"Ta place est dans ton lit."

Une voix lourde se fit entendre à quelques mètres. Une silhouette sombre apparut lentement, se dégageant des ombres de la pièce pour apparaître pleinement devant la jeune femme.
Bruce était en costume, entièrement. Son masque posé sur son visage fatigué et mal rasé, sa cape traînant sur la moquette derrière lui, son armure toujours aussi puissante et imposante. Il était passé de la bibliothèque au salon en quelques secondes à peine, dans une discrétion absolue. Les vieux réflexes avaient la vie dure, même chez lui.

"Tu as besoin de repos, spécialement après ton absence ces derniers temps."

Il fit un pas en avant et s'arrêta à quelques mètres de la jeune femme. Lui et Tempérance avaient une relation forte, plus qu'il ne voudrait l'admettre. Profondément touché par la détresse de sa fille adoptive, puis par les liens qu'ils ont pu construire ensemble, il était très attaché à elle et ne voulait que son bien. D'où sa légère agressivité du soir : pour sa sécurité, elle n'aurait pas dû se trouver là.

"Je ne pensais pas te voir au Manoir vu ton extrême implication avec les Birds of Prey. Je ne pensais pas que Dinah te laisserait revenir ici après les évènements de ces derniers jours."

Bruce savait que Black Canary ne supporterait pas ses dernières actions et qu'elle voudrait très certainement en discuter ; lui-même n'en avait aucune envie. Il avait demandé à son alliée de prendre en charge l'entraînement et les premiers pas de Midnight et de Caducée, et il avait espéré qu'elle les garde auprès d'elle pour les semaines à venir.
Il resta de marbre devant Tempérance, calme et immobile. Il était curieux de connaître sa réaction.

"Tu es une personne exceptionnelle."

Sa voix était toujours calme et posée. Elle ne trahissait aucune émotion, alors que Tempérance venait d'ouvrir son coeur à lui.

"Tu es une excellente fille adoptive."

Bruce avait été touché par les attentions de la jeune fille, son trouble et sa culpabilité. Il n'avait jamais voulu qu'elle se torture ainsi : son seul but avait été de lui offrir une structure convenable et adaptée pour son évolution et sa vie. Elle était un diamant à l'état brut qu'il fallait tailler, mais qui approchait déjà de sa forme parfaite.

"Je n'ai juste jamais été un vrai père, pour toi, Richard, Tim, Jason ou Loraline."

Il bougea finalement, se déplaçant sur le côté pour se fixer devant une des fenêtres vitrées du salon, observant la nuit et ses ténèbres.

"Tu as toujours été trop dure avec toi-mêmes, Tempérance. Tu veux te fixer des objectifs qui sont impossibles pour toi et tu ne supportes pas de ne pas les atteindre. Tu débutes ton existence, tu débutes ta carrière, laisses-toi le temps de grandir, mûrir et d'apprendre. De nouveaux justiciers apparaissent, votre organisation prend de l'ampleur et vous vous entraidez : tu n'as pas à tout supporter seule."

Wayne savait que tout ceci pourrait s'appliquer à lui, et il travaillait dessus pour être mieux entouré. Sa récente collaboration avec Azrael lui avait rappelé combien le travail d'équipe pouvait être agréable et efficace, mais il savait que celui-ci serait plus difficile qu'avant. Si son caractère l'avait empêché de s'associer avec des alliés auparavant, c'étaient ses récents actes qui deviendraient de grands freins pour de telles initiatives dans les temps à venir.

"La situation change. Les justiciers prennent une autre épaisseur. La population se réveille enfin. Un nouveau maire sera élu, et avec de la chance sera une de tes amies - même si j'ai de sérieux doutes sur ses capacités réelles à gérer les politiciens et fonctionnaires, elle aura au moins une action positive. Si nous sommes malchanceux, ce sera un industriel manipulateur et violent, mais il sera un danger moindre que son prédécesseur.
La situation change, Tempérance - en bien. Quincy Sharp est mort, la ville est libérée de certains de ses démons et nos principaux ennemis s'affrontent, se blessent et lèchent leurs plaies. La paix est à portée de main, pour ceux qui ont le courage d'aller au-delà de leurs limites et de leurs volontés pour y parvenir."

