Il était tard, aujourd'hui. Ou plutôt il était tôt. A minuit et demie, il n'y avait pas grand monde dans les rues, et au commissariat central de Gotham, il ne restait que les policiers de garde. Le bâtiment avait beaucoup souffert de l'attentat perpétré dernièrement, mais des panneaux dirigeaient les visiteurs vers une aile qui avait été à peu près épargnée, et où s'activaient toujours des agents de l'ordre, bien qu'en nombre réduit. Il régnait à ce moment-là un certain calme. Léo en profita pour sortir de l'ombre. Suite aux récents évènements, beaucoup de policiers avaient été tués en service. La criminalité étant en hausse constante, la municipalité avait lancé une campagne de recrutement pour tenter de remplacer les fonctionnaires décédés. Et c'était en voyant affiches et clips publicitaires que Léo avait pris la décision de s'engager. S'il avait bien récupéré physiquement de sa rencontre avec la meurtrière qui se faisait appeler "Dark Hawk", il gardait en lui des marques indélébiles. Il s'en voulait de ne pas avoir flairé le piège, il s'en voulait de n'avoir pas réussi à l'arrêter, et surtout, il s'en voulait de se cacher dans son coin tandis que des personnes aussi dangereuses couraient les rues et faisaient chaque nuit des dizaines de victimes innocentes. Il allait devenir policier, et enfin il pourrait s'élever au dessus de sa misérable condition en devenant un vrai héros.
L'homme-lion gravit une à une les marches qui menaient à l'aile administrative, et poussa la porte. Il pénétra dans un petit hall, où un bureau d'accueil avait été installé à la va-vite, et où circulaient quelques officiers en uniforme. Il se passa quelques secondes où l'endroit continua de fonctionner normalement, chacun vaquant à ses activités. Et puis l'agent d'accueil leva les yeux, interpellée par le bruit de la porte se refermant, vit Léo, et poussa un cri. Tous les policiers présents dans la pièce tournèrent à leur tour la tête en direction de l'hybride et lâchèrent en même temps ce qu'ils avaient dans les mains pour dégainer leurs armes.

-AAAAAAAH ! NON ! TIREZ PAAAAAS ! fit Léo, avec un mouvement de recul

Les policiers le braquaient avec leurs pistolets, l'injectivant, lui hurlant de reculer et de lever les mains. Léo sentit la peur dans leurs effluves. Évidement, eux aussi se laissaient abuser par sa taille et son apparence bestiale.

-Non ! N'ayez pas peur ! Je...je viens...m'engager... tenta-t-il d'expliquer pour calmer les esprits

Mais personne ne voulait entendre ce qu'il avait à dire. Les policiers continuaient à hurler leurs injectives. Tous leurs ordres devenaient confus dans les oreilles de Léo. Tout ce qu'il comprit en voyant tous ces hommes et femmes montrer leurs armes en remuant les lèvres, montrant les dents, c'était qu'on ne voulait pas de lui ici. Honteux, confus, effrayé, il recula, ouvrit la porte en prenant soin de garder ses mains en évidence, et sortit. Là, il dévalla les escaliers en toute allure, les yeux embués de larmes. Pourquoi est-ce que ça faisait ça à chaque fois ? Pourquoi lui refusait-on la moindre opportunité de faire le bien. N'était-il pas fort ? N'était-il pas rapide ? Pourquoi ne pourrait-il pas mettre ses capacités au service de la justice ? Que lui restait-il ?
Il était tellement pris dans ses pensées qu'il ne vit pas la femme qui avançait en sens inverse. Il la percuta de plein fouet et ils roulèrent tous les deux au bas des marches. Reprenant ses esprits, Léo vit la dame étourdie, par terre à côté de lui.

*OH NON ! JE L'AI CASSÉE !!!* pensa-t-il immédiatement.

Paniqué, il se précipita auprès de sa victime et la souleva de terre pour la remettre debout. La peur le rendait maladroit, et il faillit la refaire tomber. Il la maintint en place et commença à épousseter ses vêtements.

-Je suis désolé ! Désolé ! Je ne voulais pas ! Je...je ne vous avais pas vue ! E...est-ce que ça va ? Je suis tellement désolé...

Léo eut un mouvement de recul en voyant que la jeune femme était armée. Était-ce également une policière en civil ? Si c'était le cas, elle semblait toutefois partager avec ses collègues l'envie de le tenir en respect avec une arme. Mais bon sang, où était-il tombé ? C'était donc vrai que les policiers américains étaient des cowboys fous de la gâchette ? Pourvu qu'ils ne soient pas aussi prompts à user du tazer...

