Entre deux points de douane, quasiment en face du City Hall District, la Rivière Finger traverse à la fois Gotham City et Arkham City. Dans un des tunnels en parallèle de l'étendue aquatique, Batman a installé une Batcave dans une salle désaffectée, jadis utilisée pour entreposer le charbon et les réserves nécessaires aux bâteaux transitant sur la rivière.



Le visiteur y parvient en passant par le pont enjambant la Rivière, devant descendre le long d'un des grands piliers Nord du pont pour parvenir à son socle. Là, une analyse faciale, vocale et digitale permet au pilier de s'ouvrir pour laisser passer le connaisseur. Celui-ci parvient alors dans une grande pièce en briques rouges, similaires à celles de la Batcave Sud. Avec une cheminée régulièrement allumée et déversant sa fumée bien plus loin par un jeu précis de tunnels de ventilation, la Batcave contient un bureau avec un ordinateur WayneTech amélioré, un générateur autonome, une couchette, deux nécessaires à soins, plusieurs rations, une petite cuisine équipée, un évier et un poste de toilettes et... des prisons.
Cette Batcave est en réalité la "prison" de Batman dans Arkham City, son lieu pour cacher, interroger ou emprisonner ses ennemis. Insonorisée, sécurisée, remplie de dispositifs d'alarme encore plus impressionnants que ceux des autres Batcaves, l'annexe Est contient une dizaine de cages conçues pour empêcher Killer Croc de s'enfuir.

:arrow: Crime Alley.

Après quelques minutes de vol "étonnant" pour lui dans le ciel sombre et ténébreux de la ville frappée par un violent orage, Bruce atterrit à côté du pilier du pont. Le centre militaire local n'avait pas été touché par les explosions, il n'y avait personne ici et il pouvait donc apparaître rapidement sans crainte d'être aperçu. Tenant toujours Rachel dans ses bras, il se positionna devant le pilier, attendant que la reconnaissance automatique agisse.
La porte glissa devant eux et se referma après leur passage. Il s'avança dans la pièce, parlant pour la première fois depuis leur départ de Crime Alley.

"Mise en route des systèmes de chauffage et de l'ordinateur."

Les systèmes suivirent les ordres, lançant bientôt un feu chaleureux qui emplit toute la pièce d'une douceur nouvelle. Avec attention et tendresse, il déposa Rachel sur une couchette. Il s'empara ensuite d'un nécessaire de soins et, sans rien dire, commença à nettoyer ses plaies et à les bander. Au bout de cinq minutes, les blessures de la jeune femme étaient recouvertes d’antiseptique et de bandages suffisants pour tenir des jours entiers.

Lentement, Wayne se releva, lui qui était jusque-là accroupi. Il recula et tira le fauteuil devant l'ordinateur pour le positionner devant elle. Il se laissa alors aller dessus, lâchant un long soupir. Avec soin, il posa sa main gauche sur son casque et appuya sur un bouton, faisant rapidement disparaître toute la structure, qui se rétractait dans son col.
Rachel pouvait alors voir le visage ravagé par le coup de Killer Croc : toute la partie droite souffrait d'une longue cicatrice, et son oeil était clairement cybernétique. Il la fixa pendant quelques secondes, avant de détourner le regard, visiblement gêné.

"Je... tu peux rester ici autant de temps que tu veux. Ton appartement doit déjà être mis sous sac par la police, j'ai pensé qu'un endroit sûr conviendrait pour ton repos et ta cicatrisation."

Bruce fut surpris par le geste de Rachel, mais se laissa faire. Après ce qu'ils avaient vécu, après ce qu'elle venait de vivre, elle méritait de le voir, de le confronter ; et il méritait certainement ce qu'elle aurait à lui dire et qui ne serait pas plaisant à entendre.

Après tout, il l'avait abandonné des années plus tôt, sur un enregistrement automatique : il avait été lâche. Il avait suivi de loin son évolution, n'osant se rapprocher d'elle pour s'excuser et lui expliquer, de vive voix, les raisons de sa fuite. Il savait que Rachel était énergique et indépendante, et craignait l'esclandre qui aurait suivi ses premiers pas ; il savait cependant que ça n'aurait été que justice. Il avait été pathétique avec elle, mais il n'avait jamais oublié sa promesse.
Il la protégerait, toujours. Même si elle le haïssait, même si elle voulait sa mort, il veillerait sur elle ; et c'était ce qu'il venait de faire.

