"Alors, Baaatman, on fait moins le fier, hein ?"

Un sourire immense lézardait le visage tatoué d'Eddie Johns. Petit criminel de Gotham City, il avait échappé de justesse aux arrestations sommaires du G.C.P.D. et des troupes de Strange et Shreck en se cachant aux Docks Dixon. Avec sa bande, il avait passé le temps en usant de leurs muscles et de leurs armes de poing pour mettre en place un petit commerce basé sur l'extorsion, la menace et le chantage.
Ce n'était pas grand-chose, suffisant à peine pour faire survivre la dizaine de membres de son gang, mais Eddie en était fier. Il n'avait pas eu besoin du Joker, de Double-Face ou des autres pour se créer son propre business et il fonctionnait plutôt bien - il n'avait pas encore été arrêté, ça devait être une bonne preuve.

Sortant peu de son quartier général, un petit entrepôt minable et abandonné, Johns envoyait ses hommes de main rançonner les dockers et autres commerçants qui évoluaient sur les docks. Lui ne pouvait guère s'afficher en plein jour à cause de son immense tatouage de tête de mort, placé sur tout son visage - un "reste" de son ancienne affiliation à un vieux gang de la ville, désormais décédé.

Cependant, Eddie passait ses journées à s'entraîner au combat, à la boxe et aux affrontements violents et illégaux ; il commençait même à se faire une renommée dans cet univers de rings clandestins et de combats ultra-violents. Il était persuadé que tout ça allait lui servir dès maintenant.

"T'as perdu ta langue ?"

Eddie, un mètre quatre-vingt de muscles et de puissance, serrait les poings en fixant la silhouette devant lui - que tous ici connaissaient évidemment. Batman.
Quelques minutes plus tôt, ses hommes l'avaient averti qu'un des gardes avait été retrouvé inconscient aux abords des docks. Au lieu de foncer là-bas, Johns avait ordonné à son gang d'inspecter les alentours de son quartier général, et ils venaient de découvrir la terreur de Gotham City... le Chevalier Noir en personne.

Huit hommes, dont Eddie, entouraient leur future victime. Tous, sauf leur chef, tenaient des armes de poing très efficaces : bouteilles prises, poing américain, chaînes, battes de baseball, etc. Johns refusait d'user de telles subterfuges : il voulait un vrai combat, un vrai affrontement avec celui qui terrorisait depuis trop longtemps la ville.
S'il était déçu que son ennemi ne réplique rien, il n'en fit rien paraître et fit signe à son gang d'approcher de la silhouette immobile devant eux, statufiée presque par l'instant. Ca n'en serait que plus facile s'il continuait à ne pas bouger...

La vitre explose bruyamment sous mon poids. J’étouffe un juron quand je retombe douloureusement sur le dos. Pourquoi faut-il que tout le monde s’équipe d’un type colossal pour protéger ses intérêts ? Celui qui vient de me balancer par la fenêtre est gigantesque. Si ma rapidité m’a permise de lui glisser entre les doigts, le résultat de m’être frottée un peu trop à lui n’est pas vraiment concluant. Je me redresse sur mes bras, un regard assassin à l’égard de l’homme qui se dresse de l’autre côté de la vitre brisée.
Son visage est tout couturé et je me doute que ce grand blond a la faculté de ne pas sentir la douleur vu le nombre de coups qu’il a essuyé. Il saigne. Je lui ai pété le nez. Mais il n’a pas bronché – comme si toute douleur lui était inconnue.

Il crache par terre. Glamour. Puis il se décide à enjamber la fenêtre pour me rejoindre et je saisis le créneau de son éventuel déséquilibre pour me jeter sur lui, enserrant puissamment son cou de mes cuisses pour lui couper la respiration. Je me laisse aller vers l’arrière et j’entraîne la masse dans ma chute. Je retombe souplement, pieds et mains au sol puis j’attrape la brute qui est ventre à terre par les cheveux pour lui tamponner la tête contre le sol à plusieurs reprises. Quand je sens enfin que la tension dans son corps se dissipe, je le relâche. Après ce qu’il vient d’encaisser, il va sûrement mettre quelques minutes à s’en remettre. J’espère que ça me laissera assez de temps pour récupérer mon dû et me casser d’ici.

Sans traîner, je me dirige vers le coffre fort entrouvert devant lequel gisent les types que j’ai mis hors d’état de nuire. A l’intérieur, un joli petit pactole que les trafiquants ont amassé. Allez Sélina, avec tout ça, tu vas peut-être pouvoir te la couler douce tranquille pendant un temps.
J’empoche le tout dans mon sac à bandoulière et j’enjambe les corps inertes étalés sur le sol pour rejoindre la fenêtre par laquelle je suis passée il y a quelques minutes.
Je quitte vite fait l’endroit, sautant furtivement de toits en toits pour disparaître dans l’obscurité nocturne de Gotham. La soirée aura été fructueuse. Et je crois bien que ça n’est pas terminé.

Je la perçois. Cette ombre rapide et familière, qui se cache au sein de la nuit. Lui. Ça fait un moment que je ne l’ai pas vu. A vrai dire, bien depuis que j’ai quitté Gotham pour mener mes petites recherches en Italie. Quand je suis revenue, j’ai entendu cette histoire – comme quoi il aurait été battu par Killer Croc. Humilié. Devant Gotham.
J’ai eu un peu de mal à le croire, et toutes mes chasses se sont faites solitaires jusqu’à aujourd’hui. Pas de chauve-souris dans les parages. J’ai bien cru ne pas le revoir… Et pourtant.

Mon cœur s’emballe de manière presque imperceptible. Je m’accroupis contre le muret et je guette la silhouette en toute discrétion. J’hésite, puis je craque. Je me mets à le filer, espérant simplement ne pas me faire griller. J’ai bien trop de fierté pour accepter qu’il me voie en train de le suivre, et pourtant, je compte bien lui tomber dessus – même si le par hasard, n’est pas le genre de chose très crédible, surtout avec lui.

Quoiqu’il en soit, je n’ai pas trop de mal à le filer jusqu’aux docks. Apparemment, ce dernier a quelques comptes à régler avec la racaille du coin. Il reprend les bonnes vieilles habitudes, dirait-on. Une fois là bas, je me perche dans les hauteurs, au niveau d’un immense poteau qui surplombe toute la zone et j’attends, guettant ce qu’il se passe dans le coin.
Ça ne tarde pas à se remuer d’ailleurs. L’alarme semble être donnée par l’un des hommes qui patrouille dans les docks. J’esquisse un sourire en coin, en sentant la peur se frayer un chemin jusqu’aux esprits. Tant que le Batman n’est pas à portée de vue, tout le monde tremble. Et quand il l’est, on se rassure, mais le sort n’en reste pas meilleur.

