Une nuit, calme. Un bâtiment en ruines, humide. Une salle centrale immobile, abandonnée. Une porte, brisée.
Un homme, déterminé, avance. Vers sa revanche.

Se libérant du poids de la porte qu'il venait de briser, Batman soupirait lourdement. Ses mains étaient crispées, ses yeux fuyants. Ses doigts tremblaient alors qu'ils pénétraient enfin dans le quartier général de son adversaire, qu'il avait déjà visité trop de fois depuis son retour. Des jours, des semaines de recherches, d'enquêtes, d'interrogatoires et d'incompréhension devaient normalement se terminer, ce soir-là. La piste était chaude, provenant d'informateurs sûrs et terrifiés par son acharnement et ses méthodes.
Normalement, Killer Croc était dans son repaire, maintenant ; il était temps qu'il paye.

Bruce ne faisait pas attention à être discret, ce soir-là. Ayant défoncé la porte avec son bras bionique, il avançait maintenant en faisant claquer ses bottes sur le carrelage nu et sale de l'ancienne piscine. Les capteurs de son costume étaient allumés, cherchant toute trace de vie et de chaleur dans le bâtiment ; en pure perte, pour l'instant. Il n'était cependant pas troublé ou déçu : il savait depuis longtemps que son ennemi s'était entraîné à baisser sa température interne pour ressembler encore plus aux crocodiles ou aux créatures de sang froid qu'il admirait tant, et qu'une malformation génétique l'avait amené à idéaliser comme des "frères".
Si Killer Croc était bien là, il devrait le faire sortir de sa tanière pour débuter enfin l'affrontement qu'il préparait depuis des semaines ; ça ne le dérangeait pas non plus.

Il était venu seul : malgré sa volonté initiale d'emmener Midnight et Caducée, il avait compris au fil des semaines avec elles que les jeunes filles ne comprenaient pas, et ne pouvaient pas comprendre, l'importance d'un tel combat pour lui. Il avait tout perdu quand Killer Croc l'avait vaincu, mutilé et humilié ; ces dernières semaines n'avaient été que le théâtre de ses tentatives pour retrouver un lustre qui s'était évaporé dès que le monstre l'avait affiché comme un trophée, l'avait exhibé à une foule haineuse et paradoxale.

Ses deux pupilles ne saisissaient pas l'importance vitale de ce combat : Wayne devait prouver, à tous, qu'il était toujours le meilleur. Pire encore : il devait se le prouver.
Il avait perdu foi en lui et en ses capacités à cause de l'animal. Il avait dû entamer un long voyage, qui s'achevait ce soir, pour redevenir lui-même. Malgré son arrivée à Gotham City quelques semaines plus tôt, il savait bien que son véritable retour se ferait cette nuit, une fois qu'il aurait définitivement fracassé Killer Croc. Pour lui, maintenant, cet être ne méritait aucune pitié - et n'en recevrait aucune.

Il était souvent revenu ici, lieu du drame initial, de son ultime tentative pour offrir une main tendue à son ennemi, pour le réhabiliter ; l'effet était toujours violent. Il souffrait dans sa chair et dans son esprit de se souvenir des événements, de leur évolution, de la dernière trahison de Killer Croc, de sa sauvagerie et de sa propre incapacité à se défendre suffisamment. Il avait échoué, trop arrogant, trop sûr de lui ; il avait survécu à peine, ayant une ultime chance d'être l'homme et le combattant que cette ville méritait. Il ne la décevrait pas.

Le Chevalier Noir s'arrêta au milieu de la salle principale, fixant le "trône" de Killer Croc. Vêtu de son armure, avec son bras bionique, il voulait en découdre, il voulait l'affronter, le rabaisser... le briser. Comme lui l'avait fait.
Calmement, il s'empara dans sa ceinture d'une boule noire qu'il lança sur le "trône", sur cet objet pathétique qui représentait bien toute la psyché arrogante, suffisante et enfantine de son ennemi. Autour de lui, des dizaines de bibelots égyptiens rappelaient sa dernière marotte, son désir d'être adoré non pas comme lui-même, et l'identité que Bruce se refusait à prononcer pour en faire un vrai animal dans son esprit, mais comme Sobek, le dieu à la tête de crocodile. D'un geste rageur, il envoya une autre boule sur une statue de la divinité.

