Dans quelques jours seulement, les murs séparant Gotham City et New Gotham City allaient être détruits, et la séparation tant administrative qu'économique et civile abolie. Le travail de tout un mandat mis à bas en seulement quelques jours et des travaux de réaménagement qui ne pourrait que regonfler les petites entreprises. Et avec ces retrouvailles, Gotham redevenait voisin de sa fameuse île infernale personnelle, et des Gothamites normaux allaient à nouveau pouvoir apercevoir miroiter au loin, au fil de l'eau, les murs blancs de l'Asile. C'était ici que Talia avait prévu de se rendre après sa première conférence au GCPD et avant de finir sa tournée à l'Université. Elle aurait pû aller à Blackgate, légérement plus loin mais beaucoup plus bondée, mais elle savait que c'était la folie et la démence qui menaçaient réellement cette ville et elle voulait aller la voir en face. Les différents docteurs et membres du personnel administratifs d'Arkham comme de Blackgate, ainsi que du public moins spécialisé, avaient été conviés à sa conférence, dans une salle équipée près de l'entrée de l'Asile, et elle avait demandé à ce que sa voix et les échanges avec les membres de la salle soient entendus par les prisonniers et les fous, grâce à des hauts parleurs qui amènerait la volonté de la nouvelle Maire jusque dans les cellules et les parloirs.

Moins seule qu'au GCPD, Talia s'était encore une fois mise debout au fait d'une estrade devant la salle immaculée et faisait face à tous les docteurs et les criminels qui avaient voulu assister en restant gentils, et étaient eux mêmes surveillés et probablement calmés, elle l'espérait. De toute façon, sa garde s'assurait qu'elle restait intouchable alors que, justement, elle souhait se découvrir pour se rapprocher de Gotham. Après un coup d'oeil balayé dans l'assistance, Talia se rendit compte qu'elle avait dèja eu affaire à beaucoup de ces gens avec la Ligue ou le Léviathan, et ne put s'empêcher de sourire, avant de reprendre son masque d'indifférence pour commencer son discours.

- Je suis Talia Head, nouvelle maire de Gotham City, et ceci est ma première conférence entre ces murs. Je souhaite m'entretenir aujourd'hui de la sécurité de ce bâtiment, de l'avenir des criminels et de l'avenir de la place d'Arkham et Blackgate dans cette ville, ainsi que de leurs directions. Je pense aussi faire passer un message aux criminels qui m'écoute et qui prennent Gotham pour leur terrain de jeu. Avez vous, avant tout, des questions ?

HRPG : La partie sécurité se fera bien entendu sans criminels.

Dante avait en son temps définit l'enfer, cercle par cercle, avec un attention et un soucis du détail qui l'avait un temps rendu plus vrai que Nature. S'il eut été entré dans l'appartement de Karl, alors sans aucune doute le poète serait mort de dépit. Ce n'était pas à l'image de l'enfer divin, mais à l'image de l'enfer du réel. Désormais PDG en plus de génie criminel, le Docteur ne parvenait plus à s'accorder de temps suffisant pour gérer son intérieur. Des piles de dossiers hérités de son père et qu'il enrichissait au fil de années s'entassaient lamentablement sur une table basse recouverte par des emballages de nourriture acheté à la va-vite au soir. Les murs, recouverts par un papier-peint antédiluvien soutenaient de nombreux posters de la RDA et de profils chimiques de molécules. Un immense tableau de la classification périodique était encadré juste au dessus d'un canapé usé par le sommeil de Erwin qui tenait à assurer en toute circonstance la sécurité de son supérieur.

La chambre du Docteur était effrayante de banalité, lit défait, tapis de sol poussiéreux et un amas impressionnant de linge sale dans un coin. Il avait un temps espéré payer une femme de ménage mais le nombre de seringue que contenait sa salle de bain l'avait fait se raviser. Au lieu de cela, l'univers de Karl se figeait dans la morosité du temps. Passer des heures dans son laboratoire à concocter des substances mortelles était à son goût, faire le ménage était une autre paire de manche. Alors qu'il ré-empilait des papiers de son bureau, transvasant consciencieusement une pile sur trois autres afin d'atteindre son ordinateur, son téléphone sonna. Erwin se réveilla, provoquant la chute du journal dont il avait entamé la lecture avant de s'assoupir. Les deux hommes se regardèrent, les deux se posaient deux questions distinctes, le premier se demandait où il avait laissé son téléphone fixe, l'autre s'étonnait de découvrir la présence d'un téléphone fixe dans cet univers de désordre.

Karl se rapprocha de la zone du bruit, enleva un lot de lettre de réclame du meuble de son entrée et décrocha le combiné.

- Ja? fit-il.