Lentement, il tourna et fit face à elle. Elle ne cria pas, elle ne parla pas. Elle ne prononça aucun mot, se contentant de poser son pouce sur sa joue ; comme si rien n'avait changé, comme s'ils étaient encore des années plus tôt, quand il rentrait harassé de ses rondes. Comme s'il n'avait pas été vaincu, mutilé, défiguré et humilié.
Comme si, oui. Mais ce n'était pas le cas, et tous deux le savaient.

"Je..."

Sa voix était brisée, déjà. Il avait dû mobiliser toutes ses forces, toutes ses énergies pour se porter à son secours. Ayant entendu l'alerte du téléphone de la jeune femme alors qu'il se trouvait en Asie, Wayne avait pris le premier avion pour foncer à Gotham City. Recouvert de sa nouvelle armure, il n'avait pas réfléchi pour venir châtier ceux qui avaient osé s'en prendre à elle.
Il avait mis fin à sa retraite bien trop tôt : il n'était de loin pas remis, il n'était de loin pas opérationnel, malgré son discours épique au mercenaire. Mais il n'avait pu supporter l'idée de la savoir en danger.

"Je suis désolé."

Un soupir de lassitude s'extirpa de sa cage thoracique. Lentement, il baissa les yeux : à nouveau, il se déshabillait totalement devant elle, métaphoriquement parlant. A nouveau, il la laissait tout voir, tout savoir sur lui.

"Je... je ne sais même pas quoi dire. Il y a des années, j'ai... j'ai été... j'ai eu peur. De nous. De moi. J'ai eu peur que tu me vois comme un monstre, que je sois parasité par... par nous. J'ai eu peur de ne pas être à la hauteur, d'être horrible à tes yeux et de devenir peu à peu un étranger violent pour toi. Et... et je ne pouvais pas imaginer... je ne pouvais pas nous imaginer ensemble. Heureux. Je ne me permettais pas d'être heureux."

Seule sa main gauche trifouillait vaguement un pan de son armure, qui bougeait un peu. Le bras droit demeurait immobile, mort.

"Et... j'ai fais une erreur. Et je m'en veux, mais c'est toujours trop tard, hein ? J'ai... j'ai tout raté, Rachel. Toi. Nous. Cette ville, que je n'ai pas su protéger de Sharp. Et... et Killer Croc, qui m'a mutilé. Je... je suis désolé, Rachel... pour tout..."

Les larmes venaient à son oeil unique, mais il les ravalait. Il ne voulait pas céder, pas devant elle : c'était déplacé. Elle avait toutes les raisons du monde de le haïr, il ne devait pas se laisser aller à la faiblesse pour espérer qu'elle le console. Elle méritait mieux que ça : elle méritait d'avoir enfin l'occasion de lui envoyer tout ce qu'elle avait en elle depuis des années. Et il était prêt à encaisser, c'était bien la seule chose qu'il pouvait encore faire pour elle maintenant.

Bruce resta silencieux, évidemment.
Que dire face à une telle confession, face à de telles paroles ? Même si Rachel souriait vaguement, même s'il était sûr qu'elle ne voulait pas vraiment le blesser, chaque mot prononcé était comme un coup de couteau enfoncé dans sa chair. Il avait toujours su qu'il lui avait fait mal, qu'il s'était comporté comme un salaud ; il s'était toujours douté de sa douleur. Cependant, l'entendre, la voir, la sentir ainsi, c'était bien différent que quelques pensées solitaires avant de s'endormir, pour renforcer ses cauchemars et sa culpabilité.

Lentement, gauchement, il posa sa main, sa seule véritable main, sur les cheveux de Rachel. Il commença à les caresser, avant d'incliner légèrement son crâne avec ses doigts pour qu'elle le regarde. Elle pourrait alors découvrir son visage rougi par l'émotion, les yeux prêts à pleurer et un air terriblement pitoyable dans la silhouette de celui qui se disait le Chevalier Noir.

