Blessé, l'animal est plus dangereux que jamais.

Cette maxime, ce dicton, est vrai. Je l'ai appris durant mes années d'errance et de violence autour du monde, en cherchant à apprendre tout ce qui pouvait m'être utile dans ma lutte contre le crime et pour sauver l'âme de Gotham City. Je l'ai même appris à mes élèves, à ceux que j'ai formés pour pouvoir combattre à mes côtés et m'appuyer dans ma quête.
Je ne suis pas étonné que Jason ait bien retenu cette leçon. Je ne pensais juste pas qu'il puisse être à ce point cruel et doué avec une lame.

Ses coups sont forts, précis, violents. Il frappe pour blesser, il frappe pour percer. Toute limite a été franchie, tout amour est honni.
Nous ne sommes plus père et fils. Nous ne sommes plus mentor et élève. Nous sommes ennemis. Ainsi soit-il.

Je parviens à arracher la lame de sa main après une demi-douzaine de coups trop bien placés. Je laisse passer quelques secondes, pour reprendre mon souffle et permettre à mon corps de m'informer de l'étendue des blessures ; il ne m'apporte que de mauvaises nouvelles.
L'armure a été percée - la peau aussi. Du sang coule à l'intérieur du costume, et les premières douleurs arrivent. Si je rajoute les dégâts déjà causés par Timothy, je sais que je ne peux pas faire durer trop longtemps cet affrontement. Même si Jason est en mauvaise posture, je le connais suffisamment pour savoir qu'il se donnera à fond jusqu'au bout, dans l'espoir de me faire chuter et de me vaincre enfin. Je ne lui laisserais pas ce plaisir.

Mes pieds avancent, chancellent, avant que mes poings ne s'abattent sur Jason - encore, et encore. Dans un rythme lent mais régulier, avec toute ma force, toute ma hargne, je fais tomber les poings américains électrifiés sur mon ancien protégé.
Jason Todd est mort pour moi. Il n'y a plus que Red Hood - et il doit être stoppé.

Au bout de quelques minutes, je laisse glisser les poings américains le long de mes mains ; j'entends à peine le bruit de leur chute sur le sol. Ils sont brisés, détruits par les coups et leur violence.
Jason n'est pas mort... même pour lui, je ne trahirai pas mon serment. Mais Jason va regretter de ne pas l'être, si j'ai bien réussi à le frapper comme je le voulais. Je recule, et colle mon dos exténué et sanguinolent contre le mur. Je le fixe, lentement, et je vois une masse immobile et blessée, qui s'accroche encore à la vie par sa haine et sa colère envers moi.

Mon coeur se brise en le voyant. Je l'enferme dans mon armure, et murmure à peine quelques mots, les derniers restes de mon amour pour lui.

"Est-ce que ça en valait la peine ?"

Une ultime, ultime, ultime dernière chance.
Je suis un incorrigible optimiste, mais c'est ça qui me permet de survivre - c'est ça qui me différencie des autres monstres. Et de Jason.

Mes lèvres sanguinolentes poussent un lent soupir. Mes poumons sifflent quand je respire. Mes mains tremblent. Ma vision se brouille.
Mon corps est usé et a besoin de repos ; je ne vois plus rien ici qui m'empêche de rentrer.

Jason Todd n'est plus. Je l'ai perdu, même si je doute encore de l'avoir déjà eu vraiment. Je me suis longtemps aveuglé sur son sort, sur ses capacités réelles. Je l'ai recruté après que Richard soit parti, et sa colère adolescente m'a plu car elle correspondait à la rage que j'éprouvais envers mon premier élève, qui m'avait abandonné. J'ai voulu former et éduquer un enfant des rues comme Grayson, alors qu'ils étaient et sont entièrement différents. Et j'ai, à chaque fois, rejeté sur Jason les piteux résultats de cette erreur.

Je ne lui ai jamais dit clairement ce que je ressens, et combien je me sens coupable de l'avoir mené dans cette vie. Jason n'était pas fait pour être Robin, et sa transformation en Red Hood n'est qu'une confirmation à mes yeux.
J'ai détruit l'enfant, et l'homme veut me détruire. Je n'ai que ce que je mérite - mais Jason aussi.

Chacun fait ses choix. Chacun est libre.
Il faut juste assumer.

"Soignes-toi. Trouve ta voie. Ne me croise plus."

Ma voix est faible, mais le ton est suffisamment clair pour qu'il comprenne enfin. J'ai mis du temps avant de l'abandonner, avant de décider que je n'avais plus à me flageller pour son sort, mais lui-même n'a pas encore accepté son destin et les conséquences de ses choix.

"Tu n'es qu'un ennemi de plus pour moi. Je refuse de te traiter différemment des autres. Tu ne le mérites pas... Red Hood."

J'arrache mon grappin à ma ceinture, et m'envole quelques secondes après vers les toits - sans regard en arrière.
Jason Todd est mort sous les coups du Joker, il y a des années ; autre chose est revenu, mais ce n'est pas et ne sera jamais Jason Todd, l'enfant que j'ai connu et aimé. Autant aller de l'avant, accepter et assumer... enfin.

(HJ/ Merci pour ce très bon sujet ! J'avais peur de la redite sur la fin, j'y suis un peu tombé, mais ce fut très sympa' et rempli de bons moments. A bientôt ! /HJ)