Midnight était intelligente : elle comprendrait son double discours, et y réagirait certainement mal. Le Chevalier Noir le regrettait, mais il ne voulait pas lui mentir ou lui donner de faux espoirs.

"Et je suis prêt à tout pour y parvenir."

Son ton était encore monocorde et posé, ses yeux fixaient toujours l'extérieur. Il attendait avec curiosité la réaction de la jeune fille.

Quand Batman s'approcha d'elle, Tempérance tourna la tête vers lui, touchée par ses paroles. Elle sourit doucement de manière nostalgique. Elle n'aurait jamais cru capable Bruce de lui dire ça un jour. "Une personne exceptionnelle", "une excellente fille adoptive"...Ces mots sonnaient de manière si douce à son oreille. Avoir la reconnaissance de ses actes malgré ses erreurs lui apportait une belle dose de réconfort. Tempérance n'était pas fière d'elle même si elle avait confiance en elle, même si elle voulait repousser ses limites toujours plus loin, toujours plus intensément. Avoir ces mots de la bouche de Batman était un honneur, un oeuf que l'on doit garder sur la tête tout en se battant sans le faire tomber. Quelque chose de fragile qui rendait Tempérance nostalgique de ce temps où Batman incarnait sa plus grande phobie, sa plus grande folie, sa plus grande admiration. Elle contemplait ces mots comme si ce n'était qu'un rêve, comme si c'était impossible que cela lui soit destinée.

Elle écouta la suite en silence, reprenant un peu plus de présence et en séchant ses larmes d'un revers de main gracieux. Tempérance se redressa fixant Batman alors qu'il lui avouait ne pas être un vrai père. Elle fit la moue, les yeux rependant une douceur dont elle avait le secret. Elle attendit que Bruce finisse de parler, tout en pesant ses mots. Et le discours qui suivit méritait d'ailleurs une intention toute particulière qui surprit Midnight, aussi bien Tempérance que la justicière qui sommeillait en elle. A la fin de son discours, le ton monotone dont seul Batman avait le secret se perdit dans la pièce, s'effilochant dans la conscience de Midnight qui ne réagit pas. Son visage se ferma de plus en plus.

Midnight avait parfaitement compris ce que Bruce voulait dire et pourtant, il y avait une faille dans ses mots, une faille qui trahissait quelque chose, une sorte de pesanteur qui régnait en Bruce comme un signal d'alarme. Tempérance avait un instinct, elle pouvait se tromper mais quelque chose lui disait que quelque chose ne tournait pas totalement rond en lui. Le regard de Midnight se perdit aussi dans la noirceur de la nuit, fixant quelques étoiles ce qui la fit sourire. Elle ne voulait rien brusquer.

Il y a quelques temps, elle aurait été en colère, révulsée...Ce n'était plus le cas. Elle parla d'une voix calme.
-Je vais prendre les choses dans l'ordre...
Tempérance se mit en face de Batman et le serra doucement dans ses bras, fermant les yeux pendant quelques secondes, se sentant bien. Elle espérait que tout ce qu'elle ressentait pour lui passe par son contact, les mots parfois, étaient inutiles. Lorsqu'elle se sentit un peu trop intrusive, elle se dégageait tout en maintenant une main posée sur le bras de Bruce. Elle le fixait, sans aucune émotion dans son regard.
-Tu sais, j'ai eu honte de t'en avoir voulu parce que tu était trop froid avec Loraline et moi, surtout quand tu nous a accueillies avec des batarangs alors qu'on voulait t'apporter à toi et à Rachel, le p'tit dej au lit !
Elle rit avant de reprendre sérieusement.
-Mais j'ai été aveugle car je ne peux savoir si tu es un bon père, car je ne....
Tempérance eu du mal à se rappeler les travers de son amnésie qu'elle commençait à vouloir oublier définitivement.
-...Je ne me souviens plus de ce que c'était et...toi non plus.
Elle faisait une allusion douloureuse à l'évènement tragique qui transforma Bruce en Batman. Mais ce n'était que la vérité.
-On n'a pas de l'expérience en tout...Et ce que tu m'as offert, ce que tu as permis de réaliser en moi est la plus belle chose qu'on ai pu m'offrir. J'ai rencontré des gens merveilleux et repoussé mes limites, même Poker tu l'as transformé même si je dois t'avouer qu'il a encore un peu peur de toi.
Elle rit encore une fois en jetant un petit regard à son chien qui dormait paisiblement.
-Richard, Tim, Jason...Sans toi, ils ne seraient pas ce qu'ils sont aujourd'hui. Ne te blâme pas, je sais que je ne connais rien de vos histoires mais la surface me suffit pour te dire que tu n'as pas besoin de te charger de ça.