Les petites frappes se rassemblent et j’ai vite fait de descendre de quelques mètres pour m’approcher. Batman se tient au milieu et se retrouve vite cerné par huit hommes, dont un, bien plus massif que les autres. La première pensée qui me traverse la tête est : mais qu’est ce que tu fabriques Batman ? A te laisser entourer de la sorte. Mais je sais très bien que l’homme chauve souris ne fait rien au hasard.

"T'as perdu ta langue ?" – Demande le plus imposant des criminels.

J’aurais presque trouvé ça drôle de l’observer mener la danse, mais quelque chose me dit que le moment est idéal pour intervenir et faire mon petit effet. Je descends tranquillement de mon perchoir, profitant de l’intérêt que portent les criminels au justicier pour faire mon approche.
Je fais en sorte d’arriver par derrière la grosse brute qui fait face à la chauve souris, mon fouet à la main et dans une démarche fidèle à moi-même – féline et prédatrice.

« C’est sûr qu’à huit contre un, y a de quoi être fier ! » – Sarcastique jusqu’au bout des griffes.

Les regards se tournent dans ma direction, surpris mais je ne lâche pas la silhouette de l’encapé des yeux. Un claquement de fouet, puis deux. Les hommes sont tous armés, excepté celui qui l’ouvre le plus. Je repère d’un coup d’œil celles dont je devrai me méfier le plus. Je pense bien que le Chevalier Noir ne va pas avoir trop de mal à se débarrasser d’une bonne moitié de ses agresseurs. Quant aux autres, je serai ravie d’essayer de faire le nécessaire pour leur botter le train.
Un bref jeu de regards, et le chef de la bande se met à beugler de nous attraper. Les criminels se mettent en action, certains plus menaçants que d’autres et j’esquive l’approche du plus vigoureux d’entre. Je fends l’air d’un coup de pied latéral. Je joins mes mains, toutes griffes dehors pour attraper l’un d’eux par les cheveux et lui donner un coup de genou dans les parties. Droite, puis gauche – mes gestes se font précis mais la fatigue se fait sentir après le dernier combat contre le géant. L’un d’eux, celui qui tient une bouteille brisée arrive à m’entailler le bras. Je grogne, mais je profite de son inquiétude pour lui coller une droite qu’il n’est pas prêt d’oublier. Batman, quant à lui, n’a pas trop l’air de mal se débrouiller contre les autres… Espérons que ça suffise.

Batman n'avait pas réagi lorsqu'une voix bien familière avait attiré l'attention des huit brutes persuadées de pouvoir le mettre au pas. Il aurait pu en profiter pour en vaincre quelques-uns rapidement, mais il avait préféré conserver une attitude neutre et stoïque - et attendre.

Catwoman.
Il était surpris de la découvrir ici. Et de la voir l'aider.

Même s'ils ne s'étaient pas quittés en bons termes, il n'avait pas pensé qu'elle puisse un jour prendre sa défense. Depuis son échec et sa mutilation, il n'avait eu aucune nouvelle d'elle - et inconsciemment en avait été déçu. Il n'avait jamais rien attendu et espéré de la jeune femme, mais aurait apprécié quelques marques d'intérêt, de sympathie et de compassion. Entendre qu'elle le cherchait ou qu'elle voulait savoir où il était l'aurait quelque peu rassuré et lui aurait fait chaud au coeur.
Mais aucune rumeur n'en avait fait état. Catwoman n'avait jamais cherché à reprendre contact et à l'aider.

Devant lui, six hommes, dont Eddie Johns, hésitaient entre s'en prendre à la jeune femme et foncer sur lui ; il en avait assez de ces secondes d'inaction.
Ses deux mains tombèrent sur les épaules de deux de ses adversaires, et il utilisa une prise issue du Shidokan pour les précipiter à terre et briser leurs bras en trois mouvements à peine. Alors que leurs camarades se tournaient enfin définitivement vers lui, il faisait quelques pas très calmes avant d'éviter les coups de deux autres ennemis. Jouant avec eux, il les frappa finalement au visage et à la nuque avec des techniques issues de Da Cheng Chuan ; en quelques secondes, quatre brutes avaient chuté au sol, incapables de se relever.

Seuls demeuraient les deux adversaires de Catwoman, un autre et Eddie Johns.

"Va te faire la salope. Je m'occupe du gros dur."

Eddie Johns affichait un énorme sourire derrière son monstrueux tatouage. Les poings serrés, calme, il semblait exulter de pouvoir enfin s'en prendre à une des légendes de la ville - et de faire ses preuves.

Lentement, Eddie Johns commença à s'avancer, à tourner autour de son ennemi, qui demeurait aussi stoïque qu'avant. Laissant sa longue cape traîner sur le sol, ne fixant même pas son adversaire, il semblait attendre le premier coup, comme une victime volontaire et joyeuse.
Eddie Johns, positionné derrière le Chevalier Noir, avança son bras droit avec fureur pour le frapper dans le dos, évidemment. Son adversaire se baissa au dernier moment, avant de balayer lourdement ses jambes avec une technique issue du Chauss'fight. Tandis qu'Eddie Johns se retrouvait au sol, Bruce enchaînait avec des coups très rapides et très précis issus du Naban.

Propulsant Eddie Johns en avant après un violent coup dans les parties intimes, il se projeta sur lui avec sa cape, achevant leur rapide et très violent affrontement par un appui brutal de ses coudes sur sa poitrine ; le chef de gang aurait besoin de très longues semaines avant de pouvoir respirer à nouveau normalement.

Calmement, Wayne se releva alors et posa son regard vers Catwoman, occupée à gérer trois adversaires ; il ne bougea pas, attendant de voir comment et si elle se débrouillerait face à eux.

Entre une roue et un uppercut, je prends le temps de regarder le Chevalier Noir en pleine action. Est-ce vraiment lui sous ce costume ? Bien sûr, il bouge comme tel – précis et calme. Ce flegme agaçant qui lui est propre. Beaucoup de questions me taraudent au sujet du justicier – surtout celles que je n’ai pas osé poser dés mon retour dans la ville du crime.

Un violent coup de poing dans le ventre me ramène brusquement à la réalité. Bordel Sélina, comme si c’était le moment de rêvasser… Je me plie, le souffle coupé, et l’homme en profite pour coller ses doigts sales contre ma gorge et serrer à m’en faire des marques. Je mets quelques secondes à me reprendre, sentant mes pieds décoller du sol. Malgré la pression, j’arrive à lui balancer ma tête dans la face, son nez craquant bruyamment sous le coup. Il me lâche et étouffe un cri inarticulé, les mains sur son visage. Les deux autres en profitent pour me cerner et je me redresse, aux aguets. Batman, quant à lui, mène tranquillement son combat contre le plus massif de tous. Aucune surprise au fait que ce dernier est bien trop lent et barbare pour le Chevalier Noir. Trois de ses hommes sont d’ailleurs étendus par terre, neutralisés – ce qui n’a même pas le mérite de le faire flipper.

