Japon, préfecture de Yamanashi. 5 ans avant les événements de The Fall, Ra's Al Ghul suivait un sentier dans une des épaisses forêts qui parsème cette région particulière du japon. Son épais manteau bleu amassait la poussière alors qu'il balayait le sol, suivant le pas doux et précis du Démon, qui avait les yeux dans la végétation. Il avait fait du petit temple situé a un quart d'heure de marche son lieu de villégiature depuis quelques jours. Les moines ne regardaient pas trop qui il était, tout ce qu'ils savaient de ce cinquantenaire méditerranéen était qu'il réalisait le zazen parfaitement et que ses kuans étaient désopilants. Ça leur suffisait qu'il s'assoie avec eux et partage leur repas.
Mais s'ils avaient la moindre idée des véritables intentions de Ra's, de ce qu'il étai vraiment, ils ne lui en tenaient pas rigueur. Son nom était tenu en haute estime par les chefs yakusas qui venaient se ressourcer au temple. Les moines s'interrogeaient quand même, au delà de tout jugement, sur ce léger tremblement de peur qu'ils percevaient dans les voix de leurs impressionnants mécènes quand le nom "Algol", un nom éminemment difficile à prononcer correctement en japonais, sortait de leurs lèvres.

Le soleil perçait la voute verte de travées d'or évanescent, et Ra's avait perdu toute inclinaison a la violence. Quand il était arrivé quelques jours plus tôt, contusionné, affaibli, il n'avait qu'une idée en tête : tuer de la manière la plus raffinée possible tous ces jaunes en toges noires. Ici raffiné signifiait lentement. Mais il s'était contenu, grâce notamment à Talia, qui l'avait empêché de répandre le sang en un tel lieux. Il se devait d'admettre qu'il aurait trouvé dommage de souiller ainsi un tel havre, véritable oasis de vérité et de vie au cœur de ce pays tellement symptomatique de tout ce qu'il voulait annihiler.
Sa fille avait refusé d'entrer dans le temple, prétextant que sa présence dérangerait les moines.
Ra's savait qu'elle avait une autre raison de ne pas fouler une terre consacrée. Sa progéniture avait un défaut qu'il avait lui même longtemps gardé, à savoir une certaine superstition. Quand le secret de la mort est percé, il faut se trouver de nouvelles raison d'avoir peur, du moins c'était ainsi que le Démon s'expliquait ce phénomène. Lui même avait respecté le ramadan pendant une période extrêmement longue, alors même que le jour du choix de son nom fut celui de son abjuration de l'islam pour un idéal plus grand.

De retour au temple, les chaussures légères du Démon crissaient sur le gravier alors qu'il arrivait au dessous du portique. Un groupe de trois moines pratiquaient le kinhin, la méditation en marchant. Il les dépassa tranquillement et se dirigea vers le hall de lecture, bâtisse rectangulaire toute en bois et surmontée d'ardoise. Une coursive à demi ouverte, continuité du plancher de bois laqué de l'intérieur, bordait le bâtiment et c'était là que les moines et les érudits s'installaient sur des coussins pour y lire.
Ra's y trouva un moine de haut rang qui lisait une revue scientifique tout en fumant une cigarette.
- Tu as les dents aussi sales que si tu te les lavais avec une pierre, dit le Démon au moine, ce qui eut pour effet de le faire éclater de rire.
Il avait demandé à ce qu'on lui installe deux zafu noirs et un échiquier occidental entre les deux. Il attendais un jeune homme qui voudrait probablement extirper de lui la position GPS d'une tête thermonucléaire qu'il avait activée, équipée d'un minuteur et mise en lieu sûr, dans une métropole densément peuplée quelque part dans le monde. Elle serait une première pierre au nouvel Eden, avait-il dit au jeune homme. C'était évidemment faux. Il voulait faire souffrir celui qui aurait pu être son gendre, il voulait voir dans ses yeux une culpabilité si grande que le Démon pourrait la savourer même avec le masque, même avec les filtres qui recouvraient ses yeux il verrait la terreur ceux-ci quand il se rendrait compte que les deux dernières heures venaient de s'écouler et que des milliers d'êtres humains étaient morts par le feu de l'atome uniquement parce qu'il n'avait pas battu un vieil homme aux échecs.
Heureusement pour lui que Bruce était un géant parmi les hommes. Ra's savait déjà que sa position était connue du Détective, il l'imaginait sans peine sauter au commande d'un quelconque bat-véhicule alors qu'il recevait le message envoyé par ses ninjas.
Ra's Al Ghul s'installa sur son zafu et attendit.

