Oh qu'il n'était pas agréable de le voir ainsi ! Comme cela était tragique de voir un héros en proie à de tels tourments !
L'observation appliquée du Chevalier Noir ne permettait aucun équivoque. L'homme, comme le mythe, se trouvaient à nouveau au bord du gouffre, d'un abîme qui n'existait nulle part ailleurs que dans son esprit. Lorsque le boy-scout de Metropolis l'avait qualifié d'"homme le plus dangereux du monde", dans sa compulsion à évoquer des banalités et des jugements de morale à l'emporte pièce, il avait tout simplement omis de préciser que c'était avec lui même qu'il était le plus dangereux. Un tel dévouement, une telle abnégation et, admettons-le, un tel masochisme, poussait Batman dans des retranchements qu'aucun homme sur terre n'avait pu ne serait-ce qu'aborder.

Le corps d'un mythe, la tête d'un homme. Voilà ce qui clochait. Bruce avait retiré son masque et, s'il était toujours drapé dans sa cape, il n'en affichait pas moins le visage épuisé et même effaré d'un être humain à bout de forces.
Non, il n'y avait rien d'agréable à assister à tel spectacle. Pour autant, il aurait été bassement indigne d'ignorer ce qui se produisait et de tourner les talons pour revenir quand tout irait mieux.
Batman battait de l'aile et alors ? Il ne fallait pas confondre la perfection et l'inhumanité. Si le Batman parfait était un robot alors l'humanité entière n'avait pas grand espoir de survie. Maintenir une humanité dans de telles circonstances et avec une telle efficacité était la marque du plus grand héros que la Terre ait porté. Batman semblait voir cet état de fait comme une faiblesse, alors qu'il s'agissait peut-être de sa seule planche de salut. Le serpent se mordait la queue mais il y avait là-dedans quelque chose qui forçait l'admiration. Quelque chose qu'on ne retrouvait que chez les grand héros du romantisme allemand. Un Werther qui se battait chaque jour contre des criminels bariolés !

Ces derniers temps d'accord, il se laissait aller, ses principes étaient bousculés par des nécessités, ou du moins le croyait-il. Il prenait des décisions fermes qu'il assumait bravement face à tous les obstacles, face à tous les signes qui lui disaient qu'il allait trop loin. Il se convainquait d'une chose et la soutenait jusqu'à l'épuisement total, jusqu'à présent. Car il le voyait s'entourer de plus en plus de comparses, disparates et même parfois à la limite de la compétence, tout cela pour nier mordicus ce qui crevait les yeux : il était de plus en plus seul. Même si cela était des plus compréhensibles, le laisser partir en roue libre ainsi était criminel. Il se devait d'intervenir, non par charité, Batman n'en avait pas besoin, mais simplement pour le remettre un peu sur les rails, il lui devait bien ça.

Avec une certaine malice, il s'était dissimulé dans les ombres du Bat-Bunker, encore une invention géniale, et il avait glissé silencieusement et lentement vers le héros, lentement et silencieusement, comme les bulles remontant pour crever la surface des marais avec paresse, ou comme les idées les plus folles vous arrivent à l'esprit par un chemin qu'elles seules connaissent. Oui, exactement comme ça. Il s'amusa un instant en lisant l'air incrédule qui apparaissait discrètement sur le visage de Bruce. Il resta posté là, immobile d'abord, flottant mollement dans le reflet du miroir. Quelle surprise serait celle de Bruce lorsqu'il tournerait la tête pour vérifier par-dessus son épaule la présence du petit être et qu'il ne verrait que les ténèbres de sa retraite fortifiée ! Bat-Mite souriait maintenant crânement dans le reflet avant de prendre la parole.


-Tu connais cette île nommée Madagascar je crois ? Elle s'éloigne chaque année lentement et inexorablement du continent africain. Allons, allons, ne pleure pas, tout cela va passer ou alors tu oublieras, comme Tante Harriet.

Sa voix était stridente dans le silence, comme si quelqu'un avait subitement allumé la télévision et monté le volume à fond pendant un dessin-animé.

La réaction du Chevalier Noir était prévisible. Il avait de nombreuses qualités mais parfois sont ouverture d'esprit était limitée et son humour tout à fait inexistant selon les critères acceptés par la société.
Il le voyait lutter avec peine contre les effets de la fatigue et se concentrer ardemment sur ce qui occupait son esprit.

