Il serait problématique de penser que les mercenaires des douanes étaient des hommes parfaits et capables de travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Quoi que puissent en penser les administrateurs qui ne concevaient pas le genre humain au delà des roulements syndicaux et des taxes, les individus qu'ils employaient avaient besoin de repos et tant qu'elles n'étaient pas prises sur le temps payé, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les gens se plaignaient d'ailleurs assez facilement des désagrément de la présence de ce mur, mais les petits bistrots et bars mitoyens, eux, avaient une clientèle relativement fidèle chaque soir comme quoi le malheur des uns...

Ce soir là, Benedict, Fred et Kiefer allaient profiter de leur soirée de repos, loin des installations bétonnées et de leur silence, loin des jeux de cartes entre quatre murs glauques. Leurs tenues civiles étaient des plus classiques et seuls les habitués des troquets auraient pu les identifier comme étant des mercenaires, sauf si l'on prenait en compte leurs musculatures et leurs visages taillés dans la guerre. Ils avançaient dans les rues éclairés par des réverbères qui peinaient à vaincre les ténèbres, discutant, plaisantant doucement, planifiant inutilement leur soirée, rêvant chacun à leur manière de ce qu'ils auraient aimé pouvoir faire, femme, argent, alcool... Tout était prétexte à quelques rires gras, de ce genre de rire qui permettent de noyer les affres des combats passés, d'outrepasser les limites des souvenirs traumatiques et qui donnaient la sensation que ces individus étaient des monstres lubriques en puissance alors qu'en réalité ils pommadaient comme des enfants leurs plaies psychologiques.

Benedict poussa la porte du petit bar crasseux où reposaient quelques alcooliques dont la présence n'avait plus rien de chronique. Certains d'entre eux regardaient le fond de leur verre comme s'il allait en émerger une vision messianique tandis que le reste étaient assis comme des malheureux en attente d'une condamnation sociale et judiciaire irrévocable qui ruinerait leur existence à tout jamais. C'est dans cette ambiance de mort que le groupe progressa jusque dans l'arrière salle où s'alignaient quelques billards. Ce bar était un archétype à lui tout seul. Un juke-box recouvert d'une pellicule grasse agonisait dans un coin, face à du parquet poisseux qui devait faire office de piste de danse. Les tapies des billards étaient abîmés et usés au possible et ils décidèrent de s'installer à proximité de celui qui était le moins usagé. Il enlevèrent leurs vestes et les déposèrent sur des chaises hautes qui se tenaient autour d'une table antédiluvienne. Le maître des lieux arriva, et prit leur commande, trois bières naturellement, autant commencer la soirée en douceur, et de quoi jouer au billard. Nonchalamment le bedonnant gérant inséra une clef sur le côté de son appareil et débloqua la sortie des boules.

Il partit d'un pas traînant, laissant Fred installer le triangle. Kiefer commença à passer un peu de craie sur sa queue et Benedict lui observait songeur les pales du ventilateur, il espérait au fond de lui qu'une jeune femme ou plutôt trois viennent rompre une telle ambiance de mort. Leur bière arrivèrent, il trempèrent leur lèvre dedans, au moins ce bar avait ça pour lui: une bonne bière fraîche comme ils les aimaient...