du petit gros qui vous intéresse, prenez le une fois que j'en aurai fini. Si vous aviez l'intention de l'égorger hé bien.. Même si ça part d'une bonne intention, je suis déjà sur le coup. Cet enfoiré ne mérite pas de respirer le même air que vous et moi. Vous n'êtes sûrement pas là par hasard alors.. Pourquoi ne pas... Discuter ?''

Un sourire se peignit sur le visage du premier homme, dissimulé sous une cagoule. Typique des faibles. Toujours vouloir repousser l'échéance. Tel était leur l'adage. C'était pitoyable. Il arrêta sa progression vers leur rival et s'écarta, de façon à se dissimuler entièrement dans l'ombre. Il laissa alors à son coéquipier le soin de répondre. Lequel fit craquer sa nuque de façon bruyante avant de s'avancer à son tour vers leur rival.

« Discuter ? Pourquoi ? As-tu quelque chose à nous dire ? Quelque chose que tu voudrais nous transmettre avant de mourir ? Je n'ai pas besoin de discuter. J'ai un travail à accomplir. Et je ne veux pas l'égorger, ce serait une mort bien trop douce pour cet immonde cancrelat. Non, je pensais à quelque chose d'encore plus douloureux. L'agent de la Ligue s'arrêta quelques secondes, le temps que son adversaire analyse les paroles qu'il venait de prononcer. Il le mérite. Et je suppose que tu le sais. Sache que son argent ne nous intéresse pas. Nous n'en avons pas besoin. Et que nous ne cherchions pas à te prendre par surprise. Nous n'avons pas besoin de cela pour te vaincre. Je présume que tu es armé. Le contraire serait étonnant. Attends...Tends l'oreille et écoute, écoute les gémissements du futur Feu Harvey Davidaughter. Écoute bien, ils vont s'intensifier. »

Le premier homme sortit des ténèbres et s'approcha sans de sa victime. De sa sacoche, il sortit sans un mot un assortiment de pinces et de couteaux. Le second rejoignit alors son interlocuteur et se plaça à côté de lui, certain à présent que l'inconnu ne l'attaquerait pas. Toujours en silence, le premier homme choisit dans son bagage une pince de forme étrange et un scalpel.

Plus personne ne parlait. Les gémissements de désespoir de Davidaughter s'amplifiait et montait de plus en plus dans les aigus. La vue d'un scalpel brillant lorsque l'on est attaché et bâillonné provoque très souvent des réactions similaires. L'outil en question s'approcha du torse du petit homme avant de remonter brusquement comme effrayé par l'absence totale de musculature à ce niveau du corps. Il s'arrêta à la hauteur des yeux et planta son regard d'acier dans celui d'Harvey. Sous la pression, la vessie de ce dernier rendit l'âme, déversant ainsi tout son contenu hors de son corps. Le scalpel s'agita tout d'un coup et entreprit de taillader l'arête du nez de sa victime. Hurlant intérieurement, Harvey ne réussit qu'à lâcher un insignifiant couinement à cause de son bâillon.
Ses souffrances ne s'arrêtèrent pas là. L'outil, manié avec une précision de chirurgien, abandonna sa tâche et se dirigea vers son nez. Les naseaux de la bête furent découpés et piétinés. Ses tympans éclatèrent. Le scalpel, fourbu, quitta la salle d'opérations et repartit dans son rangement. La pince, elle, lui arracha les lèvres et un simili-cri des plus déchirants. Puis le monstre s'évanouit.

« Achève-le. Nous sommes dans les temps. »

L'homme hocha la tête pour manifester son approbation et jeta un coup d'œil à l'étrange inconnu.
Bien. Au travail. Une petite boîte transparente fut sortie de la sacoche. Dedans des épingles de 7cm. C'était assez pour arriver aux nerfs. La première le réveilla. La seconde lui fit reprendre conscience de sa situation. La troisième lui fit comprendre quel était son ultime châtiment. Les 27 autres, plantés dans chaque partie de son visage, eurent raison de lui.