-Je vois que tu continues de te comporter comme si je n'étais pas là. Si moi même je n'en étais pas convaincu tu m'en verrais spécialement vexé.

La silhouette de Bat-Mite disparut du miroir comme effacée progressivement lorsque Bruce vint s'installer à ses écrans. Il le connaissait tellement bien ! Cette réaction n'avait rien de surprenant. Elle le rassurait même sur les facultés de son idole. S'il n'avait pas hésité à accepter sa présence saugrenue, alors il se serait réellement inquiété. Les choses allaient toujours ainsi avec lui, un homme qui s'était constitué un monde ultra-rationnalisé, faits de preuves, de faits et de science, il lui était toujours très difficile de penser en dehors des dimensions acquises par le cerveau humain. Selon Bat-Mite c'était là quelque chose qu'il devrait pourtant développer pour atteindre une palette tout à fait complète de compétences. Il arrivait à Batman de penser en-dehors de la boîte, certes, il lui restait encore à parvenir à penser dans d'autres boîtes.
Il fallait pourtant qu'il parvienne d'une façon ou d'une autre à entrer en contact avec lui. Tant que Bruce n'accepterait pas sa présence, il ne pourrait lui délivrer efficacement son message, et ne pourrait pas s'assurer qu'il le comprenne.
Un reflet confus et furtif anima l'un des écrans du Bat-Ordinateur. L'image se brouilla un instant avant de se modifier pour représenter une version pixelisée de Bat-Mite. D'une voix grésillante, comme mal digitalisée, il s'exprima à nouveau :

-Allons, ce n'est pas un comportement particulièrement sain d'esprit de nier l'évidence. Ton acharnement à feindre que tu ne me vois pas confine à l'autisme. Tu ne peux pas t'en sortir comme ça. Je t'ai connu bien plus coopératif.

L'image pixelisée de Bat-Mite s'était petit à petit précisée, jusqu'à apparaître bien plus nette, d'une qualité égale à celle des vidéos de surveillances du Bat-Ecran. Le petit être sourit tristement.

-Ordinateur, imprime l'image. Dit-il en imitant pauvrement la voix de Bruce.

Une imprimante hautement sophistiquée se mit à cracher une feuille de papier qui, sans doute pas par hasard s'envola aussitôt pour se poser comme une feuille morte juste sous les yeux de Bruce.

Spoiler:

-C'est une archive, désolé pour la qualité. Mais je crois que tu vois où je veux en venir. Il y a des choses que tu ne peux pas enfouir comme ça, c'est cliché, mais tu ne peux pas tout garder. Et moi, je le dis humblement, je suis là pour ça.

Pour le moment, il n'attendait pas vraiment encore une réaction de la part de son idole. Son but était de le remuer, de lui saisir métaphoriquement la tête pour lui mettre le nez dans ce qu'il évitait si consciencieusement. Bat-Mite affichait toujours sa mine mi-figue mi-raisin, il savait qu'il allait avoir à travailler dur, mais le jeu en vallait la chandelle.

Traverser les dimensions n'était pas la plus aisée des choses, s'il avait dû s'y employer pour se heurter à un mur de négation à deux pas de parvenir à son but, alors il maudissait l'esprit humain. Pourquoi devrait-il être considéré comme raisonnable de nier l'évidence ? Que penser de quelqu'un qui préfère se cloîtrer dans son monde intérieur par des procédés artificiels pour échapper à une réalité qu'il considère choquante ? L'attitude de Bruce ne le surprenait pas, il avait l'habitude, pourtant il se sentait agacé de perdre tant de temps à essayer simplement de valider sa présence, et encore le terme de présence était surestimé. Il avait une mission à accomplir, mais il ne pourrait y parvenir malgré Batman, il devait réussir à créer ce contact.
Oh, il comprenait. Il voyait ce que faisait Bruce. Cet état de concentration intense ne lui était pas inconnu. C'était d'ailleurs un procédé très similaire à celui qui lui permettait d"explorer différentes réalités.

-Bruce, Batman, je sais ce que tu fais. Je t'ai déjà vu faire, tu sais, j'étais là quand tu as décidé de faire ce voyage dans la caverne. Geste symbolique s'il en est. Bat-Mite avait un ton parfaitement calme et bienveillant, il contenait sans peine son impatience, tenu par la conviction qu'il agissait pour une nécessité absolue. Batman, j'étais même là sur cette planète.