Je remonte vivement mon avant bras devant mon visage pour parer le coup de poing de l’idiot à ma droite. Je profite de mon geste pour planter mes griffes dans son poing arrêté avant de le repousser violemment d’un coup de pied dans l’abdomen. Ma victime retombe lourdement sur le dos, se tordant de douleur et je prends un peu de temps pour considérer mon troisième adversaire. Je remarque le Chevalier Noir, un peu plus loin, tranquillement en train d’observer la scène et j’hausse un sourcil provocateur. A croire que le Batman s’ennuie…
Fermement décidée à ne pas trop le faire attendre, je cours en direction du dernier homme debout qui tient une batte de baseball et je me jette sur lui, m’enroulant souplement autour de lui – ma main sur la batte pour le désarmer. Je lui arrache cette dernière des mains avant de lui donner un violent coup sur la tête. Il s’écroule, sonné, et je prends le temps de jeter un œil à mon bras entaillé. Moche. Et j’ai du perdre quelques griffes au passage en plus. Ne daignant pas encore montrer un réel intérêt pour la silhouette sombre toujours dressée à quelques mètres de moi, je me retourne pour marcher en direction du type à qui j’ai cassé le nez et qui s’apprête à se relever. Je lui donne un violent coup de pied dans l’abdomen et celui-ci retombe aussi vite pour ne plus se relever du tout. Je pose une main sur ma hanche, plutôt satisfaite, et mon regard revient doucement, presque langoureusement, se poser sur l’objet de ma convoitise.
Je le rejoins lentement, n’hésitant pas à lui tourner autour pour le détailler du regard, un sourire aux lèvres.

« Ça fait un moment que je n’ai pas eu le plaisir de profiter de ta compagnie, Batman… »

Je reconnais son odeur. Cette fragrance qui me fait toujours ronronner. Mais je me doute aussi que notre échange ne sera peut-être pas des plus amusants cette fois-ci. Quand la chauve-souris ne désire pas jouer, elle peut s’avérer être d’un ennui mortel. Quelque chose est différent chez lui mais je ne saurais dire quoi.
J’appréhende qu’il en vienne à en parler. Et en même temps, je désire savoir ce qu’il s’est vraiment passé. Je désire qu’il me parle, qu’il se confie et à la fois j’aimerais juste qu’il m’embrasse et seulement retrouver l’homme qu’il est. Le puissant emblème. Non. Nos discussions ne se sont jamais réellement faites avec simplicité, et c’est ma faute. Comme de la sienne, sûrement. Du moins, c’est ce que je préfère croire. Je m’arrête devant lui, mes yeux dans les siens, essayant comme toujours de discerner ce qu’il peut ressentir à mon égard.

"Tu ne l'as pas cherché."

La réponse fut immédiate, mais énoncée sur un ton neutre, froid - dénué d'émotion. Il était resté calme durant toute la démonstration de Catwoman, appréciant son art du combat et la souplesse de ses actions, mais ça n'avait été qu'un avis objectif.
Profondément meurtri par l'absence d'intérêt de la jeune femme pour son sort après sa défaite et sa mutilation face à Killer Croc, il n'avait plus envie de feindre et de jouer avec elle. Il avait trop vécu, trop souffert dernièrement pour s'adonner à ce genre d'occupation. Même si elle avait une place spéciale pour lui, ça ne compensait pas tout - ça n'excusait pas tout.

"Je fus occupé ces dernières semaines, tu as dû en entendre parler."

La voix était toujours froide, pour mettre mal à l'aise la jeune femme à dessein. Le Batman voulait la pousser dans ses retranchements, lui faire comprendre que leur relation ne serait plus la même après les derniers évènements. Quelque chose s'était brisée, elle devait en prendre conscience.

"Et toi ?"

Pour la première fois, il se tourna vers elle, alors que Catwoman continuait à tourner autour de lui. A leurs pieds, les huit criminels qu'ils avaient dû affronter gisaient là, vaincus et inconscients suite à leur passage de tabac. Ils ne se relèveraient pas avant plusieurs heures, et en sale état - ce qui les arrangeait bien tous deux, ils n'avaient pas besoin de public.

"Comment était la Sicile ?"

Le Chevalier Noir avait pisté Sélina et connaissait globalement la raison de son départ et le tracé de son voyage. Ses réseaux, ses systèmes informatiques et son flair lui avaient permis de savoir où elle était - mais elle n'avait rien fait pour le retrouver. Et ça resterait longtemps gravé dans sa mémoire.

Sa voix est tranchante et sa réponse sonne avec amertume. Un reproche ? J’aurais du m’y attendre. Batman sait parfaitement comment rester de marbre en balançant des remarques vexantes. J’hausse un sourcil, accueillant la remarque en feignant d’être amusée. Et pourtant, je vois bien que le Chevalier Noir a très mal digéré mon absence. Je ne sais pas si je dois en être flattée ou vexée.

"Je fus occupé ces dernières semaines, tu as dû en entendre parler."

Je ne pensais pas en venir au sujet aussi rapidement mais je vois bien que le justicier n’a que ça en tête – chose que je peux comprendre. Pas mal de questions me démangent mais je n’ose pas encore les poser. Mais je n’aime pas la gravité de la discussion – généralement, ça m’agace, et je sais très bien comment ça va finir. En cris et en heurts.

« J’ai cru comprendre… » – Je murmure ça sur un ton beaucoup moins ronronnant.

"Et toi ?"

Il se tourne et l’on se fait face durant quelques secondes. J’ai bien envie de lui retourner la question de savoir s’il est vraiment question de moi là-dedans mais je me mords la lèvre jusqu’au sang pour me contrôler. Je me contente de l’interroger du regard

"Comment était la Sicile ?"

A croire que je n’ai rien à lui apprendre sur ce qui m’a retenu. Je croise mes bras contre ma poitrine, mon regard braqué dans le sien. Lui qui se veut toujours si dur et intransigeant.

« Je n’ai pas trouvé ce que je suis allée y chercher si c’est ce que tu veux savoir. » – J’émets un petit soupir avant de reprendre. « Alors, vas-tu me raconter ce qu’il s’est passé ou vas-tu te contenter de m’en vouloir indéfiniment ? »

Pourquoi m’en veux-tu ? Encore… Pourtant, j’aurais aimé. Etre là. Ta défaite est difficile pour tout le monde – même pour moi. Je fais un pas de plus pour me retrouver à quelques centimètres seulement et sentir sa présence. Je fais courir mes doigts sur sa combinaison, me doutant que j’essuierai un refus de sa part.

« Tu sais toujours tout de moi. Tu n’imagines même pas ce que je donnerai pour tout savoir de toi. » – Qu’il le prenne comme ça lui chante. Quoiqu’il en soit – vu qu’il en vient de suite à la gravité de la situation, autant qu’il mette ses cartes sur table. Moi, je l’attends.

"Je sais."

