"Richard."

La voix de Bruce arriva aux oreilles de Nightwing avant le son de ses bottes qui claquaient sur le sol nu de la Batcave. Il n'était pas revenu ici depuis qu'il avait amené Rachel après son enlèvement, mais était satisfait de l'état dans lequel la jeune femme avait laissé l'endroit. Il avait donné rendez-vous ici à son ancien protégé pour pouvoir discuter de son avenir, lui qui avait été relativement absent de la scène locale ces derniers mois pour une présence active au sein des Teen Titans. S'il n'avait rien contre l'affiliation de l'ancien Robin à ce groupe, il avait été troublé qu'il ne vienne pas plus tôt - mais l'univers avait sûrement dû être sauvé quatre ou cinq fois par lui pour compenser.

"La base de données de l'ordinateur central est accessible de cet ordinateur."

Son ton était calme, posé. Il s'avança suffisamment pour être à deux pas à peine de Nightwing. Debout, droit, il semblait serein même si la grosseur de son bras droit, bionique, était évidente. Son visage lui-même, malgré l'extrême neutralité de son expression, montrait les cicatrices de son combat avec Killer Croc. Si l'oeil bionique n'était pas visible, celui-ci analysait constamment les données de l'environnement de son propriétaire ; et il était en train de découvrir que Grayson était toujours en excellente forme physique, selon ses derniers relevés.

"Tu trouveras ce que tu veux sur Arkham City en quelques instants."

Lentement, Wayne croisa les bras en fixant l'ancien Robin. Il l'avait contacté sur leur fréquence personnelle pour lui demander de le rejoindre ici pour discuter - du futur. Depuis ces derniers mois, l'enfer avait régné dans sa vie : l'avènement de Killer Croc à la fonction de maire, sa chute, la mise en place de Quincy Sharp qui transformait un projet fou en Arkham City, ses défaites, son échec face à Killer Croc, sa mutilation, son humiliation... puis le retour, difficile, qui impliquait de reprendre sa place dans la cité sans y parvenir réellement.
Seul le soutien de Rachel lui avait permis de tenir. Et maintenant qu'Alfred était de retour, finalement vivant malgré ce qu'il avait fait croire à tous, et même à lui, Batman voulait mettre les choses au clair avec l'ancien Jeune Prodige. Celui qu'il considérait le plus comme un fils avait toujours une place particulière dans son coeur - et il comptait plus qu'il ne le penserait jamais.

Maintenant que Sonatine avait été chassé de la ville, malgré toutes les douleurs et tous les drames que cela avait impliqué, Bruce savait qu'il devait aller de l'avant. Après son rendez-vous de la veille avec Diana et Kal, il voulait assurer ses arrières avant l'Opération - d'où leur présence ici. Et la demande qu'il avait à soumettre à Dick, si la conversation tournait dans le sens qu'il le voulait.

"Je suis... heureux de te savoir de retour ici. Gotham a besoin de toi. J'ai... besoin de toi."

Une révélation rare, mais Rachel lui avait appris à plus s'ouvrir et la fausse disparition d'Alfred lui avait fait comprendre l'importance de dire les choses, pas seulement de les penser. Il espérait que Dick serait également de cet avis.

(HJ/ C'est le but du sujet ! /HJ)

Nightwing put alors sentir une présence sur son épaule. En se retournant, il pourrait découvrir que Batman avait posé sa main valide, la gauche, sur lui. Son visage, recouvert de cicatrices, offrait même un embryon de sourire à son ancien protégé. Il avait su combien celui-ci avait souffert ces derniers mois, et s'il n'avait pas été suffisamment occupé de son côté il aurait fait le premier pas pour venir soutenir Grayson. Hélas, lui-même avait été anéanti par ses propres drames, et aucun n'avait pu être là pour l'autre ; il le regrettait amèrement.

"J'aurais... aimé que le mariage se déroule différemment, Richard. J'aurais apprécié être invité, mais j'aurais volontiers renoncé à ce privilège pour te savoir heureux. Cette crise avec Koriand'r, la disparition de Donna... ce sont des événements terribles. J'aurais... voulu te les éviter, et te soutenir. Hélas, je n'ai pas ce pouvoir - et je n'en ai pas eu l'occasion."