Elle se recula et s'adossa à la baie vitrée, les bras croisés. Le ton se fit un peu plus ferme.
-Maintenant Bruce...
Tempérance secoua la tête en fermant les yeux.
-Non Bruce, la situation ne change pas. TU changes.
La jolie silhouette de Midnight éclairée par les reflets de lune se mit à faire doucement les cent pas devant Batman.
-Comment tu as pu céder aussi facilement à la tentation de tuer alors que tu as si longuement résisté ?
Elle marqua une pause.
-Le Joker a commis des choses ignobles sans aucun intérêt particulier, juste pour rire de toi...La ville a souffert en en souffre encore. Waylon, mon cher Waylon, j'ai tout vu, j'étais là...Tu ne l'as pas tué et tu es parti digne, tu n'as même pas eu de plaisir à assouvir ta vengeance, je l'ai vu.
Batman ne savait pas que Midnight avait été présente dans les ruines inondées de Killer Croc, cet aveu rendit Tempérance curieuse de la réaction de l'Homme Chauve Souris.
-Tant d'autres ont fait offense à Gotham, tant d'autre lui ont craché dessus pour la réduire à néant. Quand Waylon a réuni tous les criminels à Arkham, tu aurait pu lâcher une bombe et tous les tuer, ne me dis pas que j'exagère parce que tu en as les moyens.
Elle lui fit un clin d'oeil avant de reprendre.
-Et pourtant tu ne les as pas tué...Maintenant que se pointe un homme gonflé d'orgueil bien caché derrière ses pantins, sans moyen particulier qui ne tient sa force que de son fric et qu'on abattrait d'une simple balle, tu as cédé ?

Un souvenir amer lui revint quand elle s'était battue à Arkham où elle avait tué un homme sans le faire exprès mais avoir goûté à la mort ainsi la dégoûtait. On souffre bien plus à être vivant.
Midnight haussa doucement le ton :
-Repousser tes limites ? Tu es prêts à tout ? C'est beau...Libre à toi.
Elle arrêta de marcher et calma un peu son ton :
-Mais ne t'étonne pas si, au lieu de l'admiration qu'ont les habitants de Gotham pour toi, ils se mettent à éprouver de la peur.

Le Chaperon Rouge vêtue de blanc s'avança vers Bruce.
-Mais tu te doutes que je ne m'arrête pas là et je suis certaine que tu me cache quelque chose et que ce que dit la presse et ce qui se murmure n'est qu'une façade et que des circonstances t'ont poussé à agir comme ça.
Le regard de Midnight se fit plus doux alors qu'elle posa sa main sur son épaule.
-Je sais que Rachel a droit à plus de faveurs de ta part si tu as besoin de parler et que je suis peu être...
Ses yeux se plissèrent rien qu'à l'évocation de ce mot, elle espérait inconsciemment que Batman ne confonde pas cette réaction avec une hypothétique jalousie envers Rachel qui n'existait pas. Tempérance aimait beaucoup Rachel et lui était reconnaissante d'être au bras de Bruce.
-...Trop jeune pour comprendre mais tu sais que tu peux me faire confiance.

