Julien était encore au volant de sa voiture. Son épaule lui faisait atrocement mal et il avait beaucoup de mal à la bouger. Il comptait se cacher au dernier endroit auquel cette mystérieuse Cour penserait. Il serait au moins à l'abri mais il n'était sûr de rien. Il arrêta sa voiture sur les docks et se mit à réfléchir.
A réfléchir de la vie et de la mort. Lui qui avait ordonné sans sourciller la mort de ses ennemis mais qui avait pleuré sur le corps d'une femme. Une seule valait la peine à ses yeux et il ne voulait pas que tout se finisse ce soir.
Il n'y avait ni peur ni tristesse. Juste de la haine. La haine de l'ennemi mêlée à la rage de vaincre. Il tuerais si c'était nécessaire mais il n'allait pas mourir aujourd'hui. Ce n'était pas le moment.
Julien marchait le long des docks quand il entendit un bruit derrière lui. Une présence discrète qui l'épiait.
Julien enfonça sa main dans sa poche pour sentir la présence rassurante du Desert Eagle qu'il avait récupéré dans son repaire.

" Qui est là ? "

Sa voix n'était plus aussi assurée qu'avant et les secondes précédent la réponse semblaient interminables pour le français. Son épaule l'élançait et il sentait encore la douleur des coups des hommes de la Cour des Hiboux. Il n'était pas en position d'avantage aujourd'hui....

Comme de nombreux autres soirs, le prédateur marin sortit de l'eau pour marcher sur un ponton de bois le menant vers l'empilement de caisses de marchandises qui formait les docks. Cela faisait deux semaines, à présent. Et la rumeur d'un monstre marin déchiquetant les humains au bord de l'eau pour s'en nourrir, et recouvert d'une couche d'écailles, était plus forte que jamais. Il y avait de moins en moins de monde, les criminels hésitaient de plus en plus à faire leurs trafics dans ces parages, préférant trouver d'autres lieux plus sûrs. Certains soirs étaient totalement déserts et le monstre cannibale était obligé de rentrer bredouille. Cela faisait trois jours qu'il n'avait pas goûté à de la chair fraiche et il était en manque. Il ne s'était nourri que de steaks ou de poulets achetés au super-marché, mais la viande humaine était bien meilleure. Peut-être allait-il devoir changer de lieu lui aussi, trouver un autre terrain de chasse, celui-ci se faisant de plus en plus avare en proies.

Cette soirée s'annonçait mal également. Pas un chien. Il allait encore devoir repartir bredouille. Il escalada plusieurs caisses de marchandises pour se retrouver à trois mètres de hauteur. Il s'allongea alors sur une caisse, croisant les mains derrière la tête et fixant le ciel étoilé, en attendant. Pour chasser, il fallait être patient, comme un crocodile. Les proies n'étaient pas toujours là, il fallait attendre qu'elles arrivent. Se rapprocher discrètement... Et frapper ! Avec rapidité et brutalité. Noyer le corps dans l'eau ou lui briser la nuque, et le ramener chez lui. Mais depuis quelques jours, aucune proie ne venait sur les lieux.

Soudain, alors qu'il commençait à s'endormir, il entendit un bruit de moteur. Une voiture venait d'entrer dans les docks. Puis il entendit un bruit de portière. Il se redressa, et rampa discrètement comme un serpent, en restant sur la caisse de marchandises, jusqu'au bord pour voir ce qui se passait. Un type venait de sortir de la voiture et s'engouffrait dans le labyrinthe de caisses. Il était seul. Probablement un ignorant. Et un futur repas. Killer Croc sourit. Enfin, il allait pouvoir goûter à nouveau à de la chair humaine bien tendre.

Il attendit que l'homme s'engouffre plus profondément entre les caisses, puis descendit de son perchoir, en restant discrètement dans la pénombre et en se cachant derrière des caisses tout en le suivant du regard. Ce soir là, et comme tous les soirs où il chassait, il n'était pas vêtu de son habituel imperméable long et de son chapeau. Il n'était vêtu que d'un jean, torse nu et pieds dépourvus de chaussure et de chaussette pour pouvoir nager avec plus de facilité et marcher de façon plus discrète. Quand il était en situation de chasse, cela ne le dérangeait pas de se faire passer pour un monstre. Au contraire, il terrorisait ses victimes, c'était mieux ainsi. Et cela éviter que l'on fasse le rapprochement entre lui, et le géant colosse mystérieux à l'imperméable que l'on voyait trainer parfois dans les quartiers sombres de Park Row. Même si, de toutes façons, il ne laissait aucun témoin dans les docks. Tous ceux qui croisaient sa route mourraient.

