PNJ Warren McGinnis
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L’appartement était sombre et enfumé. Un nuage de cigarette flottait dans l’air poisseux et se mêlaient aux relents de moisi qui se dégageaient des meubles et des murs. Warren sentit un frisson courir le long de sa nuque en tirant sur sa cigarette. C’était la première fois que Daniel lui donnait rendez-vous ici. Quand leurs relations avaient-elles basculées ? Warren gardait le souvenir de deux gamins en train de jouer au base-ball, s’amusant comme des petits fous à courir après la balle, et bombant le torse lorsque des jolies filles venaient assister au spectacle. Mais ils avaient grandi, depuis. L’innocence avait laissé place à l’amertume, la colère, le désespoir, et tout un tas d’autres sentiments on ne peut plus adultes. Les deux hommes s’étaient mués en gangsters cyniques et sans le sous, faisant vivre leurs familles à coups de petits larcins. Rien de trop gros, car ça aurait risqué de les éloigner de ceux qu’ils aimaient pour toujours : travailler pour un de ces cinglés déguisés comme le Joker, le Pingouin ou encore Freeze, c’était se condamner à être envoyé à l’asile. Autrefois, on aurait pu dire « Arkham city », mais c’était de l’histoire ancienne, maintenant. Aujourd’hui, on réhabilitait la zone qu’on avait abandonné aux criminels.
Warren pensa à sa femme, Mary, et à son fils, Terry. Ils n’auraient pas survécu sans lui. La dernière fois qu’il avait fait de la cabane, Warren n’avait pas cessé de penser à eux, de se faire du soucis. Il était resté deux mois en prison, et à sa sortie, il s’était promis de ne plus jamais abandonner sa famille. Terry aurait dix ans dans deux mois, et il fallait dès maintenant lui bâtir un avenir, surtout ne pas attendre du crime quoique ce soit. La prison avait éduqué Warren, il s’était fait tabassé, et avait failli être violé. C’était une leçon qu’il n’était pas prêt d’oublier. Jamais plus il ne se retrouverait en taule. Et pour ça, il fallait arrêter les conneries.
L’occasion de se blanchir et de trouver une source de revenus décente, pour un chômeur de longue date abandonné par la société, s’était présenté il y a quelques semaines. Un hommes d’affaires très connu, à la tête d’une multinationale colossale, Olympus industries, avait décidé d’établir une partie de ses activités à Gotham. Sa filiale, Axis chemicals, allait être réimplanté ici. Axis avait fait les beaux jours de la ville, jusqu’à ce que l’entreprise dépose le bilan et ne ferme ses usines. Ça avait mit un tas de gens sur la paille. Mais Olympus industries avait racheté Axis, et l’homme derrière ce rachat s’appelait Maximilian Zeus. Warren l’avait vu à la télévision, présenter son programme de rénovation de Gotham. Si certains le disaient arrogant et mégalomane, Warren ne voyait en lui que la seule personne à même de le sortir de la misère où il était. Sa femme et son fils en avaient besoin. Il s’était alors présenté à un entretien d’embauche, en apprenant que Zeus recrutait du personnel exclusivement gothamite. Il embauchait des chômeurs de Gotham ! Même Bruce Wayne n’avait jamais fait preuve de tant d’égard !
Warren avait passé un entretien, donc, et avait été pris. Il faisait désormais parti de l’un des cinq cent ouvriers recrutés pour travailler dans les quatre nouvelles usines d’Axis chemicals, entièrement rénovées pour celles déjà existantes, qui ne tarderaient pas à être crées pour les autres. Il avait passé la visite médicale avec succès, et en ce qui concernait son passé de délinquant, ça n’avait pas spécialement posé de problèmes. Et puis il avait déjà travaillé dans le domaine pétrochimique à l’époque où il y avait encore une industrie à Gotham. Il avait suivi une formation d’une semaine, pour apprendre les rudiments de la manipulation de produits chimiques. On lui avait présenté la combinaison qu’il revêtirait : il s’agissait d’une sorte de combinaison qu’enfilait l’ouvrier pour lui permettre de ne pas être exposé à des toxines, et ainsi préserver sa santé. Olympus industries avait lancé ce type de combinaisons dans les années 80. Depuis, toutes les usines où il y avait risque d’exposition à des produits chimiques en étaient équipés. Encore une fois, Zeus était derrière ce petit miracle. Warren n’avait qu’une hâte : enfiler sa combinaison de sécurité, et se mettre au travail. Ça tombait bien, il commençait dans deux jours. Il serait l’un des premiers à débuter la « renaissance » d’Axis chemicals, et aurait même le droit à une visite de Zeus en personne ! L’homme d’affaire viendra les saluer avant qu’ils ne se mettent à l’œuvre, et restera les regarder travailler toute la matinée. Qu’un type à la tête d’une entreprise valant des milliards prennent la peine de venir voir les petites mains qui faisaient sa richesse, ça le touchait. Bon, il y aura la télé aussi, mais quand même…
Mais avant de prendre ses fonctions, Warren avait un dernier détail à régler. Sortir de la combine de Daniel et l’envoyer chier une bonne fois pour toute. Si il refusait d’entendre raison, ce sera tant pis pour lui. Warren ne pouvait plus se permettre de se faire dicter sa conduite, même par son meilleur ami. Enfin, meilleur ami… C’était un bien grand mot. Daniel n’avait plus grand-chose à voir avec son ami d’enfance, qui adorait jouer au base-ball et courir les filles. Le nouveau Daniel était un ersatz d’être humain, qui avait passé une pige en cabane, ce qui l’avait rendu dingue. Il avait été arrêté pour un braquage : il avait eu le malheur de bosser avec des hommes du Joker. Ces derniers l’avaient lâchement trahis lorsque la flicaille avait débarqué. Mais Batman avait attrapé les fuyards et remis à la police. Daniel avait été expédié à Blackgate avec eux, fin de l’histoire. Ce qu’il avait vécu dans cet enfer, il avait toujours refusé d’en parler. Mais depuis qu’il était sorti, il n’avait pas souri une seule fois.
