Ils sont les gars du Joker. Ils sont invincibles. Personne ne peut leur faire mordre la poussière. Ils sont des tueurs. Ils sont des durs, des vrais. Ils n’hésitent pas à exécuter les ordres de leur maître, aussi fous puissent-ils être. Puppet fait partie de la bande. Il a été officiellement intronisé par le maître lui-même. Lui, le gamin des rues tout juste sorti du centre de détention pour délinquants juvéniles, seize ans à peine, a été accepté dans le cercle des soldats du prince du crime. Puppet a tout subi lorsqu’il était enfermé à Townes YPC. Mis derrière les barreaux pour vol avec violence - l’épicier arabe qu’il avait braqué pour se payer une dose avait été défiguré à l’acide citrique - alors qu’il était à âgé à peine de quatorze ans, Puppet n’avait connu que la haine, la mort et la souffrance. Il était devenu le jouet des plus grands, d’où sn surnom, leur chochotte et larbin, ce qui lui avait permis de survivre. Un de ses compagnons de cellule avait refusé de devenir l’esclave sexuel de Big Head. Et à Big Head, ça ne lui avait pas plu. Seize ans à peine, mais une véritable armoire à glace, Big Head faisait régner la terreur au sein du centre. Et pour punir le récalcitrant, il n’avait eu qu’à lever le petit doigt. Viol collectif, puis assassinat en bonne et due forme : une quarantaine de coups de couteaux. Evidemment, après avoir été le témoin de cela, Puppet n’avait plus d’autre choix que d’obéir aux ordres. C’était précisément pour ça qu’il avait été recruté par le Joker. Il était un esclave docile.
Flanqué de quatre colosses de son acabit, Puppet a été chargé de faire le ménage dans Amusement Mile. Le boss est en train de reprendre le contrôle du quartier, de SON quartier. Puppet ne sait pas les tenants et aboutissement de ce vaste plan, il n’est qu’un pion dans le vaste jeu d’échecs qui se joue en ville. Mais il va obéir, en bon petit soldat, et exploser la tronche de la racaille locale. Peut-être tuer deux ou trois gosses, histoire de faire passer un message. Oui, c’est un chouette programme pour une chouette soirée. Les gars sont en forme, armés de battes de base-ball et autres armes blanches. Le gang est fin prêt à affronter les quelques petits cons qu’ils croiseront et à leur faire la leçon… une leçon qu’ils n’oublieront pas.
La nuit est froide. Glaciale, même. Le gang parcoure les rues désertes à la recherche de proies. Puppet repense à la dose qu’il s’est envoyé tout à l’heure, juste avant de partir du hangar où ils étaient stationnés, à attendre les ordres. La drogue, c’est un plaisir dont il ne peut pas se passer. Déjà à Townes, il ne pouvait se passer de sa dose : c’était la seule goutte d’espoir dans son bol de pisse quotidien. Une bouffée d’oxygène. Il était prêt à tout, à l’époque, pour pouvoir avoir droit à cette bouffée d’oxygène. Tout. Rien n’avait changé depuis. S’il n’était plus la chochotte de ses camarades - il avait tué d’un coup de fourchette dans l’œil le dernier type à avoir voulu abuser de lui -, il avait toujours besoin de se droguer pour tenir. Et les pilules que donnait le Joker étaient vachement efficaces, niveau déphasage de cerveau. C’était un trip génial. Ça le motivait bien pour faire ce qu’il aurait à faire ce soir. Oublier qui il est. Ne plus penser à rien. Etre un animal sauvage. Une horreur de la nature. Ne plus être humain. Son rêve. Enfin ne plus sentir la honte le ravager. La tristesse. La peur.
Or, ce soir, Pupett va avoir peur. Il sera même terrifié. Comme jamais il ne l’a été. Même la fois où Batman s’en est pris à lui. Il venait de sortir de Townes, il était paumé, agressif, violent, dangereux, mais paumé. Le chevalier noir lui avait refait le portrait histoire de le renvoyer sur le droit chemin. Puppet s’était pissé dessus. Mais il n’était pas pour autant retourné sur le droit chemin. Il ne connaissait pas. Et s’il avait sérieusement eu peur - des rumeurs courraient sur Batman, comme quoi il s’était mis à buter -, ça ne serait rien en comparaison à ce qu’il allait éprouver là maintenant.