Tandis qu'il parlait, il s'était extrait de l'écran, durant un instant il avait ressemblé à un jouet se débattant avec son blister en plastique transparent, puis il s'était matérialisé plus près du héros qui continuait sa transe. Il contempla avec un sourire triste l'image qui avait été imprimée par le Bat-Ordinateur. Avant de reprendre.

-J'étais là, tu sais, quand tu as fait cette chose avec la NASA, quand tu as cru être sur cette planète où Robin est mort. C'est pour ça que je suis là. Tu ne crois pas ? Bat-Mite executa une rotation lente, exactement comme un astronaute en apesanteur, afin que son visage caricatural vint se poster face à celui de Bruce, mais à l'envers. Et d'abord ? Pourquoi est-ce que je continue à faire des choses alors que tu ne peux pas me voir ? C'est un peu déroutant quand même. Bruce, reconnais au moins ça. Il avait conservé son ton calme et monocorde, s'apparentant désormais à un procédé de mesmerisme. Peut-être gagnerait-il à entrer en résonnance avec les pensées de Batman.


[hj : il n'y a pas de raison de dénigrer ton post, moi ça me va plutôt pas mal]

A la bonne heure ! Tout cela n'avait pas été vain ! Bat-Mite repris une position plus approprié, à l'endroit, juché sur le clavier du Bat-Ordinateur sans pour autant actionner les touches sous son poids.
Il eut un soupir de soulagement et, toujours drapé dans l'ombre comme savait si bien le faire son idole, il se remit à parler.

-A vrai dire, on s'en moque un peu de Kathy Kane, ou de Citizen Kane, de Michael Caine, Bob Kane ou qui que ce soit à part toi ! Le petit personnage eut un nouveau regard vers l'image puis se déplaça à nouveau dans l'air, revenant à sa position initiale dans le reflet du miroir. Il semblait conserver avec peine une attitude posée, à l'évidence il bouillait d'excitation.

A mesure qu'il se rassurait, Bruce par contre semblait être dans un état d'intense confusion à en juger par la sueur abondante qui ruisselait sur son visage. Pourquoi fallait-il qu'il lui fasse un tel effet ? Pour être honnête il n'était qu'un tout petit personnage de rien du tout, pas de quoi être terrorisé.

-Tu sais l'effet que ça me faisait Batman ? J'avais l'impression d'être le monstre de Frankenstein quand il se cache dans la cabane pour observer les habitant du châlet de la forêt. Il se dissimule pour apprendre qui ils sont, il apprend à les connaître puis à les aimer, allant jusqu'à leur couper du bois durant la nuit pour leur épargner tout labeur supplémentaire. Il devient leur bienfaiteur anonyme durant des mois entiers, apprenant à leurs côtés les subtilités du langage et des sentiments humains. Bat-Mite faisait énormément de gestes pour animer son récit, deux boulons lui avaient d'ailleurs poussé dans le cou, à l'image du monstre de son histoire. Mais lorsqu'il sort de sa cachette, finalement, pour révéler son existence au vieil aveugle qui habite la modeste demeure, il est surpris par les trois autres habitants qui le chassent avec violence, lui qui a vécu dans leur ombre si longtemps qu'il se sentait pleinement des leurs ! Sa déception dicte tous les actes malveillants qu'il commet par la suite. Euh... Bat-Mite s'interrompit un long moment. Il eut l'air gêné, toujours dans le reflet du miroir, et claqua des doigts pour faire disparaître les boulons.
-Je sais, je dis un peu n'importe quoi, mais ce n'est pas facile de fixer son attention dans ces conditions. Batman, je suis là pour te dire deux ou trois choses qui je l'espère pourraient t'aider un peu. J'ai aussi des choses à te montrer, mais surtout, si je suis venu, c'est pour t'écouter. On dirait que tu vas exploser à force de te retenir et je sais que ce n'est pas avec tes nouveaux amis que tu vas pouvoir le faire. A ce babillage haut perché Bat-Mite ajouta une imitation déplorable d'un joueur de baseball avec une cigarette en chocolat au bec. Tu vois ce que je veux dire ?
Protégé par la glace du miroir, il souriait toujours, son apparence était redevenue normale, si on pouvait parler ainsi. Dans son dos pourtant, le miroir laissait voir non plus l'image du sombre Bat-Bunker, mais à la place on distingait vaguement encore, les formes plus colorées d'instruments et d'accesoires hétéroclites au milieu desquels se trouvait la silhouette pas encore tout à fait distincte d'un véhicule sombre au'un style désuet qu'un connaisseur aurait pu identifier comme celle d'une Lincoln Futura.