"ここから外に出てください、そして戻らないでください。"

Le ton ne permettait aucune discussion : même si le moine s'était attendu à l'arrivée d'un inconnu avait été prévue, que l'étrange parle japonais et avec une autorité naturelle qui choqua même le prieur de haut rang. Celui-ci se releva difficilement, de façon pathétique tant il n'avait pas prévu une telle entrée en matière. Pour le moment, il ne voyait personne dans le hall de lecture, mais il se doutait que son hôte était habitué à recevoir des invités spéciaux. Sans rien dire, il se retira en quelques secondes, laissant Ra's seul pendant quelques instants.
Seulement quarante secondes plus tard vit-il tomber du toit la silhouette bien connue de son adversaire le plus acharné. Ils se connaissaient déjà, s'étaient déjà longuement affrontés, mais jamais il n'avait eu l'impression que l'immortel pouvait aller aussi loin.



"Ra's."

Calme, apparemment, il fixait son ennemi, les poings serrés, la colère et la tension pour le moment sous-jacentes dans tout son organisme. Il était venu vêtu d'un costume classique, sans armure, sans gadget trop évolué ou développé. Il avait simplement pris ce qui lui était nécessaire, car il savait que son ennemi l'avait invité pour un combat non physique mais intellectuel. Et il était bien conscient que c'était beaucoup plus dangereux avec lui qu'un simple duel au sabre dans le désert.

Bruce avait facilement découvert la piste de la Tête de Démon, qui lui avait clairement offert sa localisation par des jeux beaucoup trop simples, des énigmes trop enfantines. Ra's voulait qu'ils s'affrontent ici, il voulait qu'ils soient à une poignée d'heures d'une extinction quasi totale pour qu'il puisse vaincre et voir sa douleur, sa déception et sa détresse sur son visage. Son vieil ennemi voulait l'humilier et le faire tomber - il n'y arriverait pas.
Trop de choses étaient en jeu. Trop de vies, trop d'existences, trop d'innocence. Ra's Al Ghul ne pouvait pas réussir aujourd'hui. Malgré son âge, malgré son expérience, il devait le vaincre, le battre à son propre jeu. Il était Batman : il n'avait pas le choix. Et, aujourd'hui, la perspective de vaincre et d'humilier Ra's le mettait en joie.

- Détective. Bienvenue au Japon. J'imagine que vous avez fait bon voyage, dit Ra's à son ennemi.
Bruce avait choisi d'enter d'une manière on ne peut plus théâtrale. Il aurait suffi qu'il s'avance sur le sentier de gravier, et demande simplement au moine de les laisser, mais non. Il y avait dans ce besoin presque maladif d'impressionner une blessure dont Ra's savait tout. Plus que le personnage du Batman, plus que sa quête sans fin vers sa propre inutilité, c'était ce qui motivait Bruce à agir ainsi. Il avait besoin de se sentir aussi fort que son masque doit l'être.
Une telle croisade ne se suffit pas seule, même pour l'homme le plus extraordinaire que Ra's Al Ghul ait affronté dans sa longue existence.