Sa voix demeure aussi froide qu'avant. Même si Sélina s'est rapprochée, même si elle fait jouer sur sa combinaison ses doigts griffus, même s'il peut sentir son parfum, et au-delà son odeur corporelle si particulière, si envoûtante, il refusait de céder.
Trop de fois, ils avaient joué ainsi, il s'était laissé emporter par elle et par ses charmes - à l'époque, ça n'avait été qu'un jeu, oui. Malheureusement, la ville l'avait fait tomber plus bas que jamais et elle n'avait pas été là pour l'aider à se relever : il s'était retrouvé seul, abandonné et obligé de remonter la pente en solitaire. Ce n'était pas plus compliqué que ça, il devait s'en rappeler.

"Tu aurais pu tout savoir si tu avais cherché à me retrouver et à m'aider."

Ses yeux blanchâtres se fixèrent sur le beau visage de Sélina, qui l'avait tant troublé depuis des années - mais qui n'avait plus le même impact maintenant. Même si leur relation demeurerait toujours unique, quelque chose s'était réellement brisé en lui.

"J'aurais voulu que tu saches tout de moi - mais tu n'étais pas là. Tu n'étais pas là quand j'ai eu besoin de toi... et quelqu'un d'autre m'a permis de m'en sortir. Elle m'a fait remonter la pente."

Coup bas et provocation, deux armes qu'ils n'aimaient pas utiliser avec elle, mais qui étaient parfaites pour l'instant présent. Bruce n'avait pas voulu évoquer Rachel dès maintenant, mais ses paroles étaient sorties naturellement. Pour blesser, bien sûr - pour marquer.
A voir comment Catwoman réagirait à une telle révélation.

Le Chevalier Noir se montre inflexible. Alors que je le provoque physiquement, lui ne sourcille pas. Ne semble même pas frémir de ma présence. Il a toujours été extrêmement fort pour ce petit jeu là. Je reste pourtant aussi proche, certaine de pouvoir le faire craquer. A nouveau.

"Tu aurais pu tout savoir si tu avais cherché à me retrouver et à m'aider."

Mensonges. Batman est solitaire et insaisissable. Notre relation ne s’est jamais trouvée dans les normes, et qu’il me demande ça aujourd’hui m’apparait comme un reproche facile. Je le déteste pour ça. Je suis la part qu’il ne contrôle pas dans tout son foutu code du justicier. Le facteur primitif et assumé.

"J'aurais voulu que tu saches tout de moi - mais tu n'étais pas là. Tu n'étais pas là quand j'ai eu besoin de toi... et quelqu'un d'autre m'a permis de m'en sortir. Elle m'a fait remonter la pente."

Sa remarque cinglante me fait l’effet d’une douche froide. Mon visage se durcit alors que tout demi-sourire disparait de mes lèvres et que mes prunelles se font plus inquisitrices. Elle ? Jamais je n’aurais cru que Batman exhiberait une femme en guise de trophée. Bien sûr que ça me fait mal. Une pointe dans ma poitrine, et un brasier dans mon ventre. Mes mains ont retrouvé leur place le long de mon corps et je serre les poings à m’en faire mal.

« Arrête tes simagrées Batman. Toi et moi, on sait très bien comment tu es. Solitaire. Tu le cherches. Ne me fais pas croire que la femme qui côtoie l’homme comprend quoi que ce soit à ce qu’il se passe quand tu enfiles ce foutu costume. » – Ma réplique est amère. J’ai du mal à croire qu’il soit en train de me dire ça. « Tu dis que j’aurais pu tout savoir de toi, mais tu sais aussi bien que moi que c’est faux. »

J’hésite, entre lui coller mon poing dans la tronche ou tourner les talons. Heurts et douleurs. Je me demande bien ce qu’il cherche – ce qu’il attend de moi en me sortant qu’il y a une autre femme dans sa vie. Je suis vexée, frustrée et rancunière.

« Tu te targues d’être seul dans ta mission. Dans ta foutue quête. M’as-tu seulement demandé d’être là pour toi ? » – J’ai du mal à croire qu’on est réellement en train de parler de ça. Je déteste m’avouer cette faiblesse. Lui. Alors m’avouer être attachée c’est comme m’arracher le cœur pour l’offrir en pâture à Croc.

Je ne veux pas lui dire que je suis désolée - que j’ai pensé à le chercher et à savoir ce qu’il s’était passé. Qu’il m’a manqué. Que j’étais inquiète pour lui. Je me retrouve à lui faire une scène en plein Docks. Jamais, je n’aurais pensé ça. Je le bouscule violemment – parce que c’est seulement comme ça que j’arrive à me faire comprendre – et je profite de son déséquilibre pour lui bondir dessus. Il retombe sur le sol et je lui grimpe dessus pour le surplomber, mes prunelles vissées dans les siennes avec fureur.

Batman n'avait rien dit durant tout le discours de Catwoman : il avait observé et analysé son langage corporel et compris combien elle était blessée par la situation et ses révélations, plus qu'elle ne voulait le dire. Quand elle s'était jetée sur lui pour le faire tomber et se précipiter sur lui, il s'était laissé faire - il ne pouvait pas lui enlever tous ses plaisirs et toutes ses illusions au même moment.

Allongé sur le bitume froid des Docks Dixon, il demeurait impassible alors qu'elle n'était qu'à quelques centimètres de lui. Le juchant avec toute sa sensualité, son charisme mais surtout toute sa fureur, elle était plus belle, plus désirable que jamais - son corps lui soufflait de l'embrasser, de passer ses mains sur ses hanches, de l'emmener dans les voies qui les avaient perdus tous deux.
Il n'en fit cependant rien. Si le corps, la chair, voulait être faible, l'esprit, lui, se souvenait - de ce qu'elle avait fait, de ce qu'elle n'avait pas fait. De Rachel.

"Sélina."

Sa voix était faible, presque un murmure. Ses yeux blanchâtres étaient grand ouverts et fixaient la voleuse, toujours aussi séduisante. S'il n'avait pas sauvé Rachel... s'il n'avait pas été vaincu et mutilé par Killer Croc... et surtout si Rachel n'avait pas été autant là... il aurait cédé. Hélas, tout cela s'était passé - sans elle. Toujours sans elle.

"Tu aurais pu... tout savoir. Je... t'aurais tout dis. Je... l'aurais enlevé. Pour toi. Il te suffisait de le demander sérieusement."

Lentement, son index droit montra son masque ; le symbolisme était suffisamment clair pour lui.

"Je t'aurais tout dis si tu l'avais voulu... si tu avais été là pour moi. Elle... elle l'a été. Elle m'a aidé, supporté, poussé et... accepté. Comme je suis. Comme je serais toujours."

Les mots sortaient naturellement de sa bouche. Lui qui était si complexe, généralement incapable d'exprimer ses émotions, y parvenait enfin là. A voir si Catwoman apprécierait cette évolution et son contenu.