"Rachel..."

Sa voix était brisée, bien sûr. Il ne pouvait en être autrement en cet instant.

"Moi... aussi... j'ai été... heureux..."

Sa main remonta lentement à son visage, tentant de faire partir les larmes qui coulaient silencieusement de son oeil unique ; peine perdue.

"Je... j'ai eu... peur... et... j'ai tout perdu... en te perdant."

Il baissa les yeux, incapable de la fixer à ce moment-là.

"Je suis... désolé. J'ai tout raté, Rachel. La ville, Dick, Jason, Tim. Alfred. Et... et toi. Nous."

Un long soupir s'extirpa de sa poitrine usée. Lentement, Wayne releva son visage ; les larmes n'y coulaient plus.

"J'aurais dû me battre pour toi. Nous faire confiance. Je suis désolé de... d'avoir été si lâche."

"Rachel..."

Bruce était plus que touché. Il avait subi les remarques, très justes, en encaissant, acceptant de passer par là pour offrir à la jeune femme l'opportunité de se libérer de tout ce qu'il lui avait fait subir. Cependant, alors qu'il avait voulu servir de punching-ball pour elle, Rachel se retrouvait maintenant à le réconforter, à lui murmurer de douces paroles et... et même à lui annoncer clairement qu'elle n'était pas inaccessible pour lui s'il osait enfin faire le premier pas et avoir le courage d'assumer ses sentiments.

Il avait toujours eu peur de vivre ce qu'il ressentait, d'aller de l'avant plutôt que de rester engoncé dans son malheur et son désarroi. Au fond, il s'était réfugié pendant des années dans son serment, dans sa volonté féroce et unique de vaincre la criminalité locale même s'il avait toujours su que c'était une mission impossible. Il avait préféré s'abandonner à un sacrifice, à un suicide programmé pour éviter de rouvrir son coeur aux souffrances et aux déceptions.
A huit ans, il avait découvert combien aimer pouvait faire mal. A plus de trente-cinq ans, il comprenait combien s'empêcher d'aimer pouvait faire pire encore.

Wayne avait refusé de s'ouvrir, de faire confiance, de tenter en espérant que cela l'épargnerait ; il s'était trompé.
Il tenait à Rachel, plus qu'à quiconque, comme en témoignait sa course effrénée autour du monde pour venir la secourir. Il n'avait jamais cessé de penser à elle durant toutes ces années, observant de loin ses réussites, ses échecs, ses évolutions, ses relations... il n'avait jamais arrêté de la rechercher dans chacune de ses propres histoires, même s'il ne l'avait jamais accepté et assumé.

Lentement, il reposa sa main sur les cheveux de la jeune femme, son visage dépourvu de larmes et, pour une fois, de douleur. Il avait compris, enfin.

"Rachel..."

Sa voix était brisée, même si son esprit était enfin éclairci. L'émotion tenait son corps, non plus son coeur.

"... je t'aime."

Et, lentement, gauchement, Bruce approcha son visage et déposa un tendre et timide baiser sur les lèvres de la jeune femme. Sa main libre caressa doucement ses cheveux, et un long soupir s'échappa de ses narines ; il était bien, enfin.
Il sentait lentement le sommeil et la fatigue prendre possession de lui, mais ça ne le dérangeait pas. Il était à l'aise, il avait enfin exprimé ce qu'il avait sur le coeur et se sentait complet. Comme si les trente dernières années avaient disparu, comme si une partie de sa douleur s'était évacuée en prononçant des mots qui lui semblaient maintenant évidents.

Il ferma peu à peu les yeux, se laissant emporter par le plaisir et le calme ; cela lui avait tellement manqué...