Des bips se firent entendre et des lampes de couleurs différentes se mirent à clignoter febrilement lorsque Batman engagea la procédure d'analyse du Bat-Ordinateur. Le ronronnement régulier et rassurant des bobines accompagnait la recherche tandis qu'un oscilloscope faisait danser sa ligne verte lumineuse selon une arythmie effrenée. Calquée sur ce mouvement, les aiguilles de chacun des petits cadrans qui tapissaient un mur entier tels autant de petits yeux étonnés se mirent à remuer. Au bout d'une dizaine de secondes un arc électrique se forma à la base d'une échelle de Jacob et monta à plusieurs reprises le long de l'appareil, signification de résultats imminents. Un liquide vert qui bouillonnait dans une sorte d'alambic transparent se mit à s'écouler à travers un tube en colimaçon jusqu'à une machine couverte elle aussi de multiples cadrans. Les bips se mirent à s'accèlérer jusqu'à ce qu'une longue feuille aux bords perforés s'échappe de la machine, le papier continua de sortir jusqu'à toucher le sol constellé d'éclats de verre qui avaient été projetés lorsque Batman avait frappé le miroir d'un poing rageur. Sur les feuilles portant toutes l'en-tête au Bat-Logo, on pouvait lire :



CONTRÔLE NEGATIF
ENVIRONNEMENT SÛR

BONNE JOURNEE.

PROVERBE DU JOUR : "LE VERITABLE COMBATTANT DU CRIME A TOUJOURS TOUT CE DONT IL A BESOIN DANS SA CEINTURE UTILITAIRE."




-Voilà qui devrait te rassurer Bruce, non ? Si tu pouvais faire quelque chose pour moi maintenant c'est d'arrêter de te rendre malade pour si peu. La voix de Bat-Mite était curieusement démultipliée, elle semblait en effet parvenir de chacun des petits morceaux de miroir où on pouvait apercevoir sa forme caricaturale. Il jaillit alors des morceaux, retrouvant son integrité et sa voix s'unifia également.
-Bien, j'avais l'intention de t'inviter ici, mais avec un peu de préparation, au lieu de ça tu as fait voler le quatrième mur aussi bien que je l'aurais fait moi même. L'endroit est sympa non ? J'ai essayé de tout reproduire mais j'ai encore des lacunes à combler. Bat-Mite voleta jusqu'à la Batmobile, noire aux liserés rouges, qui occupait la place d'honneur de cette Bat-Cave au style retro-futuriste.
-Après tout on s'en fiche de ma réalité ou pas, je te le redis, l'important c'est toi ! Tu veux qu'on retourne là-bas ?Le petit pouce de Bat-Mite désignait le miroir, de nouveau en place contre le mur du décor bariolé où ils se trouvaient tous les deux et dont le reflet affichait cette fois le sombre et austère Bat-Bunker.


[hj : dis moi si j'abuse, je trouve ce rp intéressant avec nos deux façons de voir les choses]

Le Dark Knight, le Caped Crusader, le Plus Grand Detective du Monde, l'Homme le Plus Dangereux sur Terre, la Plus Grosse Moitié du Dynamique Duo, le Brave du Bold, le Bat-Man, Batman tremblait de tout son corps. Bat-Mite se désolait que la situation prenne ce tour dramatique. Mais après tout c'était bien Batman qui avait commencé en brisant le miroir.

-Bon, écoute, si c'est ce que tu préfères, mais après... Bat-Mite prit une pause qu'il voulait impérieuse, bras croisés sur son torse peu impressionnant. Après j'espère que tu vas arrêter d'essayer de me faire partir ! Il faut qu'on discute.

Le petit être appuya sur un énorme bouton-poussoir rouge encadré de zébrures noires et jaunes. Un flot de fumée se répandit dans la Bat-Cave jusqu'à en occulter tous les éléments. Lorsqu'elle se dissipa, ils se trouvaient à nouveau dens le sobre Bat-Bunker, tout près du miroir brisé, à nouveau environnés de ténèbres.

Bat-Mite espérait qu'enfin son héros mette un peu du sien, il était conscient de l'énormité probable de la situation, mais il ne s'expliquait pas la réaction extrême de Batman. Selon lui, le Chevalier Noir s'était trop ancré dans une vision étriquée et empirique des choses, il avait oublié les pouvoirs extraordinaires de la 5eme Dimension.