Warren appréhendait de le voir. Il ne savait pas comment son ancien ami allait prendre sa « démission ». Leurs activités - tirer des vieilles bagnoles, faire un peu de trafic de drogue, piquer des fils d’étain dans l’ancienne zone industrielle - n’étaient pas reluisantes. Et Warren voulait quitter cette vie, et pour de bon. Mais Daniel, qui n’avait pas d’autre avenir que celui de voleur, ne pouvait espérer de s’en tirer. Et sans Warren à ses côtés, il devrait se trouver un nouvel associé. L’entrevue s’annonçait d’or et déjà compliqué.
Un mouvement derrière lui le fit sursauter. Warren se retourna, mais il n’y avait personne. Si c’était Batman… se mit-il à frémir. Il déglutit difficilement. Il avait payé sa dette à la société, il était en règle, maintenant. Mais on disait que le justicier s’était mué en tueur implacable depuis que Killer Croc lui avait arraché un bras. Cette histoire l’avait, dit-on, rendu extrêmement violent et impitoyable. Le Batman faisait-il encore la différence entre le Bien et le Mal ?
Daniel sortit de l’ombre. Warren respira plus calmement, remis quelque peu de sa frayeur. Il regarda son associé ; Daniel était plus petit que lui, moins costaud, et possédait un visage émacié qui lui donnait des faux airs de rapace. Il possédait deux yeux très bleus, profondément enfoncés dans leurs orbites. Il n’esquissa aucun salut. Ce fut Warren qui débuta la conversation.
« Dan, je suis content que tu sois venu. Comment vas-tu, vieux ? »
« Je vais… Tout le monde n’a pas la chance d’avoir tiré le gros lot en devenant le nouvel employé modèle d’Axis chemicals. »
« Tu es au courant… »
« Ta femme a parlé, War. Je sais que tu vas me quitter, que tu vas me laisser dans la merde. Moi aussi j’ai des gosses à nourrir, figure-toi. C’est pas parce que leur salope de mère s’est barrée, que je dois, moi aussi, les abandonner. Ils sont pas en âge de m’aider. L’aîné a l’âge de ton fils… »
« Je pouvais pas laisser passer cette occasion, Dan. Tu le sais aussi bien que moi. Tu aurais fait pareil à ma place. Il y avait cette opportunité incroyable, qui n’arrive qu’une seule fois dans une vie. Un emploi stable, un contrat à long terme… à long terme, Dan !Et je commence dans deux jours ! Qui voudrait employer un gars comme moi, qui a fait de la taule… »
« Fait de la taule ! Tu veux rire. Moi, j’ai fais de la taule, War. Moi, pendant un an, je me suis fait tabasser la gueule par les sbires du Joker. Ils m’ont… ils m’ont humilié. Ils m’ont… fait… tu peux pas imaginer ce que ces types m’ont fait subir. Si j’en suis sorti vivant, c’est par miracle. Tu sais pourquoi je rigole plus, War ? Parce que ces enfoirés, eux, se marraient tout le temps, en permanence, quand ils me torturaient ! J’étais leur défouloir, et ça les faisaient se marrer. Ces tarés là, ils sont comme leur maître. Toujours à se marrer. Alors, tes deux mois de prison, ça c’est vraiment une blague ! Digne du Joker, tiens ! J’ai pas vu mes gosses pendant un an. Tu sais ce que c’est, un an ? C’est ma mère qui les a gardé tout ce temps. Et quand je suis revenu, ils m’ont même pas reconnu. Mes mômes, bordel ! »
Daniel fit un pas en avant, l’air menaçant. Si il était moins impressionnant que Warren, il faisait tout d’un coup très peur.
« Va retrouver ton Zeus à la noix, War. Vas-y ! Abandonne-moi. Et tu verras comment un patron nique la gueule de ses employés et leur pissent à la raie. Tu verras… Je te prédis que ton patron magique, là, ce connard de dieu grec, il va se faire un plaisir de se torcher le cul avec ton admirable cv une fois qu’il aura plus besoin de toi, et te virer comme une merde ! »
Daniel se tut. Warren expirait bruyamment, les yeux écarquillés. Son ami était plein de haine, plein de colère, et il n’avait que des reproches et des insultes à la bouche. La taule l’avait brisé, détruit… Le futur ouvrier comprit que les deux hommes n’avaient plus rien à se dire. Daniel tourna les talons et quitta l’appartement abandonné, laissant seul un Warren McGinnis désemparé.