Ma routine était des plus ennuyeuses. J'oscillais entre quelques consultations en cabinet où à Arkham. Entre-temps, l'université de Gotham accepta ma candidature pour enseigner la psychologie aux étudiants. La conférence d'aujourd'hui était ouverte au public. Je voulais voir de nouveaux visages, ceux qui s'intéresseraient à mon travail risqueraient de me contacter ensuite. Il faut que je songe à écrire un livre un de ces jours.

Des étudiants et quelques visages inconnus s'étaient installés dans l'amphithéâtre de l'université. Je reconnaissais certains élèves studieux avec qui j'avais déjà travaillé. Certain riaient, je les toisai du regard. Je préparais mes notes sur le seul bureau présent sur la scène de l'amphithéâtre. Je vérifiais que mon micro marchait.

J'attendis les derniers retardataires et commençais à faire une accroche pour attiser la curiosité de mon public.

- " On dit que les phobies naissent dans le ventre des mamans. L'Homme a dompté le feu, a inventé la roue, a écrit son histoire et a crée des armes pour sa survie. Chacun des progrès de l'Homme a été motivé que par une seule chose. Savez-vous quoi ? "

J'observais les faces silencieuses. Ma question était purement rhétorique, personne ne répondit.

- " La peur mesdames et messieurs. La peur de mourir, la peur de souffrir, la peur d'être oublié, la peur de la solitude et j'en passe. Ces peurs-là sont naturelles selon leurs manifestations. La peur est souvent définie comme une émotion ressentie en présence ou dans la perspective d’un danger. Dans ses formes primaires, la peur se présente sous deux types de manifestations : la peur passive caractérisée par des phénomènes d’inhibition, de paralysie et la peur active marquée par l’affolement verbal ou moteur. Les réactions liées à un danger possible sont d’influence et d’aspect très divers : l’appréhension, le stress, la crainte, l’inquiétude, l’anxiété, l’angoisse, la panique. Elles relèvent toutes d’un sentiment d’impuissance devant les dangers d’un monde estimé menaçant. Le terme « danger » doit être entendu au sens le plus fort du terme, à savoir comme une confrontation avec la mort. "

Je les regardais et laissai quelques secondes de silence s'écouler.

- " Est-ce que quelqu'un souffre d'une phobie dans la salle ? Allez, il n'y a aucune honte à l'avouer. J'en ai une aussi et j'aimerais que quelqu'un me rejoigne pour qu'on en apprenne plus sur les phobies. "

J'attendais que des mains se lèvent. La conférence allait devenir intéressante à ce moment très précis.

Kagi avait récemment entendu parler d'une conférence sur les phobies donnée par un certain docteur Jonathan Crane.
Et ce nom lui disait quelque chose.
Et s'il allait voir, juste par curiosité, cette conférence qui était apparemment sur les phobies?
Cela pouvait toujours être très intéressant et instructif. Et il n'était pas contre cela.
Les phobies.
Un sujet particulièrement intéressant pour le parrain yakuza qui, des fois, jouait sur les peurs des autres.
A part qu'avec lui, c'était réel et non hallucinatoire comme certains le penserait.
Quant à ses petits secrets, ils n'étaient pas tous mis au grand jour.
D'ailleurs, peu de personnes connaissait l'existence de Seikyo Akumu alias Kagi, pas à Gotham du moins.
Ok, à Kyoto on le reconnaissait facilement et on s'écartait toujours de son chemin pour les ennemis et on le saluait pour les autres - alliés ou neutres. Après tout, il était spécial et différent, mais ceci est une autre histoire.
Et aujourd'hui en démarrait une autre, un autre chapitre de son histoire, de son théâtre de la Vie comme il disait.

Mais bref...revenons à cette conférence.
A dire vrai, Kagi en manqua le début.
Le temps qu'il enfile quelque chose de moins voyant - c'est-à-dire un costume-cravate noir et ses lunettes - et qu'il trouve le chemin - puisqu'il se perdit pas mal de fois avant de trouver le lieu - il avait bel et bien manqué le début.

"Et mince."