Sa voix était calme, presque douce. Voir son ancien élève dans un tel état de fatigue morale était troublant, surtout après tant de distance et de temps entre eux. Même si Dick avait voulu suivre son propre chemin et que des mots, durs, avaient été prononcés, Wayne gardait toujours un attachement certain pour lui. Jason, et puis surtout Tim, avaient pris le relai de Robin, mais Grayson demeurait le premier - son véritable fils, même s'ils n'avaient aucun lien de sang.
En ce sens, savoir que Nightwing souffrait était difficilement supportable pour lui, mais moins que l'idée de ne pouvoir rien y faire.

"Nous... sommes habitués aux malheurs et aux drames, Richard. Les pertes de nos parents et les existences que nous nous sommes choisis nous obligent à encaisser plus que quiconque, et nous côtoyons la mort et les ruptures chaque jour. J'espérais que tu avais trouvé chez les Titans un échappatoire, un groupe, une famille qui t'offriraient ce que j'ai été incapable de te fournir. Même si votre expérience ensemble pour le moment est, actuellement, un échec, sache que tu as été et tu as fait plus que je n'ai jamais pu et osé. Je suis fier de toi, Richard. Et je suis heureux que tu sois ici."

Il esquissa à nouveau un sourire en fixant Nightwing, avant de retirer sa main et de faire le tour de l'ordinateur, pour se placer devant son interlocuteur. Sa voix se fit plus sérieuse, plus concentrée.

"Quelle est ta position par rapport à moi, Richard ? Ces derniers mois ont été intenses et violents ici, et plusieurs justiciers ont décidé de s'élever contre Quincy Sharp et ses alliés. Cependant, avec l'enfer que vit la ville, certains ont décidé d'adopter des méthodes plus violentes et de se rebeller contre mon autorité. Actuellement, je suis en train de classer ceux qui sont avec moi, et ceux qui sont contre moi - ceux que je devrai stopper en même temps que les criminels. Ma question est simple, Richard : es-tu avec moi ?"

Le Chevalier Noir n'était pas naïf : il savait que Grayson était informé de l'influence grandissante en ville d'Azrael, et de sa brouille avec lui sur les méthodes de Jean-Paul Valley. Depuis que Batman avait recueilli Midnight et Caducée, plusieurs justiciers avaient décidé de prendre leur indépendance : si les Birds of Prey étaient autonomes mais ne rejetaient pas l'appui et son aide, d'autres comme l'Iroquois, Tommy Smith, Question, le Lynx étaient de vrais rebelles et étaient considérés, par lui, comme des adversaires. A voir ce que l'ancien Jeune Prodige allait décider.

Les mains posées sur l'ordinateur entre eux, Batman avait écouté avec intérêt les paroles de Nightwing. Se concentrant sur les réactions de son ancien protégé, il espérait décoder autant son langage oral que ses mouvements, ses attitudes pour savoir s'il jouait franc-jeu ou non ; heureusement, Dick lui disait bel et bien ce qu'il pensait, ce qui était malheureusement devenu rare avec ses interlocuteurs depuis quelques semaines.

"Je te remercie de ta franchise."

Son ton était calme, et sincère. Il se rendait compte que, ces derniers mois, il n'avait accepté que très peu de critiques, encore moins que d'habitude. Lui qui était évidemment réfractaire à certaines remises en question les refusait presque toutes, se mettant à dos des alliés, des amis et des camarades parce qu'il avait refusé de donner les bonnes réponses aux bonnes questions. La présence et le discours de l'ancien Robin lui faisaient du bien, parce qu'il ne pouvait l'accuser de manipulation ou de tromperie : même si cela avait été régulièrement difficile entre eux, il savait que Grayson ne le trahirait jamais - ou alors uniquement pour son bien.
Comme Alfred, son ancien pupille l'avait manqué - et il était heureux de son retour.

"Et je ne te veux pas sous mes ordres."

Un léger sourire passa rapidement sur son visage usé.