Quelques secondes plus tard, le "trône" et la statue explosèrent, chaque son résonnant longuement dans tout le bâtiment vide.
Batman, lui, resta au milieu de la pièce, calme. Patient. Il savait que ce dont il rêvait n'était plus qu'une question de minutes - et il était bien décidé à ne faire aucune erreur aujourd'hui.

Ses yeux blanchâtres étaient fixés sur la figure cauchemardesque devant lui. Quand Killer Croc s'était approché de lui, sûr de sa puissance et de sa supériorité, ses muscles s'étaient crispés. Ses narines étaient dilatées tant la fureur explosait en lui - fureur qu'il parvenait à contrôler pour l'instant.
En fait, la présence même du monstre qui l'avait destiné à des semaines de douleurs, de violence et de drames le rendait fou. Son regard toujours immobile, son visage neutre, il refusait de bouger, il refusait de laisser l'autre emporter la première bataille psychologique. Il avait fait un effort sur lui, il avait vaincu ses démons pour arriver ici et ne pas se laisser aller à des dérives brutales qui ne lui ressemblaient pas. Il devait être meilleur - meilleur que ça, meilleur que Killer Croc.

Finalement, Batman se laissa aller à répondre à la bête environ deux minutes après ses dernières paroles. D'une voix lourde et dure, plus autoritaire que jamais, il s'adressa à l'ennemi en continuant à le fixer. Tout plutôt que de perdre.

"Tu sais pourquoi je suis ici."

Il fit un pas en avant. Les poils de son bras valide se hérissèrent sous son armure, tandis que ses dents commençaient à grincer.

"Tu dois payer."

Sans rien dire de plus, Bruce posa sa main sur sa ceinture et appuya sur un bouton, placé sur son flanc gauche. Une seconde après, son armure se mit à émettre un sifflement extrêmement aigu, d'une violence rare et qui se décuplait à chaque instant. Evidemment, le système de protection de son casque se mit en marche pour protéger ses oreilles - ce que Killer Croc ne pourrait certainement pas faire.

"Et tu payeras."

Sa main gauche, valide, toujours posée sur sa ceinture, se releva et lança quelque chose vers le monstre. Dix secondes plus tard, les deux boules noires propulsées vers l'ennemi explosèrent près de son visage, libérant autant le souffle et les flammes de l'explosion qu'une grande fumée âpre.
Le Chevalier Noir profita alors de son enchaînement pour disparaître dans ladite fumée. En quelques pas, il se rapprocha de la zone sablée, évitant avec raison les bassins pour ne produire aucun bruit et ainsi ne pas alerter Killer Croc. Il savait qu'il avait échoué la fois d'avant par excès de confiance et manque de discipline, et il était hors de question de commettre à nouveau les mêmes erreurs. Wayne avait suffisamment souffert de ses erreurs et il avait assez préparé son combat pour avoir plusieurs scénarios en tête.

L'affrontement venait de commencer - un seul en ressortirait.
Et ce serait lui.

Batman n'avait rien dit quand Killer Croc avait répondu à ses paroles : ça n'en valait pas la peine. Son adversaire ne comprenait pas, ne pouvait pas comprendre l'état dans lequel il se trouvait et quelles étaient ses motivations à l'heure actuelle. Malgré ses grands discours et ses pleurnicheries, son ennemi n'avait pas eu de réelle épreuve à endurer, comme la perte d'un membre, l'humiliation et le besoin de se prouver encore sa valeur. Si Killer Croc avait vécu de grandes épreuves dans sa vie, il passait son temps à les ressasser et refusait d'aller de l'avant.
Lui n'avait pas eu le choix. A chaque fois dans sa vie, il avait dû subir les épreuves, encaisser et passer la page pour survivre et réussir sa mission. Il n'avait jamais eu le loisir d'abandonner, de se cacher, de faire l'enfant et de tout laisser tomber ; ses responsabilités, sa quête l'en empêcheraient toujours. Et il était lassé de voir Killer Croc adopter une attitude tellement supérieure, tellement arrogante - il devait être châtié. Vite.