Sa proie semblait avoir détecté la présence du monstre et demanda qui était là. Sa voix était légèrement tremblante, il avait probablement peur. Killer Croc décida de contourner un empilement de caisses discrètement pour arriver de l'autre côté. Lorsque l'homme arriva au coin d'une allée du labyrinthe, le monstre apparut soudainement devant lui et l'agrippa à la gorge avant de le plaquer contre un mur brutalement.

"C'est Killer Croc, espèce de minable !" s'exclama t-il d'une voix menaçante.

C'est alors qu'il reconnut le visage familier de Julien Morgan, le type avec qui il faisait affaire depuis quelques temps. Aussitôt, son air féroce et menaçant se transforma en une expression étonnée, et il relâcha Julien doucement tout en reculant d'un pas. S'il n'avait pas dit son nom, peut-être que Julien ne l'aurait même pas reconnu, puisqu'il s'était toujours camouflé sous ses vêtements longs et larges et sous son chapeau. Le seul point commun qu'il avait avec le colosse à l'imperméable était sa taille et sa carrure impressionnantes, ainsi que sa voix très grave, sombre et rauque, presque inhumaine.

"Merde, Julien ?!... Enfin j'veux dire, monsieur Morgan... Désolé !... J'vous avais pas r'connu... Pourquoi vous v'nez ici ? C'est dangereux !"

En fait, ça l'était uniquement parce que Croc rôdait par ici.
Il fut tellement surpris de le voir, qu'il ne pensa même pas à la réaction que Julien pourrait avoir en discernant la laideur et la monstruosité de son apparence qu'il lui avait toujours cachée jusque là. Il espérait que cela n'allait pas compromettre ses affaires, et que Julien continuerait à le payer, même s'il n'était... qu'un monstre.

[HRP : Héhé on m’appelle la flèche !... Réponse plus rapide que prévu, mais l'inspiration m'est venue... direct !]

"C'est Killer Croc, espèce de minable !"

Killer Croc l'avait saisi à la gorge et le plaquait contre un mur. Son épaule l'élançait de plus en plus et il sentait encore les hématomes causés par les hommes de la Cour des Hiboux. Il avait souffert et quelque-chose n'était plus comme avant dans l'esprit de Morgan. Il n'avait pas peur et il jeta un regard impassible à celui qui le tenait. Il n'avait pas vu son visage avant mais la voix rauque était la même.
Croc sembla le reconnaître et fut étonné de voir l'homme d'affaires dans un endroit pareil. Il le lâcha et recula.

"Merde, Julien ?!... Enfin j'veux dire, monsieur Morgan... Désolé !... J'vous avais pas r'connu... Pourquoi vous v'nez ici ? C'est dangereux !"

Julien fit quelques pas avant de répondre.

" Errare humanum est. Où aller quand quelqu'un vous a détruit moralement et physiquement ? Où se cacher quand une organisation connaît tous vos repaires et vos cachettes secrètes ? "

Julien fixa Croc dans les yeux.

" Je fuis mon destin. J'aurais pu mourir ce soir mais j'ai réussi à fuir mes agresseurs. Ils sont en ce moment dans mon penthouse et dans une de mes cachettes secrètes. Je compte y retourner avec la police mais avez-vous déjà entendu parler de la Cour des Hiboux ? "

Cette question était lancinante dans l'esprit de Morgan.

