Une heure du matin. Croisement de ruelles sombres de Gotham City.

Depuis minuit, Timothy Drake a quitté le Dojo Fukanoshi et rôde dans la ville pour trouver des criminels à frapper et à envoyer à l'hôpital. Cela fait des semaines que son emploi du temps est devenu fou : quatre heures d'entraînement le soir, rondes jusqu'à six heures du matin, sommeil jusqu'à midi. L'après-midi est dédié à quelques cours à l'Université de Gotham City, et les réserves de vitamines et de médicaments baissent quotidiennement au Manoir.

Mon fils me fuit.
Timothy demeure le moins de temps possible au Manoir, revenant pour dormir durant les heures où je suis absent - et il le sait. Il me fuit car il est conscient d'avoir dépassé les limites que je nous ai fixées, et il sait que je ne l'accepte pas.
Timothy attend de faire face à ses échecs, à ses erreurs et à mes poings. Son attente est terminée.

Lentement, j'envoie un message sur le téléphone mobile que j'ai confié à Dark Hawk il y a quelques temps. Quelques mots simples, précis, qui lui rappellent notre accord et lui indique un lieu, ici, et une heure, d'ici dix minutes, pour qu'elle vienne jouer son rôle dans l'intervention qui se profile à ce croisement de ruelles anonymes.

Je suis Timothy depuis quelques nuits - discrètement, bien sûr. Il n'a pas pu me repérer, mais j'ai eu l'opportunité d'analyser ses déplacements et je sais qu'il va venir ici d'ici quelques secondes.
Il arrive.
A quelques mètres, Red Robin saute de toit en toit. Vêtu de son uniforme rouge et noir, il s'élance dans le vide pour rejoindre une autre plateforme - mais il n'est pas en forme. Son corps est usé, sa concentration est faible : il est à chaque fois sur le point de chuter, de manquer le geste qu'il faut pour réussir son mouvement.

Lentement, je déplie mes jambes et sort de l'ombre d'un abri sur un toit anonyme. A quelques mètres, je vois mon fils passer, son attention étant tellement rongée par ce qu'il vit depuis plusieurs semaines qu'il ne remarque même pas ma présence.
Mes mains sortent lentement un objet de ma ceinture. En un sens, je regrette ce que je vais faire - et après je me souviens de ma rencontre avec Dark Hawk, de toutes les erreurs et dérives causées par Timothy ces derniers temps. Ma poigne se resserre sur l'objet quand je repense aux dangers causés par lui, alors qu'il a failli révéler mon identité et donc menacer Rachel et notre fille.

Je n'hésite plus. J'envoie l'objet vers lui, et Timothy a la mauvaise surprise de découvrir un boomerang se ficher dans le mur juste devant lui.

Il le reconnaît - il ne peut que le reconnaître.
Ce boomerang est celui qui a été envoyé par Captain Boomerang, et qui a assassiné Jack Drake, son père. En plissant les yeux, il pourrait même voir un peu de sang séché sur l'objet.

"Red Hawk. Red Robin. Robin. Tu ne mérites plus aucun de ces titres."

Un saut, et je suis près de lui. Mes paroles sont directes, autoritaires - mais pas agressives. Je comprends maintenant que ça ne sert à rien avec lui.

"Depuis plusieurs mois, tu chutes de plus en bas : Shreck, Talia, Erebius te battent et t'humilient. Tu t'oublies dans des comportements violents, tu passes à tabac tes proches, tu salies le costume de Nightwing... tu essayes de passer ta frustration et tes défaites sur autrui. C'est indigne."

Ma main se lève et fixe le boomerang. Il me déteste pour l'utiliser, mais il ne m'a plus laissé le choix.

"Avant d'être mon élève, tu as été le fils d'un homme assassiné par cet arme - et tu déshonores sa mémoire par cette conduite. Elle est indigne de lui, indigne de sa mémoire, indigne des noms que tu as portés, indigne de ce que tu es vraiment."

Ma main se tourne vers elle, dans un geste d'ouverture amical.