Je n’aime pas quand il est comme ça. Qu’il se laisse faire, presque compatissant. Résigné. Tout ça sonne juste comme un adieu – comme s’il faisait une croix sur moi. Tout simplement. Et ça me fout en rogne, autant que ça me dévaste. Je déteste ça. Il murmure mon prénom – mon foutu prénom alors que je ne connais même pas le sien. Un regret. J’aurais aimé lui arracher son masque mais je sais très bien que ce geste serait stupide ; surtout ici et maintenant. Je le regarde, d’un œil noir et la mâchoire serrée. Ma respiration trahit mon émotion – j’aimerais des fois être comme lui, impassible.

"Tu aurais pu... tout savoir. Je... t'aurais tout dis. Je... l'aurais enlevé. Pour toi. Il te suffisait de le demander sérieusement." – Batman désigne son masque et je secoue légèrement la tête, refusant de croire qu’il dit vrai. Non – parce que je crois que Batman n’aurait pas voulu de Sélina Kyle dans sa vie d’homme.

Je lâche un rire nerveux, mes deux mains contre lui le maintenant fermement contre le bitume.

"Je t'aurais tout dis si tu l'avais voulu... si tu avais été là pour moi. Elle... elle l'a été. Elle m'a aidé, supporté, poussé et... accepté. Comme je suis. Comme je serais toujours." – Je trouve le prétexte pitoyable. Pourquoi me dire ça maintenant ? Alors qu’il est bien loti avec sa nouvelle gonzesse ? Si ce n’est pour me rendre furieuse et jalouse.

« Pourquoi tu me dis tout ça ? Maintenant. Tu espères quoi ? Me faire changer ? Et même si j’le faisais – pour quoi ? Hein ? » – Je lui jette ça sur un ton autoritaire et agressif.

Mes griffes taquinent sa combinaison. Peut-être de manière un peu trop brutale. Je laisse échapper un soupir mêlé à un gémissement de colère avant de reposer mon front contre son torse. Je ravale difficilement ma véhémence puis je me redresse pour saisir mon masque et le retirer – offrant mon visage encadré par mes cheveux courts en bataille à la vue du Chevalier Noir.

« Qu’est ce que tu aimes en moi Batman ? » – Mon ton est dégouté et je réfrène tout ce qui ne demande qu’à sortir en me compressant la poitrine. « J’me la pose souvent cette question. Toi qui es si droit et généreux. Qu’est ce que t’as foutu avec moi durant tout ce temps ? »

Je ne sais pas vraiment si je veux qu’il réponde à cette question. Et je me maudis d’ailleurs de la poser. Je n’ai jamais été très douée pour la discussion. C’est d’ailleurs pour ça que j’en arrive toujours là. Je m’appuie un peu plus contre lui et je m’empare de ses lèvres, férocement. Parce que je refuse, qu’on en termine là lui et moi.

Batman n'avait, à nouveau, pas réagi quand Catwoman avait frappé sa combinaison et avait adopté un ton dur et autoritaire. Il comprenait sa douleur et sa rage suite à ses révélations : elle n'avait pas été préparée, elle ne s'était pas doutée qu'il puisse l'accueillir ici. Il avait été cruel, en un sens - mais il ne le regrettait pas. Trop souvent, elle-même avait joué avec lui, avec leur relation, et elle aurait dû s'attendre à ce qu'un tel jour arrive ; hélas, cela devait sûrement toujours sembler trop tôt...

"Sélina..."

La jeune femme l'avait embrassé.
Elle s'était jetée sur lui, sur ses lèvres pour lui offrir un de ses baisers sauvages, violents, sensuels et déroutants qu'elle maîtrisait parfaitement - et qui le rendaient fou. Bruce devait bien l'avouer : elle était la plus douée à ce petit exercice, et il avait "testé" une grande partie des femmes séduisantes de la ville et de la région. Catwoman était envoûtante et ses lèvres étaient addictives - et il n'avait pu et voulu les refuser.

Wayne avait donc répondu à son étreinte, à son baiser. Ses lèvres suivirent les mouvements des siennes, ses mains se posèrent sur ses hanches pour la rapprocher encore, ses yeux se fermèrent et il s'abandonna.
Pendant de longues secondes, les deux personnages masqués étaient coupés du temps, coupés de la réalités - coupés de tout. Pendant de longues secondes, ils n'étaient qu'une pulsion, qu'un besoin physique issus d'un manque dont ils n'avaient pas eu conscience jusque-là.

Hélas, comme tout moment, il devait s'achever et, lentement, leurs lèvres se séparèrent, leurs corps se lâchèrent et le Chevalier Noir rouvrit doucement les yeux. Immédiatement, alors qu'il voyait le beau et séduisant visage de Sélina, ses pensées allèrent à Rachel, et la culpabilité commença à le ronger.
Son corps se fit plus crispé, ses mains se retirèrent des hanches, la bouche se ferma : tout son être montrait clairement à la jeune femme que ça n'avait été qu'un instant, bien vite oublié.

"Sélina... je suis désolé."

Il ne savait pas quoi dire d'autre - et avait l'impression que c'était inutile.
Son corps parlait pour lui. Et Catwoman était suffisamment habituée à lui pour le comprendre, malheureusement.

Le baiser que je lui donne est brûlant et passionné - je me rends compte d’à quel point il m’a manqué. Mon corps se réveille à son contact. D’ailleurs, je suis surprise de le voir y répondre, lui qui tente de rester de marbre face à mes provocations. Il faut croire qu’il n’a pas oublié qu’il aimait ça. Mes mains glissent derrière sa tête tandis qu’il m’attire contre lui, mes lèvres toujours collées au siennes avec sensualité. Je me cambre, ses mains sur mes hanches m’arrachant un frémissement irrépressible avant que je ne lâche ses lèvres à contrecœur.
Ma respiration s’est emballée durant ce petit intermède et quand j’ouvre les yeux pour fixer mes prunelles dans celles du Chevalier Noir, j’y lis le remord. D’ailleurs son étreinte s’efface de mes hanches et son visage se ferme comme si ce baiser n’avait fait que précipiter notre rupture.
Je la sens là – entre nous deux – celle dont il s’est entiché. Elle est là, dans sa tête, alors que j’ai seulement réussi à avoir l’ascendant sur son corps.
Voilà qu’il me repousse, sans faire pour autant de gestes qui le signifient. Ma peau est brûlante mais l’excitation laisse place à une colère froide – désespérée.

"Sélina... je suis désolé."

Je plisse les yeux, la mine sombre avant de me redresser pour libérer Batman de mon étreinte. Je n’ai pas la force de me battre ou de le faire plier. Pas ce soir.

« Pas autant que moi… »

Je ne jette même pas un regard dans sa direction, me contentant de ramasser mon masque pour le remettre sur ma tête. Je n’ai jamais voulu être trop transparente – je n’ai jamais voulu montrer un attachement autre que celui du plaisir de sa peau contre la mienne. Mais Batman n’est pas stupide et je pense qu’il a très bien pigé la situation.
Je me sens mal et la pointe dans ma poitrine s’intensifie à mesure des secondes qui me sépare de cette fausse lueur d’espoir. Je reste immobile durant quelques secondes, tournant le dos au Chevalier Noir pour tenter de réfréner ma fureur en colère froide et ne laisser paraitre que de l’indifférence. Mais c’est vain.