Bruce avait écouté avec attention les multiples paroles de la jeune femme. A nouveau, elle l'impressionnait pour sa maturité, sa connaissance de son père adoptif et la pertinence de ses mots. La jeune femme découverte aux Entreprises Wayne, haineuse et pleine de colère, était bien loin, et il était fier d'avoir participé à cette évolution ; un peu moins d'être obligé de se justifier ainsi devant elle.

"Je me doutais que tu avais eu vent du sort que j'ai réservé à Killer Croc, mais j'ignorais que tu avais assisté à ma revanche. Je... le regrette. Certains évènements doivent demeurer discrets."

Il n'avait pas bougé quand Tempérance l'avait pris dans ses bras.
S'il appréciait sincèrement sa présence, il n'était définitivement pas à l'aise avec ce genre de démonstration d'intimité et d'émotion. Il ne l'avait pas repoussé, mais il n'avait rien fait pour l'encourager ou lui rendre son geste tendre. Si elle avait participé à son ouverture sociale, elle n'était pas parvenue à le changer autant.

"Rachel m'a interrogé, comme Timothy, sur mes responsabilités et mes raisons, alors que j'avais simplement demandé à être seul après cette nuit difficile. Timothy a insisté, plus que je n'ai pu le supporter, et il a réussi à être chassé d'ici et à obtenir un bras cassé. Rachel n'a pas reçu plus d'information que toi."

Sa voix était toujours aussi neutre et dénuée d'émotion. Wayne savait que Midnight avait besoin de réponses, de certitudes, mais il ne pouvait pas lui en offrir. Comme Red Robin, elle devait grandir, mûrir et se détacher de son influence pour voler de ses propres ailes. La méthode était dure, terrible même pour lui, mais elle avait réussi avec Dick et il ne savait pas comment agir autrement.

"Tempérance... tu ne sais pas ce que Quincy Sharp a fait et prévoyait de faire - et ce qu'il m'a fait. Volontairement, j'ai protégé mes proches et pris sur moi, mais... si tu y tiens vraiment, je peux te faire l'article de ce monstre. Qui méritait de mourir, je le maintiens."

Dans un geste théâtral, il se détourna de la baie vitrée et de Midnight pour s'approcher d'un journal déposé nonchalamment par Alfred sur la table basse du salon. Il énumérait, lentement, les sinistres réalisations de Quincy Sharp.

"Il a aidé Killer Croc à créer Arkham City. Il a ordonné des enlèvements et des meurtres. Il a brisé des familles et des êtres bons et honnêtes. Il a divisé une ville en deux et a créé un chaos incontrôlable. Il est responsable de tous les actes des criminels stockés comme des animaux de l'autre côté du mur. Il a sali un homme en le transformant en NKVDemon. Il a corrompu un orphelinat et violé l'esprit de tous ses hommes de main. Il a construit des camps d'éradication pour ceux qui s'opposaient à lui. Il a placé des bombes partout, et spécifiquement dans la Tour Wayne, celle de ma famille, un de mes seuls liens avec eux."

En parlant, le Batman devint plus dur, plus haineux qu'avant. Si Quincy Sharp était bien mort, sa colère pour lui demeurait intact.

"Il a essayé de tuer Alfred Pennyworth, qui m'a élevé et a été autant un père pour moi que Thomas Wayne. Il a essayé de détruire les Entreprises Wayne, mon héritage. Il a essayé de salir ma réputation et celle de mon alter-ego. Il a essayé de tuer Rachel. Il a essayé d'enlever les cercueils de mes parents... leurs cercueils, Tempérance. Ceux de mes parents. Peux-tu comprendre ce que j'ai pu ressentir pour lui ? Peux-tu comprendre ma haine, ma colère, mon dégoût pour Quincy Sharp ?
J'ai résisté au Joker, à Double-Face, à Killer Croc, à Ra's Al Ghul et à tous les autres. S'ils m'ont attaqué, s'ils ont essayé de me détruire tant physiquement que psychologiquement, jamais quelqu'un n'a fait autant, n'a été aussi loin en si peu de temps. J'ai découvert cette année que je ne suis qu'un homme - j'en assume les conséquences."