Le Démon engloba d'un large geste de la main le damier devant lui.
- Installez-vous Détective. Ne gâchons pas la sérénité de ce lieu par une lutte armée. Vous êtes venu ici dans le but d'en découdre, je vous propose donc un affrontement aux échecs.
Ra's empoigna alors une théière en céramique luisante et versa dans deux tasses un thé fumant et odorant. Il espéra subitement que Bruce n'allait pas lui demander du sucre. Ce serait un manque total de savoir vivre de sa part, mais Ra's aurait aussi alors sa part de honte. Il n'avait pas pensé à en tenir prêt.
Une fois les tasses disposées de part et d'autre de l'échiquier, il reprit la parole :
- Comme vous le savez déjà, un appareil de destruction massive est activé quelque part dans le monde, attendant patiemment que vous ou un de vos agents alliez le désamorcer. Il détruira la métropole qui l’accueille, de même que toutes les âmes qui la compose comme un message à l'humanité de la part de la Ligue. Ainsi que je vous le spécifiait dans ma missive, je vous révèlerait sa position si vous parvenez à faire tomber mon roi.
Le Démon leva les yeux et apprécia l'heure à une horloge analogique accrochée à un poteau un peu plus loin. 14h37.
- Il vous reste exactement deux heures et vingt neuf minutes. A quelques secondes près, c'est difficile à apprécier sur ces vieux modèles. J'ai pris la liberté de vous donner les blancs, j'espère que cela vous sied mon cher ?
Ra's porta la tasse à ses lèvres et les trempa dans le liquide brûlant, attendant le premier coup de son opposant.
- Ne vous inquiétez pas, notre boisson n'est en aucun cas empoisonné. Je n'ai eu aucune envie de faire des recherches d'envergures pour trouver une substance à laquelle vous ne vous seriez pas préalablement immunisé. Et quand bien même j'aurais trouvé un agent de ce type, vous avez dans votre accoutrement de quoi le chélater j'imagine. Au fait, ma fille s'excuse de ne pouvoir être ici en ce moment, j'ai eu à la punir pour son récent comportement, mais elle vous fait passer ses salutations et remerciements. Je joins évidemment les miens aux siens.
Le sourire qui était apparu sur le visage de l'immortel aurait pu tromper n'importe qui, mais pas Batman. Il n'y avait rien de la bonhomie qu'il feignait dans son cœur. C'était un sourire animal, chargé de noirceur.

Bruce voulait de la violence. Il n'était certes pas habitué à ce que leurs affrontements se déroulent de cette manière, et, s'il ne cherchait pas vraiment à énerver Ra's Al Ghul, à ce stade l'immortel ne perdrait pas son sang froid, il y avait dans ses propos autant de bravade que de frustration.
Du côté de Ra's, se fut la frustration qui l'emporta, et il ne put se retenir quand un frémissement, avant coureur d'un coup de quelque manière, parcouru son échine. Il grogna. Batman était un être aussi magnifique que pervers. Il savait que l'égo de Ra's était son plus grand point faible. Après une si longue vie à être adoré, le manque de respect est très peu toléré, et Ra's cédait trop facilement pour son propre bien à la colère quand il se sentait bafoué. Et bafoué il avait été.
Plutôt que de se laisser emporter, il préféra tenter de jouer au même jeu que son ennemi.
- Au fait, comment se porte Richard ? demanda Ra's à Bruce alors que celui-ci bougeait son premier pion.
Le Démon savait pertinemment que le jeune prodige était parti de la maison, cherchant à s'écarter de la noirceur de son mentor tout en étendant ses propres ailes. Ce jeune homme était un véritable albatros, pataud au sol mais majestueux dans les airs, pourtant il s'était choisi le pseudonyme de Nightwing. L'albatros n'est pourtant pas un oiseau nocturne, et Ra's aurait pensé à un tout autre nom si on l'avait consulté.
Si Bruce Wayne était extraordinaire, Richard Grayson était magistral. Il manquait à cet homme qu'on l'habitue à la puissance, qu'on le frappe aussi durement que Bruce se frappait lui même, non pas par une tragédie, qu'ils partageaient, mais qu'il finisse par développer une tendance maladive au contrôle, et, un jour peut être, il pourrait dépasser son mentor.