-Tu es qui ? Et tu veux quoi ? demanda-t-elle sèchement
-Euh... Je n'ai rien fait, madame. Pas...pas la peine de me tirer dessus, hein ? Je...et bien je...j'étais là pour...pour déposer ma candidature...ma candidature de gardien de la paix...

Il se sentit ridicule en disant cela. Vu comment sa simple présence avait été accueillie par les autorités, il serait sans doute naïf de sa part d'espérer réussir à être embauché dans la police. Il en vint à se demander ce qu'il lui avait pris de venir. Sans doute s'était-il imaginé que les forces de l'ordre pourraient apprécier d'avoir dans leurs rangs quelqu'un de sa stature.

La jeune femme sembla réfléchir et Léo prit ça pour un bon présage. Lorsqu'elle alla jusqu'à ranger son arme et inciter ses collègues à faire de même (du moins Léo pensa que c'étaient ses collègues, puisqu'ils obtempérèrent), il commença même à se détendre. Tout n'était peut-être pas perdu, se dit-il avec un sursaut d'optimisme.

-Et si on en parlait plus calmement autour d'un café, t'en dis quoi ?

Là, l'homme-lion fut surpris. C'était inattendu, une telle proposition, surtout de la part d'une personne qui une minute plus tôt se méfiait de lui au point de sortir son arme.

-Ah, je...te...be... D'accord ! bafouilla-t-il

Il suivit docilement la jeune femme jusqu'au café en face du commissariat central. Avant d'entrer, cependant, il eut une seconde d'appréhension. La dernière fois qu'il avait suivi une jeune femme inconnue, ça s'était mal passé pour lui. Enfin, si la nouvelle venue était vraiment flic, tout devrait bien se passer...ou pas... Il s'assit à la même table, et commanda une limonade, tâchant de ne pas faire trop attention aux regards des quelques autres clients.

-Bien, parlez moi de vous et de vos motivations.
-Parler de moi...et bien euuuuuh...

Par quoi commencer ? Il y avait tant de choses à dire...

-Je m'appelle...Léo Chapelle. Si j'ai envie de rejoindre la police...c'est que je me suis rendu compte que quelque chose ne va pas dans cette ville. Je suis venu à Gotham pour prendre un nouveau départ, démarrer une nouvelle vie. Mais ça ne va pas, les rues sont mal famées, quoi qu'on possède, on risque à tout moment de se le faire arracher par des gredins sans foi ni loi. Au début, je dois avouer que je ne m'en suis jamais trop mêlé. A cause de mon apparence, j'ai avant tout pensé à me cacher du regard des autres. Et puis il y a eu cette nuit...

Il prit une inspiration. La douleur dans son corps et dans son âme était encore trop récente pour qu'il puisse aborder ce sujet sans ressentir une profonde amertume.

-Une nuit, en rentrant chez moi, j'ai rencontré une jeune femme qui semblait perdue, j'ai accepté de la raccompagner. Mais ce que je ne savais pas, c'est que cette femme était une espèce de psychopathe, connue sous le nom de Dark Hawk. Elle et son...son larbin m'ont sauté dessus. Il m'ont tabassé, poignardé et torturé avec une sorte de venin avant de me laisser pour mort.

Sa main tremblait. Repenser à cette nuit, les souffrances qu'il avait endurées...

-C'est là que j'ai compris que je ne pourrais plus rester comme avant, dans une neutralité illusoire, feignant l'ignorance. Cette femme, ce démon, elle a déjà tué, et elle recommencera tant qu'elle en aura la possibilité. Et après avoir goûté à son œuvre, je ne peux pas vivre en me disant que ça arrive à d'autres, peut-être en ce moment-même. Alors peut-être qu'en entrant dans la police je pourrais me donner les moyens de l'arrêter avant qu'elle ne fasse plus de victimes innocentes.

-Quelque chose ne va pas dans cette ville ? Vous débarquez de Mars, Léo ? Nous sommes à Gotham, et tout ce qui est bizarre est hélas normal. La ville a ses fondations sur la Folie et les Secrets. Depuis toujours elle est confrontée à la Pègre ou aux cinglés dangereux, que ce soit les Falcone ou Amadeus Arkham, l'empreinte est gravée dans Gotham, et croyez moi, être flic à Gotham requiert de la patience et de la motivation car nous sommes vraiment désespérés.

Léo baissa les yeux et haussa les épaules.

-En quelque sorte. À vrai dire, j'ai toujours vécu un peu dans mon petit monde, replié sur moi-même. J'ai passé presque toute ma vie dans un endroit où j'étais en quelque sorte coupé de la société.