"Je suis... heureux de te savoir dans de telles dispositions. Beaucoup de justiciers ont dû assurer l'intérim durant mon absence, et la situation a été difficile pour eux. De plus, je n'ai pas toujours été assez... ouvert à leurs douleurs, leurs échecs et leurs propositions, surtout après mon retour. Ma défaite a été une étape complexe à encaisser et à assumer, et je n'ai pas eu le temps et l'envie de les ménager. Beaucoup se sont retournés contre moi, car ils ne supportent plus ma façon de faire - surtout avec eux. La majorité d'entre eux est composée de personnes dignes, honorables, mais qui doivent être guidées pour qu'elles ne deviennent pas ce qu'elles combattent."

Sa prise sur l'ordinateur se fit plus forte, plus sûre. Ses yeux blanchâtres se rétrécirent, tandis que son discours prenait un ton plus sérieux.

"Je voudrais que tu les guides, Richard. Je voudrais que tu prennes le relai - que tu formes une équipe, composée de justiciers au fort potentiel et qui ont besoin d'un allié, d'une référence solide. Et je veux que ce soit toi."

Il laissa un petit silence, pour marquer l'annonce, avant de reprendre, avec une voix plus sèche, pour pointer directement ce qu'il voulait dire.

"Et pour Alfred... je n'ai appris son retour qu'il y a quelques jours. J'aurais espéré te voir ou t'entendre quand il a disparu et quand j'ai été blessé. Les communications vont dans les deux sens, Richard."

Bruce sourit aux réflexions de son ancien protégé : Dick avait un sens de l'humour spécial, mais il savait combien il avait besoin de desserrer la pression par ce genre de réflexions. Il s'était habitué à ce genre de réactions chez lui, et il commençait même parfois à apprécier certaines remarques.
Cependant, son sourire disparut alors que Nightwing évoquait ses craintes quant à son prochain rôle. Il s'en était douté, il avait préparé ses arguments.

"Nous avons tous deux connus plusieurs échecs, Richard. Récemment, j'ai été vaincu, mutilé et humilié ; auparavant, mon dos a été brisé par Bane ; encore avant, nous avons perdu tous deux Jason. Toi, tu viens de perdre la femme que tu aimes et ta meilleure amie. Ton équipe vient d'être dissoute. Pourtant, tu es revenu à Gotham City comme Nightwing, pour lutter contre le crime ici et pour faire la différence. Tu ne baisses pas les bras - comme moi, j'ai essayé de ne pas le faire lors de mes propres échecs."

Sa voix était calme. Ses yeux fixaient la silhouette de Grayson devant lui, comme pour le convaincre encore plus.

"Les Titans n'existent plus - pour le moment. Votre groupe est peut-être terminé, mais il y en aura d'autres. Les Titans étaient une équipe et une famille, mais elle est avant tout un concept, Richard. Quand Donna, Roy, Garth, Wally et toi avez fondé sa première version, vous vouliez grandir et évoluer ensemble - et vous avez également dissous le groupe. Après, une version de la Côte Ouest a été créée avec Bett Kane, Bumblebee, Lilith, Hawk, Dove, Guardian, Aquagirl et Golden Eagle ; le groupe a également été dissous. Enfin, Raven a poussé à recréer l'équipe avec Donna, Koriand'r, Garth, Victor, Jason, Wally et toi - et voilà que tout est terminé. Pour l'instant."

Batman fit un pas en avant, pour se rapprocher encore de son ancien Robin.

"La Justice League a déjà été dissoute ou mise en pause, avant que certains événements poussent des êtres hors du commun à s'unir pour protéger le monde et l'Humanité. La vie... nos vies sont remplies de cycles, Richard. Parfois, nous perdons - et nous remontons la pente alors. C'est ce qui nous caractérise le plus. Les Titans n'ont pas été dissous par ta faute : tu n'es pas responsable. Et la meilleure façon d'aller de l'avant, de surmonter tes remords et tes douleurs est de reprendre le rythme, d'aller de l'avant."

A ce moment-là, il se sentait plus "père" que jamais - et c'était très agréable.