-Nous revoilà. Je pensais que ça te ferait plaisir de voir ma collection, visiblement pas. Maintenant que tu as promis, là Bat-Mite extrapolait un peu, dis-moi un peu pourquoi tu dérapes comme ça en ce moment ?

Bat-Mite s'était confortablement installé dans le fauteuil qui faisait face au Bat-Ordinateur, il en paraissait encore plus miniscule, comme un enfant jouant dans le bureau de son père, contemplant son héros de toujours qui semblait toujours avoir bien du mal à assimiler la situation.

La joie innonda le visage poupin du petit personnage qui se leva du fauteuil pour flotter juste au-dessus. Il applaudit même brièvement à la fin de l'intervention de Batman.
Et en plus il l'avait remercié ! Une telle chose dépassait toutes ses espérances, mais il ne devait pas pour autant en perdre de vue son objectif. Batman avait effectivement besoin d'un sérieux coup de main et il comptait bien le lui donner, il se rassurait de devoir le faire avec son consentement plutôt que malgré celui-ci.
Les yeux de sont héros avaient repris leur impétiosité, enfin, la lueur dépréssive qui les baignait encore quelques minutes plus tôt semblait se dissiper avec le nuage de fumée qui était apparu au moment de leur retour en ces lieux familiers.

-Bruce ! Il faut que je te confie une chose, ça me fait mal de le dire mais tu n'es pas un dieu. Tu n'as pas le don d'ubiquité pas plus que celui de contrôler les esprits de tes semblables. Tu n'arrives pas à tout contrôler, et je suis le premier à déplorer qu'une telle chose soit impossible, mais c'est bien là la preuve de ton humanité.

Il voletait dans le bunker à mesure que sa voix de cartoon exprimait enfin son idée.

-J'en connais un moi qui aimerait aussi pouvoir tout contrôler et modeler la ville, voire le monde, pour les faire ressembler à son idéal. Bat-Mite tira de son costume une petite carte, un autocollant à collectionner pour être exact, qu'il agita sous le nez de Batman : Tu n'es pas un dieu et tu n'es pas non plus un ange gardien assis sur l'épaule de chaque habitant de Gotham pour lui dire ce qu'il doit faire.

Bat-Mite rangea son autocollant avec précautions puis se posa au sol pour arpenter le Bat-Bunker de ses petits pas, singeant peut-être l'attitude d'un avocat au moment des plaidoiries.

-Et voilà que tu vas être papa, encore ! Bat-Mite se ressaisit. Euh, non pas "encore", je confonds un peu tout ! Et tu oses dire que tout t'échappe ? Alors que le monde autour de toi court à la destruction, tu arrives à donner la vie, pour moi ça a un peu plus de sens que deux morts hypothétiques. Depuis quand tu perds la mémoire ? Je croyais ton esprit acéré comme le sillicone de l'ordinateur de la justice ! Visiblement fier de ses propos imagés et bancals, Bat-Mite se drapa dans sa cape en un mouvement qu'il voulait théâtral.

Il avait observé son héros depuis si longtemps qu'il ne savait plus tout à fait où l'un commençait et où finissait l'autre. L'attitude de Batman et ce qu'il décrivait ne collait pas, il y avait des blancs qui avaient été comblés de façon un peu trop hâtive selon lui. Hélas, le petit être n'avait pas les moyens de tout réparer, il devait donc aider Bruce à lui-même retrouver les pièces manquantes.

Le petit être restait parfaitement calme tandis que Batman évoquait ses troubles avec une nervosité jamais observée chez lui. Alors qu'il avait prouvé son penchant pour l'hyperactivité, Bat-Mite écouta avec un silence respectueux ce que lui disait son idole. Il savait quel mérite il avait à recueillir ainsi le témoignage le plus personnel que le Chevalier Noir ait fait depuis longtemps. Lorsque Batman eut terminé Bat-Mite s'apprêta à délivrer le coeur de son message. Par souci de théâtralité, il s'éleva de nouveau dans les airs tout en restant drapé dans sa cape mal coupée.