Il était apparu après la désertion de Grayson un nouveau pion sur l'échiquier, un nouveau soldat. Jason Todd, un autre jeune homme qui partageait avec Bruce une part de noirceur, mais qui, malheureusement pour lui et pour le Chevalier Noir, ne partageait avec Grayson qu'une partie de son talent.
Le Démon soupira, et déplaça son cavalier de gauche au devant de la ligne des pions.
- Au fait, me battre jusqu'à l'inconscience ? Je me doute bien que si vous appréciez tant nos joutes c'est dans l'unique but de pouvoir me tuer sans avoir d'états d'âme. Cette ligne que vous vous empêchez de franchir ne s'applique pas à moi, Détective. Je porterai vos messages à Talia, une fois qu'elle sera revenue.
Ra's espérait piquer au vif la curiosité de son adversaire.
- Elle m'a fait savoir qu'elle partait pour Gotham car elle avait un différend à y régler la bas. Une histoire de propriété romantique si je ne m'abuse. Vous savez ce que c'est, quand on élève seul une jeune fille elle essaye de cacher des choses à son père. Mais on m'a fait parvenir un nom : Dawes. Cela vous parle-t-il ?

Batman resta longuement silencieux. Les yeux fixés sur le jeu devant lui, sur lequel Ra's n'avait pas encore joué son premier coup, il s'abandonna dans une contemplation muette et immobile. De longues secondes, il ne bougea pas, semblant se statufier au fil des secondes. Ce ne fut qu'après un moment important, sourd de tension, qu'il reprit lentement et d'une voix douce la parole.

"Je dois encore vous présenter mes excuses, Ra's Al Ghul."

Il releva lentement les yeux, comme avant. Cependant, au lieu d'une réplique cinglante, il posa ses mains sur l'arrière de son masque. Actionnant un dispositif secret dans son costume, Bruce libéra le kevlar et libéra son visage. La Tête de Démon put alors lire une tension extrême sur la face de son adversaire, qui déposait calmement son masque sur ses genoux.

"Quand j'ai parlé d'excuses à Talia..."

Sa voix était calme, douce, mais ses yeux montraient clairement l'intense colère qui habitait son coeur. Le voir ainsi se maîtriser, contrôler sa rage pour l'user pour vaincre son ennemi pouvait troubler, mais certainement pas quelqu'un comme Ra's. Il avait trop vu, trop vécu pour être impressionné, mais... il devait savoir. Avec son expérience, il devait comprendre que son adversaire ne lui laisserait aucune échappatoire, aucune fuite possible.

"J'ai oublié de vous demander de lui présenter ces excuses quand elle se réveillera. Au bout de trois ou quatre semaines. Le délai moyen pour sortir d'un coma consécutif à un passage à tabac justifié par des menaces sur un de mes proches."

Wayne éprouvait des sentiments pour Talia, il ne pouvait s'y opposer. Cependant, ceux-ci étaient plus de nature sauvage, animale : il tenait à elle par instinct, plus par son inconscient que par sa conscience. Il savait que jamais ils ne pourraient être heureux ensemble, mais il avait cependant tenté quand même de la convaincre. Son refus, poli mais ferme, avait scellé le glas de leur idylle. Il conserverait toujours un intérêt, de l'affection et un désir sauvage pour elle, mais il n'aurait aucun remords de s'en prendre à elle si elle faisait du mal à Dick, Jason, Alfred, Lucius... ou Rachel.
Sa propre histoire avec la jeune femme s'était achevée dans la douleur, le regret et le désespoir. Il savait que leur relation était impossible en l'état, mais... il tenait encore à elle. Et il savait que ce sentiment durerait à jamais. Qu'elle puisse être encore en danger à cause de sa double vie était insupportable, et s'il fallait frapper Talia pour la protéger... il savait au fond qu'il n'hésiterait pas.

"Rachel Dawes bénéficie d'une protection similaire à Richard Grayson, qui se porte comme un charme et fait ma fierté paternelle en battant de ses propres ailes, Jason Todd, Alfred Pennyworth, Lucius Fox et leurs familles. Je vous respecte, Ra's Al Ghul : j'exècre vos méthodes, mais je vous respecte. Ne me forcez pas à transformer ce sentiment en haine éternelle. Vous le regretterez durant toute votre éternité."