« Maintenant nous pouvons discuter. Commença l'émissaire de la Ligue. J'avoue que je suis légèrement intrigué. Tu ne le vole pas, tu n'as pas l'air empli d'une folie quelconque. Qui est tu et que veux-tu ? »

J'avais raison. Eux et moi avions les mêmes objectifs. Si nous étions en ce lieu ce soir, c'était pour accomplir la même tâche. Les deux hommes en revanche avaient l'air encore plus déterminés que moi, comme s'il s'agissait d'un règlement de compte, d'une vengeance quelconque qu'ils souhaitaient savourer un maximum en faisant souffrir leur victime. Harvey allait en prendre pour son grade. Je n'aimais pas cette marque d'impolitesse qu'était celle de m'interrompre au moment fatidique, mais je n'avais pas assez d'informations sur les deux lascars pour oser une confrontation directe. Tant pis, ce sera sûrement pour une prochaine fois. Je me décalais d'environ un mètre. Tel le loup qui se soumet au mâle alpha une fois la proie capturée, je laissais au plus fort le privilège de déguster en premier la chaire de la victime. Un simple geste m'aurait permis de perforer un rein à celui qui allait visiblement se charger de l'exécution d'Harvey.. Mais j'étais curieux de voir leur modus operandi... Pour finalement le regretter. Tout était vicieux, tout était fait pour rendre l'agonie du gros bonhomme plus longue. Du sang coulait de chacun de ses orifices. J'avais la sensation d'être dans une espèce de film d'horreur pour ado ou des litres de sang sont versés pour capter l'attention du spectateur en mal de sensation. Peut-être cherchaient-ils à m'impressionner. C'est chose faite.

« Maintenant nous pouvons discuter. Commença l'émissaire de la Ligue. J'avoue que je suis légèrement intrigué. Tu ne le vole pas, tu n'as pas l'air empli d'une folie quelconque. Qui est tu et que veux-tu ? »

"Empli d'une folie ? Non, pas du tout. J'ai juste ma propre vision de la justice. Je puni les criminels de l'ombre, ceux que la police ne capture jamais car ils sont trop lâches pour oser exposer au grand jour leur folie. C'est juste qu'habituellement, j'exécute mes cible avec plus de... Sobriété.. Je ne laisse pas mes sentiments guider mes actes. Je ne m'acharne pas avec barbarie sur ces criminels sous prétexte que ce qu'ils ont fait me répugne. Rapide, précis et efficace, sans jamais laisser 5 litres de sang au sol comme vous venez de le faire. Pour ce qui est de mon identité.. Appelez moi comme vous voudrez."

Un silence se marqua durant la conversation. J'en profitai contempler les dégâts et pour faire quelques pas au sein de l'entrepôt, afin de me dégourdir un peu les jambes. Je ne devais pas trop en dire à mon sujet. Si ils étaient là ce soir, c'est qu'ils savaient comment pister une cible. J'habitais assez loin d'ici, je n'étais membre d'aucune bibliothèque, d'aucun vidéo club, je payais toute mes factures en cash et j'utilise des pseudonymes dans la mesure du possible. Bref, je ne suis définitivement pas l'homme le plus facile à débusquer dans cette ville.. Mais mieux valait rester prudent, je ne savais absolument pas de quoi étaient capables ces hommes, ni des moyens dont ils disposaient. C'est grâce à ça que j'ai pu rester en vie jusque là, et je compte bien le rester, ne serais-ce que pour pouvoir appliquer ma justice. A priori, ces hommes ne me voulaient pas particulièrement de mal, il fallait que je fasse en sorte que cela reste ainsi.. J'aurai très certainement l'occasion de les recroiser un jour si l'envie me prend de leur rappeler qu'il est très mal élevé de voler la cible d'un autre.

"Pour faire un bref résumé, je purifie Gotham selon des critères qui me sont propres, je ne rends de compte qu'à moi même.. Maintenant, je me permet de vous retourner la question.. Qui êtes vous ?"