Léo était lancé à toute allure, en quelques secondes il aurait quitté la rue. Soudain, une violente douleur lui foudroya la jambe. Il trébucha et s'étala par terre en s'écorchant les paumes des mains sur le macadam. Il regarda derrière lui. Une dague était plantée dans sa cuisse droite, et du sang coulait de la plaie en rigoles qui commençaient à former une flaque sur le sol. Il essaya de se relever, mais aussitôt, la jeune femme bizarre se jeta sur lui et lui immobilisa les bras et les jambes avec une sorte de prise de karaté. Sur le coup, Léo était trop choqué pour essayer de se défendre. Il vit alors arriver un grand homme vêtu d'un costume-cravate et d'une sorte de cagoule blanche sans trous. L'homme-lion regarda, comme hypnotisé, l'homme bizarre se pencher et arracher la dague, lui arrachant un rugissement sonore et quelques larmes. A travers le voile rouge de la rouleur, il vit l'inconnu tracer sur sa cagoule une sorte de sourire enfantin avec le sang qui dégoulinait de la dague. Mais sur quel espèces de psychopathes était-il tombé ?

-On ne s'échappe pas aussi facilement de mon étreinte, et surtout, on ne peut me laisser seule sans en payer le prix...fort...

Ces paroles lourdes de menaces sortirent Léo de sa torpeur. Il se releva d'un bond, malgré l'emprise de Hawk sur ses jambes, et commença à se débattre en claudiquant, comme s'il avait un gremlin sur le dos.

-RHAAAAAAAAAAA ! Non mais lâchez-moi ! Vous êtes folle ! Qu'est-ce que vous me voulez ?!! Arrêtez ! Lâchez-mouaaaaaaaaaah !

Même si Hawk était bien entraînée, Léo avait assez de force pour soulever une voiture à la force de ses bras, aussi la tueuse finit-elle rapidement par devoir lâcher, sous peine de voir ses propres bras et jambes s'écarteler et ses articulations se disloquer. Éjectée comme une rodéo-girl malchanceuse et fit un magnifique vol plané avant de heurter une voiture garée là. Léo enfin débarrassé du poids qu'il avait en trop essaya de s'enfuir, mais sa jambe blessée flancha et il retomba par terre.

Léo se tortillait au sol en gémissant. Son corps n'était qu'un sac de douleur brûlante. Il n'avait pas tellement mal là où il avait reçu des coups, mais la piqûre infligée par la folle lui avait injecté quelque chose, un poison. C'était atroce, comme si dans chaque veine de son système sanguin coulait de l'acide. Il se tordait donc comme un ver, impuissant, incapable de fuir ou de se défendre. Il allait mourir, il le sentait. Son cerveau tournait à toute allure, rempli de questions. Pourquoi ? Pourquoi de telles souffrances ? Pourquoi devait-il mourir si jeune, sans avoir rien accompli de particulier, sans jamais avoir été vraiment heureux ? Qu'avait-il fait pour mériter ça ? Lui qui vivait en marge de la société depuis sa toute jeunesse. Lui qui n'avait aucun ennemi à part sa propre timidité. Lui qui mettait un soin extrême à ne faire de mal à personne.
Il leva un regard triste et embué de larmes vers ses bourreaux, qui le regardaient agoniser comme on regarde un bon film. Il eut presque l'impression que Hawk allait sortir un paquet de pop-corn. Il leva lentement sa grande main griffue vers elle, de façon implorante.

-P...p...pourquoi ? Pourquoi vous me...gnnnn...faites ça ? Que...qu'est-ce que...qu'est-ce que je vous ai fait ?

Presque autant que la douleur, le sentiment d'injustice le minait. Il voulait juste savoir pour quelle raison il avait à subir ça. Si au moins Hawk lui répondait et lui fournissait une bonne raison qui aurait justifié un tel acharnement à son égard, il mourrait (un peu) plus tranquille...

Léo vit le visage de la jeune femme approcher. Plongeant ses yeux larmoyant dans les siens, il n'y vit aucune pitié, aucune compassion, même pas de haine, juste de l'amusement.

-Hehehe, j'aime voir les gens souffrir mon cher...Tu n'as rien fait en particulier mais te voir ainsi, bouger comme une larve, me fait rire...

Léo fut assommé. Cette femme tuait vraiment comme ça, pour le plaisir ? Elle s'était attaquée à lui avec son larbin juste pour s'amuser ? Et combien de personnes avait-elle déjà tué de cette façon, comme une vulgaire envie de pisser ? Il n'arrivait pas à concevoir qu'on puisse détruire une vie humaine sans rien gagner d'autre qu'un petit plaisir sadique. Ce n'était pas possible, quel genre de montre pouvait bien être aussi cruel ?
L'homme-lion était au bord de l'évanouissement quand le monstre de larbin lui administra l'antidote. Rapidement, il se sentit mieux. Évidemment, il aurait été surprenant que les fous le laissent aller mieux. Un coup violent du larbin renvoya Léo par terre.

-C'est dommage, pour moi tu ne vaux plus rien...Tant pis. Tu peux rester en vie mais un conseil: Ne reviens jamais à Chinatown.

Léo vit alors l'étrange couple tourner les talons et repartir. Quoi ? Tout s'arrêtait comme ça ? L'homme-lion n'était pas mécontent de survivre à cette soirée, mais il ne comprit pas pourquoi. La réponse était pourtant évidente : on ne le considérait pas comme une menace. Lorsque cette perspective lui vint à l'esprit, il en conçut une certaine honte.
Il attendit un peu de récupérer, puis se releva enfin en gémissant. Il ramassa grosso-modo les provisions qui n'avaient pas été trop abîmées. La glace à moitié fondue formait une flaque sur le bitume, Léo éprouva une grande peine enfantine en voyant ça. Il quitta le quartier sans demander son reste, en boitant. Il traversa plusieurs rues où restait encore des badauds. Personne ne l'aida. Il marcha en peinant jusqu'à un hôpital. Le lendemain matin, un peu plus reposé, ses plaies bandées, allongé sur deux lits, il médita sur les évènements de la soirée. Une folle l'avait attaqué et à moitié tué, juste pour s'amuser. Personne n'avait fait mine de s'interposer pour l'aider, aucun superhéros rutilant n'était tombé du ciel pour le sauver et arrêter la méchante, il n'avait même pas eu droit à un peu de compassion de la part des gens qu'il avait croisés. La folle était partie, et elle recommencerais à tuer tant que personne ne l'arrêterait. Il se sentit impuissant. Pour la première fois de sa vie, il ressentit la haine, une haine profonde envers cette tueuse aveugle et son horrible larbin. Toute sa vie il s'était considéré comme un monstre, mais finalement il découvrait ce qu'était un vrai monstre.