Il s'était laissé faire quand Killer Croc l'avait pris et envoyé dans un des bassins. Encaissant le choc, accroupi dans l'eau, il remonta calmement à la surface, laissant l'eau couler le long de son costume et de son masque. Sa cape ruisselait d'eau, mais le tissu était tellement travaillé que le liquide était rapidement évacué. Comme toujours, il soignait toujours ses entrées et ses réactions, pour avoir autant de charisme que possible - et pour énerver ses adversaires. Et il savait que celui qu'il affrontait aujourd'hui détestait ce genre de théâtralité.

"Je t'ai pris pour un animal, après que tu m'aies mutilé et humilié. Je t'ai pris pour un animal pour m'avoir infligé ça, pour avoir dévoré ma chair et surtout pour m'avoir trahi alors que je venais de t'offrir une ultime chance de rédemption. Mais je me trompais."

Sa voix était froide, terrible. Aucune émotion n'y était présente, il parlait comme un automate. Au fond, la colère explosait dans son coeur, mais il la contenait. Pour vaincre, pour briser, pour détruire comme il le voulait son ennemi, il devait être concentré et sûr de lui. Il ne pouvait se laisser aller, soit à la rage, soit à la suffisance comme l'autre fois. La leçon avait été dure, mais bien apprise.

"Un animal ne fait pas ça : un animal ne tue pas pour le plaisir, ne tue pas par sadisme. Une bête ne torture pas, n'humilie pas et ne frappe pas ses semblables dans des jeux. Tu n'es ni un animal, ni un être humain. Tu n'es rien - tu n'es qu'un parasite. Et on se débarrasse des parasites."

Ce n'était pas de la provocation, mais des faits dont il était persuadé de leur véracité. Il avait eu du temps pour réfléchir à la situation, durant son voyage pour se retrouver ; il avait pu réellement réfléchir sur qui était Killer Croc et quelle était leur relation. Maintenant, il n'avait plus aucun espoir pour lui et ne lui offrirait plus que ses poings et la pire des prisons pour ce qu'il avait fait - et pas seulement à lui.
Il devait être stoppé. Définitivement.

Sans même enclencher ses systèmes, le Chevalier Noir sentit le premier crocodile fondre sur lui. La bête devait être affamée et dressée au combat par le psychopathe qui leur faisait face. Ses yeux blanchâtres toujours fixés sur Killer Croc, d'une neutralité totale, il leva à peine le bras droit quand l'animal se jeta sur lui, la gueule en avant, pour essayer de se nourrir. D'un geste violent mais dénué de colère, il le frappa en pleine gueule, le repoussant avec toute la force de sa prothèse. Le crocodile fut projeté en arrière, roula dans le bassin et se retira dans un coin sombre pour tenter de soigner ses blessures ; il avait, après tout, la mâchoire fracturée et devrait être soigné sous peu pour éviter une lente agonie.

Une telle activité dans le bassin attira bien sûr les autres créatures élevées par Killer Croc. Deux crocodiles s'approchèrent, tentant d'attaquer avec plus d'intelligence que leur camarade. Cette fois-ci, Bruce se tourna vers eux et plissa ses yeux blanchâtres vers eux, tentant de prévoir leurs prochaines actions. Pendant quelques secondes, une énorme tension apparut dans le bassin, entre les bêtes et leur adversaire ; chacun se jaugeait, se jugeait mais aucun d'entre eux n'osait attaquer - pour le moment.

Et, d'un coup, le crocodile de droite se jeta sur lui, son camarade suivant quelques secondes plus tard. Wayne s'était cependant préparé à de tels affrontements, et prit dans sa ceinture des bolas de combat avec sa main gauche. Il les lança avec grâce vers le premier animal, enfermant sa gueule et l'empêcha de l'ouvrir grâce à la matière très résistante de l'arme. Il écrasa ensuite son coude droit, robotique, sur le haut du crâne de la deuxième bête, qui s'écroula sur le sol. Il était blessé, mais beaucoup moins gravement que le tout premier.