Le Chevalier Noir resta longuement silencieux après ce monologue, pour appuyer la portée de ses propos. Ce ne fut que deux minutes après qu'il se força à reprendre, en montrant de la main le plateau de jeu.

"A vous. Je suis ici pour sauver des innocents, pas pour faire plaisir à un solitaire amateur de jeux d'esprits."

Un petit tic nerveux agita le coin de lèvres du Démon. Que Bruce ait posé ses mains sur sa fille était difficilement acceptable. Qu'il ait levé la main sur elle sembla un court instant avoir raison de son calme.
Et puis non. Pas aujourd'hui. Il ne se laisserait pas vaincre par sa propre colère une fois de plus. L'enjeu pour Batman était tel qu'il se pliait à ses règles, il devait absolument garder son calme et voir son ennemi se consumer dans sa propre rage au fur et a mesure que la partie durait. Si Ra's cédait, si ses pulsions de mort franchissaient la barrière de son mental il perdrait totalement l'avantage du temps, et rentrerai dans le domaine de compétences de Bruce. Il était d'ailleurs dommage que de tels talents martiaux s’interrompent à la frontière de l'homicide.
Ra's savait, malgré les années et le talent dont il disposait, qu'en définitive le Chevalier Noir l'emportait en terme purement physique.

- J'accepte vos excuses Détective. Et je suis content de voir que vous m'affrontez à visage découvert. Après tant d'affrontements face au Batman, je commençais à vous confondre avec votre masque.
Le Démon se servit un nouveau thé. Sa main tremblait alors qu'il levait la théière, aussi quelques gouttes du liquide trouble se répandirent sur le parquet lustré. Ra's produisit un mouchoir en soie de sous son kimono et essuya le thé gâché avec un soupir. Autpur d'eux il semblait que la nature elle même était le témoin de leur affrontement. Aucun son autre que le vent dans les branches et les trilles de quelques oiseaux japonais ne parvenait à ses oreilles. Les moines s'étaient retirés pour faire zazen, ils semblaient être les deux derniers êtres vivants sur terre, deux titans gâchant le temps qu'ils avaient devant eux à se rencontrer dans une bataille éternelle.
L'immortel porta la tasse à ses lèvres.
Encore une fois le talent de Bruce pour le théâtral l'emportait. Ra's eut cette pensée en attendant que son ennemi prenne la parole après son dernier coup. Alors que le temps lui était compté, il meublait l'espace de ses silences chargés de rage sourde. Évidemment Ra's se considérait au dessus de ce genre de tactiques, et imaginait que c'était ainsi que le Détective se comportait dans l'intimité. A la réflexion, il devait y avoir un part de calcul dans cette surabondance de silences dans sa partition. Mais pas complètement.
Tendu vers son objectif.
Monolithique et féroce.
D'un intellect qui confinait au sublime.
Ra's se félicita d'avoir en la personne du Batman un égal.
- Que voulez-vous mon cher, je m'ennuie loin de vous.
Le Démon joua une nouvelle pièce, tout en défense.
- Cela va vous sembler extrèmement trivial, mais je me pose quelques questions. N'y voyez que curiosité de ma part, mais comment arrivez-vous à mêler votre identité publique et votre réel aspect ? Sur le plan physique par exemple ? Ne me parlez pas de Pennyworth et de Thompkins, je connais vos arrangement avec ceux de votre Maison. Après tant d'années à écraser vos poings sur le visage de ceux qui s'opposent à vous, comment expliquez vous aux admirateurs de Bruce Wayne, et a vous même, pourquoi il a les articulations en compote ?