"Les justiciers dont je t'ai parlé... ils ne me respectent plus. Ils ne veulent plus de moi. Et ils se méfient de moi. Certains ont leurs raisons, d'autres non - le fait est qu'une telle attitude n'est pas acceptable. D'une part, parce que je ne peux accepter ça ; de l'autre, parce qu'ils peuvent se mettre en danger avec de tels comportements, et je veux éviter cela.
Ils doivent apprendre, grandir, évoluer avec un guide qu'ils respectent, qu'ils apprécient et qui est plus humain que moi. C'est ce que tu es, Richard. Nous sommes proches - mais très différents sur la sociabilité et l'approche de l'autre. Ils ont besoin de toi, et j'ai besoin de savoir qu'ils sont pris en main par quelqu'un en qui j'ai confiance. Cette équipe doit être différente de moi... ses membres ne doivent pas savoir que je suis à son origine. Vous devez être sans moi, loin de moi. Cette équipe doit être autonome : elle doit être en dehors de ma sphère d'influence. (HJ/ en dehors = outside en anglais... je sais, je frime :lol: /HJ) Tu dois recréer les Outsiders, Richard. Cette ville a besoin de toi - et de vous."

Le Chevalier Noir se tut alors, laissant Grayson encaisser tout ça et prendre sa décision. Il espérait qu'il prendrait la bonne.

"Beaucoup ont tenté de me tuer, Richard : aucun n'a réussi. Je me suis relevé de la colonne brisée, je me suis relevé de mutilations : crois-tu vraiment que je te laisserai ma place aussi finalement ? Il te faudra beaucoup plus pour m'avoir... fils."

Bruce sourit, sincèrement et réellement. Il posa sa propre main valide sur le bras de Nightwing, appréciant tant les paroles que le geste. S'ils avaient eu leurs différences et leurs oppositions, il était heureux de découvrir que son ancien protégé savait passer au-delà de tout ça.

"Et je suis fier de toi."

Les mots étaient difficiles à sortir, mais il se força : Grayson le méritait. Il avait souffert, il avait dû faire face à de grosses épreuves et avait dû supporter ses propres règles, son propre "fanatisme", en un certain sens. Il avait été plus fort que beaucoup et parvenait encore à entretenir de bonnes relations avec le Chevalier Noir, ce qui était loin d'être simple dans leur monde. Il méritait que son ancien mentor fasse des efforts... qu'il lui avoue clairement ses émotions.
Cependant, ce moment filial disparut quand Nightwing demanda de choisir lui-même les membres de son équipe. Voeu prévisible et légitime, qu'il avait évidemment appréhendé en tentant d'accepter au mieux la volonté de Grayson. Ses yeux blanchâtres se rétrécirent légèrement, avant que le ton de sa voix reprenne un peu plus de sérieux.

"Ce sera ton équipe, Richard. Je ne veux pas la gérer, je ne veux pas la manipuler, je ne veux pas vous contrôler. Ma seule volonté est de réunir des justiciers en devenir, des justiciers qui peuvent exceller mais qui sont perdus. Dans la base de données du Batcomputer, tu trouveras différents profils que j'ai mis au point suite à mes rencontres, mais aussi suite aux rumeurs que j'ai pu entendre. Certains... certains de ces justiciers ne me semblent pas dignes de confiance, Richard, mais... je te fais confiance. Choisis qui tu veux, mais choisis bien : je ne veux pas que tu donnes une chance à ceux qui ne la méritent guère."

Wayne soupira, et recula. Leur entretien en venait à son terme, il le sentait : il n'avait plus grand-chose à dire, et était gêné lors des débordements d'émotion. Surtout, il savait que Grayson avait du travail devant lui pour créer ses Outsiders, et le connaissant il ne voudrait perdre aucune seconde.

"Les fichiers du Batcompter comportent également l'adresse d'un entrepôt d'apparence abandonné que j'ai fait rénover, pour accueillir un groupe d'une demi-douzaine de personnes. Chambres, salle de réunion, pièce d'entraînement, ordinateurs : ce n'est guère luxueux, mais cela devrait vous permettre de fonctionner au mieux - et sans symboles de chauve-souris."

Un léger sourire passa sur son visage alors qu'il reculerait vers les ténèbres qu'il affectionnait tant.

"Bon courage et à bientôt, Richard. Je suis... heureux de te savoir ici."

Bruce disparut alors dans les coins sombres de la Batcave, passant par des couloirs secrets que Nightwing ne connaissait pas - ou pas encore. Son ancien mentor avait réellement des difficultés à tenir de longs dialogues, mais celui-ci avait été plus agréable et touchant qu'il ne l'avait cru. Une bonne chose, et la certitude que la ville serait prise en main par les Outsiders même s'il lui arrivait quelque chose. Demain, il irait à la Forteresse de Kal-El... et tout changerait, alors ; dans un sens ou dans l'autre.