Lentement, le vainqueur de cet affrontement rapide mais extrêmement violent releva son visage et posa son regard blanchâtre sur les deux autres crocodiles, qui n'avaient pas encore attaqué. L'intensité du moment et la violence du précédent combat semblèrent être suffisants pour retarder, voir annuler complètement, les tentatives des deux bêtes.
Satisfait, il se retourna ensuite et fixa Killer Croc : il n'avait rien à lui dire. Les paroles ne voulaient plus rien dire maintenant, seuls les actes étaient suffisamment clairs. Ainsi, sans prévenir, il s'empara à nouveau d'un objet avec sa main gauche dans sa cape et l'envoya vers son ennemi. Son Batarang fila vers les yeux de son ennemi, tandis que lui-même disparaissait dans l'obscurité pour se diriger vers le vestiaire des filles. Si Killer Croc avait voulu mener le combat "comme avant", son adversaire avait bien décidé de jouer selon ses règles - celles que Killer Croc ne pourraient jamais comprendre, ne pourraient jamais utiliser pour son profit. Et c'était bien là le plan.

"Tu es lent."

Sa voix fut d'une neutralité terrible. Elle fut précédée par un bruit sourd, rapide, qui était localisé au sol devant Killer Croc, dans le petit bain. Une seconde après, une fumée âcre, violente et étouffante apparut pour entourer rapidement tout le passage et toute la forme du propriétaire des lieux. En quelques instants, la fumée devint si forte et si agressive qu'elle attaquerait surtout l'odorat du principal intéressé, qui était si développé que cela en deviendrait maintenant un sérieux handicap.

Batman, lui, était positionné sur les casiers du vestiaire des filles. Accroupi dessus, calme, il fixait son adversaire en prévoyant déjà la suite des événements. Son casque avait fait glisser une plaque verre devant son nez et sa bouche, pour empêcher la fumée d'agresser ses propres sens. Il s'était douté que son ennemi foncerait en étant trop sûr de lui, trop confiant ; il s'était douté qu'il se laisserait aller à des monologues, des discours d'auto-suffisance pour vanter sa gloire et sa puissance.
Jadis, il avait cru pouvoir le faire taire en adoptant les mêmes méthodes que lui : il s'était trompé. Il devait être plus rusé, plus main - plus intelligent.

En silence, il s'empara d'un nouveau Batarang avec sa main gauche et le planta dans les énormes casiers sous lui. Il s'élança ensuite dans les airs, rapidement suivi par le mince filin qui était accroché au Batarang. Il comptait sur la fumée et la surprise pour occuper Killer Croc, et ainsi mettre son plan à exécution.

Parvenant juste devant son ennemi, accroupi au sol, il n'attendit pas pour agir et se mit à frapper violemment et régulièrement l'adversaire. Avec son bras gauche et ses jambes, il alternait les coups, n'en donnant que très peu mais veillant bien à frapper le visage, les doigts, les pieds et les parties intimes de Killer Croc. Avec quatre/cinq coups, il décida de s'arrêter là pour empêcher d'être pris par un ennemi qui aurait repris un peu ses esprits. Il frappa cependant une dernière fois son adversaire, en profitant pour placer dans son dos un petit objet sphérique qu'il avait pris en sautant des casiers.

Bruce recula alors en faisant plusieurs pirouettes arrières, pour parvenir à quelques mètres de Killer Croc. Il appuya alors sèchement sur le filin, qu'il avait tenu jusque-là dans son bras droit, faisant immédiatement tomber les énormes casiers vers son ennemi. En quelques secondes, celui-ci avait subi la fumée, les coups et maintenant l'écroulement qu'il ne pouvait avoir prévu ou préparé. A voir maintenant s'il avait pu se défendre, ou s'il avait entièrement été vaincu par l'enchaînement du Chevalier Noir, qui avait bien suivi son plan - et n'en était encore qu'au début...