- Docteur Hellfern? La secrétaire de monsieur Jeremiah Arkham à l'appareil.

- Que puis-je pour vous? demanda-t-il en regardant son reflet dans le miroir voisin.

D'immenses cernes soulignaient ses yeux rougis par la fatigue.

- L'Asile tenait à s'assurer que vous n'oubliez pas la conférence d'aujourd'hui.

Le silence de Karl fut éloquent. De toutes ses priorités, participer à un colloque improvisé de la part de l'Asile était probablement la plus basse, juste avant le ménage.

- La direction préfèrerait que tous ses médecins, même référents, soient présents pour rencontrer madame le Maire.

- Madame le Maire?

- Mademoiselle Head, la nouvelle maire de Gotham, insista la secrétaire comme si elle parlait à un extraterrestre.

Karl abaissa le combiné et demanda à voix basse qui était "Mademoiselle Head". Erwin souleva son journal, encore dans le gaz, et montra l'immense photographie de la politique en première page, surlignée par le titre "LA NOUVELLE MAIRE". Une jeune femme qui ne manquait pas de charmes semblait-il.

- Naturellement, fit le docteur, à quelle heure?

- Cet après-midi monsieur, à 13H30.

- Parfait, répondit-il en raccrochant. Nous avons changé de Maire?

- Il y a eut les élections Docteur, rappela Erwin, peut-être étiez-vous trop absorbé par vos recherches.

Il y avait eut cette affaire avec Bane, la rencontre avec L'Artiste et enfin le rachat d'Axis Chemixal, Karl avait effectivement été peu soucieux de l'agitation des institutions. Il saisit le journal des mains de son subordonné et le feuilleta. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas lu de programme politique, en RDA l'on ne s'embêtait pas beaucoup avec les programmes et de sa vie dans Gotham il n'avait que très peu porté attention à celle-ci. Il entendait dans les couloirs de l'Université ou de l'Asile quelques petites discussions à ce sujet, mais son domaine de compétence le rendait hermétique aux discours qui parlaient d'argent, d'économie, de rigueur. Le mot écologie le fit sourire, il était heureux d'avoir remis aux normes Axis Chemical, ça lui éviterait des ennuis futurs, enfin, il l'espérait, un cadavre d'auditeur gouvernemental ne devait pas être le genre de preuves qui s'effaçait rapidement.

Il referma le journal et lança un joyeux.

- Refaisons-nous une beauté, nous allons rencontrer notre nouvelle Maire!

Des ablutions, une injection de NKV et un costume enfilé, le voici au volant de sa voiture. Il avait opté pour une tenue sobre, une chemise écrue qu'il ne s'était pas résolu à fermer jusqu'au bout, un costume noir, une pochette écrue dans la veste. Dans la vie, Karl Hellfern était décontracté, insouciant. Il connaissait à ce point la Mort qu'il savait qu'une armure trois pièces moderne, épingles à cravate en prime ne servait à rien, cela lui permettait de relâcher sa propre attention vestimentaire. Il avait enfilé deux gants en cuir noir qui lui donnaient l'air d'un parfait tueur, mais il aimait le bruit du cuir et son odeur. Les rues de Gotham étaient encore en train d'être nettoyées à grand renfort de Kärscher, il avait lu un article à ce propos, des gens qui avaient parachutés de cadavres sur la ville, sans parachute. Il sourit en s'imaginant la scène. Cette ville était vraiment en train de s'enfoncer dans l'Apocalypse.

La sécurité de l'Asile avait grandement profité de New Gotham City. Ses nouvelles grilles étaient plus hautes et plus épaisses. Les grandes flèches métalliques qui ornaient ses hauteurs semblaient transpercer le ciel grisâtre d'Avril. Une belle pluie les attendait. Un garde vérifia ses papiers, le salua brièvement et lui indiqua la position du parking ouvert pour l'occasion. Il s'enfonça dans les entrailles du bâtiment gothique, presque devenu le symbole de la ville de Gotham. Le frein à main dûment serré, Karl saisit son manteau avant de se raviser et verrouilla son véhicule. Une voix féminine le salua. Il se retourna et découvrit un visage d'aigle encadré par sept tresses enrubannées de rouge.

- Docteur Synner, fit-il avec un sourire sincère. Ravi de vous revoir.

Ils se firent une bise de circonstance et se dirigèrent ensemble vers le lieu de la réunion. Ceux-ci bavardèrent de tout et surtout de rien en rejoignant l'ascenseur, elle lui parla de l'épouvantable mois qu'ils traversaient avec sa météo capricieuse, Karl plaisanta en ajouta qu'il pleuvait des "corps" trop souvent. Son humour faisait toujours mouche avec sa collègue, elle semblait très axée sur l'humour noir. Le hall avait été aménagé pour la circonstance, des sièges se tenaient devant une vaste estrade où se tenait vraisemblablement la nouvelle Maire. Il observa un temps cette dernière, les photographes du journal ne lui avaient pas réellement rendus honneur. Il salua quelques collègues qu'il croisa et s'assit paisiblement aux côtés de Alice Synner.