Il sourit vaguement en disant cela. Contrairement à ce que les gens pensaient d'habitude au premier abord, sa vie au cirque n'était pas un souvenir désagréable. C'était même là qu'il avait vécu les meilleures années de sa vie jusqu'à aujourd'hui. Jamais il n'avait été aussi insouciant qu'à cette époque. Et aujourd'hui, même s'il avait la possibilité de revenir au cirque, il ne pourrait pas y vivre tranquillement en pensant aux victimes de cette ville maudite.

-Vous n'avez pas a vous sentir honteux de votre état. Je sais que vous avez une vraie motivation, et je parlerais de vous au Commissaire Gordon. Il est inflexible pour ce qui est des discriminations, c'est un très bon flic.

Léo releva la tête et sourit.

-Merci.
-Comment êtes vous devenu ... cet amas de poils soyeux sur pattes ?

C'était un peu soudain, comme question, mais Léo ne s'en offusqua pas. Les termes comme "tas de poils", "boule de poils", "sac à puces" ou autres joyeusetés du même genre, il ne les considérait pas comme des insultes vu que c'était le genre de surnoms affectueux que lui donnaient les gens du cirque. Quant aux raisons de son état, ça ne lui posait aucun problème d'en parler. Bien au contraire. Ça lui faisait du bien de se confier, et puis il ne pouvait que saluer quelqu'un qui, plutôt que de se contenter de le traiter de monstre sans vouloir en savoir plus, s'intéressait à ce qu'il pouvait être réellement.

-Et bien...comme vous semblez l'avoir deviné, je n'ai pas toujours été un homme-lion. Je n'ai pas beaucoup de souvenirs de ma vie en tant qu'humain, ayant subi très tôt ma...transformation. Pour commencer par le commencement, je suis originaire de la Louisiane. Ma mère biologique m'a élevé seule après avoir été abandonnée par mon père. Et elle se droguait, aussi. Au moins, je n'ai eu à la supporter que trois ans, jusqu'au jour où elle m'a vendu pour se payer sa dose...

Il parlait de sa mère biologique sur un ton assez désinvolte. Tout simplement parce qu'il ne l'avait pas suffisamment connue pour ressentir autre chose à son égard. Dans les seuls souvenirs qu'il avait d'elle, elle apparaissait comme une femme monstrueuse, se piquant continuellement le bras avec d'horribles seringues et lui criant dessus dès qu'il avait l'indiscrétion de lui rappeler son existence. D'ailleurs, le portrait qu'il dressait ainsi d'elle avait été reconstitué par les autorités à partir de ces morceaux de souvenirs.

-Je disais donc, elle m'a vendu à un homme étrange, une sorte de savant fou. Il m'a emmené dans son laboratoire à la Nouvelle-Orléans, et s'est livré à des expériences sordides sur moi.

Il trembla. Son séjour forcé chez le docteur Dorian était de loin l'expérience la plus traumatisante de sa vie, même si ces derniers temps il en voyait des vertes et des pas mûres.

-Ça a duré à peu près deux ans. Vous ne pouvez pas savoir à quel point ça a été horrible, surtout pour un gamin de mon âge. J'étais enfermé dans une cage rouillée, et tous les jours c'étaient piqûres, prises de tous les fluides possibles pour analyses, examens plutôt douloureux, et potions atroces. J'étais traité comme un animal...et j'en suis devenu un peu à peu... Et puis après deux ans de ce régime j'ai réussi à m'enfuir et ai été recueilli par un cirque.

(Toutes mes excuses pour le retard. J'ai dû revenir dans ma famille pour les fêtes, et à aucun moment je n'ai eu accès à un ordinateur)

-Personne ne mérite une telle horreur. Connaissez-vous la pourriture qui vous a fait subir cela ?

Léo haussa les épaules.

-J'aimerais bien. Je n'ai jamais connu son nom, ou alors si je l'ai entendu j'étais trop jeune pour m'en rappeler. En revanche, si je le voyais je pense que je le reconnaîtrais. Difficile d'oublier son visage, son expression lorsqu'il me regardait... Enfin, je n'ai jamais entendu parler de lui depuis mon évasion, et il serait plutôt improbable que je tombe sur lui dans la rue par hasard. Depuis le temps je me suis fait une raison, je ne le retrouverais jamais.