Il ne disait pas tout... il ne le pouvait pas. Raconter la chronologie des évènements et de ses décisions était encore trop dur, car trop frais. Midnight devrait se contenter de ça, même s'il savait déjà qu'elle n'y arriverait pas. En un sens, ça ne lui déplaisait pas : il ne l'avait pas choisi pour rien ; et elle ne le rendait pas aussi fier pour rien.

"Tu ne me juges pas ? C'est une blague ? Je ne connais pas grand-chose à l'humour, alors c'est le moment où il faut rire, c'est cela ?"

Le ton fut agressif, clairement violent. Tempérance s'était placée devant Bruce, mais celui-ci en avait assez de prendre des gants avec ceux qui venaient le harceler pour avoir des réponses et lui offrir des regards noirs accusateurs.
S'il avait été grandement touché par les paroles de Midnight, ça n'avait pas été comme elle l'avait espéré. Il avait été d'abord surpris et choqué d'apprendre que Killer Croc avait été passé à tabac par un inconnu après leur affrontement, mais l'avait été encore plus quand la jeune femme l'informa de son viol. Il n'avait jamais osé lui faire passer un examen gynécologique, mais ses poings s'étaient serrés jusqu'au maximum quand il avait entendu cela.

Une bouffée de haine et de colère venait de l'emporter, et s'extériorisait malheureusement contre Tempérance. Il l'appréciait, tenait à elle et la plaignait clairement pour ce qu'elle avait dû subir. Se savoir abusée sans aucun souvenir, sans aucune possibilité de faire un travail de deuil et d'acceptation devait être horrible. Cependant, Wayne était usé et fatigué par des journées difficiles, et il en avait plus qu'assez d'être continuellement jugé par ceux qui auraient dû le soutenir ou au moins lui offrir un peu de la paix qu'il espérait tant.

"Tempérance, depuis la mort de Quincy Sharp, j'ai été harcelé par mes soi-disant alliés. Tous voulaient me parler, m'aider, me soutenir et me demander des explications : j'en ai assez. J'ai agi comme je l'entendais à un moment T car je ne voyais pas d'autre solution. La situation où je t'ai retenu d'assassiner Ruth n'est pas comparable, car je n'étais pas dans les mêmes dispositions. Je refuserai toujours que tu en viennes à ces extrémités, car je ne veux pas que tu vives avec des morts sur la conscience. Si j'ai agi comme je l'ai fait, c'est pour empêcher mes proches de subir ça : j'ai accepté d'en prendre la responsabilité et de gérer ça. Seul."

Son discours était haché, difficile. Il était pris par des émotions contraires et perdait patience.

"Tu ne me juges pas mais tu viens me donner des leçons de morale et de philosophie en cherchant à comprendre mes gestes et en les comparant aux tiens. J'ai renvoyé et blessé Tim pour moins que ça, Tempérance. Jamais je ne te ferai du mal, mais je suis fatigué d'être constamment remis en question et soupçonné. J'ai agi comme je le considérais juste, et je le referai si Quincy Sharp avait survécu. La ville ne peut se relever s'il est encore là, à ourdir des complots dans l'ombre et à chercher à me faire du mal.
Pendant des années, tous m'ont reproché d'être trop froid, dur, et limité à mes valeurs et mes principes. Maintenant que je m'ouvre plus et que j'en viens à agir comme vous, comme les autres, à me laisser guider par mes émotions par moments, voilà que je suis encore critiqué ? Voilà qu'on me reproche encore ma conduite ? Cela suffit, Tempérance. Rachel a adopté le même discours que toi et je ne l'ai pas accepté non plus."

Il se détourna d'elle et s'avança lentement vers la bibliothèque - vers la Batcave, comme toujours.

"D'ici quelques jours, je déménagerai. Bruce Wayne ira vivre au sein de la Tour Wayne, que j'ai déjà aménagé pour accueillir une Batcave potentielle. Tu peux rester ici - j'aimerais que tu restes ici. Tu pourras venir me voir à la Tour si tu es prête à m'accepter comme je suis et à agir en ce sens."