Pour l’heure, Puppet ne craint rien. Il a envie de cogner, il en tremble d’excitation. Lorsque Kill Sam désigne, dans une ruelle sombre, des gamins en train de tagger les murs, il sent ses poils se hérisser. Enfin. Il ajuste sa batte de base-ball, la soupèse, puis sourit de toutes ses dents refaites. En silence, les cinq compères s’approchent de leur futures victimes. Puppet a déjà dans l’idée de les tuer. Mais avant, il va s’amuser un peu. Les faire souffrir. Et il va prendre son pied. La neige commence à tomber, mais il s’en fiche. Il approche de ses proies, sans que celles-ci ne se doutent de quoique ce soit. Des gamins du quartier. Il n’est pas bien plus âgé qu’eux, mais il a vécu dix vies de plus qu’eux. Ils vont souffrir pour ne pas avoir vécu ce que lui a vécu. Lorsque les tagueurs se retournent et s’aperçoivent de leur présence, il est trop tard. Ils sont acculés. La ruelle est un cul de sac. Ils ne peuvent pas prendre la fuite. Et ça, Puppet, ça l’excite vachement. Rien de plus excitant que de lire la peur dans les yeux de ses victimes.
« Chuuuut » murmure-t-il.
Mais les gamins n’ont même pas eu l’idée de crier. Ils savent. Ils sont résignés. Ils sont piégés. Puppet cueille le premier d’un coup de batte dans les genoux. Le gosse s’écroule. Puppet sent son excitation devenir sexuel. Non. Pas devant les autres. Il n’est pas une chochotte. Il ne doit pas le montrer. Il lève une nouvelle fois sa batte. Un bon coup dans les côtes, histoire d’en péter quelques unes, oui, ça lui parait une bonne idée. Puppet s’apprête à abattre son arme quand un cri retentit à deux mètres derrière lui.
Kill Sam est à terre, son bras est affreusement tordu. Il pleurniche. Merde, Puppet n’a jamais vu Kill Sam chialer. Son agresseur se tient dans l’obscurité. Batman, se dit-il instinctivement. Batman est là. Il va leur foutre une raclée. Non. Pas question de se laisser faire. Batman ne fait pas le poids face à toute la drogue que la bande a ingurgité. Leur maquillage, leurs armes, leur air de cinglé, ça, ça ferait même peur à la chauve-souris. Puppet lève sa batte et se précipite contre le justicier. Celui-ci, par une surprenante voltige, évite le coup et la batte vient se fracasser contre le mur. Batman le contourne et lui assène un puissant coup de poing dans l’aine. La douleur est atroce. C’est comme si des bloques de pierres lui étaient tombés dessus. Il tombe à terre.
A moitié groggy, il voit Batman enchaîner ses camarades, les mettre un par un hors d’état de nuire. Il saute, il frappe, il casse. Les cris de ses potes résonnent dans la nuit noire. Et la neige continue de tomber, inlassablement. Puppet ferme les yeux.
Lorsqu’il les rouvre, Batman est accroupi à côté de lui et l’observe. Batman ? Non. Ce type là n’est pas Batman. Son costume ressemble à celui de la chauve-souris mais ça n’est pas lui. Lorsqu’il se relève, Puppet peut l’observer complètement.
Les yeux rouges du justicier l’observent. L’étudient. Comme ceux d’un oiseau de proie devant le corps agonisant d’un mulot qu’il viendrait d’attraper. Lentement, l’oiseau pose son pied sur sa gorge. Puppet ne peut plus respirer. Il va mourir, comprend-t-il. Oh, pourquoi n’est-il pas tombé sur Batman ? Pourquoi ? Ses copains, il le sait, sont en morceaux. Des bras, des jambes ont été cassées, il a entendu le bruit des cassures. Des hurlements ont été entendus. La terreur à l’état pure, faite son. Il va mourir, oui. Il ne peut plus respirer. Il ne sent plus ses membres. Il a… peur.
« Ecoute-moi bien, la larve. Tu vas dire au Joker qu’il y a un nouveau shérif en ville et qu’il a intérêt à se tenir prêt. Dis-lui que Owlman vient récupérer ce qui lui appartient. Gotham appartient au Hibou. »
La pression s’évanouit alors et Puppet se met à respirer à grandes bouffées. Bon Dieu. Il s’est pissé dessus…