" Dois-je les craindre ? "

Waylon haussa un sourcil d'incompréhension à la première réponse de Morgan, ne comprenant strictement rien à ce qu'il venait de dire. En effet, n'ayant reçu aucune éducation, il lui était difficile déjà de comprendre sa langue natale lorsque l'interlocuteur employait des tournures développées, et à s'exprimer lui-même sans faire de fautes, alors pour ce qui était des locutions latines, ce n'était pour lui qu'un charabia sans aucun sens et il n'eut même aucune idée de la langue parlée par le cultivé Morgan.
Puis Julien débita des paroles compréhensibles pour Croc, cette fois-ci, au niveau grammatical, mais dont il avait du mal à trouver le sens. De quoi parlait-il au juste ? Il posa plusieurs questions à Croc, comme s'il voulait lui lancer une devinette. Pour seule réponse, il se gratta l'arrière du crâne en levant les yeux en l'air pour réfléchir, mais Julien ne lui laissa pas le temps de répondre et enchaîna. Il raconta alors sa situation plus en détail : il s'était fait attaquer par une organisation qui avait envahi sa maison et l'une de ses planques, et parla de faire intervenir les flics. Croc fronça alors les sourcils en entendant cette possibilité, il n'avait pas du tout envie d'avoir à faire à eux.
Il lui demanda s'il avait déjà entendu parler de la Cour des Hiboux et s'il devait les craindre. Dans la tête de Croc, ça faisait un peu ça en version originale :

*What the fuck this fucking mothafucka fucks, fuck ?!*

Autant vous dire qu'il n'avait pas tout suivi et semblait avoir raté un épisode fondamental de la vie incroyable de Julien Morgan.

"La Cour des Hiboux, hein ? Ha ha ha..."

Quel nom ridicule, ça le faisait ricaner assez sobrement tout de même. Quand Croc riait, ce qui était plutôt rare, ce n'était pas du tout la même chose que lorsqu'il s'agissait du Joker. C'était un rire très court, presque sans enthousiasme, voire même blasé, qui restait toujours si profondément sombre.
Imaginer des piafs dans une cour ou dans une volière, qui s'attaquaient aux hommes, n'avait rien de très effrayant pour lui. Il s'était bien battu contre des alligators... Cette histoire d'animaux lui rappelait un peu son passage au zoo de Gotham.

"Nan, connais pas, mais avec un nom pareil, ils doivent pas faire plus peur que moi !" s'exclama t-il.

Et en parlant de ça, il fut très étonné de constater que Julien n'avait eu aucune réaction insensée face à son apparence hideuse. Peut-être était-ce parce qu'il était trop choqué après s'être fait maltraiter par des hiboux ? Ou alors peut-être que les monstres étaient habituels à Gotham City... Après tout, il avait rencontré le Fool et avait entendu parler de Double-Face qui était une sorte de mi-Fool.

"T'inquiéte, j'les boufferai vos hiboux."

Il parlait avec une sorte de mi-tutoiement mi-vouvoiement. En fait, il était habitué à tutoyer tout le monde, sauf pour les affaires. Enfin, ce qu'il appelait "affaires", en fait, il n'y avait qu'avec Julien qu'il en faisait et c'était uniquement depuis qu'il était à Gotham. Donc on pouvait dire que Julien avait été la première personne qu'il avait vouvoyée, en signe de respect, depuis bien longtemps. La dernière aussi, à l'heure actuelle. Mais comme il n'y était pas habitué, certains réflexes de dialecte familier revenaient involontairement.

"Oh et merde, ça te dérange si j'te tutoie ?"

Ça l'ennuyait de devoir réfléchir à la conjugaison à la troisième personne du pluriel. Et puis, de toutes façons, comme ils étaient en Amérique et parlaient anglais, et qu'il n'y a pas de vouvoiement dans cette langue, en fait ça ennuie surtout les traducteurs de cette magnifique histoire. Sauf qu'il n'y en a pas parce qu'elle est écrite directement en français. Mais voici tout de même un exemple de difficultés auxquelles sont confrontés les traducteurs !
Revenons à nos moutons, et à nos crocodiles...
Croc repensa à ce qu'avait dit Julien juste avant : il comptait demander à la police d'intervenir. Alors là, dans la tête de Croc, ça fit un peu comme la fois précédente car il n'aimait pas du tout cette idée.

"Dis-moi, tu comptes pas ramener les flics ici, j'espère ? Ils m'connaissent pas encore et j'ai pas envie d'avoir d'ennuis avec eux... Pas question que j'retourne en prison !"