-Nous y voilà Bruce, Batman, c'est pour cette raison que j'ai fait mon chemin depuis la 5eme Dimension, depuis l'espace B et par-delà Zrfff. A ces mots le personnage de Bat-Mite ainsi que sa voix subirent une certaine modification. Si jusqu'à présent il s'exprimait avec les accents d'un cartoon, sa voix était devenue plus fluide, moins aigüe et énergique. Le ton qu'il employait avait quelque chose d'étrangement serein tandis que son apparence même devint moins caricaturale, plus anguleuse et bien plus noyée dans les ombres environnantes.

-Cette ville est malade, c'est évident. Et tu serais surpris de savoir que je suis plutôt pessimiste quant à l'avenir de ses citoyens, tout autant que celui des humains en général. Pourtant, il existe un remède à tout, je pense que tu sais où je veux en venir ? Le remède à cette ville c'est toi. Tu n'es pas omnipotent, ni omniscient, c'est ce que je te disais tout à l'heure, mais tu es quand même ce qu'il y a de mieux. C'est pour ça que tu dois absolument te préserver, c'est bien d'être infaillible, mais c'est encore mieux de durer. La ville apprend à te connaître, et que tu le veuilles ou non, elle apprend à se défendre contre toi. Plus tu interviendras, plus tu seras présent, plus elle trouvera de parades pour étouffer la menace que tu représentes. Je ne vais pas t'expliquer comment fonctionnent les antibiotiques ni ce qui les rend moins efficaces, tu es un brillant biologiste.

Bat-Mite ménagea une pause, flotta plus près de Batman.

-Je sais que ma voix est pénible mais avant que tu ne reprennes j'ai encore des choses à ajouter. Ces derniers temps ne t'on pas laissé beaucoup de répit, et comme je t'ai dit ça a affaibli ton efficacité, oh juste un tout petit peu, disons que ça t'a quand même un peu chamboulé, on ne peut pas t"en vouloir pour ça. Mais si tu es le remède à cette ville, si tu es celui qui doit en prendre soin, alors plus précieux que cette ville, il y a toi ! Si tu n'es plus fiable alors bonne chance à Gotham ! Je sais qu'on en est encore loin. Mais ce que je veux dire c'est que tu dois absolument te préserver, tes adversaires essaient de te briser de toutes les façons possibles, pas parce-qu'ils ne t'aiment pas, mais parce-que tu es le dernier rampart au chaos. Tu dois te blinder, plus encore que jamais contre leurs attaques sournoises, tu dois te recentrer sur ce qui fait de toi, euh excuse l'expression, le Putain de Batman !
Dans le Bat-Bunker le silence avait fait place à une musique de plus en plus présente qui semblait venir de nulle-part. Sans doute un truc du petit être.

https://youtu.be/5mdV50dDYm4

-Batman, tu est un remède, tu es une arme, mais tu es aussi un homme. Tu es fait de perceptions et de sentiments. Ton entrainement t'a permis d'apprendre à analyser les premières et à maîtriser les seconds. Pourtant moi, j'ai l'impression que toutes ces dernières aggressions t'ont plutôt amené à mélanger un peu les deux non ? Je ne suis pas certain que tu aies eu le temps de faire fonctionner ton petit ordinateur interne de façon optimale, peut-être que tu voudrais récupérer le Bat-Radia ?

Enfin Bat-Mite se tut. Il attendait la réponse de son héros à un tel discours en sirotant un liquide vert et pétillant dans un gobelet orné du Bat-Logo qu'il avait tiré d'un recoin de sa cape.

-Tu peux m'appeler Mite si tu veux !

Le petit personnage écouta avec attention les paroles de Batman. Lorsque le justicier eut terminé, Bat-Mite rangea dans sa cape le petit gobelet orné d'un Bat-Logo désuet.

-Ok, ok, on ne parle plus de ces trucs si ça te plaît mieux comme ça. Je trouve que c'est un peu dommage mais après tout ce n'est pas du tout le plus important. Batman, je sais que tu t'apprêtes à livrer un combat inédit, à passer des limites que tu n'as jamais osé effleurer, que tu te confrontes à des choses en-dehors de tout entendement...

Bat-Mite s'interrompit pour ramasser sur le clavier l'image qu'il avait imprimée plus tôt. On y voyait une Bat-Family souriante, ridicule aussi imaginaire qu'idéale. Le petit personnage vint l'apporter à nouveau sous les yeux de Batman.