***

Une dizaine d'heures plus tard, Wayne s'extirpa du sommeil. Sans s'en rendre compte, son bras bionique s'était détaché du moignon à l'épaule droite, et l'oeil cybernétique était entré en veille.
Lentement, prudemment, il tenta de se décaler pour laisser Rachel se reposer encore, tentant de ne pas la réveiller pour ne pas lui infliger cette vision de cauchemar. Il savait la peine perdue d'avance, mais il ne tenait pas à ce qu'elle le voit ainsi : même si elle s'était habituée, apparemment, à son nouvel état, il préférait qu'elle ne découvre pas l'étendue véritable de sa faiblesse. Question d'égo, comme toujours.

Elle l'avait vu.
Malgré ses efforts, malgré sa gêne, malgré sa peur d'en arriver, Rachel avait posé les yeux sur le moignon, sur sa mutilation. C'était une chose d'avoir un bras bionique et de respirer la puissance en se frottant à des mercenaires, c'en était une autre que d'être vu par elle alors qu'il était autant diminué. Jusque-là, personne n'avait eu le droit de poser les yeux sur son handicap - sur sa honte. Qu'elle soit la première le troublait, car il n'était pas habitué à l'idée que d'autres que lui puissent découvrir son déshonneur.

Lentement, Bruce se dégagea d'elle ; plus instinctivement que consciemment.
Il releva les yeux vers elle, comprenant qu'il venait de la blesser alors qu'il devait tout faire pour lui prouver qu'il n'était plus l'être replié sur lui et incapable d'aimer qui l'avait rejeté, quelques années plus tôt. Sans se l'avouer, il saisissait que cet instant était clé pour leur relation, pour ce qu'ils voulaient construire ensemble. Il devait lui faire confiance, même si c'était dur... même s'il devait assumer pour la première fois les conséquences de sa défaite face à quelqu'un.

Doucement, gauchement à nouveau, il se rapprocha, et posa sa main unique sur celle de la jeune femme. Un petit sourire, difficile, apparut sur son visage alors que, lentement, sa voix s'élevait dans la Batcave annexe, très silencieuse.

"J'ai... perdu."

Son ton était calme, posé ; il avait craint plus d'émotion.

"J'étais... énervé, en colère. Killer Croc et moi avions été coincés sous des gravats, j'avais passé plusieurs dizaines de minutes à le convaincre de simplement travailler avec moi pour nous sortir de là ; j'ai dû développer des trésors d'imagination et de négociation pour convaincre cet... animal qu'il ne survivrait qu'en agissant ainsi. Et il a écouté, et j'ai cru alors que je pourrais le ramener dans un autre chemin, loin de la violence, loin de la rage et de la sauvagerie. Je... me suis trompé."

Ses doigts se serrèrent autour de ceux de Rachel.

"Ce n'est qu'une bête, qu'un animal qui a réagi comme la créature qu'il est. Il m'a... attaqué, et je me suis laissé déborder par ma rage. J'étais fatigué, usé, par un artifice de Jervis Tetch et par Arkham City. J'ai commis l'erreur de penser que je le vaincrais aisément, me laissant entraîner dans la voie de la colère et de l'instinct - et il en a profité. Il m'a bloqué, frappé, et... et..."

Un long soupir succéda à des paroles énoncées rapidement, prises cette fois-ci par l'émotion. Wayne eut besoin d'un petit moment pour reprendre, de façon plus posée.

"Et j'ai été vaincu et humilié. Par un monstre, un animal."

En un coup, il releva les yeux. L'émotion, la douleur ne s'y lisaient plus ; juste une colère froide, maîtrisée. Terrible.

"Il pense m'avoir brisé, m'avoir vaincu ; il se trompe. Je ne me laisserai pas abattre par un animal, par une bête. Je suis revenu, je me suis reconstruit. Et il payera. Pour ses crimes. Pour Gotham. Pour Arkham. Pour moi. Il payera. Je briserai ses dents, je le mettrai au pas. Je le ferai gémir et demander ma pitié. Et je verrais ses yeux quand mon poing s'écrasera sur son crâne, comme seule réponse qu'un animal peut attendre après avoir agi ainsi."

Il poussa à nouveau un long soupir. Ca allait mieux, mais il espérait qu'il n'aurait pas fait peur à Rachel en allant aussi loin...

Bruce esquissa un mince sourire aux paroles de la jeune femme.

"Oui."

