Les rapports entre Maximilien Shreck et Arthur Lindenberg avaient toujours été particuliers, il ne savait pas si l'homme le détestait, mais une chose était certaine, leurs rapports étaient au mieux cordiaux. le Procureur n'avait pas dû apprécier la non-réponse du Maire à ses demandes répétées d'incorporer les Justiciers d'Etat à son service, mais c'était là une force trop puissante pour un idéaliste. Le maire ne le détestait pas, il avait un respect tout particulier, comme celui que l'on éprouve face à une curiosité de la nature qui avait survécu à sa condition par on ne sait quel miracle. Si une place, après le commissaire et avant le maire réduisait l'espérance de vie d'un gothamite, c'était bien la place de Procureur et le voir encore debout après toutes ces épreuves relevait du miracle.

Shreck avait fait profil bas lors du procès du Joker, n'ayant pas à insérer la mairie dans cet engrenage délicat. Il aurait cependant apprécié un résultat moins aberrant qu'une condamnation à mort dans un état où elle avait été abolie depuis bien longtemps. Il était toujours possible de se rattraper, le Joker était du genre à toujours laisser une seconde chance. Cependant, les tumultes du monde criminel laissait entrevoir à Shreck qu'il allait devoir injecter une bonne dose d'idéalisme dans certaines de ses prochaines décisions quant à la sécurité de la ville, s'il était réélu naturellement, mais son corps et son esprit se troublaient à cette simple idée. Alors qu'il faisait crisser le cuir de ses gants pour se concentrer, il savait qu'il allait devoir la jouer finement avec Lindenberg pour qu'il accepte de croire en ses bonnes intentions, lui qui ne lui en avait jamais réellement montré. Il ne savait pas réellement comment débuter l'entretient. Des excuses? Trop évident, un discours décontracté? Non, naturellement il commencerait par le féliciter de son résultat tout en glissant qu'il avait été surpris de sa candidature.

Forcément il avait été surpris, depuis quand les procureurs voulaient-ils une place d'administrateur? Arthur Lindenberg n'avait pas la carrure d'un carriériste, ni les manières, il avait donc dû être particulièrement choqué par quelques éléments dans sa position politique, il ne restait qu'à savoir lesquelles et à lui promettre de les tenir au mieux. Les concessions étaient une étrange politique, elle obligeait parfois à faire pire que ce que l'on se savait capable de faire. Mais c'était le jeu. Il devait essayer d'obtenir l'aval de cet homme et de pactiser avec lui. La grande faiblesse de Shreck était là, une fois un contrat ou une simple poignée de main échangée, il allait jusqu'au bout, les affaires étaient les affaires mais dans un monde on pouvait être vache et terrible sans cesser d'avoir une parole en béton armée.

La vérité qu'il servait était souvent un tissu de mensonge et de double-sens grossiers, mais jamais il n'avait menti à un associé, à quelqu'un qui passait des affaires avec lui. Dans la salle de réunion, il attendait patiemment que son hôte ne vienne. Thomas entra alors et déposa un plateau de café sur la table. Il partit aussitôt en évitant le regard songeur de son supérieur. Ça n'allait pas être facile.

La Justice restait un concept aux frontières très fluctuantes dans l'esprit de Shreck. Cela ne l'indisposait pas outre mesure, mais il n'appréciait pas le lot d'idéalisme qu'il apportait dans son sillage. Les Nations reposaient sur trois pouvoirs, autrement dit une configuration hautement instable, c'est pourquoi la plupart des démocraties préféraient tabler sur deux pouvoirs forts et un plus faible. Tout en Amérique avait été fait pour que les localités perdent en efficacité sur le plan exécutif pour laisser le soin à l'état et à la Nation de prendre certains relais, mais le libéralisme rééquilibrait la balance. Les Maires, laissées à leurs propres comptes et leurs propres bilans devaient faire montre d'un pouvoir exécutif huilé à coup d'argent scintillant, d'un corps législatif allégé par les faits et d'un pouvoir judiciaire qui pesait en temps normal lourd dans la balance.