(HJ/ J'en ai terminé, je ne voyais pas comment continuer. J'ai aimé cet échange, à bientôt ! /HJ)

:arrow: Hôtel de Ville.

Quarante minutes s'étaient écoulées depuis l'apparition brutale et remarquée de Batman à la conférence de presse de Quincy Sharp. Après avoir fui l'Hôtel de Ville, il avait abandonné ses poursuivants grâce aux dernières armes de la Batmobile. Les membres du G.C.P.D., de l'unité DeadLight, des troupes Tyger et des nouveaux gardes Arkham avaient tous été floués par les projectiles d'épaisse fumée noire, les clous, les bombes et le nouveau système de vol du véhicule. Directement inspiré d'un vieux film de Science-Fiction et d'humour français, il avait été développé pendant des années et avait ici accompli son premier test avec succès.

Midnight avait été déposée dans un coin d'Arkham City, proche d'une des sorties arrangées par son mentor pour rentrer et sortir discrètement. La Batmobile avait ensuite ramené son propriétaire et sa cargaison "sensible" près de la Rivière Finger, où le véhicule avait été garé discrètement pour ne pas attirer l'attention.
Sans ménagement, son pilote avait sorti et emmené son otage dans la Batcave, suivant avec calme et sérénité les procédures pour pénétrer dans son annexe. Celle-ci avait été donnée à Nightwing pour gérer une partie d'Arkham City, mais maintenant que son protégé était en train de créer de nouveaux Outsiders, il n'avait plus la même utilisation du local - surtout qu'il lui en avait donné un autre. En pénétrant dans sa propriété, Bruce jeta avec violence Quincy dans une des cellules, la ferma et retourna aux ordinateurs pour changer les codes d'accès et les autorisations.

Maintenant, et jusqu'à ce que "l'invité" soit parti, uniquement Wayne pouvait rentrer ici.

Il se tourna alors calmement vers Sharp, qui tentait de se relever. Son visage était en sang après sa chute brutale dans la cage, qui faisait environ deux mètres de haut sur deux mètres de large. Totalement dénuée d'aménagement, elle était austère, vide, sale et humide. Toute la Batcave demeurait dans le même état que précédemment, et son créateur s'empara d'une chaise pour la poster devant la cellule de Quincy.
Une dizaine d'autres cages similaires étaient autour de celle-ci, mais totalement vides. Il n'avait pas encore eu l'opportunité d'amener un prisonnier ici, ayant préféré jusque-là la grande structure de la Batcave dédiée. Il appréciait l'idée de pouvoir tester ces conditions avec une telle ordure.

"Quincy Sharp."

Le Chevalier Noir s'installa sur la chaise, joignant les mains en se penchant en avant. Son prisonnier s'était finalement assis sur le sol, en tailleur, les paumes posées à plat sur ses genoux. Il avait enlevé sa veste, ouvert quelques boutons de sa chemise et fixait avec un calme exceptionnel son kidnappeur ; celui-ci comprit immédiatement ce qu'il se passait.

"Non. Amadeus, n'est-ce pas ?"

"Tout à fait."

Sa voix était différente, plus profonde, plus étrange que d'habitude : Quincy Sharp n'était plus dans son état normal - n'était plus lui-même. Il était en proie à sa schizophrénie, et sa deuxième personnalité prenait le dessus. Quincy Sharp, l'homme qui se prenait pour Amadeus Arkham, défiait directement l'homme le plus dangereux de Gotham City.

"Vous savez pourquoi vous vous trouvez ici."

"Vous voulez m'impressionner. Impressionner la ville. Prouver votre valeur. Laver votre honneur. Marquer votre retour. Et surtout... me faire payer tout ce que je vous ai fait subir ces derniers mois."

"Vous savez."

"Depuis plusieurs mois. La déduction ne fut pas difficile pour un homme doté de mes capacités et de mes diplômes... monsieur Wayne."

"Je vois."