Le Chevalier Noir venait de lâcher une bombe, il le savait. Abandonner le Manoir était très symbolique, car cela voulait dire couper ses liens avec son histoire personnelle et avec ses proches. Au vu de son ton et de ses paroles, il semblait ne pas vouloir emmener Rachel et Alfred avec lui. Une autre preuve d'une plongée profonde dans un monde de solitude et d'extrémisme pour la jeune femme derrière lui.

(HJ/ Je ne sais pas pour toi, mais je pense qu'on arrive au terme du sujet. Si tu veux relancer et poursuivre encore un peu, pas de souci, mais ce post pourrait être une conclusion si tu as le même avis que moi. /HJ)

Bruce était resté silencieux durant toutes les réponses de Tempérance. Il savait qu'il était allé loin en argumentant sur le traumatisme subi par la jeune femme à cause de Ruth, traumatisme dont il n'avait pas saisi toute l'ampleur avant qu'elle ne lui révèle d'autres éléments plus profonds et plus terribles. Evidemment que les actes de ce monstre humain et de Quincy Sharp étaient comparables, mais il ne pouvait que difficilement accepter que sa peine et sa rage puissent être partagées.
Cela aurait dénaturé son geste, sa décision ; cela aurait rendu son acte "commun", dans le sens où d'autres pouvaient avoir pris la même décision que lui. Et le grand égocentrique qu'il était ne pouvait l'accepter.

"Tu es jeune, Tempérance. Tu as encore beaucoup à vivre, à souffrir et à gagner. Je n'ai jamais voulu minimiser ta peine, tes souffrances, tes rages et tes colères. Je n'ai jamais voulu hiérarchiser nos douleurs et nos drames, mais... je ne regretterai jamais de t'avoir empêché de tuer Ruth, et je suis fier que tu parviennes à dépasser ces envies pour aller de l'avant. Moi, dans un état qui n'était pas le tien, avec un historique qui n'était pas le tien, avec une connaissance qui n'était pas la tienne, j'ai pris une décision contraire. Et je ne regrette rien."

Wayne ne l'avait pas regardé durant sa propre réponse, toujours dos à elle. Il sentait que cette conversation prenait un tour qui ne lui convenait plus : Midnight et lui se répétaient, répétaient leurs arguments, répétaient leur dispute. Il comprenait combien elle était blessée et troublée par sa décision, par ses actes, par son refus d'explication, mais il ne pouvait pas lui offrir ce qu'elle voulait.

Seul Alfred avait eu droit à quelques bribes de réponse à ses interrogations, quelques maigres éléments pour connaître les raisons de son employeur d'avoir pris une telle décision.
Ni Richard, ni Tim, ni Jean-Paul, ni Rachel n'avaient eu droit à un tel privilège, et s'il hésitait à en informer l'un ou l'autre, il était déjà conscient qu'il ne pourrait pas tout dire, pas tout révéler. Maintenant plus que jamais, il allait devoir vivre et avancer avec ses secrets et les conséquences de ses actes. Il commençait à en avoir l'habitude.

"Alfred continuera à gérer le Manoir, votre vie ici ne sera pas affectée. La Batcave vous sera indisponible dès que mon déménagement sera effectif. Vous pourrez accéder à quelques armes et aides dans certaines parties du bâtiment, qu'Alfred vous indiquera."

Le Batman poussa un long soupir avant de se retourner, finalement, vers la jeune femme. Si son visage était d'une neutralité totale, Tempérance le connaissait suffisamment pour y déceler une émotion certaine.

"Je n'arrêterai pas de te surveiller et de t'aider. Je n'arrêterai jamais."

Sans crier gare, il se détourna et s'avança définitivement vers la pièce voisine, prêt à rejoindre la Batcave pour se plonger dans le travail et éviter de penser à ce qu'il était en train de perdre. Sa mission lui avait tout pris au fil des années, mais il avait espéré que ses relations avec Tempérance, Loraline et Rachel échapperaient à ce terrible destin ; il semblait s'être trompé encore, malheureusement.