Croc n'avait pas peur, il était sûr de lui et ce soir, il avait cet avantage sur Julien. Julien aurait besoin d'alliés face à ses ennemis les plus redoutables.
Julien était resté silencieux pendant que Croc lui annonçait qu'il avait jamais entendu parler de cette Cour des Hiboux.

"Oh et merde, ça te dérange si j'te tutoie ?"
" Pas le moins du monde. Tu peux me tutoyer si tu préfères. "
Julien aurait pu montrer plus de réticence à ce qu'on le tutoie mais il n'était pas dans son état normal ce soir.

"Dis-moi, tu comptes pas ramener les flics ici, j'espère ? Ils m'connaissent pas encore et j'ai pas envie d'avoir d'ennuis avec eux... Pas question que j'retourne en prison !"
" Je t'explique. Les flics ne viendront pas ici. Je compte aller chez eux et leur raconter mon agression. Ainsi, ils m'accompagneront au penthouse et tenteront de retrouver la trace de mes ennemis. Ainsi, j'entrerais dans mon penthouse en sécurité et je manipulerais les flics pour avoir accès aux informations de l'enquête. "

Julien Morgan se saisit d'un caillou et le jeta à la mer en réfléchissant aux perspectives qui s'offraient à lui. Julien devra fuir Gotham si jamais sa situation s'aggrave...

"Quand t'en sauras plus sur eux... Si t'as besoin de te débarrasser de quelqu'un en particulier, tu sais où m'trouver."

Julien bougea légèrement son bras pour fouiller dans une des poches de sa veste. Il en sortit une boite métallique d'où il sortit une cigarette. Il la déposa entre ses lèvres avant de sortir son briquet argenté. Il alluma sa cigarette et aspira une première bouffée.

" Dans les jours à venir, je déclarerais la guerre à mes ennemis et ton soutien pourra m'être précieux. N'hésite pas à me contacter si jamais tu as besoin de quoi que ce soit. "

Il s'approcha un peu plus du quai et regarda au loin les arrivées de bateaux transportant diverses marchandises. L'un portait les couleurs de Green World.

" Tu vois, c'est ici qu'arrive mes armes. Les Dixon Docks sont parfaits pour l'arrivée de ma marchandise car tu as su créer une atmosphère de peur. Personne n'ose plus aller aux docks et il paraît que les flics se font dessus rien qu'à l'idée de patrouiller ici. Ils ne sont que... "

Julien sentit la douleur qui l'élançait au niveau de son épaule. Il tomba à terre et tenta de rester conscient mais il se sentait partir. Après tout ce qui s'est passé ce soir, il n'allait pas s'évanouir maintenant ?
Son regard était toujours fixé sur son interlocuteur mais sa vision devenait trouble.

Que m'arrive-t'il ?

Il tomba au sol et sentit le sol froid contre sa joue alors que le sommeil et l'émotion de la soirée le rattrapait. Il sentait encore les coups de la Cour mais maintenant, c'était fini.

"Qu'est-ce qui t'arrives, mec ?!"

Il sentit un choc qui le fit revenir. Il revoyait le visage de Croc et il se releva doucement en tentant de ne pas retomber. Il sentait une douleur lancinante au niveau de son épaule et de son bras. Il se tourna vers Croc et parla.

" J'ai été roué de coups il y a peu de temps. Je crois qu'ils m'ont déboîté l'épaule ces salauds. J'appelle Arnold pour qu'il vienne me chercher. "

Il regardait au loin et continuait à parler.

" Je ne suis pas sûr de pouvoir prendre ma voiture et conduire jusqu'à l'hôpital. "

Il prit son téléphone dans sa poche et sélectionna le numéro de son bras-droit dans le répertoire.
" Allo, viens me chercher aux Dixon Docks avec une voiture discrète. Où est tu ? Au My Alibi ? Ok viens vite ! "

Julien se retourna vers Croc et lui montra la voiture avec laquelle il était venu. C'était un petit Range Rover noir.

" Arnold va arriver. Tu peux disposer de cette voiture. Les clés sont sur le moteur. "

Il espérait rendre service en offrant ce véhicule à Croc.