Je n’ai rien à dire. Je ne trouve rien. Je n’ai pas le courage de lui demander ce qu’il s’est réellement passé avec Croc. Je me dirige lentement vers le mur le plus proche pour m’y accrocher et grimper jusqu’en haut, noyant toutes mes pensées dans un flot de gestes mécaniques. Une fois sur le toit, je fais quelques pas jusqu’à l’opposé avant de m’asseoir sur le bord – laissant mes pieds se balancer dans le vide. La hauteur me fait du bien – elle m’apaise, étrangement.

"Sélina."

Sa voix était posée, calme. Pour la première fois depuis longtemps, il laissait sa douceur prendre légèrement le dessus. Il n'avait jamais été doué avec les sentiments, il n'avait jamais réussi à bien les communiquer, mais il voulait se forcer avec elle. Après tout ce qu'ils avaient vécu ensemble, elle méritait cet effort et ce qu'il s'apprêtait à faire.

Debout, sur le toit, à quelques mètres derrière elle, le Batman fixait la jeune femme qui aurait pu être plus. Trop longtemps, ils avaient tourné l'un autour de l'autre, provoqué, séduit sans jamais réellement sauter le pas, à part quelques occasions et quelques moments d'égarement.
Même s'ils provenaient de deux univers différents, il avait toujours apprécié Catwoman et avait toujours voulu l'amener de son côté. Il était persuadé qu'elle avait un véritable bon fond et qu'elle pourrait, si elle le voulait vraiment, être une vraie justicière et amener une véritable différence en ville. Il connaissait son passé, ses épreuves et pouvait comprendre ses choix actuels de vie, mais... l'espoir de la faire changer était toujours resté. Et demeurait encore, même s'il refusait de se l'avouer. Il ne serait pas monté la rejoindre sinon.

"Il est temps."

Le toit était perdu dans l'obscurité, les ombres étaient très fortes : nul ne pouvait voir à moins de dix mètres. La jeune femme put alors entendre un bruit de vêtement tiré violemment et relâché sans douceur. Derrière elle, le Chevalier Noir venait de lui offrir ce qu'il avait de plus précieux.



Il espérait qu'elle apprécierait, même s'il ne savait pas pourquoi il tenait tant à la préserver et à la consoler, alors même qu'il était normalement engagé avec une autre. En un sens, il avait même peur de savoir, mais c'était trop tard : son instinct avait joué pour lui, à voir maintenant comment elle réagirait.

Je fixe le vide en dodelinant doucement la tête, comme pour me bercer. Même si je ressens un trou dans ma poitrine, aucune larme ne menacera de couler sur mes joues. Depuis gosse, j’ai tellement ri - j’ai tellement ri parce que j’avais tellement envie de pleurer, que je n’ai plus de larme à offrir à quiconque aujourd’hui. Quand j’entends sa voix derrière moi, répéter mon prénom d’une voix grave et calme, je ferme les paupières. Pourquoi restes-tu là ?
Je ne le regarde pas, me refusant à me retourner pour l’observer, jusqu’à ce que sa voix ne me parle à nouveau.

"Il est temps."

Temps… De ? Alors que je reste perplexe, j’entends le froissement d’un vêtement. Peu à peu, sans même regarder, je commence à comprendre ce qu’il est en train de se passer. Je m’incline à demi pour lui jeter un regard, lui qui se tient à quelques mètres de moi dans l’obscurité. Le masque est retombé sur ses épaules, je peux le deviner d’ici – sans pour autant discerner les traits du visage du Chevalier Noir.
Je ne comprends pas pourquoi il fait ça – pourquoi aujourd’hui, il me montre qui est l’homme derrière l’emblème.
Je me relève, sans dire mot avant d’avancer à pas lents, mon regard braqué sur lui dans un mélange de curiosité et d’appréhension. Les ombres s’éclipsent à mesure que je me rapproche et quand je perçois enfin le visage de mon interlocuteur – du Chevalier Noir avec qui j’ai été à la fois si proche et si distante – mes yeux s’arrondissent de stupéfaction.

« Bruce… ? » – Je laisse échapper ça dans un murmure.

Bruce Wayne… ? L’homme à qui j’ai tenu le bras de nombreuses fois durant ces soirées mondaines. Le charmant Wayne… Impensable. Celui qui est vu par la population comme le riche playboy de Gotham – n’est autre que Batman, à la recherche constante de purifier la ville du crime.
Et dire que je le découvre, maintenant. Et que je ne m’en suis même pas doutée. Je parviens jusqu’à lui, retirant l’un de mes gants pour effleurer son visage du bout de mes doigts, lui offrant un regard concentré. Mais en y réfléchissant bien, vu son passé, tout finit par s’expliquer assez facilement.

« Et dire que je ne m’en suis même pas doutée… »

Je ne connais même pas les gens avec qui je flirte. Ça n’est pas nouveau. Je fixe ses lèvres, touchée par ce geste – cette révélation – mais je me retiens tant bien que mal de l’embrasser. Encore.

« Cette femme dans ta vie. C’est Rachel Dawes, l’assistante du procureur, n’est-ce pas ? » – Comme tout le monde, je lis les magazines. Je ne sais pas si je dois être rassurée. Par le fait que ça ne soit pas Batman mais Bruce Wayne qui ait trouvé chaussure à son pied.

Mais dans tous les cas, c’est du pareil au même. Je me rappelle avoir ressenti une brève jalousie en la voyant tourner autour de Wayne il y a quelques semaines de cela. Mais Bruce est comme la plupart des autres hommes du milieu – à la différence que lui entretient une fausse image de lui quand on connait Batman. A moins que ce soit le contraire ? Difficile à dire.

« Qu’est ce qui est le plus dur pour toi ? Etre Batman, ou Bruce Wayne ? » – J’ai besoin de savoir, si je me suis fourvoyée sur lui.

Mon visage est à quelques centimètres du sien et je lutte pour ne pas me laisser aller entre ses bras.

"Bruce."

La réponse avait été calme, posée - sûre. Il avait attendu de longues secondes avant de parler, réfléchissant bien pour offrir la vérité à la jeune femme.
Le Batman était resté stoïque et immobile quand Catwoman avait enlevé son gant pour toucher son visage. Il comprenait ce besoin, il comprenait la surprise et le choc de la révélation. Pendant de longues années, lui et Sélina avaient partagé une double relation d'amour-haine, de flirt, de répulsion et de jeux... que lui seul connaissait réellement. Il lui avait toujours menti, caché tout. Il ne savait pas s'il le regrettait maintenant ou non.