De toutes façons, à quoi est-ce que ça l'avancerait ? Pourrait-il le forcer à lui réparer ce qu'il avait fait ? Était-il seulement possible de rendre à Léo sa forme humaine ? Et quand bien même, voudrait-il vraiment redevenir humain ? En 20 ans, il s'était largement habitué à sa forme actuelle, et endosser soudainement une forme plus petite, plus fragile, plus faible risquait de sacrément le déstabiliser. Bon, d'un autre côté ça lui permettrait de passer plus inaperçu et d'avoir une vie à peu près normale. Mais n'était-il pas trop tard pour ça ?

-Au niveau physique, quelles sont vos aptitudes ? Avez-vous passé un entretien psychiatrique ? Quel est le verdict ? Avez-vous consulté à Gotham ? Les psys c'est pas ça qui manque par ici, vous savez.
-Houlà ! Doucement, les questions ! Et bieeeeeeeen...non, je n'ai jamais consulté de psy. Je n'en ai jamais vraiment ressenti le besoin.

Là, il mentait. Même une vingtaine d'années après son séjour chez le docteur, le traumatisme était bien présent. Aujourd'hui encore il lui arrivait de pleurer, la nuit, en repensant à sa captivité. Il aurait aimé pouvoir se confier à une oreille attentive. Mais il n'avait aucun ami à Gotham, et les docteurs l'effrayaient trop.

-Sinon, côté performances physiques... Je n'aime pas me vanter, mais j'ai déjà testé...et...je suis capable de soulever une petite voiture à la force des bras. J'ai aussi l'ouïe et l'odorat du lion, ce qui est assez pénible quand on vit dans une aussi grande ville...

[coor=darkcyan]Bien entendu, j'écrivais tout cela sur mon calepin. Les informations étaient importantes et le jeune Léo Chapelle voulait vraiment devenir Flic. Après tout, on était aux Etats-Unis d'Amérique, donc on avait le droit d'être libre et de faire la carrière dont on voulait. M'enfin bref, c'était son choix, et on ne pouvait pas le refuser. Il fallait que Gordon soit d'accord.

- "Bon, quelques bonnes aptitudes, mais le passage chez le Psy de la police sera obligatoire. Pour le reste, il faut que vous rencontriez Gordon. J'essaierais d'appuyer votre candidature auprès de lui."

Je regarde l'individu. De toutes façons, il pourrait même passer inaperçu. A Gotham, c'est pas la folie et l'excentricité qui manquait vraiment. J'eus un léger sourire avant de le regarder une dernière fois. La chose qui me vint en tête ce fut Montoya et sa sortie du placards devant tous les membres du GCPD, Bullock et son problème d'alcoolémie, et tant d'autres à qui il était arrivé de nombreuses crasses horribles de la part des déments de l'asile de démeurés.

- "Je pense que ce sera tout pour le moment, Monsieur Chapelle. Il vous faut maintenant vous diriger vers le Commissaire Gordon, si vous désirez entrer dans la Police. Je ne peux plus rien de plus pour vous."

Je dis ça avec optimisme. Il n'avait aucune raison d'être refoulé, à moins d'avoir été dans des affaires louches ou bien pensionnaire de l'asile d'Arkham. Mais franchement, il avait la tête sur les épaules, et on en avait bien besoin dans cette ville de fous. Je me lève et j'avale le café d'une gorgée. Je lui serre la main, et je sors en regardant ma montre, je serais en retard à ma réunion.

- "Je vous dis à bientôt, futur collègue."

Je lui adresse un clin d'oeil avant de sortir du café. La réunion allait être pénible.[/color]

Gordon ? Léo nota ce nom dans sa mémoire. Il faudrait qu'il prenne rendez-vous avec lui. Par téléphone, cette fois, afin d'éviter de se faire tirer à vue en arrivant au commissariat. En tout cas, cette dame était bien gentille de l'aider ainsi.

-Je pense que ce sera tout pour le moment, Monsieur Chapelle. Il vous faut maintenant vous diriger vers le Commissaire Gordon, si vous désirez entrer dans la Police. Je ne peux plus rien de plus pour vous.
-Et bien merci de votre aide. Je vous promets de faire de mon mieux pour y arriver.

Oui, il serait un bon flic, honnête et incorruptible. Il mettrait la main sur Dark Hawk et l'empêcherait de nuire à quiconque.

- Je vous dis à bientôt, futur collègue. dit Ramirez en serrant la main à Léo, avant de tourner les talons et sortir du café.

Léo sentit ses joues s'empourprer sous la fourrure. "Futur collègue", c’était plutôt encourageant ! C'est donc avec le sourire que l'homme-lion sortit pour rentrer chez lui. Il avait des démarches administratives à faire, et cette fois il n'avait pas peur.