Pourquoi est-ce que je m’évertue à mettre des bâtons dans les roues à la mafia gothamite ? Oh parce que les rouages du système ressemblent à une opportunité pour des gens paumés qui finissent par en payer le prix fort toute leur vie – parce que dés qu’ils vous ont appâté, ils vous pressent comme des citrons jusqu’à vous vider de toute substance vitale, vous laissant avec votre seul regret d’avoir eu confiance pour vous en sortir. Je connais bien le système – j’ai moi-même dû faire pas mal de choses qui me débectent quand j’étais jeune pour survivre dans la rue, dans le monde hostile. J’pourrai bien enfoncer les portes à coups de talons et menacer tout ce beau petit monde mais les gens de la mafia retombent toujours sur leurs pattes. Ils ont des flics, des ripoux, qui sont là pour les protéger. Ce qu’il me faut, ce sont des preuves. Falcone – ce que ce nom suscite en moi est un sacré méli mélo d’émotions toutes aussi vives que mesquines. Comment croire que la nièce est presque aussi pire que Carmine Falcone ? A vingt deux ans, la jeune Elena s’amuse à jouer les maquerelles autoritaires, menant d’une main de maître le Moulin Rose qui est censé pousser des filles au strip-tease mais qui les mène à bien plus que ça. Je me demande bien ce que ce joli minois renferme comme pensées tordues – pour pousser des filles à se vendre, leur donnant l’espoir de se tirer un jour de cette toile inextricable. Non, faut que je fasse ça bien – faut pas que je me lance dans une vendetta violente même si je sais que ça me ferait un plaisir fou de livrer la donzelle à le même spectacle qu’elle offre à ses filles. Il faut que je réunisse des preuves, et pour ça, il faut que je me glisse dans la peau d’une d’elles – ses filles pétries par l’appât du gain, qui rêve d’être belle, sensuelle, et surtout tout ça dans le respect le plus total. Si toutefois Falcone daigne me remarquer, une fois un pied dans la boîte, j’aurai tout le loisir de récolter ce qu’il me faut – quitte à briser le rêve de la jeune Falcone avant de partir. Je connais assez bien le domaine, et encore plus les exigences. J’suis peut-être un peu vieille par rapport aux jeunes insouciantes qui se présentent habituellement mais j’ai mon genre, et je peux faire croire que j’ai pas mal roulé ma bosse avant de venir ici. Ça passe ou ça casse. De toute manière, si je ne la convaincs pas, j’aurais vite fait de revenir sous une autre peau pour régler cette affaire – même si c’est pas la meilleure pour arriver au bout de cette putain de mascarade.

Je darde mes prunelles sur la façade du Moulin Rose dont l’enseigne n’est pas encore miroitante à cette heure de la journée. J’ai teint mes cheveux en châtain et je leur ai donné une forme qui ne prêtera pas à ce qu’on me reconnaisse. Du moins, je l’espère. Je suis serrée dans une robe plutôt simple et juchée sur des talons de plus dix centimètres – chose qui devrait faire son effet. Je me dirige d’un pas sûr vers l’intérieur de l’établissement. Y a un sacré paquet de filles qui se pressent à l’intérieur, impatientes de rayonner devant la maîtresse des lieux. Elles couinent, elles stressent, et ça m’ennuie – la seule envie que j’ai c’est de les gifler et de leur coller le nez sur ce qui les attend. Je reste dans un coin, bras serrés contre ma poitrine. Les filles s’égrènent et certaines reviennent en sanglotant. Il semblerait qu’Elena soit d’humeur à faire déprimer aujourd’hui.

Mon tour vient assez rapidement et je pénètre dans la pièce à l’ambiance tamisée pour rejoindre la scène qui fait face la jeune Falcone, assise sur son siège – impérieuse. Quel ravissant petit minois. J’affiche un petit sourire et je tente de me glisser dans mon rôle du mieux que je peux. Pas de mépris, juste de la fascination et de la hâte. Des paillettes plein les yeux.

