Les élections devaient être l'opportunité pour Shreck de renouveler son mandat, tout comme de renouveler éventuellement son carnet d'adresse. Carmine, qu'il avait dû affronter pendant sa campagne avait été évincé, mais ses dix pourcent le rendait intéressant aux yeux et à la calculatrice de Maximilien. Dire qu'il n'aimait pas l'italien était une erreur, publiquement, il ne pouvait pas trop se montrer en sa compagnie, les sondages ne l'appréciaient pas outre mesure, mais c'était un businessman, dans l'occulte et baignant dans des affaires louches, mais quel homme d'affaire n'avait pas sa petite part de mystère?

Le fait que le "Parrain" de la ville n'ait jamais été conduit face à un tribunal le rendait au fond, sympathique, il était manipulateur sans doute et retord, en cela il lui rappelait lui. Maximilien s'était cependant racheté une petite conduite en faisant le mieux pour cette ville, car derrière les rouages de l'homme sans scrupule, il se terrait un administrateur qui refusait de laisser à vaux-l'eau un édifice tel que la Mairie de Gotham, surtout lorsque ces efforts impliquaient un bon salaire et de quoi aider au mieux le libéralisme qui l'avait créé, c'était presque un devoir pour lui. Carmine était, selon son programme un républicain, second point fort, il croyait en Dieu et en la puissance d'un Etat fort qui puisse toujours avoir le dernier mot en cas de faiblesse de la Société. Shreck ne croyait pas en un Etat tout puissant, mais il croyait en sa force appuyée par les fabriques d'armes et des valeurs comme le pétrole, le dollar et son drapeau.

Le rendez-vous qu'il avait donné à l'homme était un rendez-vous qu'il espérait de longue date, enfin la possibilité de parler à coeur ouvert avec cet homme sous couvert d'une possible alliance politique, il s'attendait à bien plus. Maire de Gotham avait du bon, mais c'était une antre de solitude et quiconque acceptait ce siège se retrouvait rapidement seul, Sharp avant lui en avait fait l'expérience, il lui fallait de nouveaux appuis. L'inertie des évènements qui avaient frappé la ville ne suffisait plus, il fallait être fort, stable et inébranlable mais sans soutient même la statue la plus impressionnante au monde pouvait s'effondrer.

Maximilien avait préparé le bureau du Maire pour cette visite. Il avait ouvert son bar et comptait discuter agréablement, peut-être se faisait-il des illusions, mais au moins le goût du cognac couvrirait sa déconfiture. Il soupira d'aise en regardant au travers de la vitre. La politique avait été créée pour lui, faux-semblant, des kilomètres de papiers et de chiffres, tout se résumait à aider les autres en faisant de la gestion pour eux. Qui ne pouvait pas se réjouir de cela? Des statistiques, des décisions, des gens qui vous obéissent et cherchent à vous aider parce qu'ils savent, sans forcément vous aimer, qu'ils vont dans la bonne direction grâce à vous. Bon, il y avait toujours quelques ratés et il fallait revenir de temps à autre sur des décisions et des projets, mais tout était là, sa vie, du pouvoir, de l'argent et la gestion de ressources humaines que l'on assimilait à des chiffres. Peu lui importait qu'on l'aimait, il travaillait bien, vite et surtout avec ardeur.

L'horloge de la salle sonna, son rendez-vous devrait bientôt arriver.

Le "Romain" entra dans la pièce avec ce qui s'apparentait à un orgueil bien mal placé. Shreck conserva sa tenue et salua très aimablement Carmine malgré sa froideur. Il l'invita fort chaleureusement à prendre un siège. L'entrevue commençait au moins sans une petite pique qui aurait gravement nuis à la suite des opérations, parfois la vie savait prendre le chemin qui simplifiait quelques menus détails. Cet homme aurait pu gagner la mairie s'il avait fait montre de plus de clairvoyance dans son programme, il avait été agressif, violent même et la population était gavée par tout cela, elle avait besoin de quelqu'un qui lui fasse espérer. L'italien ne leur avait pas donné cela dans son programme, il leur avait asséné la réalité la plus dure et avait collé leur visage devant le spectacle désolant de leurs petites vies.

S'il fallait lui donner un conseil en tout bien tout honneur, Maximilien lui aurait sans hésitation dit qu'il devait montrer le visage que la population pouvait voir en lui, Dieu et l'amour de l'autre était un bon point, la peine de mort non, il aurait dû la glisser dans un bel enrobage, comme le Corps des Marshall et les policiers qui peuvent tirer à vue. La politique c'était une question d'image et de résultats, l'on pouvait gagner des guerres rien qu'avec une bonne phrase pour décrire une horreur. Shreck soupira d'aise et se dirigea vers son bar. Son invité avait visé juste, ils n'étaient pas là que pour fumer et boire en riant, ils étaient là pour affaire.

- Puis-je tout de même vous proposer un verre? demanda-t-il très poliment en tendant une main vers le cognac. Les affaires sont généralement moins pénibles un verre à la main et un cigare allumé. Mais puisque vous ne désirez pas aller par quatre chemins, parlons peu, mais parlons bien.

Le Maire regarda à son tour les visages qui se déroulaient sur un mur, des perdants, aucun n'avait été jusqu'à voir plus loin qu'un mandat, ils avaient louvoyé et tangué jusqu'à chavirer corps et âmes. Il ne se reconnaissait en chacun d'eux, lui avait prit le cap et le navire avait tenu bon, quoi qu'il ait dû lui en coûter. Toute victoire relevait de son lot d'inconnues et de sacrifice. Il en faisait aujourd'hui beaucoup, peut-être trop même pour vaincre dans ce sprint, il essayait toutes ses armes : prendre son adversaire de vitesse, attirer l'attention vers lui, il s'épuisait, il le sentait et cette entrevue serait fatigante malgré les espoirs qu'il fondait en elle.