"Être Batman est facile : combattre le Pingouin, le Sphinx et les autres n'est pas compliqué. Il suffit de laisser parler le corps, les réflexes, l'instinct - de s'abandonner au combat et à la pression. Sauter de crise en crise, de menace en menace, de sauvetage en sauvetage permet d'oublier... de tout oublier. Bruce... Bruce est plus difficile."

Parler n'était pas naturel pour lui, surtout parler de sa personne et de ses sentiments. Il préférait tout enfouir, tout garder à l'intérieur pour ne pas s'affaiblir, pour ne pas être vaincu par ses propres failles. Cependant, sa relation avec Sélina avait été trop profonde, trop étrange, trop tumultueuse et trop passionnée pour qu'il s'arrête là. Elle méritait qu'il aille au-delà.

"Bruce est une carapace que j'aie construite. Bruce est une farce... j'ai sacrifié ma réputation et l'honneur de ma famille pour Batman. Bruce n'existe pas réellement, il est une coquille que j'utilise et que j'ai forgée pour me servir. Le vrai moi... c'est Batman. C'est devenu Batman. Ce sera toujours Batman tant que je n'aurais pas accompli ma mission."

C'était vrai : le Bruce Wayne que tout le monde connaissait, que tout le monde était sûr de connaître par coeur n'était pas ce qu'il était réellement. S'il s'était livré à Rachel et à quelques proches, il savait très bien que sa réputation desservait sa famille et que peu était capable de comprendre réellement ses sacrifices et sa détermination. Peut-être que Sélina en ferait partie.

"Je... tenais à ce que tu le saches. Par respect. Par... confiance."

Il devait se l'avouer : même si Catwoman était dangereuse, même si son véritable bord était inconnu, il savait très bien qu'elle ne le trahirait jamais réellement. Malgré tout ce qu'elle était capable de faire, malgré tout ce qu'elle avait déjà fait, ils tenaient trop l'un à l'autre, ils avaient une relation trop étroite pour qu'elle puisse aller à ce point.
Sélina Kyle était digne de confiance. Et il espérait qu'elle s'en rendrait enfin compte.

"Bruce."

Je ne suis pas réellement étonnée par sa réponse. D’ailleurs, son ton est ferme, comme s’il n’avait jamais vraiment eu de doute là-dessus. Bruce Wayne avait en effet bel et bien fait parler de lui – en bien comme en mal. J’ai quand même du mal à imaginer qu’il est sans cesse en train de jouer cette comédie – même si au final, on est pareil lui et moi.
Car oui, les gens qui côtoient Sélina Kyle en soirée verront la femme de goût, élégante, noble et raffinée. Une mascarade, une imposture. C’était la vie que je rêvais d’avoir étant gamine mais je ne suis pas ça. Mon passé a fait de moi la femme que je suis toutes les nuits. J’me suis battue pour survivre – j’ai plus vécu dans la crasse des bas quartiers qu’étendue sur des coussins de soie. Et je sais très bien que ces choses fondamentales font partie de moi. La violence, la combattivité et cette putain de rage de vaincre. Choses qui sont à dix lieues des ronds de jambes hypocrites de la société dans laquelle je tâche d’évoluer en tant que Sélina Kyle. Je me tiens devant lui, scrutant son visage et ses expressions avec circonspection.

"Être Batman est facile : combattre le Pingouin, le Sphinx et les autres n'est pas compliqué. Il suffit de laisser parler le corps, les réflexes, l'instinct - de s'abandonner au combat et à la pression. Sauter de crise en crise, de menace en menace, de sauvetage en sauvetage permet d'oublier... de tout oublier. Bruce... Bruce est plus difficile."

Je le comprends tellement. C’est d’ailleurs pour ça que l’ombre d’un sourire passe sur mon visage.

"Bruce est une carapace que j'aie construite. Bruce est une farce... j'ai sacrifié ma réputation et l'honneur de ma famille pour Batman. Bruce n'existe pas réellement, il est une coquille que j'utilise et que j'ai forgée pour me servir. Le vrai moi... c'est Batman. C'est devenu Batman. Ce sera toujours Batman tant que je n'aurais pas accompli ma mission."

Bruce n’est autre que le riche directeur général des Entreprises Wayne – l’homme qui collectionne les conquêtes et qui ne prend pas au sérieux ce qu’a fondé sa famille. C’est tout ce que l’on dit de lui. Tout ce qui est faux, mais qui le préserve en quelque sorte – lui qui tâche de nettoyer la ville du crime une fois la nuit tombée. Voilà qu’il me reparle de mission – ce mot qui fait naître en moi un élan de contradiction, entre admiration et désillusion.
Tout ce que j’ai vécu ne m’a rendu que plus satirique. Je ne pense pas que les gens méritent d’être sauvés – c’est d’ailleurs tout ce qui me sépare de Batman. J’ai toujours vécu dans un délire du marche ou crève et j’ai énormément de mal aujourd’hui à ressentir une quelconque compassion.

"Je... tenais à ce que tu le saches. Par respect. Par... confiance."

Ses mots me troublent, plus que je ne l’aimerai. Parce qu’il y a toujours cette barrière d’ironie et de sarcasmes qui me protègent des émotions sincères que je peux ressentir. Batman vient de m’avouer qu’il me fait confiance - assez pour ôter son masque. Que de bons sentiments. Je baisse un instant les yeux, me murant dans un silence troublant.

« Qu’attends-tu de moi en retour ? Tu sais très bien comment je suis. J’ai toujours cette impression que tu voudrais faire moi une sorte de… Justicière. M’avouer ton identité, c’est faire de moi une alliée. Tu sais, je peux l’être, ton alliée - mais n’espère pas que je me découvre un désir d’aider mon prochain ou bien même que je me sente investie d’une mission altruiste. » – Je plisse les yeux, mon ton trahissant une certaine appréhension.

"Je l'ai espéré."

Bruce avait prononcé ces quelques mots d'une voix très douce. Durant toute sa réponse et l'intervention de Catwoman, il avait fixé la jeune femme avec tendresse tandis que leur moment de fusion animale avait été définitivement remplacé par un instant d'émotion et de révélation. Il n'avait pas souvenir d'en avoir vécu un autre avec elle.

"Je ne l'espère plus."

Son ton se fit plus lourd alors que ses yeux baissaient.
Il savait qu'en répondant ainsi, qu'en indiquant clairement que ses espérances avaient été douchées, quelque chose entre eux se briserait. Naturellement, instinctivement, il se recula d'un pas et se tourna légèrement, pour être un peu en biais devant Sélina.

"J'aurais voulu que tu me rejoignes réellement, que tu comprennes que tu pouvais faire la différence dans le quartier où tu as grandi et où tu as tes attaches. J'aurais voulu que tu comprennes que le vol ne t'apportait rien que je ne pouvais t'offrir, et que le plaisir de faire une bonne action et de sauver une vie surpassaient toute l'adrénaline d'un casse et d'une course-poursuite avec la police. J'aurais voulu que tu comprennes quelle héroïne tu peux être - et quelle héroïne je vois en toi."