« Bonjour. Je m’appelle Stacy et je suis à Gotham car votre établissement est le meilleur qu’il m’est donné de voir. J’ai vingt six ans et j’ai parfaitement conscience de ne pas sembler aussi jeune que ces filles, mais je pratique la danse depuis bien plus longtemps et mon corps est toujours aussi beau à voir – à ce qu’on m’en dit. » – Elle mentait clairement sur son âge, tout comme elle avait toujours su paraître assez jeune. Il fallait dire que ses exercices nocturnes lui avait permis de garder un corps tonique. J’attends qu’Elena, de par son regard critique me désigne la piste de danse et j’y grimpe pour faire une petite démonstration de mes talents. Ça pourrait presque me sembler amusant, si ça n’était pas aussi pitoyable. On ne peut pas dire que je manque de sensualité, même si ça m’amuse encore plus d’en faire effet lorsque je suis dans mon autre peau. Il n’empêche que je remue les hanches, le regard tourné vers celle qui me juge. Le petit spectacle doit durer à peine une minute, le temps que je m’enroule, que je me délace, avant que la musique s’arrête et me laisse face au jugement. Je fais quelques pas, une petite moue aux lèvres et j’attends le verdict. De là, viendra la manière d’où je les ferai payer, tous.

Me voilà face au verdict. Je plante mes yeux dans ceux de la gamine, les bras croisés contre ma poitrine, patiente. Je m’attends à une remarque un brin sarcastique vu que la demoiselle a pour habitude de dénigrer ses danseuses, et pourtant, à ma plus grande surprise, elle me propose le job. Oh, je ne doute pas franchement de mes compétences de danseuse mais je pensais qu’Elena Falcone était plus du genre à asseoir sa domination pour mettre d’emblée les choses au clair. Commencer ce soir ? Plus vite je commencerai, plus vite ça sera terminé. Je me fends d’un sourire et j’acquiesce du chef.

« Avec plaisir. » – Que je lâche avant qu’elle ne s’empare de son téléphone pour répondre à un appel et s’éclipser ce temps là.

Mon visage souriant adopte un air ennuyé et je récupère mes affaires, enfilant ma veste d’un geste lent tandis qu’une des filles se dirige vers moi pour m’avertir. Je salue son audace – si seulement elle savait ce que je pense déjà du Moulin Rose…

« Ah bon ? Qu’est ce que t’entends par là ? C’est le meilleur établissement du coin. » – Lui dis-je sur un ton voulu convaincu.

Un gros bras s’approche, nous lorgnant avec hostilité. Et bien quoi mon gros ? C’est comme ça que t’accueille les nouvelles ? En leur interdisant de causer entre elles ? Pour sûr que l’ambiance doit être du tonnerre dans l’coin. Oh, je me fais la promesse pour que cette histoire ne durera pas longtemps. J’commence dés ce soir, et si je réunis assez de preuves pour faire tomber le Moulin Rose, alors j’vais pas faire des heures supp’ pour le plaisir. A voir combien de temps ça prendra avant que ça ne dérive lentement aux propositions tendancieuses qui ne deviendront plus un choix. Chez moi j’ai ce qui faut. De quoi enregistrer les discussions, même de quoi prendre quelques photos de l’établissement avec discrétion.


Lorsque je reviens le soir, je fais mine d’être angoissée, comme si j’allais donner une représentation prestigieuse. Dans mes affaires, les gadgets les plus discrets que j’ai pu obtenir – caméra en épingle dans mes cheveux, petit micro en guise de boucle d’oreille. J’ose espérer que je vais avoir quelques infos croustillantes à me mettre sous la dent. Je me pointe dans la salle où toutes les filles sont en train de se préparer et je tente d’en faire de même. Je ne sais pas trop ce qui m’attend ce soir, mais je suis presque impatiente de le découvrir.