Il était heureux de voir qu'elle n'avait pas de recul, qu'elle l'acceptait malgré ses mutilations et ses manques ; ça lui faisait du bien.

"Je suis également content qu'on puisse... communiquer, ainsi. Et, pour la douleur, j'ai des médicaments intégrés à l'armure et au bras. Cela me permet de tenir, quand le métal tire trop sur la peau ou que j'ai des problèmes pour gérer... tout ça."

Doucement, lentement, Wayne remit son moignon dans le bras en métal, enclencha le système et attendit quelques secondes, le temps que la machinerie se remette à fonctionner et qu'il retrouve des sensations. Relevant les yeux vers Rachel, il se releva calmement, légèrement gêné par ce qu'elle venait de voir, mais ne voulant pas cependant qu'elle se cache les yeux ou la tenir éloignée de tout ça.

"Je... je ne peux pas rester ici. Toi, tu dois te reposer, mais je dois retourner en ville."

Il s'approcha de l'ordinateur, l'alluma et poussa un long soupir. Il n'était pas rongé, ou troublé, mais il savait qu'il devrait refaire ses preuves dans la ville. Gotham City, et même Arkham City, l'avaient vu échouer, être vaincu et mutilé par une bête sauvage. Il n'était plus qu'une coquille vide, qu'un cauchemar éteint pour les criminels locaux ; cela devait changer.
Batman allait devoir reprendre les choses à la base : recontacter les alliés, retrouver les sensations, reconquérir son territoire. Il ne serait pas seul, bien sûr ; il savait que Rachel l'aiderait, mais elle ne pourrait pas tout faire. Il allait avoir besoin de ses camarades, ceux qui mettaient des masques.

"Je vais rouvrir la cave, sous le Manoir. Et je vais demander à... aux justiciers de m'aider. Notamment deux d'entre elles : Caducée et Midnight. Est-ce que tu les connais ?"

Quelques heures plus tard, l'ordinateur se mit à vibrer ; seul.
Sur l'écran s'afficha un message manuscrit, sommaire et rapide. Son auteur ne pouvait être que Bruce, lui seul avait accès à cette Batcave. Il disait ainsi :

Citation :

Rejoins-moi. Suis le plan.

A côté de l'ordinateur, un pan du mur se bougea lentement, révélant un long couloir qui menait à une sorte de tunnel, qui se perdait dans les ténèbres à gauche et à droite. Une moto était disposée juste devant l'entrée du couloir, s'allumant dès que Rachel s'approcha. Un plan précis apparut également, attendant simplement que la jeune femme le suive. Apparemment, le maître des lieux la voulait dans un endroit particulier, et avait mis les moyens pour l'amener dans un méandre de tunnels sous Gotham City à destination.

"Richard."

La voix de Bruce arriva aux oreilles de Nightwing avant le son de ses bottes qui claquaient sur le sol nu de la Batcave. Il n'était pas revenu ici depuis qu'il avait amené Rachel après son enlèvement, mais était satisfait de l'état dans lequel la jeune femme avait laissé l'endroit. Il avait donné rendez-vous ici à son ancien protégé pour pouvoir discuter de son avenir, lui qui avait été relativement absent de la scène locale ces derniers mois pour une présence active au sein des Teen Titans. S'il n'avait rien contre l'affiliation de l'ancien Robin à ce groupe, il avait été troublé qu'il ne vienne pas plus tôt - mais l'univers avait sûrement dû être sauvé quatre ou cinq fois par lui pour compenser.

"La base de données de l'ordinateur central est accessible de cet ordinateur."

Son ton était calme, posé. Il s'avança suffisamment pour être à deux pas à peine de Nightwing. Debout, droit, il semblait serein même si la grosseur de son bras droit, bionique, était évidente. Son visage lui-même, malgré l'extrême neutralité de son expression, montrait les cicatrices de son combat avec Killer Croc. Si l'oeil bionique n'était pas visible, celui-ci analysait constamment les données de l'environnement de son propriétaire ; et il était en train de découvrir que Grayson était toujours en excellente forme physique, selon ses derniers relevés.

"Tu trouveras ce que tu veux sur Arkham City en quelques instants."