Quincy/Amadeus avait donc deviné sa véritable identité, ce qu'il avait soupçonné depuis quelques jours - depuis qu'il avait compris quels troubles habitaient le tyran de Gotham City. Si Quincy/Amadeus était persuadé de sa supériorité intellectuelle grâce à ses "formations", il avait en réalité dû découvrir son identité grâce aux dossiers et aux témoignages des différents internés de l'asile. Recouper les informations dans sa psyché malade avait dû suffire, malheureusement.

"Vous avez sali ma réputation. Vous avez essayé de détruire mon entreprise, héritage centenaire de ma famille. Vous avez voulu assassiner Alfred Pennyworth, l'homme que je considère comme mon père - vous n'avez finalement réussi qu'à le blesser quasiment mortellement. Vous avez profité de mon absence pour faire tomber Gotham City dans le chaos et l'anarchie. Vous avez provoqué la fin de la civilisation ici. Vous avez provoqué des milliers de morts, directement et indirectement. Vous avez tenté de faire tuer Rachel Dawes, autant pour son action d'assistante du procureur que pour notre relation passée. Et enfin, vous avez voulu enlever les cercueils de mes parents pour me montrer votre puissance.
Vous avez agi ainsi pour me faire du mal, en tant que Batman et Bruce Wayne. Est-ce exact ?"

"Tout à fait."

Le ton de Batman avait été froid et autoritaire. Ils se fixaient, et le propriétaire des lieux tentait de se maîtriser en face d'un de ceux qui lui avaient fait le plus de mal dans toute son existence. Se calmer était vraiment ardu.

"Vous êtes Quincy Sharp, un homme si pathétique et inutile qu'il n'a jamais su réussir quelque chose dans son existence ou s'assumer complètement. Vous êtes un être si minuscule que votre insignifiance vous a fait perdre l'esprit : vous vous prenez maintenant pour votre héros, un psychiatre s'étant enfoncé dans la folie après avoir tout perdu. Et vous avez voulu prendre le pouvoir dans cette ville pour la protéger avec vos méthodes brutales et sadiques, directement inspirées des dernières pratiques d'Amadeus Arkham avant son internement.
C'est pour cela que vous m'avez visé : pour détruire l'être qui aurait pu vous arrêter, et qui était plus populaire que vous. Est-ce exact ?"

"Tout à fait."

"Bien."

Wayne enleva lentement son masque et sa cape, les faisant glisser sur le sol en craquant sa nuque. Désormais dépossédé de deux attributs fondamentaux du Chevalier Noir, il continuait de fixer son interlocuteur, qui ne cillait pas d'un pouce.

"Parlons maintenant du futur de Gotham City, Quincy. Parlons maintenant de votre disparition, Amadeus."

Et une longue, très longue discussion, commença alors.

"As-tu tout compris ?"

"Oui, maître."

"As-tu abandonné les principes creux que tu servais ?"

"Oui, maître."

"Que vas-tu faire, maintenant ?"

"Sortir, retrouver l'extérieur et lutter pour vous. En portant fièrement vos couleurs."

"Bien. Va, maintenant. Laisse-moi ici, pour que mes fidèles attendent impatiemment mon retour. Va porter ma parole."

"Merci, maître. Merci pour le don de la connaissance."

Bruce Wayne, un genou à terre devant la geôle toujours fermée de Quincy Sharp, se releva lentement. Depuis cinq jours, les deux adversaires avaient discuté, échangé et avaient tenté, l'un après l'autre, de se convaincre et d'achever mentalement l'ennemi ; l'un d'entre eux avait réussi. Hélas, ce n'était pas celui que la ville avait espéré.

Amadeus Arkham, la personnalité schizophrène de Quincy Sharp, avait réussi à vaincre le Chevalier Noir dans leur bataille mentale. Alors même que le parasite psychique était issu de l'esprit étriqué et malade d'un homme insignifiant et ultra-timide, l'être qui se croyait bien être le fondateur du célèbre asile avait fait chuter l'homme qui luttait pour la survie de la ville depuis une dizaine d'années. Il était parvenu à accomplir ce qu'aucun de ses adversaires n'avait espéré... il avait triomphé et fait de Batman son esclave.