Le Docteur Arkham, le très estimé directeur de l'asile prit la parole en premier, toujours prêt à défendre son patrimoine et son héritage. Cet individu était probablement le fantôme le plus concret que Karl ait rencontré, discret, taille moyenne, un monsieur tout le monde qui dévorait une page de bible avec ses céréales et parlait sans jamais hausser le ton. De toute sa vie il n'avait jamais vu un homme avec tant de responsabilité avec des épaules aussi maigre pour le porter. Mais sa nomination semblait satisfaire tout le monde, il ne rechignait pas à la tâche, réfutait l'existence du monde au delà des murs de son établissement et soyons franc, le simple fait de savoir qu'il était autant enfermé avec ses patients qu'eux-mêmes rassurait les gens "normaux" qu'il mettait souvent mal à l'aise.

A leur côté, on avait fait sortir Lynns, "un insecte tout feu tout flamme", lui avait un jour décrit un infirmier. Cet homme était clairement atteint par une pyromanie dévorante et des années de thérapies n'avaient pas fait reculer d'un pouce sa folie. Arkham pensait sans doute l'amadouer plus tard avec des passages de la bible, mais que donnerait l'évocation du feu divin à cet Homme? La psychologie le dépassait totalement et ses collègues n'avaient jamais cherché à l'en instruire, sa spécialité était de raffiner des médicaments et d'aider au mieux l'élaboration de nouvelles camisoles chimiques. La neurologie et les nouvelles théories sur le lien entre le cerveau et l'esprit convergeaient toutes vers ses spécialités. Il leva d'une façon distinguée l'une de ses mains.

- Permettez-moi de rajouter une question à celle de notre directeur: y'aura-t-il l'élaboration d'un nouveau plan de soin? Je veux dire, l'asile dispose de plusieurs cellules de recherche, va-t-on se décider à faire un compte-rendu de l'efficacité de ces derniers et entreprendre d'en fermer certains pour en ouvrir d'autres? Ou cette conférence va uniquement tabler sur la sécurité physique des installations?

Voilà le point qui intéressait le Docteur. Pourrait-il faire valoir de nouveaux pouvoir au sein des cellules de recherche de l'Asile? Il n'était pas carriériste, mais il savait que l'Asile recelait un vivier constant d'individus prêts à mourir et tuer pour rien, une réserve inépuisable d'individu qu'il pouvait détourner pour sa propre cause, moyennant quelques traitements chimiques.

Avant de répondre, Talia mit un peu d'ordre dans ses fiches et prit le temps d'observer les quelques agacés et curieux qui lui avaient posé des questions. Elle prit par ailleurs la décision d'ignorer le Firefly, esprit dérangé qu'il faudrait vite ramener dans sa cellule. Il avait un caractère pour le moins ardent mais c'était pour refroidir les criminels que Talia avait été quasi-élue à la place de Maire. Elle avait dèja vu que le commissaire en poste, Andrew Blake, s'occupait sur les chantiers de la Blackgate modernisée et agrandie. Il s'agissait donc de faire une présentation rapide et précise de ce qu'elle escomptait pour les bâtiments d'incarcération et de soins extrêmes. Les plaintes d'Arkham et les questions du mystérieux Hellfern étaient un tremplin parfait.

- En tant qu'ancienne employée et CEO de Lexcorp, je superviserai personellement le prochain partenariat entre Star Labs et la mairie pour permettre à l'Asile d'obtenir de meilleurs équipements et de trouver de meilleurs camisoles chimiques, sûres et efficaces. La sécurité, ici, n'est pas optimale, désolée monsieur Arkham. En témoignent les multiples évasions qui aboutissent à des dégats plus ou moins apparents dans la ville et les soupçons de corruption dont beaucoup de criminels arrêtés se font les messagers.

Le personnel d'Arkham passera donc au peigne de la Grande Enquête et les installations seront revues, la sécurité augmentée et les emplois réaménages, nous dirigereons des étudiants vers Arkham dès la PCEM1. Nous avons besoin de spécialistes, et de bras. Arkham doit être forte, pour que Gotham ne soit plus faible. Des recherches seront effectivement ouvertes, sur plusieurs plans pour aboutir à une sécurité op-ti-male et si elles seront risquées, elles sont nécessaires. Nous allons devoir explorer toutes les strates de la médecine et produire une incarcération aussi respectueuse qu'efficace pour soigner les hommes comme Firefly.