-Je n'ai pas voulu ramener ce souvenir pour te tourmenter. J'essaie de te montrer que tu te trompes... Tu as déjà livré des combats bien plus improbables, tu as déjà dépassé maintes fois ces prétendues limites et ton esprit à été confronté l'inimaginable, et même à... et bien, moi ! Il posa l'image. Alors non il n'est pas question que tu renonces à tout ça car rien n'est trop difficile pour toi !

Voletant une fois de plus en tous sens, comme s'il s'était trop longtemps contenu, il reprit.

-Il fut une époque où tu avais un aura de mystère, où personne ne savait que tu te déplaçais en Bat-Mobile, que tu avais un grappin pour donner l'idée que tu volais, tu effrayais autant que tu protégeais. Ton arme la plus acérée était bel et bien ton esprit, et c'est sur celui des criminels qu'il s'exerçait encore le mieux. Tu ne dois pas cesser d'être une légende Batman. C'est cette légende qui protège l'homme que tu es. Si Batman arrive à retrouver cette force, cette capacité à mettre hors d'état de nuire les criminels avant même d'aparaître, alors tu seras invincible Bruce.

Le petit personnage sourit d'une drôle de façon, dévoilant ses dents de rongeur, et le faisant en même temps ressembler à un chat de Cheshire improvisé.
-C'est à moi que tu demandes conseil pour faire croire aux autres que tu n'éxistes pas ? Son rire trop aigü retentit dans le Bat-Bunker. Ha ha ha ! On se marche sur la tête là !

C'était comme si Bat-Mite se roulait par-terre tout en riant à gorge déployée, à la différence qu'il flottait toujours à quelques mètres du sol.

-Je ne te dis pas d'arrêter d'exister. Dit-il entre deux hoquets, avant de se reprendre. Mais il y a une nuance entre ne pas exister du tout et donner des conférences de presse ! Je ne suis pas conseiller en communication et je ne vais pas t'apprendre ton boulot. Si tu veux mon avis, qu'on ait pu discuter de ça est déjà un grand pas en avant, tu verras. Je pense que je vais te laisser faire le plus dur, c'est ce que tu fais le mieux après tout. A présent drapé dans sa cape, Bat-Mite était presque fondu dans les ténèbres. Bruce tu ne dois pas oublier que tu as un autre combat, après ce que tu as fait dernièrement, tu sais... Tu as mis longtemps à accepter de me parler, tu as mis longtemps à accepter le fait que je puisse être là alors que tout porte pourtant à le croire. Oh comme j'aimerais que tu en fasses autant avec tout le reste. Je crois que tu découvriras pas mal de choses et que tu pourras te recentrer sur ce que tu es... Tu as dit une fois que tu étais un symbole de terreur pour tes adversaires, mais aussi un symbole d'espoir pour les habitants de Gotham. On pourrait dire "La Terreur des méchants, le Héros des enfants" mais ça ferait un peu trop...tu vois.

La silhouette de Bat-Mite n'était plus clairement définie, il n'était pas évident de dire où commençait sa cape et où finissaient les ombres. Seule sa face de poupon était encore clairement visible.

-On va dire que tu devrais travailler sur ces deux plans. Tu y arriveras, j'en suis certain et tu y serais arrivé sans moi, j'avais juste envie de jouer un rôle dans le retour de la légende. Tu as intérêt à m'en donner pour mon argent, nos autres les fans on n'aime pas trop quand on prend trop de libertés avec un personnage auquel on est attaché depuis toujours. Si tu arrives à embrasser le mythe à nouveau, alors là...
Bat-Mite était devenu à présent tout à fait invisible, seule persistait sa voix haut-perchée.

-Je dois te laisser. Dis-toi bien que je vais suivre tout ça avec l'avidité vorace du fan le plus absolu, j'espère ne pas être déçu ! Maintenant la voix elle même semblait plus diffuse, comme provenant d'un haut-parleur lointain. Tu peux garder l'image en souvenir, j'en ai plein chez moi et ça te prouvera que tu n'as pas rêvé.

A la fin de la phrase les mots n'étaient plus vraiment distincts et il n'était pas certain que la dernière phrase prononcée soit effectivement celle-ci.
Aux pieds de Batman, comme poussée par un courant d'air, chose improbable en ce lieu, la feuille de papier vint se poser paresseusement sur le sol du bunker. Légèrement abîmée aux coins, il ne s'agissait ni plus ni moins que d'une feuille vierge.





[hj/c'est la fin pour moi, je te laisse conclure, ça a été un réel plaisir et j'espère bien malgré tout revenir bientôt te prêter main forte]