"Je ne viens pas te frapper, je ne viens pas te détruire. C'est ta chance de te reprendre, de te retrouver - ne la perds pas, car c'est la dernière chose que tu as. En dehors de ça, tu n'as plus rien, et tu sais que j'ai raison."

Je me tais alors, lui laissant l'opportunité de répondre. Espérons qu'il comprenne - espérons qu'il comprenne enfin.

"Tim..."

Ma main serre lentement la sienne - il l'a prise. Il a enfin saisi la main et la chance que je lui offre depuis plusieurs mois déjà.
Bien. Ca rendra la suite plus facile.

"C'est là que réside ta plus grande erreur."

Un léger sourire s'esquisse sur mon visage : il a compris. Il ouvre enfin les yeux pour saisir l'immensité de ses échecs, de ses défaites, de ses actes manqués et de ce qu'il lui faut dès maintenant. C'est une preuve de maturité que je n'espérais plus chez lui.

"J'ai toujours été fier de toi. Et je le suis encore plus maintenant, quand tu acceptes tes torts et reconnais que tu as besoin d'aide. C'est le premier pas, mon fils."

Ma poigne sur sa main s'amplifie, se durcit jusqu'à devenir un étau impossible à échapper pour ses propres doigts. Je force alors Timothy à s'avancer vers moi, et ma main libre se pose sans douceur sur son crâne.

"Mais le chemin est long et difficile."

D'un geste sec, j'arrache son masque, que je jette au sol. J'enchaîne ensuite, et enlève de son torse le symbole jaune et noir, qui rejoint aussi le toit de l'immeuble. Je finis en ôtant de son corps sa ceinture de gadgets, et je lâche finalement sa main.
Il est nu - ou tout comme. Dépossédé de ses armes, de son symbole, de son masque, Timothy n'est plus qu'une coquille vide, et son apparence rejoint enfin la réalité de son âme.

"Tu n'en es plus digne : tu vas devoir te racheter et les mériter. Et surtout faire face aux conséquences de ses actes."

Les minutes s'écoulent, lentement.
Si Dark Hawk a de l'honneur, elle devra être arrivée, et comprendre à mon discours que le moment de son apparition est venu. Espérons qu'elle est digne de mon offre, et qu'elle saura faire de son mieux pour m'aider à faire revenir mon fils à la place qui est la sienne.

(HJ/ Dark Hawk, le moment de ton arrivée est venu ! /HJ)

(HJ/ Pour que nous soyons tous sûrs de la situation : Tim n'est pas nu. Tim porte encore le pantalon et la chemise de son justaucorps. Seuls son masque, son harnais, son symbôle, sa ceinture et sa cape ont été arrachés, et trônent désormais au sol. /HJ)

Je sens autant que j'entends l'arrivée de Dark Hawk. La crispation de Timothy n'a d'égale que la tension présente chez la jeune femme : tous deux ont un très lourd contentieux à régler, et semblent apparemment très loin d'y parvenir. Beaucoup de non-dits, de rancunes, d'espoirs déçus et peut-être de liens forts brisés les empêchent maintenant de se parler convenablement, mais cela suffit - cela doit maintenant cesser.

"Je l'ai fait venir."

Ma voix est plus ferme qu'avant : je dois ménager le chaud et le froid pour ramener mon fils là où il doit se trouver, là où il doit être lui-même. Mes yeux continuent de le fixer, et n'ont encore jamais croisé ceux de Dark Hawk ; j'espère qu'elle sait ce qui lui en coûtera de me trahir.

"Tu l'as agressée, et tu es allé beaucoup plus loin qu'il n'est acceptable. J'ai moi-même dépassé la ligne, mais j'ai toujours veillé à réparer mes erreurs, soit en m'occupant des familles de ceux que jai blessés, soit en essayant de présenter mes excuses directement et d'avoir une conduite exemplaire par la suite."

