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Oli et son collègue avaient indiqué à Jason la direction à prendre pour rejoindre l'antre du Joker. Même s'il était persuadé de foncer vers la mort, il avait décidé de fausser compagnie à ses nouveaux "amis" et à régler le plus rapidement possible l'affaire que Dan Cutter lui avait confié. Retrouver l'identité de la jeune fille assassinée par "8 Pool", qui devait être Cutter lui-même d'après ses réflexions, commandait de se rendre chez le pire criminel de la ville et interroger quelques personnes présentes.
Facile.

Déglutissant difficilement, Bard parvint devant l'énorme aciérie, jadis propriété de Black Mask et servant désormais du quartier général au "Prince du Crime", rapidement devenu un psychopathe sans merci et craint de tous. Ses deux hommes de main l'avaient prévenu : il avait toutes les chances du monde de mourir en se rendant ici, mais il n'avait pas le choix.
Ce n'était plus Cutter qui lui importait, ou l'argent qu'il lui donnerait ; des parents, des proches de cette fille s'inquiétaient et espéraient encore, et il ne pouvait les laisser dans l'attente.

Pour eux, pour les apaiser, le détective privé devait découvrir l'identité de la jeune fille assassinée.
Et il se présenta donc calmement à l'entrée, gardée évidemment, de l'aciérie. L'air calme, motivé et déterminé, il s'adressa à un des hommes grimés du Joker, avec une voix suffisamment forte pour paraître sûre mais loin d'être autoritaire ; autant ne pas les provoquer.

"Oli et son pote m'ont envoyé ici. J'veux rentrer dans le gang parce que ce salaud de 8 Pool m'a tabassé en se cassant d'Arkham City et en traitant le Joker. J'veux faire partie du gang le plus craint de la ville parce que j'en ai marre que des débiles masqués s'amusent avec moi."

Le discours était faible, le ton pas autant assuré qu'il l'aurait voulu, mais... c'était parti. Son sort n'était malheureusement plus entre ses mains maintenant.

"Euh... bonjour..."

Si Jason n'avait pas uriné dans une ruelle parallèle à l'aciérie quelques minutes plus tôt, son pantalon aurait été entièrement humide. Aucune vessie humaine correctement constituée n'aurait pu tenir alors qu'on présentait son propriétaire au psychopathe le plus dangereux et le plus craint de toute la ville ; Jason ne faisait pas exception à la règle, mais se remercierait d'avoir pensé à se soulager auparavant.

S'il avait été rassuré de pouvoir rentrer sans subir une épreuve physique violente avec les gardes, il avait rapidement compris qu'il se jetait littéralement dans la gueule du loup.
Son plan était entièrement stupide et suicidaire. Il aurait dû enquêter, se lancer dans une procédure de long terme pour réussir à retrouver l'identité de la fille assassinée par 8 Pool. Et même avec ça, il était persuadé de ne pouvoir rien découvrir : le Joker et ses hommes ne devaient pas tenir de livre de compte pour leurs victimes.

"Je... euh... je veux faire partie... du gang..."

C'était creux et stupide. Le Joker n'allait faire qu'une bouchée de lui, ouvrir son ventre et sauter à la corde avec ses intestins. Foutue enquête. Foutue Arkham City. Foutu Dan Cutter.

"C'est... 8 Pool... m'a piégé... frappé... j'veux... me venger..."

Jouer la corde du suspect pour lui, du traître pour son hôte lui ferait peut-être gagner un peu de temps. Dix secondes. Au mieux.
A voir comment le Joker réagirait, finalement. Bard demeurait sur le pas de la porte, ayant dû suivre le nain taré et évoluer dans une atmosphère de cirque et d'horreur ; il était terrifié et tétanisé. Il attendait un geste, une réaction de la part du monstre. L'attente était de trop - l'attente était terrible. Vite, que quelque chose se passe, n'importe quoi : pourvu que l'attente passe.

"Jason Bard, m'sieur."

Le détective privé déglutit difficilement alors que le Joker s'approchait de lui. Tous deux semblaient en sale état avec leurs cannes, leurs corps brisés et leurs fatigues, mais la comparaison s'arrêtait là. Son arme n'avait jamais semblé aussi lourde dans la poche intérieure de sa veste.

"Je... j'étais officier du G.C.P.D. avant... avant que Killer Moth ne m'tire dessus... me détruise la jambe... j'ai été mis en retraite après. J'ai... l'alcool... les médicaments... j'ai tout perdu, j'me suis enfoncé... à cause d'une journée pourrie où... où un minable m'a tout pris... Maintenant... maintenant, j'fais quelques boulots mais j'ai fini ici à cause du G.C.P.D. et des tyrans qui le composent... 8 Pool m'a croisé et m'a tabassé avant de se vanter... et j'veux me venger. J'suis p'têt handicapé et blessé, mais ça veut pas dire que je suis mort !"

Il jouait son va-tout.
En pariant sur une éventuelle complicité basée sur leurs états physiques lamentables, et sur les rumeurs courant dans la ville-prison sur un Joker "fini" après avoir été mis dans une telle situation, Jason espérait que le Clown sentirait une sorte de "compassion" pour lui et serait magnanime. Pari fou, évidemment, mais il n'avait pas d'autre choix.

Il ne pouvait pas sortir son arme maintenant : ce ne serait utile que si tout espoir était mort et qu'il essayerait, avant de décéder, d'emporter dans la tombe le pire criminel de la ville. Il n'avait jamais apprécié le concept des missions-suicide, mais s'il ne pouvait pas faire autrement... autant que son trépas serve à quelque chose.
Evidemment, Bard ferait tout ce qui lui était possible pour éviter cela ; il craignait juste que ce ne soit pas suffisant.