Wayne poussa un long soupir en regardant les épaisses ténèbres devant lui. Si elles avaient semblé s'éloigner durant l'instant d'émotion avec Catwoman, elles revenaient avec force alors que le moment leur échappait.

"Mes espoirs sont morts, désormais. Je te sais mon alliée, je te sais digne de confiance et j'espère savoir que tu as compris que tu peux compter sur moi. Je crois en toi, mais je n'ai plus la force d'attendre et de jouer à tout ça. Ces derniers mois... m'ont fait comprendre tout ça."

Sans un autre mot, il posa ses mains sur son masque et le remit lentement sur son visage. La symbolique dépassait les mots.

Les conversations ne me mettent généralement pas très à l’aise – surtout lorsqu’il s’agit de jouer cartes sur table sur mes émotions ou sur un attachement quelconque. Batman est bien le seul auquel je suis capable d’accorder ça – un réel intérêt, et pas seulement parce que nous avons partagé quelques étreintes sauvages.
J’ai l’impression qu’il est le seul à me connaitre vraiment – à savoir ce qui se cache sous le costume, sous mon arrogance et ma provocation. Et ça me fait aussi peur que cela m’intrigue. Nous voilà dans un moment de sincérité particulier, parce que lui comme moi n’y est pas réellement habitué. Ma colère s’est terrée en moi, laissant place à de l’incertitude faisant office d’une certaine vulnérabilité qui me débecte – mais qui me colle à la peau.

"Je l'ai espéré. Je ne l'espère plus." – Il me dit ça sur un ton plus grave.

Je lui en veux, de voir en moi quelqu’un je ne trouve pas. Ou que je ne veux pas trouver. Son regard quitte le mien et il se détourne légèrement – comme pour me montrer sa lassitude à l’égard de notre situation. Moi, je ne le quitte pas des yeux.

"J'aurais voulu que tu me rejoignes réellement, que tu comprennes que tu pouvais faire la différence dans le quartier où tu as grandi et où tu as tes attaches. J'aurais voulu que tu comprennes que le vol ne t'apportait rien que je ne pouvais t'offrir, et que le plaisir de faire une bonne action et de sauver une vie surpassaient toute l'adrénaline d'un casse et d'une course-poursuite avec la police. J'aurais voulu que tu comprennes quelle héroïne tu peux être - et quelle héroïne je vois en toi."

Je me demande, comment il est arrivé à entretenir un espoir à mon égard. On ne change pas un chat de gouttière. Je ne suis que réflexe. Je prends ce que je veux car de toute manière, si je ne l’avais pas fait, je serais crevée dans un caniveau depuis belle lurette. C’est que ça donnerait presque envie – de se sentir gratifié. Avoir fait quelque chose de « bien ». Sauver des vies et enfermer les méchants. Rendre le monde meilleur… J’ai vraiment du mal à croire à toutes ces conneries. J’ai du mal à m’y faire, à cette déception. Ça me blesse et j’en arrive à me détester pour ça – jusqu’à ce que je reprenne le dessus. Je ne suis pas une héroïne.

"Mes espoirs sont morts, désormais. Je te sais mon alliée, je te sais digne de confiance et j'espère savoir que tu as compris que tu peux compter sur moi. Je crois en toi, mais je n'ai plus la force d'attendre et de jouer à tout ça. Ces derniers mois... m'ont fait comprendre tout ça."

Mon visage reste inexpressif même s’il ne demande qu’à se crisper d’un air mutin. Plus de faux espoir pour la chauve souris – c’est bien mieux ainsi, non ? Compter sur lui ? Peut-être… L’ombre d’un sourire passe sur mes lèvres. J’ai besoin de lui, mais j’espère que ça, il ne le sait pas – même si ça me tue de le voir s’éloigner de moi. Je fixe ses mouvements lorsqu’il remet lentement son masque. Bruce Wayne s’efface alors pour redevenir le Batman. L’insaisissable.

« Je comprends… » – Ma voix sonne un peu plus sèche que je ne l’aurai voulu. « Quoiqu’il en soit, je suis contente de voir que tu vas bien malgré tout ça. »

Je me retourne lentement – la sentant maintenant avec flagrance cette différence et cette distance entre lui et moi. Je crois que je ne rentrerais pas de si tôt à mon appartement. J’ai besoin de grimper encore et encore pour me changer les idées – peut-être bien que je trouverais deux ou trois criminels sur qui me faire les griffes après tout ça.


« A bientôt Bruce. » – Je lâche ça dans un murmure avant de me laisser glisser en contrebas, disparaissant dans l’obscurité familière de la nuit. Silencieuse.

Un peu en deuil, j’dois l’avouer.

"Mais je ne vais pas bien, Sélina."

Sa voix ne fut qu'un murmure, qu'un maigre son perdu dans le vent et les ténèbres. Prononcé bien après le départ et le saut de la jeune femme par un homme fatigué, usé et terrifié par ce qu'il pouvait faire.
Bruce s'était livré plus que jamais avec elle, il avait parlé, communiqué, partagé plus encore qu'avec Rachel. Si ça lui avait plu et lui avait fait du bien d'extérioriser enfin ce qu'il ressentait et avait ressenti pour elle, il n'était pas entièrement satisfait de cette conversation. Car elle n'avait pas été entièrement franche.

Catwoman était persuadée qu'il ne voulait plus d'elle parce qu'il avait Rachel et parce qu'il était bien - entier, définitivement ; elle se trompait. S'il trouvait du réconfort et de l'amour avec Rachel, il n'était pas serein pour autant et sentait certaines... pulsions monter en lui, qui lui faisaient peur. Depuis ses échecs, son difficile retour et sa découverte des plans véritables de Quincy Sharp, sa colère prenait peu à peu le pas sur ses décisions et sur ses réactions.

Il ne supportait plus que Quincy Sharp vive.
Mais il ne pouvait pas accepter de formuler de telles pensées.

Perdu, usé, Wayne avait tenu à dire tout ce qu'il avait gardé pour lui pendant des années à Sélina pour ne pas la faire souffrir inutilement et par politesse. Il voulait aussi la rassurer et l'éloigner de lui. Même si elle n'était pas venue le secourir après les actes de Killer Croc, il savait combien elle pouvait tenir à sa personne et surtout à la morale qu'il avait conservé pendant toutes ces années.
Si ses pulsions prenaient le dessus comme il le craignait, le Chevalier Noir était persuadé que Sélina ferait tout pour l'arrêter - et il n'était pas sûr de vouloir cela, et de la forcer à agir ainsi. Mieux valait l'éloigner et prendre ses distances.

Lentement, difficilement, il s'éloigna alors du toit pour disparaître dans les ténèbres de la nuit - seul, comme toujours. Avec ses questions. Avec ses peurs. Et avec les réponses qui ne faisaient qu'empirer les choses.