Gotham avait tout renversé malgré elle, son pouvoir exécutif vacillant absorbait les efforts de chacun pour tenter de mettre un capitaine solide au navire pour lui faire affronter les tempêtes criminelles, le Judiciaire qui dépendait d'une autorité autre que celle du Maire avait été par conséquent grandement laissé à son propre sort. Le procureur avait cette charge, lourde et Ô combien il était difficile de traduire par des actes ce que le papier ordonnait. A son sens, la candidature de Lindenberg n'avait pas été vaine. Le pouvoir, ce jeune homme l'avait déjà, il n'avait juste aucune idée de comment le manier. Tandis qu'il réfléchissait, Shreck se disait que cette entrevue serait l'occasion de déployer un nouveau pion sur l'échiquier de Gotham, de le conseiller pour l'épauler en cas de reconduction ou de le prémunir efficacement en cas d'échec lors du prochain scrutin.

Lindenberg avait sous lui une horde de grattes-papiers, autrement dit, il avait une armée qui pesait lourd dans la politique. Maximilien n'avait rien eu d'autre pendant un temps qu'un chéquier et une horde de comptables pour s'élever, certes ses efforts personnels avaient été lourds, mais jamais il ne s'était sentit seul, derrière lui il y avait eu Shreck's Industries, Sharp, Arkham City et enfin la Mairie. Cela ne s'arrêterait pas là. Ce qui aurait dû être un affrontement entre les deux hommes serait peut-être moins dur que prévu. On fit entrer le jeune procureur dans l'antre du Maire. Ce denier s'affubla d'un sourire des plus polis et se dirigea aimablement vers la silhouette frêle.

- Procureur Lindenberg, fit Shreck pour rappeler à son interlocuteur ce qu'il était et resterait tant que lui serait à cette place. Mieux valait garder certaines angles bien saillant pour éviter tous malentendus. Je suis heureux de vous revoir. J'admets qu'il est regrettable que nous nous revoyions pour des raisons aussi controversables qu'une élection, mais c'est un plaisir.

Il serra chaleureusement la main de l'homme et l'invita à prendre place sur un siège avant de s'asseoir sur le sien.

- Il est toujours délicat d'entrer dans le vif du sujet sans passer pour quelqu'un de pressé n'est-ce pas? Puis-je vous proposer un café? demanda-t-il avec le même ton poli, ni trop jovial, ni trop dur.

Ce jeune homme pouvait aller loin, il y avait en lui une utopie mal cachée qui le freinait, mais parfois le pire obstacle peut devenir la meilleure arme. Il était un canon de revolver mal fraisé, une lame émoussée diraient d'autres. Ce qu'il fallait c'était lui indiquer quelques pistes, le faire progresser pour que Gotham puisse retrouver une Justice digne de ce nom mais aussi et surtout que son adversaire puisse se retrouver avec un opposant de taille lorsque le jour viendrait. Il eut un petit soupir satisfait en voyant le tableau qu'était le jeune procureur, des gens y avaient déjà tracé quelques lignes brouillonnes et l'on distinguait le début de la couche maigre, mais Lindenberg avait encore du temps devant lui pour s'achever totalement. Maximilien, lui, avait déjà bien vécu et ses expériences rendaient presque non-identifiable le motif final, il était complexe tout en ayant une motivation simple, comme un plan préétablit qui a une ligne directrice alambiquée pour finalement atteindre un but qui se dévoilait comme commun voir décevant; le pouvoir et l'argent ne demandent que l'abnégation. Comme un médecin qui donne son quotidien pour sauver des vies, quitte à sacrifier sa vie personnelle, Shreck avait fait le choix de se sacrifier pour s'assurer pérennité et puissance. Aujourd'hui il avait eu Gotham, mais demain? demain?

- Je pense que vous savez pertinemment pourquoi je vous ai convié ici, je me trompe?