Ses gants ? Ses GANTS ?
Jusqu'à quel point le Détective pensait se jouer de lui ? Non seulement cette histoire de gants renforcée n'était absolument pas la réponse que le Démon attendait, mais cette réponse d'une banalité écrasante avait presque réussi à achever le peu de calme qui restait dans l'âme de Ra's Al Ghul.
Il prit une grande inspiration, savourant l’encens qui se mêlait au parfum de la nature intacte de cet endroit de l'archipel. Des plantes aux fleurs vivaces et colorées, des arbres anciens et vigoureux, des êtres vivants parfaits dans leur ignorance de la souillure, dans leur respect de la matrice qui les avait vu naître. Les insectes, les oiseaux, les chiens, tant de créatures par cent fois inférieurs à l'homme parurent soudain au Démon un idéal à atteindre. La civilisation ne polluerait plus rien quand seront autorisés à vivre sur le Terre seuls ceux qui la respectent en tant que génitrice. Il devait croire en son projet, faire comprendre à l'Homme que toutes ses bibles ne sont que des mensonges, que de Jéhovah à Marx personne ne les sauverait de la fureur de la Terre. Et que le Démon était son bras armé.
Il n'y a ni bien ni mal. Il n'y a que ce qui est juste.
Batman confondait le juste et la justice, le nécessaire et le mal. Le bien et le calme de son esprit.
La bombe de Dubaï exploserait. Elle ferait déferler sur ce joyau de pourriture un feu divin. Puis se serait la panique, car rien ni personne ne revendiquerait l'attaque. Qui blâmer pour ces millions de mort alors ? Le monde des hommes s'embraserait, consumé par ses jalousies et ses rancœurs, par chaque ego et chaque nation qui lancerait alors ses interrogations, ses représailles même, sous la forme de ce même feu qu'ils ne maîtrisent que si imparfaitement.
Mais pour que le bombe explose, il fallait d'abord détruire Bruce Wayne.
Le Batman n'était, en fait, en aucun cas un danger pour son plan avant que Ra's ne l'invite. A moins bien sûr que des informations aient filtrées, et dans ce cas le chiroptère devait avoir une idée, mais en définitive Bruce ne restait qu'un homme exceptionnel. S'il y avait un seul être qui aurait pu s'opposer à ce scénario une fois que la première bombe ait détonné, c'eut été le Kryptonien.
Mais Superman ne se tenait pas de l'autre côté de l’échiquier aujourd'hui.
Avant que la machine de destruction entraine les hommes dans ses rouages, Ra's Al Ghul voulait un tête à tête avec son meilleur ennemi.
A cause du refus du Chevalier Noir, le trop vieux médecin arabe serait éternellement la Tête du Démon. Il devait précipiter les choses, mettre en route cette destruction que des inférieurs n'avaient que trop retardé. Car Ra's Al Ghul voulait au plus profond de lui même être libéré de cette charge, que la Grande Mère se trouve un autre bras armé. De toute éternité, personne ne méritait plus cette charge celui qui se tenait devant lui.
Comme Bruce ne deviendrait jamais la Tête, alors le Démon se réveillerait et dévorerait le cœur de l'humanité. Il le devait.
Mais avant que le monde s'écroule il était important pour le vieux médecin arabe de se prouver à lui même qu'il surpassait même Bruce Wayne.

Une larme coula sur la joue ocre et tavelée de Ra's pour aller se perdre dans sa barbe.
- Vous avez raison Détective, ce n'est pas digne de moi que de vous faire jouer à un de ces petits jeux pervers une fois de plus.
Il se leva calmement, et épousseta un peu son kimono une fois debout.
- Votre arme se trouve dans le coffre à votre gauche, dit Ra's Al Ghul et portant ses mains sur les gardes des deux katana qu'il portait à la ceinture.

Évidemment Bruce avait amené sa propre lame. Évidemment tout cette mise en scène n'avait que ce combat pour finalité.
Les doutes et le fumées méphitiques qui hantaient son esprit s'éteignirent. Ra's Al Ghul tendait son être vers une perfection, vers un vide qu'il ne pourrait jamais atteindre mais il s'en approchait assez pour que son corps devienne un guerrier redoutable sans qu'il ait le moindre effort mental a fournir.

Il frappa dans l'échiquier du pied tout en dégainant ses sabres avec fluidité. Le carré de bois dammé s'éleva vers le Chevalier noir, les pièces en porcelaine précieuse s'envolèrent, certaines se brisèrent sous l'impact.