Killer Croc était blessé, troublé. Visiblement touché par l'enchaînement des coups et par le choc psychologique de le découvrir ici, aussi violent, aussi déterminé et aussi efficace, plusieurs semaines après leur dernière rencontre, il ne parvenait plus à être autant menaçant qu'avant.

Batman avait longuement fantasmé cette rencontre, et il était satisfait de découvrir que ses plans s'imbriquaient totalement. Devant lui, son plus formidable adversaire était usé et perdait pied - mais il n'en ressentait aucun plaisir. Il avait craint de jouir de l'instant, de ne pouvoir se contrôler en découvrant celui qui lui avait fait tant de mal en position de faiblesse... mais il se contrôlait. Il demeurait maître de lui-même, et c'était un plus grand motif de satisfaction encore.

Alors que la bête fonçait vers lui, ayant réussi à s'emparer d'un énorme tuyau pour tenter, à nouveau, de se débattre et de vaincre ; c'était une perte de temps.
Grâce à l'armure, ses réflexes étaient plus rapides, plus aiguisés. Même sans cela, il serait parvenu à éviter son attaque : Killer Croc était trop groggy, trop troublé par les différents chocs qu'il avait subis pour garder son rythme et sa puissance optimale.

Son adversaire tenta de le frapper avec un énorme mouvement, mais le Chevalier Noir se baissa au dernier moment et glissa en arrière, pour éviter d'être pris dans les énormes bras de son ennemi ; même si celui-ci était affaibli, il restait un formidable combattant et il pouvait entièrement retourner la situation en parvenant à mettre ses pattes sur lui. Il avait fait l'erreur une fois - il ne la referait pas.

Alors que Killer Croc frappait dans les airs, lui-même se remettait debout et relevait sa jambe droite vers son ennemi lui-même. Il lança alors un ordre mental à son armure, et quelques secondes après sa botte droite s'allumait définitivement : son jet-boot s'activait et offrait un feu nourri vers son adversaire. Même si sa peau était extrêmement dure et résistante, une telle chaleur ne lui ferait certainement pas du bien.

Au bout de deux longues minutes, Bruce arrêta son jet-boot et reposa son pied sur le sol. Il fit quelques pas en avant, et attira l'attention de Killer Croc en écrasant... ses crocs. Les dents qu'il avait crachées quelques secondes plus tôt étaient en train de craquer sous les énormes bottes, tandis que le responsable de cette provocation fixait, calmement, la bête.

"Tu m'as piégé. Tu m'as vaincu. Tu m'as mutilé. Et tu m'as humilié."

Il insista et écrasa définitivement les crocs.
Il avait cru pouvoir ressentir du plaisir, aussi, en agissant ainsi, en détruisant ce qu'il avait senti arracher sa chair et briser son corps - mais ce n'était toujours pas le cas. Et c'était rassurant pour sa propre santé mentale.

"J'existe toujours. Je ne suis pas mort. Et je viens te châtier."

Wayne serra les poings et s'avança, lentement, vers l'ennemi. Il sentait que celui-ci foncerait à nouveau vers lui, qu'il voudrait utiliser ses dents restantes pour lui arracher des os et de la peau, comme il le faisait d'habitude ; il avait une petite "surprise" pour lui.
Dès que Killer Croc filerait vers lui, il lèverait immédiatement son bras droit et lui montrerait le prix de son retour - et ce qu'il allait subir les instants d'après. Le combat arrivait à sa fin, et il en sortirait enfin vainqueur.

"Killer Croc."

Sa voix était calme.
Malgré l'instant, malgré l'émotion, malgré la violence de leur affrontement, il parvenait à rester maître de lui-même. Il refusait d'être emporté par la colère, il refusait d'être vaincu à nouveau par ses propres démons face à cet adversaire-là. S'il avait éprouvé une haine certaine envers Killer Croc, pour ce qu'il lui avait fait, pour ce qu'il lui avait pris, il comprenait que tout ceci s'était envolé maintenant.

Il ne haïssait plus Killer Croc. En réalité, il ne l'avait jamais vraiment haï.
Il avait projeté sur lui ses propres peurs - sa propre culpabilité.
Il s'était vaincu lui-même. Tout était de sa faute.