Celui-ci n'était désormais qu'un automate, comme le NKVDemon. Pire encore, Amadeus/Quincy avait voulu montrer au monde entier que le protecteur de Gotham City était désormais à lui et l'avait forcé à créer, avec les moyens du bord, une nouvelle forme de costume pour prouver à tous qu'il était différent. Avec des couleurs bariolées et étranges, issues étonnamment de l'imagination même de Bruce, il semblait plus pathétique et risible qu'impressionnant ; Amadeus/Quincy adorait ça, surtout en voyant son esclave si fier de sa création.



"Tu connais désormais mes plans, comme mon autre lieutenant. Fais-en bon usage. Rends-moi fier."

"Oui, maître. Je serai digne de vous."

Batman fit un signe de respect et d'admiration envers Quincy/Amadeus, toujours enfermé dans sa cage. Depuis cinq jours, ils avaient discuté, échangé leurs points de vue et finalement prévu comment le Chevalier Noir servirait les plans de Sharp/Arkham. Bouffi d'orgueil, sûr de son évidente supériorité, il avait expliqué ce qu'il avait imaginé pour faire chuter la ville et prendre définitivement le pouvoir, et donné plusieurs missions à son nouvel esclave.

Bruce ouvrit, mécaniquement, la porte de sortie, laissant Quincy/Amadeus dans sa cage et dans ses réflexions ; il prévoyait déjà la suite, comment il redonnerait enfin le calme, la sécurité et la paix à cette ville perdue. Arkham City n'était que le début, il augmenterait son diamètre et ses méthodes pour sauver tout le monde - et la planète entière.
Quincy/Amadeus avait réussi à faire tomber le plus grand héros de la ville : le reste du monde ne lui faisait maintenant plus peur.

Wayne referma derrière lui la porte secrète de la Batcave et s'éleva rapidement dans les airs, avec son grappin. Accroupi sur un rebord de toit, en face de la Batprison. Emmitouflé dans son nouveau costume, plus calme et serein que jamais, son esprit était apaisé. Après avoir passé ces cinq jours loin des autres et de la civilisation, il voyait enfin clair sur tout : la ville, les gens, ses alliés... Quincy/Amadeus, évidemment. Il avait cru le connaître, mais avait enfin découvert qui il était réellement ; et il lui avait tout dit.

Calmement, Batman se releva et craqua sa nuque. Malgré le nouveau costume, plusieurs fonctionnalités demeuraient, notamment le lien de communication avec la Batcave. Il l'alluma et entra directement en communication avec Alfred.

"Alfred."

"Maître Bruce. Je me suis inquiété, au vu des enregistrements de la Batprison."

"Je comprends."

"Maître Bruce, avez-vous réellement... avez-vous réellement subi les paroles de cet homme ? Dois-je m'inquiéter ?"

"Non, Alfred. Malgré l'arrogance et la supériorité d'Amadeus Arkham, Quincy Sharp n'est pas et ne sera jamais le psychiatre de génie qui a fondé l'asile il y a pratiquement un siècle. Ses paroles sont plutôt bien tournées, mais manque du réel apprentissage et du réel talent de manipulation de l'original. Il n'a à aucun moment réussi à me convaincre et à m'avilir."

"Je vois. Vous avez donc appris ses plans en lui faisant croire qu'il parvenait à vous vaincre."

"Bien sûr. Il m'a confié ses projets et m'a donné des missions. Je vais continuer un peu à lui faire croire que je suis ses plans, mais bientôt il se rendra compte qu'il a échoué."

"Et vous le détruirez moralement quand il découvrira son échec."

"Pas uniquement physiquement : il est allé trop loin, Alfred. Il a trop fait souffrir la ville, et a été trop loin dans sa lutte contre moi. Je ne peux pas accepter cela... je ne peux pas le laisser s'en sortir ainsi. Il est trop dangereux, et il en a trop fait."

"Maître Bruce... qu'allez-vous faire ?"

"Encaisser. Devenir le paria, l'exclu. C'est ce que vous m'avez conseillé, et ce que je comprends maintenant. Je dois faire les choix que personne d'autre n'a le courage de faire. Je dois me sacrifier, à nouveau, pour Gotham City. Je rentre bientôt, Alfred. A bientôt."

Batman coupa immédiatement la communication et s'envola dans les airs, avec son grappin et son étonnant costume. La lutte contre Quincy Sharp/Amadeus Arkham ne faisait que commencer - et il ne savait pas encore où il accepterait de s'arrêter, cette fois-ci.