J'essaye de conserver son attention, sa concentration, pour lui permettre de repousser les pulsions qui l'assaillent et risquent de tout lui faire perdre. J'ai bien compris les problèmes de mon fils, son sentiment d'infériorité, son manque de confiance, son besoin viscéral de faire encore ses preuves - et les réflexes qu'il ne peut plus contrôler.
Il y a peu, j'ai pensé que ses dérives venaient de besoins physiques et sexuels qu'il ne parvenait plus à réfréner, d'où ses liens avec Talia ou Dark Hawk ; je l'imagine toujours ainsi. Avec tous ses troubles psychologiques, Timothy a laissé son inconscient et ses plus bas instincts prendre le dessus, car il était soudain plus facile d'être une furie violente qu'un être humain. Et la présence de femmes aussi charmantes autour de lui n'a plus que l'enfoncer un peu plus, bien sûr.
Cela doit cependant cesser.

"A ton tour maintenant. Et seulement après seras-tu digne de poser les yeux dessus."

Mon pied s'écrase sur le symbole de Red Robin, qui se brise sous le choc. Je fixe mon fils adoptif encore quelques secondes, avant de lentement me glisser sur le côté pour laisser uniquement face à Dark Hawk.
C'est le test - le premier test. A lui de présenter ses excuses à l'assassin, et de garder son calme et ses pulsions. Je n'ai que faire d'une bête sauvage incapable de museler ses instincts et sa violence, je n'ai que faire d'un gamin incapable de se contrôler. A lui de me prouver qu'il est plus que cela - à lui de se prouver qu'il est plus que cela.

(HJ/ Merci à toi ! /HJ)

Je reste silencieux durant toute la durée de leur face-à-face. Evidemment, une partie en moi ne goûte guère la gifle de Dark Hawk, ni les quelques paroles échangées entre eux. Je me souviens bien des liens de Timothy avec une jeune femme et sa fille adoptive, et je me souviens également avoir pensé que c'était une erreur ; si et quand il ira mieux, nous devrons gérer cela ensemble, et lui retirer cette idée folle de l'esprit. Il n'est pas encore assez mâture pour se gérer lui-même, donc prendre en charge autrui est encore impossible.

Quand la jeune femme en a terminé avec lui, elle passe de moi et me glisse bonne chance. J'en profite pour lui murmurer quelques mots, si faiblement qu'elle seule peut les entendre - Timothy n'est pas encore prêt à savoir tout ce que je sacrifie pour lui.

"Merci. Notre accord tient : vous avez la possibilité de me demander de l'aide pour n'importe quoi, mais une seule fois. Choisissez bien. Utilisez le téléphone pour me joindre."

Un dernier signe de tête achève notre entrevue, et je m'approche à nouveau de Timothy. Un léger sourire s'esquisse sur mon visage quand je reprends la parole d'une voix plus douce encore qu'auparavant.

"Je suis fier de toi, Tim. Tu as réussi la première étape."

Je dis vrai : accepter ses torts, accepter l'humiliation des excuses n'est pas à la portée de tous. Je pose une main sympathique et paternelle sur son épaule en continuant.

"Maintenant, à toi de répondre à la seule question qui importe : qui veux-tu être ? Tu peux abandonner le costume, abandonner cette vie : tu as assez donné, assez fait, personne ne t'en tiendra rigueur. Tu peux avoir une vie normale, ou continuer mais accepter une nouvelle discipline et une liberté amoindrie. Je ne peux pas laisser mon fils adoptif dans ton état, mais je ne peux pas laisser un justicier psychotique errer dans les rues de la ville. A toi de décider."

Nous n'avons plus le temps des doutes et des hésitations : Timothy doit choisir, ici et maintenant, sa vie future. J'espère juste que ce qu'il vient de subir lui a remis suffisamment de plomb dans le crâne pour qu'il choisisse selon ses véritables espoirs...

Un léger sourire passe sur mon visage, à la fois de satisfaction et de tristesse. Satisfaction parce que je suis heureux de découvrir que Timothy n'abandonne pas, a encore le courage de continuer et de se battre pour ce qu'il considère juste, mais tristesse parce que je sais ce qu'un tel dévouement implique, de douleurs et de sacrifices.

Ma main se pose à nouveau sur son épaule, et je reste longuement silencieux avant de reprendre lentement la parole. La deuxième étape est franchie.