Et maintenant qu'il avait réussi, qu'il avait démontrer à son ennemi et à lui-même qu'il était bien le meilleur, le plus grand combattant de la ville, il ne ressentait... rien.
Du vide. Il n'y avait que du vide dans son coeur. Bruce avait imaginé éprouver du plaisir, de la joie, mais... non. Ce n'était que le sentiment du devoir bien accompli qui régnait dans son être tandis qu'il observait l'être pathétique, quasiment allongé sur le sol devant lui. Et tout ça devait s'achever enfin.

"C'est terminé."

Calmement, comme dans un rêve, Wayne abattit à nouveau son bras droit, le bras que Killer Croc lui avait arraché et dévoré, sur son visage.
Le choc fut violent, évidemment, mais moins qu'il ne l'avait pensé. Le coup avait été exceptionnel, d'une brutalité terrible, et fit totalement s'allonger sa victime. Debout, puissant, énorme, supérieur, le Chevalier Noir fixait maintenant l'être qui lui avait tant pris - et à qui il venait de prendre autant.

Killer Croc lui avait pris sa fierté, son bras et sa réputation.
Batman venait de lui arracher sa fierté, ses crocs et sa réputation.

"Nous sommes quittes... Waylon."

Son prénom.
Il le réutilisait pour la première fois depuis... la mutilation. L'échec.

Le début d'une nouvelle ère. Pour eux - pour lui.
Le début de son vrai retour.

"Tu vas vivre."

Batman fixait Killer Croc - calme.
Son expression était neutre, sa voix dénuée de toute émotion. A nouveau, il aurait cru éprouver du plaisir à découvrir l'ennemi ainsi, mais ce n'était toujours pas le cas. Il ne voyait qu'une créature mutilée, vaincue et incapable de la moindre agressivité à l'heure actuelle. Il voulait disparaître, il voulait s'abandonner à la mort pour fuir sa défaite et son incapacité à accepter son sort et la situation.

"Tu vas vivre, Waylon Jones. Parce qu'échouer n'est pas un motif suffisant pour mourir. Parce qu'échouer ne signifie pas la fin de tout. Parce qu'échouer permet de se relever et de devenir plus fort. Parce qu'échouer..."

Il se pencha en avant, approchant son visage du corps de son ennemi ; il n'avait plus aucune peur, maintenant. Il savait que Killer Croc n'était plus une menace maintenant, et qu'il ne le serait plus avant quelques temps encore. Le choc était trop rude, ses conséquences trop importantes pour lui.

"Echouer est la pire des punitions pour toi."

Bruce n'exprimait aucune émotion dans sa voix, dans son visage ; il soulignait simplement un fait, que tous deux connaissaient et dont ils mesuraient l'importance pour Killer Croc.

"Tu m'as piégé, mutilé, vaincu et humilié - mais même toi, tu n'arrives pas à me donner envie de te tuer, Waylon. Même toi tu n'arrives pas à me faire passer la ligne noire. Fuis, caches-toi, guéris et reconstruis-toi. Redeviens celui que tout le monde connaît ; redeviens le célèbre Killer Croc, celui qui a réussi à faire tomber Batman plus bas que les autres. Redeviens ce monstre, Waylon, et retrouve ta gloire et ta puissance.
Mais nous savons tous les deux ce qu'il s'est passé ce soir - nous savons tous les deux qui est vraiment le meilleur. Tu vas vivre et assumer, et avancer. En d'autres temps... je t'aurais aidé. Mais tu as dévoré la main que je te tendais. J'espère juste que ta convalescence sera lente, douloureuse et humiliante... comme la mienne."

Il se releva calmement, et s'avança lentement dans les restes du bâtiment en ruines, pour partir et disparaître dans les ténèbres. Il n'avait plus rien à faire ici : il avait prouvé qui il était, et qui était le meilleur.
Lui, bien sûr. Bruce Wayne. Le Chevalier Noir. Batman.

Il était temps de se retrouver entièrement. Il était temps de rentrer chez lui et de travailler à sa véritable guérison.
Sa convalescence venait enfin de s'achever.