Le Démon et le Batman avaient à peu près une heure, peut être plus. Cela n'avait plus beaucoup d'importance désormais. Les lames de Ra's Al Ghul sifflèrent dans l'air, précédées d'un échiquier et de beaucoup de haine. Jouer à tant de jeux, depuis si longtemps, et que ces jeux se finissent toujours de la même manière. Bruce ne serait jamais la tête. Buce Wayne devait être détruit.

Bruce avait frappé l'échiquier, qui tournoya alors jusqu'au visage de Ra's. Sa lame droite mordit les chairs du Détective, et le Démon fut heureux que le premier sang fut pour lui, bien que le dernier comptât d'avantage.
L'épée ridicule de Wayne fila vers on abdomen dans un éclair d'argent, sifflant dans l'air. De sa lame gauche Ra's défit l'assaut de son ennemi alors qu'il déviait ses épaules pour laisser passer l'échiquier tournoyant, et le stratagème de Bruce eut l'effet escompté. La botte renfoncée cueillit le genou protégé de tissu uniquement du Démon. Celui-ci s'affaissa dans un râle de douleur.
Il posa ce genou à terre et entreprit de faucher les jambes de Wayne.
Le Batman esquiva l'assaut d'un pas en arrière.

Ra's se releva prestement. Si le coup de pied du Détective avait été appliqué d'un angle légèrement plus direct, le Démon aurait eu les ligaments croisés qui se seraient rompus. Il ne devait la survie de son articulation qu'aux restes de vitalité supérieure qu'un récent bain dans le Puits qu'il possédait au Japon lui avait laissé.
- Mourrez, je vous prie.
Il plaça ses deux armes dans la position "qui vise l’œil", une lame dans le prolongement de son regard, l'autre à hauteur de cœur, les jambes fléchies.
Il fit un pas vers son ennemi puis brisa prestement se garde dans un mouvement de cisaillement.

Sa cape formait d'étranges volutes alors que Wayne compensait son esquive en roulant. Le Détective n'avait effectivement aucun autre moyen de récupérer son équilibre que de jouer à l'équilibriste après s'être penché de la sorte. Mais il savait que ce mouvement le mettait dans un situation précaire, instable une fois arrivé sur ses pieds.
Alors que Ra's Al Ghul avançait pour faire correspondre son allonge à la position de son adversaire, il orienta sa lame droite en octave, la pointe vers le bas. Le coup désespéré du Batman rencontra l'acier du katana du Démon. Sa lame bloquée vers le bas, Ra's leva son sabre de gauche pour porter un estoc à la poitrine.
Ses dents trop blanches se découvrirent en un sourire bestial.
Mais, changeant son centre de gravité, Wayne fit encore une fois usage de ses jambes pour le faucher.
Le Démon s'écroula alors que son adversaire passait derrière lui. Optant pour la même technique que l'américain, Ra's posa une main au sol et inversa sa position, puis se retrouva lestement sur ses pieds. Une lame était de trop, il avait donc laissé le katana de sa main qui avait servi à la cabriole par terre.
L'immortel avait désormais son bras non armé dans le dos. S'il avait usé jusqu'ici d'une variante du kendo jusqu'ici, l'esthétique n'était plus de mise. De même que Bruce, Ra's avait étudié à peu près toute les manière de tuer son prochain avec de l'acier et il en découlait une technique personnelle parfaitement adaptée à son corps et à son arme de prédilection.
Wayne attaquait d'estoc, férocement. Sans finesse. Que...
Déviant sa garde au dernier moment, Ra's fit crisser l'acier contre l'acier et avança d'un pas. Les deux adversaires se trouvèrent littéralement nez à nez, le temps de plonger son regard noir dans les yeux bleus de Wayne une dernière fois, puis Ra's entama un mouvement tournant qui avait pour but de planter sa lame dans la colonne vertébrale de l'américain.
Son mouvement fut parfait. Aucun homme, vivant ou mort, aucune femme, aussi mortelle soit-elle ne pourrait échapper au trépas qui attendait le Détective. Les dieux de la guerre dansaient avec lui alors que Ra's Al Ghul, au sommet de son art, trouvait une paix qu'il n'avait pas ressentie depuis des millénaires semble-t-il. Dans l'enceinte de ce temple, dédié à un homme devenu plus qu'un homme, le vieux médecin arabe qui pensait tout savoir de la vie, qui pensait avoir tous les droits sentit son esprit devenir vide et clair. On ne trouve l'illumination que lorsque l'on arrête de chercher.
Et du haut de toutes ses vies antérieures, sa belle âme immortelle, jouissant par delà l’existence et la souffrance d'une vraie immortalité lui souffla : tu es trop vieux Azeem Ibn Sala.
Il stoppa son mouvement, de manière presque imperceptible. Pour Bruce, cela semblerait comme une ouverture, une faille dans la défense du Démon. C'était intentionnel. Il était trop vieux.