Il contempla un instant verre qu'il s'était servit avant de se retourner vers son invité.

- Nous sommes tous deux des gens qui avons le même but, même si nous n'employons pas les mêmes moyens. Je ne parle naturellement pas de Gotham ni de cette mairie, je parle d'une chose qui subordonne ces leurres qui satisfont avec une certaine réussite notre charmante population. Je parle de pouvoir et d'influence.

Le maire laissa un temps l'idée faire son chemin, pas question de sinueuses conversations statistiques, il les réservait au procureur. L'heure était venue de montrer qu'il n'était pas le petit politicien que l'on aurait pu croire. Il avait des projets et si le siège de Maire était une proie actuellement alléchante, il allait devoir jouer de tout un nouvel éventail de solutions pour sa prochaine ascension. Lentement il fit crisser le cuir de ses gants et observa l'allure minable de Sharp, comment cet imbécile avait en son temps réussit là où il commençait lui-même à lutter?

- J'imagine que vous voyez exactement où je veux en venir.

La stratégie du franc-parler avait fait mouche au grand soulagement de Maximilien Shreck qui tendit à Carmine un verre d'alcool dont la pureté cristalline reflétait le prix. Le Parrain se donna lui-même le nom de "truand", il n'aimait pas beaucoup cela, en affaire il n'y avait pas de méchants, pas de gentils, il y avait des antagonistes et du jour au lendemain une querelle s'oubliait à grand renfort de chèques, malversations et cotations en bourse. L'argent n'avait ni Dieu ni Maître, elle passait de main en main et sa seule existence se justifiait par les transactions. Ces liasses de billets verts ne servaient qu'à cela: transiter. Qu'importe l'endroit où elles finissaient, elles en repartiraient tôt ou tard.

En tant que businessman occulte, puisque Shreck préférait cette dénomination pour le grand manitou des bas-fonds de Gotham, Carmine Falcone devait être confronté à des problèmes de blanchiments d'argent, des problèmes qui peuvent être réglés en toute discrétion et de façons tout à fait légales (comprenez que pour Maximilien ce qui permettait aux richesses de circuler se justifiait toujours). Mais il y avait un autre avantage, si Carmine était réputé, c'était aussi pour être dur envers l'infidélité et d'un soutient indéfectible envers ses alliés, il serait un poids non négligeable dans la tenue de cette ville, surtout si les évènements venaient à prendre un cap trop sensible. Les affaires portuaires semblaient intéresser au plus haut point le Romain, quoi de plus normal, n'avait-il pas lui-même prit la porte de la vente d'arme dans les institutions publiques pour écouler certains stocks de Shreck's Industries?

Falcone Import était une entreprise que la police surveillait de très près, le fisc s'interrogeait sur ses fonds, mais depuis la mairie, elle aurait une meilleure latitude pour agir et les prochains travaux de rénovations du port lui serait entièrement bénéfique. Shreck réfléchissait, un Conseil de la Ville des Etats-Unis était composé en réalité de deux chambres, un comité permanent qui durait le temps de deux élections, avec impossibilité de renvoie sauf motion de censure émanent d'une plainte officielle du maire et soutenu par le Procureur de l'Etat, ratifiée par le Gouverneur. C'était une démarche lourde, quiconque se retrouvait à cette place était tranquille (sauf meurtre ou décès prématuré), Carmine serait probablement satisfait de ce genre de position. La seconde chambre, elle, était une chambre renouvelable par vote du Conseil, elle permettait aux maires de brasser l'opposition lorsqu'elle était trop forte. Shreck n'avait jamais eu recours à ce genre de manœuvre, et heureusement. Il avait à l'époque choisit les bons collaborateurs.

- Monsieur Falcone, fit Shreck en tirant un cigare de sa poche et en le tendant à son invité, je suis ravi que nous convergions vers un arrangement de façon aussi directe. Votre proposition, non contente de me satisfaire, m'enchante au plus haut point. Comme vous le savez sans doute, j'ai dans mon programme la ferme intention de rénover le port et quiconque pourrait prendre le coche avantageusement se verrait octroyer les plus belles parts dans ce projet. Du reste, les responsables de la zone portuaire ont toute autorité sur les échanges et la régulation de certains trafic dans l'enceinte du port. Et il est temps que nous mettions, des hommes de terrains à cette position. Vous avez un profil clairement adapté à ce genre de projets. Je serais fou de refuser votre offre et vous avouerais moi-même que cette Talia Head et son programme à la limite du communisme m'inquiète.

Carmine parla de SA ville, Shreck considérait qu'elle était aussi la sienne mais comprit finalement qu'en tant que Maire ses plus sincères efforts pour la maîtriser furent souvent vain, pouvait-il seulement entrevoir une solution à tous les problèmes de cette dernière? Le Parrain pouvait sans doute aussi légalement que Shreck revendiquer la possession de la ville, la rénovation était cependant nécessaire, mais dans le sens où les puissants de cette cité le choisiraient et aujourd'hui les puissants étaient réunis dans ce bureau. Shreck leva son verre.

- Pour que Gotham soit demain plus à notre goût, trinqua-t-il. Que cet accord soit le début d'une grande collaboration.