Lentement, Wayne croisa les bras en fixant l'ancien Robin. Il l'avait contacté sur leur fréquence personnelle pour lui demander de le rejoindre ici pour discuter - du futur. Depuis ces derniers mois, l'enfer avait régné dans sa vie : l'avènement de Killer Croc à la fonction de maire, sa chute, la mise en place de Quincy Sharp qui transformait un projet fou en Arkham City, ses défaites, son échec face à Killer Croc, sa mutilation, son humiliation... puis le retour, difficile, qui impliquait de reprendre sa place dans la cité sans y parvenir réellement.
Seul le soutien de Rachel lui avait permis de tenir. Et maintenant qu'Alfred était de retour, finalement vivant malgré ce qu'il avait fait croire à tous, et même à lui, Batman voulait mettre les choses au clair avec l'ancien Jeune Prodige. Celui qu'il considérait le plus comme un fils avait toujours une place particulière dans son coeur - et il comptait plus qu'il ne le penserait jamais.

Maintenant que Sonatine avait été chassé de la ville, malgré toutes les douleurs et tous les drames que cela avait impliqué, Bruce savait qu'il devait aller de l'avant. Après son rendez-vous de la veille avec Diana et Kal, il voulait assurer ses arrières avant l'Opération - d'où leur présence ici. Et la demande qu'il avait à soumettre à Dick, si la conversation tournait dans le sens qu'il le voulait.

"Je suis... heureux de te savoir de retour ici. Gotham a besoin de toi. J'ai... besoin de toi."

Une révélation rare, mais Rachel lui avait appris à plus s'ouvrir et la fausse disparition d'Alfred lui avait fait comprendre l'importance de dire les choses, pas seulement de les penser. Il espérait que Dick serait également de cet avis.

(HJ/ C'est le but du sujet ! /HJ)

Nightwing put alors sentir une présence sur son épaule. En se retournant, il pourrait découvrir que Batman avait posé sa main valide, la gauche, sur lui. Son visage, recouvert de cicatrices, offrait même un embryon de sourire à son ancien protégé. Il avait su combien celui-ci avait souffert ces derniers mois, et s'il n'avait pas été suffisamment occupé de son côté il aurait fait le premier pas pour venir soutenir Grayson. Hélas, lui-même avait été anéanti par ses propres drames, et aucun n'avait pu être là pour l'autre ; il le regrettait amèrement.

"J'aurais... aimé que le mariage se déroule différemment, Richard. J'aurais apprécié être invité, mais j'aurais volontiers renoncé à ce privilège pour te savoir heureux. Cette crise avec Koriand'r, la disparition de Donna... ce sont des événements terribles. J'aurais... voulu te les éviter, et te soutenir. Hélas, je n'ai pas ce pouvoir - et je n'en ai pas eu l'occasion."

Sa voix était calme, presque douce. Voir son ancien élève dans un tel état de fatigue morale était troublant, surtout après tant de distance et de temps entre eux. Même si Dick avait voulu suivre son propre chemin et que des mots, durs, avaient été prononcés, Wayne gardait toujours un attachement certain pour lui. Jason, et puis surtout Tim, avaient pris le relai de Robin, mais Grayson demeurait le premier - son véritable fils, même s'ils n'avaient aucun lien de sang.
En ce sens, savoir que Nightwing souffrait était difficilement supportable pour lui, mais moins que l'idée de ne pouvoir rien y faire.

"Nous... sommes habitués aux malheurs et aux drames, Richard. Les pertes de nos parents et les existences que nous nous sommes choisis nous obligent à encaisser plus que quiconque, et nous côtoyons la mort et les ruptures chaque jour. J'espérais que tu avais trouvé chez les Titans un échappatoire, un groupe, une famille qui t'offriraient ce que j'ai été incapable de te fournir. Même si votre expérience ensemble pour le moment est, actuellement, un échec, sache que tu as été et tu as fait plus que je n'ai jamais pu et osé. Je suis fier de toi, Richard. Et je suis heureux que tu sois ici."