Wayne fut aussi combattif qu'il avait l'habitude d'être. Ra's fut pris en étau par ses coups puissants, balloté par la violence des impacts, indifférent à la douleur. Quand vint le coup fatal, le trouble de Bruce le fit perdre assez de force pour que sa lame ne s'enfonce pas dans la gorge de son adversaire, mais elle ripa sur la clavicule déjà touchée du Démon et pénétra ses chairs juste en dessous, ressortant de l'autre côté de sa poitrine. Ra's cracha un filet de sang ainsi empalé sur l'arme de son ennemi.
Quand le Détective avait senti que son ennemi faiblissait; il avait faibli lui aussi. C'était tellement typique des manières de cet américain assez fou pour que Ra's le considère comme un adversaire à sa mesure. Quel homme formidable. Quel idiot indécrottable.

Le Démon fut prit d'une quinte de toux sanglante alors qu'il s'abimait à terre, mortellement blessé. Combien de fois avaient-ils rejoué cette scène ? Quel que soit l'attrait dramatique d'un tel duel, Ra's devait convenir qu'il était grand temps que cette série d'affrontement où Bruce gagnait à chaque fois s’arrête. Que la légende de Ra's Al Ghul ait une fin digne de lui.
- Abattu par mon plus grand ennemi...

Un filet de salive sanguinolents s'échappait de la bouche du vieux médecin arabe, et son vêtement se gorgeait de sang à grande vitesse. Batman pouvait distinctement entendre un léger sifflement provenir de la large entaille dans laquelle était enchâssée son épée à chaque fois que Ra's expirait.
-Il me semble que j'ai déjà joué dans cette pièce... Détective, je vous félicite. Votre promptitude à m'occire vous honore... comme d'habitude.
Le corps du Démon s'agita de tremblements impressionnants.
- Je vous... ai promis quelque chose il me semble ? ... Dites à vos troupes de passer à l'action. La Ligue... reviendra, elle reviens toujours. De même que moi, malheureusement.
Une centaines de pointeurs lasers apparurent, caressants l'armure noire et grise du Détective. Ah, oui, c'est vrai. Ra's avait oublié qu'ils étaient là. Ils ramèneraient son corps au Puits dans les caves qui entourent le Mont Fuji.
- No.. Non...
Il ne lui restait plus beaucoup de temps.
- Dans le coffre, un dispositif de... données avec les coordonnées... de la bo... bombe.
Il avait désespérément envie d'expliquer son geste à Bruce, qu'il se rende compte qu'il avait enfin gagné, mais l'immortel était vidé de toute force. Il s'enfonça bientôt dans les ténèbres de l'inconscience, avec une pensée horrible. Ils allaient le ressusciter. Ra's Al Ghul ne voulait plus qu'on le ressuscite. Il avait échoué, il acceptait son échec.
Qu'on le laisse reposer enfin en paix eut été son plus grand souhait.
Mais d'autres actes devaient encore être joués.

[Ra's sera plongé dans un puits à la suite de cette rencontre, mais ne gardera aucun souvenir précis de son illumination. C'est en voulant combler le vide qui reste dans sa mémoire qu'il va acquérir la sagesse avec laquelle il reviendra à Gotham. Encore désolé pour mon temps de réponse ces derniers temps, et merci pour ce duel]