En retard, ce fut tout ce qu'il put entendre du début de la conférence:

- " La peur mesdames et messieurs. La peur de mourir, la peur de souffrir, la peur d'être oublié, la peur de la solitude et j'en passe. Ces peurs-là sont naturelles selon leurs manifestations. La peur est souvent définie comme une émotion ressentie en présence ou dans la perspective d’un danger. Dans ses formes primaires, la peur se présente sous deux types de manifestations : la peur passive caractérisée par des phénomènes d’inhibition, de paralysie et la peur active marquée par l’affolement verbal ou moteur. Les réactions liées à un danger possible sont d’influence et d’aspect très divers : l’appréhension, le stress, la crainte, l’inquiétude, l’anxiété, l’angoisse, la panique. Elles relèvent toutes d’un sentiment d’impuissance devant les dangers d’un monde estimé menaçant. Le terme « danger » doit être entendu au sens le plus fort du terme, à savoir comme une confrontation avec la mort. "

Quelques secondes de silence s'écoulèrent tandis que Kagi cherchait une place.
Bon, au moins il passait relativement inaperçu dans la foule.
Façon de parler.
On le regardait bizarrement avec ses longs cheveux gris et sa cicatrice qui lui barrait le visage comme si on lui avait coupé le visage en deux. Ce qui, d'une certaine manière, n'était pas faux - mais ceci est encore une autre histoire.

- " Est-ce que quelqu'un souffre d'une phobie dans la salle ? Allez, il n'y a aucune honte à l'avouer. J'en ai une aussi et j'aimerais que quelqu'un me rejoigne pour qu'on en apprenne plus sur les phobies. "

Instinctivement, Kagi leva la main.

-J'ai la phobie de la vie c'est grave?

Un homme avait levé la main et avait posé une question assez inattendue. Elle me déconcerta assez.

-J'ai la phobie de la vie c'est grave?

Je jaugeais l'homme dans l'audience et me rendait compte que certains étudiants avaient commencé à le dévisager de par l'étrangeté de sa question. La phobie de la vie ? Il me semblait que cette question était un paradoxe total vu le fait que l'homme en face de moi semblait âgé et n'avait pas tenté de se suicider. Il n'avait pas l'air de l'un de ces fous cloîtrés à la peur de chaque contact humain.

- Assez grave d'autant plus que la phobie de la vie ne porte pas de nom car en droit, elle n'existe pas. N'importe quelle personne atteinte de ce genre de phobie se serait arrangé pour passer de vie à trépas d'une manière plus où moins originale. Vous êtes encore vivant et semblez en bonne santé et vous m'annoncez que vous avez la phobie de la vie. Voyez-vous le paradoxe ?

Je voulais voir quel petit jeu il menait. Cela me semblait vraiment étrange mais j'étais là pour donner mes connaissances à tous ces braves gens.

[Désolé pour mon retard dû à une période de déprime additionnée à une période de bacs blancs.]

- Assez grave d'autant plus que la phobie de la vie ne porte pas de nom car en droit, elle n'existe pas. N'importe quelle personne atteinte de ce genre de phobie se serait arrangé pour passer de vie à trépas d'une manière plus où moins originale. Vous êtes encore vivant et semblez en bonne santé et vous m'annoncez que vous avez la phobie de la vie. Voyez-vous le paradoxe ?

-Hi hi hi hi! Les paradoxes font partis de ma vie courante Docteur Crane. Hi hi hi hi!

Ce rire déconcertant et fou, reconnaissable entre mille.
Le Docteur Crane et Kagi s'étaient déjà croisés avant et le Yakuza Gris avait déjà fait entendre ce rire à ce cher Docteur Crane.
Par conséquent, il devrait le reconnaître. Au moins. Faire un signe comme quoi il le reconnaissait.
Sinon ça n'est pas amusant du tout.

Il continuait d'avancer puis s'arrêta dans une allée.

-Qui vous dit que je ne suis pas déjà presque mort? Je me meurs depuis quelques années vous savez...

Ce qui était relativement vrai.
Dix-huit ans qu'il attend quelque chose, un miracle qui n'est jamais venu.
Un coeur.

Et il avait cessé de rire et de sourire.
Ce qu'il disait sur lui était sérieux. Et vrai.
Malheureusement.