"Continuer est une bonne chose. Ouvrir les yeux est meilleur."

Je pousse un long soupir, et lâche Timothy pour le fixer encore quelques fortes secondes. Mon ton devient alors plus dur, plus autoritaire, pour bien souligner la portée de mes paroles et de ce qu'elles vont avoir comme conséquences pour la suite.

"Tu n'es pas digne d'être mon égal. Tu n'es pas digne d'être mon apprenti."

Je sais que mes mots sont rudes à entendre, mais il doit les entendre. Il a déjà beaucoup encaissé et souffert ici, mais ce n'est que le début - il s'est enfoncé trop profondément, Timothy doit revenir de très loin et ce ne sera pas facile.

"Si tu veux bien continuer, tu vas devoir reprendre la base : l'entraînement, la discipline, les tests, les résultats. Tu démarres de plus loin encore qu'au début, car tu n'as à apprendre, mais à réapprendre. Tu dois me prouver que je peux encore avoir confiance en toi, et tu n'es plus digne d'aucun pseudo, d'aucun costume. C'est à prendre ou à laisser."

Troisième étape à franchir : après les excuses, après le choix, maintenant les conséquences du choix. Je l'humilie, je le rabaisse, mais il doit comprendre qu'il ne mérite pas mieux ; à lui de me prouver, dès maintenant, qu'il l'a compris et veut changer.

Je pousse un léger soupir et acquiesce lentement.
Bonne réponse - mais incomplète.

"Nous ne commençons rien."

Mon visage est stoïque, immobile. Je refuse de lui montrer ma satisfaction et ma fierté de découvrir que mon fils adoptif accepte les conséquences de ses actes et de ses choix. Il aurait pu refuser, il aurait pu s'énerver, s'indigner même du traitement que je lui fais subir, mais il réagit avec maturité. C'est bien - étonnant, vu son comportement récent, mais bien.

"Nous ne sommes plus une équipe. Tu es seul, tu dois te reconstruire seul."

Je fais deux pas en arrière, et laisse passer un lourd silence en fixant lentement le jeune homme devant moi.

"Tu es devenu Robin en me prouvant que tu étais à la hauteur, et en te créant ton identité contre mon avis - tu dois recommencer. Le Manoir t'est interdit : tu as toujours un appartement étudiant, tu y vivras jusqu'à nouvel ordre. Alfred viendra chercher demain le reste de ton costume et ton équipement."

Agir ainsi ne me plaît pas, mais je sais que c'est indispensable pour permettre à Timothy de redevenir vraiment lui-même. A voir maintenant si Pennyworth acceptera de s'y plier aussi, et je sens déjà son profond mépris et sa lassitude pour mes méthodes.

"Ton corps est prêt à se battre et à être justicier, mais ton esprit ne l'est plus. Tu dois redevenir Tim Drake avant de redevenir Robin, ou Red Robin, ou autre chose. Je ne suis pas un exemple, je ne l'ai jamais été, mais je sais qu'une vie personnelle est autant vitale qu'un bon entraînement. Tu t'es prouvé qu'abandonner peu à peu une stabilité personnelle pouvait te mener au gouffre... prouves-toi maintenant que tu peux réellement concilier une vie et une mission."

Je me tais alors, le laissant mesurer le point et les conséquences de chacune de mes paroles. Je sais bien qu'il sera troublé, énervé et certainement déçu par mes décisions, mais je sais par où il passe : la longue route que j'aie prise après la blessure subie face à Bane, ou celle face à Killer Croc, m'ont déjà mené au fond du gouffre. Comme lui, j'ai déjà failli tuer, j'ai déjà été plus loin que je ne le devais ; j'en suis revenu.
J'attends la même chose de Timothy. Je ne voudrais jamais qu'il soit comme moi, mais je veux que sa voie soit au moins "correcte". J'ai longtemps cru que Richard avait réussi à trouver un équilibre, mais ses déboires actuels me prouvent que sa situation était bien plus précaire que je ne le pensais ; je refuse de laisser Tim ainsi, je refuse de l'abandonner lui aussi.