Il esquissa à nouveau un sourire en fixant Nightwing, avant de retirer sa main et de faire le tour de l'ordinateur, pour se placer devant son interlocuteur. Sa voix se fit plus sérieuse, plus concentrée.

"Quelle est ta position par rapport à moi, Richard ? Ces derniers mois ont été intenses et violents ici, et plusieurs justiciers ont décidé de s'élever contre Quincy Sharp et ses alliés. Cependant, avec l'enfer que vit la ville, certains ont décidé d'adopter des méthodes plus violentes et de se rebeller contre mon autorité. Actuellement, je suis en train de classer ceux qui sont avec moi, et ceux qui sont contre moi - ceux que je devrai stopper en même temps que les criminels. Ma question est simple, Richard : es-tu avec moi ?"

Le Chevalier Noir n'était pas naïf : il savait que Grayson était informé de l'influence grandissante en ville d'Azrael, et de sa brouille avec lui sur les méthodes de Jean-Paul Valley. Depuis que Batman avait recueilli Midnight et Caducée, plusieurs justiciers avaient décidé de prendre leur indépendance : si les Birds of Prey étaient autonomes mais ne rejetaient pas l'appui et son aide, d'autres comme l'Iroquois, Tommy Smith, Question, le Lynx étaient de vrais rebelles et étaient considérés, par lui, comme des adversaires. A voir ce que l'ancien Jeune Prodige allait décider.

Les mains posées sur l'ordinateur entre eux, Batman avait écouté avec intérêt les paroles de Nightwing. Se concentrant sur les réactions de son ancien protégé, il espérait décoder autant son langage oral que ses mouvements, ses attitudes pour savoir s'il jouait franc-jeu ou non ; heureusement, Dick lui disait bel et bien ce qu'il pensait, ce qui était malheureusement devenu rare avec ses interlocuteurs depuis quelques semaines.

"Je te remercie de ta franchise."

Son ton était calme, et sincère. Il se rendait compte que, ces derniers mois, il n'avait accepté que très peu de critiques, encore moins que d'habitude. Lui qui était évidemment réfractaire à certaines remises en question les refusait presque toutes, se mettant à dos des alliés, des amis et des camarades parce qu'il avait refusé de donner les bonnes réponses aux bonnes questions. La présence et le discours de l'ancien Robin lui faisaient du bien, parce qu'il ne pouvait l'accuser de manipulation ou de tromperie : même si cela avait été régulièrement difficile entre eux, il savait que Grayson ne le trahirait jamais - ou alors uniquement pour son bien.
Comme Alfred, son ancien pupille l'avait manqué - et il était heureux de son retour.

"Et je ne te veux pas sous mes ordres."

Un léger sourire passa rapidement sur son visage usé.

"Je suis... heureux de te savoir dans de telles dispositions. Beaucoup de justiciers ont dû assurer l'intérim durant mon absence, et la situation a été difficile pour eux. De plus, je n'ai pas toujours été assez... ouvert à leurs douleurs, leurs échecs et leurs propositions, surtout après mon retour. Ma défaite a été une étape complexe à encaisser et à assumer, et je n'ai pas eu le temps et l'envie de les ménager. Beaucoup se sont retournés contre moi, car ils ne supportent plus ma façon de faire - surtout avec eux. La majorité d'entre eux est composée de personnes dignes, honorables, mais qui doivent être guidées pour qu'elles ne deviennent pas ce qu'elles combattent."

Sa prise sur l'ordinateur se fit plus forte, plus sûre. Ses yeux blanchâtres se rétrécirent, tandis que son discours prenait un ton plus sérieux.

"Je voudrais que tu les guides, Richard. Je voudrais que tu prennes le relai - que tu formes une équipe, composée de justiciers au fort potentiel et qui ont besoin d'un allié, d'une référence solide. Et je veux que ce soit toi."

Il laissa un petit silence, pour marquer l'annonce, avant de reprendre, avec une voix plus sèche, pour pointer directement ce qu'il voulait dire.

"Et pour Alfred... je n'ai appris son retour qu'il y a quelques jours. J'aurais espéré te voir ou t'entendre quand il a disparu et quand j'ai été blessé. Les communications vont dans les deux sens, Richard."